- Aomphalos a écrit:
- Et puis il faut cesser, je crois, de considérer le discours scientifique comme un discours "pur", c'est à dire comme un discours détaché de toute considération métaphysique, de tout impensé idéologique.
Qui parle de pureté de la méthode scientifique ?
Certainement pas moi.
La science est un ensemble de paradigmes (ou un gros paradigme) composé de pièces qu'on a recollé pour essayer de former un tout, ou des touts cohérent(s). Cela signifie qu'on peut se rendre compte que les pièces sont mauvaises et mal assemblée telle la corne frontale de l'iguanodon, telle la chimère d'un marché asiatique, et le(s) paradigme(s) peuvent mourir demain.
La science, comme toute discipline, possède des bases indémontrées (car indémontrables pour le moment) sur lesquelles elle s’est construite. On pourra chercher toujours plus loin à vérifier les fondations d’une discipline, mais on se rendra compte que ces fondations sont infinies, et qu’il faudra bien, à un moment, décider que la fondation semble acceptable pour les critères de l’époque, et qu’on peut considérer comme vrai sans démonstration certaines hypothèses.
Cela s’appelle un axiome. La science repose à sa base sur des axiomes. Ce n’est pas un choix, c’est une nécessité. On pourra certainement confirmer ou infirmer certains axiomes, mais sous l’ancien axiome, on tombera toujours sur un autre axiome.
La science repose donc sur une table dont on ignore l’état des pieds, faute de pouvoir se pencher suffisamment pour les observer.
Plus on bâtira l’édifice scientifique, et plus ses pieds pourront se montrer fragiles.
Donc non, aucune personne sérieuse ne pourra t’affirmer que la science est pure.
Pourtant, dans l’état actuel des choses, il semble malgré tout que bon nombre de pièces s’emboîtent correctement.
Cela dit : qu’est-ce que la Science ?
Une
méthode de production de connaissances qui, je viens de l’écrire, a ses faiblesses.
Pourquoi alors lui fait-on confiance ?
Car elle possède également beaucoup de qualités :
- Elle est autocritique : l’auteur d’une étude, et sinon / surtout la communauté scientifique garde un esprit critique aigu, du recul. Beaucoup de découvertes ont d’ailleurs été infirmées par des études postérieures, ou par une critique de la faiblesse de la méthode. En gros, la science s’ajuste, se corrige. Le débat et la remise en cause sont permanents.
- Elle se base sur la reproductibilité (et donc la possibilité de vérification) de l’expérience qui a permis de produire la connaissance. Il y a toujours une forme d’empirisme derrière, mais on en garde le contrôle, et si la reproductibilité, avec de nouveaux facteurs, n’est plus permise, alors la connaissance est infirmée / remplacée.
- Elle est vérifiable (dans les limites de l'esprit humain) et rigoureusement sourcée. Ses sources sont peut-être internes à la méthode, mais ont subi les mêmes tamis de vérification que l’étude en cours subira. Cela ne signifie pas que les sources sont justes, mais seulement qu’on peut encore les remettre en question et invalider le résultat d’une étude parce qu’elle se base sur une connaissance révélée comme erronée.
C’est pour c’est raison que le consensus accepte la méthode scientifique (= la science) comme la méthode la plus fiable, en tout cas comme la moins mauvaise.
Il semble aussi qu’elle a porté de nombreux fruits. On ne fait pas voler des tonnes de métal dans le ciel par le simple tâtonnement d’un artisanat. On n’accule pas nombre de croyances naïves par hasard.
Si vous avez une méthode plus sûre, plus rigoureuse à proposer, toute la communauté scientifique y est ouverte.
De là, deux positions à adopter :
- Soit on reste sur les faiblesses de la méthode et on n’avance pas dans la production de connaissances : le doute reste toujours possible, les concepts ne sont pas la réalité, juste une de ses représentations lacunaires. Le relativisme absolu bloque toute réflexion.
- Soit on accepte temporairement, tant qu’on ne peut substituer la méthode et la connaissance produite par leurs équivalents de meilleure qualité, et on produit une connaissance, certes discutable, mais qui sans doute possible, a montré des résultats. C’est pour ça que je ne parle pas de VÉRITÉ, mais de position RAISONNABLE.
(Ce discours est valable aussi pour la méthode zététique, exercice de l’esprit critique inspiré de a méthode scientifique, que j’essaye d’exercer au quotidien).
Aomphalos, ta position de l’incertitude est la plus sage. Je ne peux pas te reprocher tes doute, t’attaquer sur le fond.
Mais c’est aussi et surtout la plus stérile, notamment quand il s’agit de débattre.
Cela ne menace pas automatiquement les autres disciplines. La philosophie en l’occurrence garde son rôle, son utilité, mais on travaille à une échelle différente.
La notion de libre-arbitre, intuitive, avant même de mettre un mot sur le concept, a beau ne pas exister dans l’absolu pour moi, est légitime en philosophie car, même avec une mécanique déterministe, grâce à cette mécanique, elle permet d’agir sur les esprits et le monde.
Pour le dire grossièrement : on agit différemment quand on pense avoir le choix et quand on pense ne pas l’avoir. La sensation de libre arbitre entraîne (pour moi de manière déterministe) une influence sur le monde et les esprits.
La philosophie a beau s’inscrire à mon sens dans le déterministe, il n’en résulte pas moins qu’à l’échelle macroscopique, chacun évolue avec elle, par elle, grâce à elle.
Voilà pourquoi je ne crois pas à l’existence du libre arbitre, mais que je n’aurai jamais l’idée de remettre en cause la notion de libre arbitre comme notion philosophique et humaine.
Dans la vie de tous les jours, il est difficilement envisageable de tout considérer et raisonner « par le dessus ». La notion d’individu n’ayant certainement même pas de vraie cohérence avec un recul suffisant, il n’en résulte pas moins que le cerveau humain est programmé pour réagir en tant qu’individu. Quand nous débattons, c’est en tant qu’individus. Même de déterminisme. Bien sûr que la position humaine ne permet pas d'établir une vérité sur ce point. Mais faut-il pour autant ne pas débattre ?
Notre « vie » est menée en tant qu’individus doté d’un libre arbitre. C’est même de là que naît la notion de sens. C’est simplement une autre échelle. C’est peut-être artificiel, mais c’est essentiel pour évoluer. Sinon, autant se suicider de suite. L’homme révolté, tout ça.
Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris ce que tu dis ici, mais je crois qu'au final, on se rejoint assez.
Autre chose : tu dis, et je n’ai aucune légitimité à le remettre en doute, ni même aucune bonne raison de ne pas te faire confiance sur cette affirmation, que la majorité de tes élèves ont un raisonnement déterministe. Déjà, l’exemple ne constitue pas la preuve irréfutable (j’ai rajouté « irréfutable », car je voulais un epictète à la preuve).
(Parenthèse : Quand un prof de philo interroge sur la réalité du libre arbitre qui est un concept philosophique, il doit soit borner strictement la réflexion au domaine philosophique et assumer d’éluder une partie de la question, soit accepter que ses élèves lui balancent AUSSI une argumentation scientifique).
Ensuite, je doute fortement de la conclusion que tu en tires. Empirisme contre empirisme, d’accord. Déjà il y a le sondage du débat qui montre la croyance en un libre-arbitre comme majoritaire. L’échantillon est réduit et biaisé, soit.
Ensuite viennent la grande majorité des croyants qui viennent gonfler les rangs des anti-déterministes, par la liberté octroyée par Dieu, ou au contraire par son diktat.
Viennent aussi les réflexions sociétales, à la mode en ce moment (Valls est cité à bon escient, mais la majorité de ses adversaires et partisans de ses adversaires font de même), où on explique, ou conçoit « qu’expliquer c’est excuser ». Absurde. Encore une fois, il y a un mélange dans les échelles de réflexion.
Puisque ça n’a pas de valeur, je passe aussi sur le nombre de discussions avec nombre de personnes que j’estime et qui fait la majorité du temps preuve d’une résistance acharnée contre le déterminisme : on peut être athée et avoir une croyance inconsciente dans sa propre sacralité.
Dernière chose : on peut avoir un raisonnement partiellement déterministe et partiellement pro libre-arbitre, c’est ce qu’on retrouver chez la majorité des gens.
Par exemple « Ces jeunes vivent dans des quartiers qui ne les aident pas à s’en sortir, MAIS ils ne font pas preuve de bonne volonté (sous-entendu : moi à leur place… (mais toi à leur place, ce ne serait plus toi.)
Pour moi ça reste du « librarbitrisme » pour reprendre l‘expression que je vois ici, car le déterminisme est par définition si mécanique qu’il est TOTAL. Il est extrêmement rare au contraire qu'une position pro-libre-arbitre soit pure et non hybridée. La fracture est entre déterminisme complet et déterminisme partiel.
Le déterminisme, beaucoup sur ce sujet qui le remettent en cause y adhèrent au moins partiellement, inconsciemment, car toute logique est basée sur le cause à effets. Toute action l’est aussi. Disons que vous y mettez souvent une limite possible dans l’esprit humain. Si on accepte que la majorité de l’univers est déterminé, par ses lois, sa logique, quelle est la raison de douter du déterminisme dans l’esprit humain ?
Je ne dis pas qu’il l’est forcément, je dis que quand on affirme quelque chose d’exceptionnel, il faut un argumentaire, une démonstration exceptionnelle. Sans quoi la loi qui semble générale s’applique, parce que c’est la position qui, à défaut d’être vraie, est la plus raisonnable dans les limites de notre entendement, donc aux seuil des limites humaines.
Refuser ça, c'est refuser toute tentative de discernement et d'action raisonnée.