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 The Wandering Inn [Fan-traduction] [Fantastique] [Aventure]

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Maroti
   
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Maroti  /  Barge de Radetzky



2.14 G
Partie 2
Traduit par Maroti

Loks cligna des yeux et se réveilla en prenant une grande inspiration. Elle réalisa qu’elle était en train d’être porté, maladroitement soutenu par les autres Gobelins alors qu’ils firent route vers leur caverne.

Où est-ce qu’elle était ? Loks regarda autour et réalisa qu’elle avait quitté la forêt. Parfois, les anciens souvenirs de son peuple l’assaillaient, ses guerriers étaient revenus et l’avaient trouvé. Ils l’avaient ramené plutôt que de perturber sa transe.

Ce n’était pas bien. Loks cria et cogna les Gobelins sous elle. Ils l’abaissèrent délicatement au sol et elle regarda autour d’elle.

Elle était… À environ trois kilomètres de la forêt où ils l’avaient trouvé. Bien. C’était bien. Loks cria et ses guerriers réagirent avec incompréhension. Mais elle était insistante, et ils retournèrent rapidement dans la forêt avant de retourner dans leur repaire de Gobelin, portant l’écorce que les Ouvriers avaient laissée.

Loks traîna un lourd morceau d’écorce, toujours pensante. Elle ignora les plaintes de ses guerriers autour d’elle alors qu’ils portaient leurs lourds fardeaux. Ils allaient lui obéir, complaintes ou non.

Elle était la Chef. Les Gobelins lui avaient peut-être résisté au début, mais une fois qu’elle avait clamé sa position, son statut était indéniable. Elle allait mener, jusqu’à ce qu'un Gobelin plus fort la challenge ou jusqu’à sa mort.

Un chef était essentiel pour toutes les tribus. Sans un, les Gobelins étaient sans objectif, qu’importe leur nombre. Un Chef allait les diriger, leur donner un but. Les groupes de Gobelins vagabonds ou les tribus les plus faibles allaient être absorbés dans la tribu d’un Chef fort, et Loks avait ajouté une tribu et quelques Gobelins perdus à sa tribu comme l’avaient fait d’innombrables chefs Gobelin.

Mais être un chef n’était pas qu’une question de leadership. C’était aussi quelque chose qui connectait tous les Gobelins. Il y avait dû pouvoir dans cela, comme il y avait du pouvoir dans les [Shamanes]. Les Gobelins donnaient leurs compétences à leurs chefs et à leurs shamans.

Dans le cas d’un [Shaman], plus il y avait de Gobelins dans une tribu, plus leurs sorts étaient puissants. Mais un Chef prenait autre choses de ses Gobelins. Il prenait leur souvenir.

C’était quelque chose que tous les Chefs pouvaient faire. Ils pouvaient se souvenir des choses qui étaient arrivé à leur tribu, de choses qui étaient arrivé des années voir des siècles dans le passer. Cela pouvait avoir énormément de valeur, alors que les Gobelins se rappelaient de stratégie ou de bons terrains de chasse ou d’endroits où se cacher. Mais cela ne marchait qu’avec les Gobelins.

Avec une petite tribu, les Chefs pouvaient se souvenir des mémoires de la dernière génération, ou peut-être un petit peu plus que ça. Mais avec une immense tribu comptant des milliers d’individus ? Loks était certaine que n’importe quel Chef d’une telle tribu pouvait se rappeler de chose qui s’était passé il y a des milliers d’années. Peut-être plus.

Dans son cas, elle se souvenait de l’endroit où les Gobelins avaient découvert la mort. La mort, prenant la forme d’une petite crevasse dans la montagne dans laquelle des monstres et d’horribles choses émergeaient de temps à autre. C’était quelque chose à considérer, mais Loks n’avait pas le temps d’y penser. Car quand elle retourna à sa cave, elle trouva plus de morts.

Une tête coupée se tenait au centre de la petite cave que la tribu de Loks appelait maison. Les autres Gobelins étaient assis autour, regardant la tête puis Loks alors qu’elle laissa tomber l’écorce dans la neige. Elle marcha lentement vers la tête qui la regardait.

Loks connaissait le visage de la Gobeline morte. Elle était une Gobeline qu’elle avait choisie il y a une semaine comme messagère. Elle avait envoyé la Gobeline à la Tribu de la Lance Brisée pour essayer de parler à leur Chef et de repartir avec un message. Ce que la Gobeline avait fait, d’une certaine manière.

La tête était une réponse claire à la demande de Loks. La tête de la jeune Gobeline roula au sol avant de s’arrêter. Elle saignait encore ; le sang n’avait même pas coagulé.

Cela voulait dire quelque chose. Pour Loks, qui comprenait la mort, cela voulait dire que son messager n’était pas mort il y a longtemps. Une heure, peut-être moins ?

Cela voulait dire que la Chef Tribu de la Lance Brisée n’avait pas tué son messager par hasard, mais avait amené la Gobeline proche du territoire de Loks avant de la tuer. C’était un message dans un message. Cela voulait dire ‘nous pouvons faire la même chose à toute ta tribu si nous le voulons’.

Cela ne changeait pas le reste. Loks regarda les yeux vacants de la Gobeline.

Morte.

C’était toujours comme ça. C’était pourquoi… Pourquoi là devait le faire. Même si cela voulait dire la mort. Elle devait essayer, essayer de braver la ‘mort par-delà la mort’ pour arrêter ce genre de chose d’arriver. Erin l’avait fait, une fois. Si elle pouvait le faire, Loks pouvait aussi le faire.

Erin Solstice était une terrifiante humaine. Elle avait tué un Hob toute seule, quelque chose que même les aventuriers de rang Argent avaient du mal. Dans un véritable combat, sa tribu aurait aidé le Hob alors qu’il coupait les aventuriers un à un. Mais l’ancien Chef avait été trop confiant et avait chassé Erin comme une proie, et elle l’avait tué.

Elle était plus forte maintenant, Loks en était certaine. Erin avait passé à travers le feu et la violence et maintenant elle avait déjà gens pour l’aider, et de la force. Elle avait été capable de tuer les créatures dans les ruines avec une simple poêle à frire. Et après, elle avait blessé l’aventurière avec les grands yeux.

L’adversité. Loks devait préparer sa tribu. Donc elle enterra la tête et s’assit pour penser.

Enterrer la tête était un signe de profond respect. Cela voulait dire que le Gobelin qui était mort n’était pas que de la nourriture. Les Gobelins auraient enterré leur ancien chef si Klbkch ne l’avait pas fait pour eux.

Loks regarda ses Gobelins manger et prévint le rester de laisser leur écorce dans la neige et loin du feu. Elle n’était pas encore prête à tester les effets de la chaleur sur l’écorce.

Voyons voir. Qu’est-ce qu’elle avait pour affronter la mort certaine ? Elle avait… Quarante-cinq Gobelins. Un petit nombre, comparé aux centaines de Gobelins des plus grandes tribus.

Quoi d’autre ? Des armes en piètre état, à l’exception de son épée courte. Des gourdins en bois, et quelques armes de métal. Rien de pratique.

Ils avaient des frondes, adaptées à partir de la tribu des Crocs Rouges au nord. Loks avait aussitôt adopté l’arme quand elle en avait entendu parler, allant à l’inverse des traditions de sa tribu. La nouvelle arme avait mené à plus de cibles abattus par les charognards, et l’augmentation de la capacité des Gobelins à harcelé leurs ennemis.

Elle n’avait plus que six jarres d’acide, et Loks savait qu’Erin allait être incapable de récolter plus de mouches acides tant que c’était l’hiver. Loks avait plusieurs potions volées aux voyageurs, mais elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’elles faisaient. Elle regrettait ne pas avoir pu prendre la potion de Ryoka, mais elle ne pouvait rien y faire.

Ils avaient des potions, quelques armes, la magie de Loks et de l’armement supérieur, et assez de nourriture pour quelques jours grâce au Crabroche. Et ils avaient de l’écorce. Et… Autre chose.

Loks alla au fond de la cave et donna des coups de pied aux Gobelins jusqu’à ce qu’ils bougent pour la laisser aller dans son coin de Chef. Elle avait quelques choses-là. Elle mit la main sous le petit nid de feuilles sèches, d’herbe et de coton pour en sortir un petit enchevêtrement de câbles et de métal.

C’était ce que Loks avait. C’était peut-être la clef.

Les Gobelins de sa tribu regardèrent avec intérêt Loks ramener les restes de l’arbalète et de les déposer prêt du feu pour qu’elle puisse voir, mais pas assez proche pour qu’un regrettable accident n’arrive.

Loks inspecta le métal brillant et tenta de réfléchir. C’était une arbalète… Ou cela l’avait été. Loks l’avait trouvé à côté d’une pile de morts, et c’était le nom que les humains lui avaient donné. Donc elle l’avait prise, mais elle n’avait pas la moindre idée de comment réparer l’arbalète.

En vérité, elle n’avait pas la moindre idée de ce qu’était une arbalète. Elle pensait que c’était comme une étrange boite qui tirait une ou deux fois, peut-être attaché ensemble, mais les pièces de celle qu’elle avait trouvé dans les ruines ne ressemblaient pas à ça.

Dans tous les cas, le problème n’était pas que Loks ne savait pas ce qu’était une arbalète, c’était qu’elle avait les pièces mais aucun moyen de les remettre ensemble.

Loks toucha les câbles et regarda le bois. Puis elle fit une chose très gobeline. Elle tendit la main derrière elle, et frappa le Gobelin assis derrière elle. Il grogna, et elle pointa l’arbalète détruite au sol.

Il n’avait pas la moindre idée de ce qu’il fallait faire, donc il tendit sa main et frappa le Gobelin derrière lui. Le Gobelin n’avait pas la moindre idée de ce qu’il fallait faire, mais il frappa un autre Gobelin pour demander. Et de son côté, Loks ‘demanda’ à une autre Gobelin, et le Gobelin continua de demander.

Et puis l’un des Gobelins qui avait été frappé se demanda si le métal avait été tenu par quelque chose. L’idée d’un arc lui avait fait penser à ça.

Loks se souvint du bois noir réduit en morceaux et réalisa que ce Gobelin avait raison. Un autre Gobelin pensa que les pièces allaient comme… ça. Un autre Gobelin n’était pas d’accord. D’autres Gobelins se frappaient, mais ils étaient tous en train de penser.

Dans l’heure, les Gobelins avaient trouvé ce qui manquait à l’arbalète. Ils avaient besoin de bois. De bois solides, pour que le métal puisse être tiré comme… ça ! Et puis, oui, ils pouvaient mettre quelque chose dans le compartiment. Une flèche ? Elle allait voler loin et frapper fort, ils en étaient certains.

Ils avaient quelques Gobelins avec un niveau ou deux dans la classe d’[Artisan] ou [Menuisier]. Loks les appela et leur montra les pièces. Les Gobelins murmurèrent avant d’attraper du bois en commençant à tailler.

Pendant ce temps, l’esprit de Loks était en feu. Elle regarda le métal, avant d’ordonner à d’autres Gobelins de recréer le design de l’arbalète avec du métal. Ils avaient beaucoup de ferraille, et maintenant toute la tribu était curieuse.

Mais ils eurent des problèmes. Comment étaient-ils supposés attacher le métal au bois ? Loks inspecta les morceaux de l’arbalète, et trouva les vis de métal noir. Tel était la qualité de l’arbalète Naine, le bois s’était brisé alors que les vis étaient restées intactes.

Des vis ? Cela était bien au-delà du niveau technologique des gobelins. Mais… Les ouvriers étaient toujours en train de travailler sur cette auberge. Loks envoya un groupe de Gobelin pour voir s’ils pouvaient trouver quelque chose.

Ils revinrent avec un seau volé aux Ouvriers quand ils ne regardaient pas. Les clous et le métal du seau n’étaient pas comme ce qui était produit en masse dans le monde moderne, mais pour les Gobelins, ils étaient quand même quelque chose de miraculeux.

Loks regarda l’arbalète d’origine être rassemblé par ses Gobelins, et puis réfléchit à la question des munitions.

Des carreaux. Voilà un autre problème. Comme pour le métal, les Gobelins étaient plus adeptes à récupérer et voler que créer. Ils n’avaient déjà pas assez de têtes de flèche pour leur archer, et il semblait que les carreaux d’arbalètes demandaient un autre type de tête de flèche, voire de bois.

Loks envoya quelques Gobelins coupé du bois pendant qu’elle essayait de trouver une solution au problème. Ils pouvaient probablement faire des carreaux pour elle, mais ils seraient fait de bois et non pas de métal, ce qui allait réduire la puissance. Et le bois était difficile à trouver en hiver, et encore plus difficile à travailler sans les bons outils.

Ils ne pouvaient pas utiliser du bois pour toutes les arbalètes. Donc quoi ? Qu’est-ce qu’une arbalète pouvait tirer à part du bois ?

… Pratiquement tout

S’ils ne pouvaient pas faire assez de flèches, ils n’avaient qu’à changer l’arbalète. Loks s’agenouilla proche de son équipe de bricoleur et bientôt, ils élargirent leur prototype d’arbalète et retirèrent la corde. Maintenant, cela ressemblait plus à une fronde montée sur un manche.

Cela prit des heures, et l’intégralité de la tribu travaillant toute la nuit, mais avec le modèle supérieur à copier, les Gobelins trouvèrent éventuellement quelque chose qui fit louper un battement de cœur à Loks. Ils la placèrent à côté de l’arbalète refaite, deux armes dépareillées, mais tout de même mortelles.

Loks chargea l’arbalète Naine, tirant avec ses deux mains pour charger le mécanisme. Puis elle prit l’un des carreaux primitifs que ses Gobelins avaient fait et tira vers l’extérieur. Le carreau disparu alors que le retour de l’arbalète envoya Loks valsé dans la cave. Les Gobelins étaient bouche bée.

La seconde arbalète était différente, mais tout aussi importante. Loks, massant son torse, laissa un autre Gobelin le tira.

Cette arbalète utilisa un petit caillou plutôt qu’un carreau. Le Gobelin la plaça avec précaution l’élastique de cuir et le tira jusqu’à ce qu’un petit cercle de métal puisse attraper l’élastique tendu. Il visa un mur de la cave et appuya sur la détente.

Des Gobelins se jetèrent au sol alors que le petit caillou vola à travers la cave et se brisa contre le mur. Loks cligna des yeux alors qu’un éclat de pierre lui frappa le front. Elle commença à donner des coups de pied au Gobelin qui avait tiré, mais était tout de même extatique.

La nouvelle arbalète que les Gobelins avaient créée était une arbalète pour pierre, mais la version avancé des arbalètes qui existaient dans ce monde. Elle avait bien moins de portée et de précision qu’une arbalète qui utilisait de vrai carreau, mais les munitions étaient nombreuses. Les Gobelins pouvaient la charger avec de petites pierres voir roulé de l’argile en petite boule et les faire cuire prêt du feu pour les durcir.

Loks fit créer plus d’arbalètes à ses Gobelins, aussi rapidement que possible. Cela révéla d’autres problèmes, principalement la méthode de construction.

Les matériaux que les Gobelins utilisaient pour faire les arbalètes étaient vieux et de mauvaise qualité, ils n’avaient que du métal rouillé et du bois brisé. Deux arbalètes furent détruites lors du premier tir et un élastique se brisa et manqua de rendre aveugle le Gobelin l’utilisait. Mais elles marchaient.

À la fin de la nuit, les Gobelins avaient six arbalètes et plusieurs Gobelins avaient appris la classe de [Bricoleur]. Loks était extatique à l’intérieur, même si elle n’était pas certaine de la qualité de la classe.

C’était autre chose. Les Gobelins avaient des classes différentes des humains. Loks suspectait qu’elles étaient plus faibles. À la place de la classe de [Guerrier], un Gobelin pouvait facilement obtenir la classe de [Bagarreur]. Au lieu de [Menuisier], certain obtenait la classe d’[Artisan]. Et [Bricoleur]. Elle était certaine qu’il y avait une meilleure classe qui allait la remplacer si elle gagnait assez de niveaux.

C’était quelque chose du genre. Un [Bagarreur] devenait un [Guerrier] vers le Niveau 5 environ. Et Loks avaient entendu que certains Gobelins obtenaient une différente classe s’ils atteignaient le Niveau 20.

Elle voulait désespérément gagner des niveaux pour découvrir si cela était vrai. Mais c’était mieux, oui, bien mieux d’améliorer les compétences de combat de sa tribu.

La classe de [Tacticienne] de Loks était en feu à l’idée d’utiliser les arbalètes en combat. Elles avaient une bonne portée et, contrairement au fronde, pouvaient être rechargé et laisser seule si nécessaire. Loks pouvait ouvrir le combat avec une volée et laisser les Gobelins moins fort au combat harceler l’ennemi tandis que ses guerriers attaquaient au corps-à-corps.

Oui, cela allait tout changer. Loks voulait ces nouvelles arbalètes dans les mains de tous ses Gobelins. Loks avait des visions de soixante Gobelins tirant en même temps. Qu’est-ce qu’ils pouvaient tuer avec ça ? Les Crabroche avaient trop d’armure, mais avec ces nouvelles armes, ils n’auraient pas à les tuer. Ils pouvaient chasser des oiseaux sans avoir à refaire des munitions.

Ils allaient pouvoir arrêter de manger leurs morts.

Et pour son arbalète, Loks pouvait à peine la charger même avec l’aide d’autre Gobelins. Mais elle était certaine qu’un carreau de ça pourrait tuer un ours si le carreau l’atteignait dans l’œil. C’était une arme digne d’un chef.

Loks alla se coucher avec la tête pleine d’idées. Mais au fond elle savait que tout cela n’était que le premier pas. Elle tenait quelque chose… Maintenant elle allait devoir l’utiliser pour survivre aux épreuves à venir.


[Classe de Leader Obtenue !]

[Leader Niveau 2 !]

[Compétence – Aura de Commandement Obtenue !]


[Classe de Bricoleuse Obtenue !]

[Bricoleuse Niveau 2 !]

[Compétence – Réparation Élémentaire Obtenue !]

***

Les Gobelins quittèrent leur cave le lendemain. C’était un départ chaotique et mal organisé, mais Loks cria et utilisa sa nouvelle Compétence pour faire en sorte que ses Gobelins s’organisent plus rapidement que d’habitude. Ils avancèrent dans la neige, évitant les coins dangereux et récupérant du bois et de l’argile pour créer des munitions pour leurs nouvelles armes.

Ils s’étaient rendu compte qu’ils pouvaient utiliser de la glace comme munition, même si cela était limité à des bouts de glace solide et non pas à de la neige compactée. Loks repéra une ancienne cave en utilisant les souvenirs de son Chef et ses Gobelins passèrent la nuit à créer d’autres arbalètes. Elle testa l’écorce des arbres kabooms en allumant un feu dehors à une bonne distance et en envoyant un Gobelin jeter de l’écorce dedans.

Quand les Gobelins se relevèrent, Loks décida qu’elle avait trouva un piège très pratique. Mais elle s’assura de bien ensevelir l’écorce sous la neige à l’extérieur de la cave.

Ils arrivèrent à l’ouverture dans le flanc de montagne le lendemain. Loks fit s’arrêter sa tribu, les ordonnant de se mettre en rangs. Elle avait désormais quatorze arbalètes sans compter la sienne, et elle avait distribué des frondes et des arcs parmi le reste.

Il était l’heure. Loks regarda la petite ouverture et sentit son cœur battre la chamade. Est-ce qu’aujourd’hui était le jour de sa mort ? Elle entra aussi prudemment que possible. Si quelque chose s’approchait d’elle, elle allait battre en retraite.

Mais elle devait gagner des niveaux. Sa tribu devait être plus forte. C’était la vérité que Loks avait découverte. Elle voulait vivre. Alors elle allait danser avec la mort jusqu’à ce qu’elle puisse véritablement vivre.

La mort ou les Niveau. La vie ou la mort. Elle dégaina son épée et pointa la petite ouverture dans les rochers. Une trentaine de mètres plus loin, et l’endroit allait changer. Après soixante mètres, ils allaient commencer à descendre. Aucun Gobelin n’était revenu après avoir descendu plus de cent mètres. C’était ce que les souvenirs lui disaient.

Les Gobelins se préparèrent, armes au clair. Loks prit une inspiration, et son souffle se coupa.

Quelque chose était en train de bouger dans les ténèbres. Les Gobelins autour d’elle se figèrent, terrifiée. Loks abaissa son épée et leva un doigt. Elle connaissait trois sorts. Celui de [Luciole] était déjà en train de se préparer dans son esprit.

Puis il apparut. De la terreur envahit les Gobelins, pure et inaltérée. Les Gobelins et Loks sentirent la peur les envahir alors que les flammes pourpres les touchèrent. La même peur que celle qu’Écorcheur avait causé.

Des bras osseux. Une carrure mince, principalement car il n’y avait pas de viande dessus. De la lumière illumina des os alors que quelque chose se précipita hors des ténèbres, courant aussi vite que possible.

La mâchoire de Loks se décrocha.

Un squelette familier chargea hors des ruines, poursuivit par une massive armure. Pour les Gobelins, l’armure était encore plus terrifiante car elle était clairement faite pour un Minotaure ou quelque chose d’encore plus grand. Il lui manquait le casque, mais l’armure enchantée luisait d’une lumière orange qui brillait à travers les trous et le cou de l’armure. Elle tenait une massive épée à deux mains et chassa Toren dans la neige.

Loks et sa tribu regardèrent Toren courir vers eux. Ils regardèrent l’armure magique, considérèrent leurs arbalètes. Ils regardèrent l’armure, puis Toren, puis chacun d’entre eux.

Ils crièrent d’un seul homme et commencèrent à courir.



Dernière édition par Maroti le Mer 14 Oct 2020 - 18:39, édité 2 fois
 
EllieVia
   
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Histoire secondaire - Rituels d’Accouplement - Première Partie

Traduit par EllieVia

*Avertissement. Si vous n’aimez pas les descriptions d’organes génitaux ou de sexe ou de quoi que ce soit qui s’y rapporte, ne lisez pas ce chapitre. Il s’agit d’une histoire secondaire qui n’est pas reliée chronologiquement aux chapitres actuels de l’intrigue principale.

“Tu n’as pas encore eu de relations sexuelles. C’est une mauvaise chose, oui ?”

Erin, qui était en train de lever une fourchette remplie de bœuf bouilli et de légumes vers sa bouche, se figea. Elle dévisagea Krshia, bouche-bée, puis tourna la tête vers Selys. La Drakéide grimaça et évita son regard.

“Hum. Okay ?”

Krshia se pencha par-dessus la table et dévisagea Erin avec intensité.

“Cela fait des semaines que nous nous connaissons. Mais tu ne t’es pas encore accouplée avec qui que ce soit. Je pense que c’est une mauvaise chose. Il faut qu’on règle la question.”

“Il faut, vraiment ?”

“Hm. Oui. C’est la raison pour laquelle Selys et moi t’avons invitée. Il s’agit d’un problème dont nous devons parler.”

“Ici ?”

Erin regarda autour d’elle. Elles étaient au restaurant. Ou plutôt, à la taverne, mais Erin aimait penser qu’il s’agissait d’un restaurant. C’était à peu près la même chose, mais on buvait d’ordinaire beaucoup plus à la taverne.

Toutefois, c’était une taverne Gnolle, ce qui signifiait que la plupart des clients étaient poilus. Il y avait quelques Drakéides, mais le personnel et les cuisiniers étaient des Gnolls. C’était Krshia qui avait proposé de venir ici et Erin avait joyeusement accepté.

Il était rare qu’Erin ait une chance de sortir de son auberge. Mais les affaires n’avaient pas été florissantes dernièrement. Selys avait un jour de congé et Krshia avait précisé que la nourriture était bonne à la taverne. Erin avait donc enfermé Toren dans l’auberge et avait rejoint les deux autres avant de venir ici. Elles avaient passé de bons moments à papoter à passer commande - du mouton saignant pour Krshia, du poisson pané pour Selys, et du bœuf bouilli pour Erin. On leur avait servi leurs plats, elles avaient commencé à manger, puis le sexe était arrivé sur le tapis.

Pas au sens littéral, non, mais le problème avec le fait de ne serait-ce que parler de sexe était que cela embrouillait étrangement l’esprit. Erin baissa les yeux sur son bœuf, posé dans une sauce légère à base de bouillon. Il était tendre et se découpait presque à la cuillère. Il avait l’air et sentait extrêmement bon, mais Erin était soudainement en train de visualiser des saucisses. Sans raison particulière, bien sûr.

C’était le truc, avec les pénis. Ils pouvaient sortir de nulle part en un claquement de doigts. Erin reposa sa cuillère et dévisagea Krshia. Puis elle se tourna vers Selys.

“Le sexe ? Hum. Vous voulez parler de sexe ?”

La Drakéide suivit son regard en mâchant son poisson ?

“Pas juste de sexe. De mecs. De mâles. J’étais juste curieuse donc j’en ai parlé à Krshia, et elle a dit que…”

“Tu n’as pas eu de relations sexuelles. Tu devrais. Selys est d’accord.”

Krshia hocha la tête pendant que Selys secouait vivement la sienne en agitant les mains devant le regard d’Erin.

“Je n’ai jamais dit qu’Erin devrait avoir des relations sexuelles. Je me suis juste dit qu’il faudrait, euh, en, discuter. C’est tout.”

“Oh.”

Erin se réadossa à sa chaise en les regardant fixement. Le sexe, c’était le sexe. Elle savait tout sur les oiseaux et les abeilles, même si vu de près ils ne ressemblaient plus à des oiseaux ou des abeilles. Elle pouvait gérer une discussion sur les parties intimes, et elle n’était certainement pas délicate mais…

Elle regarda autour d’elle. Elle était dans une salle presque pleine à craquer, sans exagérer, presque exclusivement de mâles. Il y avait quelques femelles, mais il y avait vraiment beaucoup de mâles maintenant qu’elle y prêtait attention. Et elle était installée à une table centrale avec ses deux amies, et elles parlaient plutôt fort.

“Hum. Est-ce qu’on doit en parler ici ? Je veux dire, le sexe c’est… c’est…”

Krshia et Selys la dévisagèrent sans comprendre. Erin rougit. Selys éclata de rire.

“Erin ! On veut juste parler des relations de manière générale. On ne va pas parler de, tu sais, ce qu’il s’y passe.”

“À moins que tu n’en aies envie.”

Selys et Erin dévisagèrent Krshia. Selys s’éclaircit nerveusement la gorge et regarda Erin.

“On ne veut pas te mettre mal à l’aise. J’étais juste curieuse de savoir si tu étais, disons... intéressée. Je me disais que tu te sentais peut-être seule, et Krshia…”

“Se disait que je n’avais pas assez de relations sexuelles. Je vois.3

Erin regarda fixement son assiette. Peut-être que si elle regardait cela, elle n’aurait pas à croiser directement le regard des deux autres.

“Eh bien… je n’y ai pas vraiment pensé ? J’étais occupée, avec l’auberge et tout. Et, hum, je n’ai pas vraiment pensé à me mettre en couple. Avec quelqu’un d’autre, je veux dire.”

Krshia fronça les sourcils.

“Mais tu es jeune. C’est le meilleur moment pour s’accoupler avec d’autres. Qu’est-ce qui te retient ?”

“Rien ! Je suis juste… ce n’est pas comme si les gens de mon âge avaient tout le temps des relations sexuelles ! Pas vrai ?”

Erin se tourna vers Selys. La Drakéide évita son regard.

“Eh bien, je ne dirais pas tout le temps, mais de temps en temps, ça peut être sympa, Erin. Et ce n’est pas comme si tu avais besoin de trouver quelqu’un en particulier. Tu pourrais juste, euh, passer une nuit particulière de temps en temps.”

Erin eut besoin d’un moment pour comprendre cette dernière phrase.

“Tu veux dire un coup d’un soir ?”

“Si tu veux qu’il y ait des coups, la nuit risque d’être longue. Mais quand même plaisante, peut-être ? Je pourrais essayer.”

Selys avala sa boisson de travers. Erin lui tapota le dos en essayant de s’empêcher de rougir.

“Écoutez, je ne suis pas une experte. Ça pourrait être sympa, mais ce n’est tout simplement pas quelque chose que je cherche.”

“Mais pourquoi ?”

Selys toussa et regarda Erin.

“Ce n’est pas comme s’il y avait beaucoup d’humains dans le coin. Je veux dire, tu pourrais accrocher avec l’un de ces aventuriers ou ces marchands qui passent de temps en temps, mais il y a d’autre options, tu sais ? C’est une grande ville.”

“Des options ? Qu’est-ce que tu… oh.”

Krshia scruta intensément Erin qui regardait passer un Gnoll. Erin fixa, les yeux écarquillés, l’immense hyène poilue d’un mètre quatre-vingts et essaya de trouver une réponse.

“Je, euh, je…”

Krshia renifla Erin et fronça les sourcils.

“Tu as peut-être peur des Drakéides et des Gnolls ? Tu n’aimes pas les écailles ou la fourrure ?”

“Quoi ? Non… ça ne me gêne pas. C’est juste que… je n’ai jamais…”

Le visage de la Gnolle s’illumina.

“Oh ? Donc tu n’aurais rien contre le fait de t’accoupler avec un membre de mon espèce ? C’est bien.”

“Eh bien je veux dire… écoute, Krshia, je n’y ai vraiment pas réfléchi. L’accouplement, je veux dire, le sexe, je ne suis pas sûre d’être prête pour ça. Ici, je veux dire. Je, euh, je ne sais même pas par où commencer… ?”

“Quitter ses vêtements fonctionne bien pour commencer. Ça marche pour moi.”

Erin se retourna et fusilla Selys du regard. La Drakéide éclata de rire et Krshia hocha la tête.

“C’est peut-être de la peur, alors ? Avoir une relation sexuelle pour la première fois avec un membre qui n’est pas de son espèce, ça peut faire bizarre. Je me souviens de mon premier Drakéide. C’était étrange, mais excitant.”

Erin regarda Selys. La Drakéide était en train de regarder fixement Krshia.

“Selys. est-ce que tu as… ?”

Selys sursauta. Elle regarda autour d’elle d’un air paniqué, loin d’être ravie d’être sous le feu des projecteurs.

“Quoi, moi ? Non ! Je veux dire, je me suis juste contentée de… les Gnolls ont beaucoup de fourrure. Non pas que ce soit mal en soi, mais je me disais qu’Erin aimerait bien rencontrer l’un de mes amis.”

Krshia fronça les sourcils.

“Des Drakéides ? Non. Si ça doit être sa première fois, il vaut mieux un Gnoll.”

“Je ne suis pas sûre que ce soit vrai…”

“J’ai comparé les deux. Je préfère ceux de mon espèce.”

“Mais c’est ton opinion. Je pense qu’Erin devrait avoir un choix équitable, c’est tout.”

“Mm. Mais elle devrait savoir ce qu’elle choisit. Il y a des différences, oui ? Ce serait bien de lui expliquer.”

“C’est vrai…”

Erin dévisagea Selys et Krshia en train de discuter et se demanda si elle pouvait s’enfuir. Probablement pas. Krshia pourrait la flairer et elle se contenterait de poursuivre la conversation la prochaine fois qu’elle la verrait. À moins qu’Erin ne revienne jamais à Liscor. C’était une option.

Est-ce qu’il faisait particulièrement chaud dans cette taverne ? Erin regarda autour d’elle. Elle était sûre qu’il n’avait pas fait si chaud quand elle était entrée.

Elle vit un Gnoll assis juste en face de leur table. C’était un jeune… Gnoll, et c’était un mâle. Il était probablement venu ici pour manger tranquille, mais il était à présent aux premières loges d’une conversation qu’il voulait clairement à la fois écouter et ne pas écouter.

“Erin.”

Erin sursauta et se tourna vers Krshia. La Gnolle lui souriait.

“Nous pensons qu’il faut que tu apprennes les bases de nos espèces, afin que tu puisses trouver un partenaire pour coucher. Dans tous les cas, c’est toujours bon à apprendre, et tu auras ensuite beaucoup d’opportunités de t’accoupler, oui ?”

“Oui ?”

Elle avait presque failli répondre “non, pitié ne me dites rien.”. Mais une part d’elle-même avait beau être horrifiée par le fait que cette conversation prenait place en public, elle n’en demeurait pas moins curieuse. Curieuse - ça n’engageait à rien, bien sûr. Mais comme elles en étaient à parler de ce genre de choses…

“Donc il y a une grosse différence entre les Drakéides et les Gnolls ?”

“Et les humains. Nous avons beau être tous bipèdes, nous avons tous des pratiques bien différentes.”

Selys s’éclaircit la gorge.

“Ou du moins c’est ce qu’on m’a dit. Je n’ai pas vu grand-chose.”

“Moi si.”

Krshia hocha la tête.

“Il y a beaucoup de différences. Plaisantes, mais il est bon d’être prévenue. Si tu comptes t’accoupler, il faut que tu sois prête. Je peux te les décrire, si tu veux.”

Erin n’avait pas encore touché son repas, mais elle prit son verre et prit une solide lampée. C’était l’une des boissons les moins alcoolisées de la carte mais elle aurait soudain aimé que le degré d’alcool soit plus élevé.

“Décrire ? Quoi donc ?”

“Les parties mâles, bien sûr.”

“Oh. Hum, je vois. Eh bien, d’accord. D’ailleurs, j’ai une question à ce sujet. Est-ce que vous… enfin, vous les appelez comment ? Les parties mâles, je veux dire.”

Selys et Krshia échangèrent un regard et sourirent.

“Comment les humains appellent-ils leurs parties mâles ?”

Erin leur répondit. Selys fronça les sourcils.

“Pénis ? Vagin ? Ça a l’air tellement… tellement… beûrk. Ça ne sonne pas très bien. Mets le pénis dans le vagin ? C’est ce que vous vous dites entre humains quand vous le faites ?3

“Non, on ne dit pas ça. On a d’autres… mots.”

“Mm. Je crois que je comprends. Les mâles donnent beaucoup de noms à leur fierté, n’est-ce pas ? J’en ai entendu parler de leur épée, ou de leur lance. Même s’il s’agit d’une lance bien faible si elle n’est faite que de chair.”

Elle éclata d’un rire sonore, et Erin était consciente que d’autres clients écoutaient leur conversation. Selys n’avait pas l’air d’avoir remarqué.

“Vraiment ? J’ai entendu… euh, enfin, la plupart des Drakéides l’appellent la “deuxième queue”.”

Selys rougit férocement et Erin essaya de ne pas rire. Les Drakéides autour d’elles évitaient scrupuleusement de regarder dans la direction des trois femelles. Krshia ne prenait même pas la peine de contenir ses éclats de rire.

“C’est une bonne façon de le voir ! J’ai entendu ceux de mon espèce l’appeler leur petit croc. Très petit, dans certains cas.”

Erin essaya de s’en empêcher, mais elle ne pur réprimer un éclat de rire. Krshia sourit.

“Ils en font des tonnes avec leurs parties mâles, n’est-ce pas ? Mais Selys, à présent que nous discutons de choses et d’autres j’ai une question pour toi.”

“Pour moi ?”

La Gnolle acquiesça en mordant dans son repas sanguinolent et mâcha.

“J’ai entendu dire que ton peuple a non pas une, mais deux queues basses. On l’entend souvent dire, mais j’ai beau avoir vérifié, je n’en ai vue qu’une, pas deux.”

“Deux… ?”

Erin dévisagea Selys par-dessus son verre. Elle essaya d’imaginer la chose et des images vraiment étranges surgirent dans sa tête.

“C’est une idée reçue répandue. Les Drakéides n’en ont pas deux. C’est le peuple lézard, ça.”

Selys fronça les sourcils dans sa chope. Elle fouetta le sol de sa queue d’un air énervé.

“On ne ressemble pas à ces horreurs. On en a une. Je veux dire, je n’en ai pas mais les mecs en ont une. Et de toute façon, qu’est-ce qu’on pourrait faire de deux ?”

“J’ai ma petite idée.”

Selys regarda Krshia d’un air décontenancé pendant qu’Erin devenait rouge pivoine. La Gnolle grogna, amusée.

“Les jeunes. Qu’importe. Si vous ne le savez pas encore, vous le découvrirez un jour. Encore que, tu as peut-être déjà essayé… ?”

“Um, donc c’est comment ?”

Demanda Erin, essayant frénétiquement de changer de sujet. Elle regarda tour à tour Krshia et Selys.

“Tu dis que tu as, euh, été à la fois avec des humains, des Drakéides et des Gnolls. Il y a quelque chose qui ressort à chaque fois ?”

Selys s’étouffa avec son poisson et Krshia éclata de nouveau de rire.

“Beaucoup de choses sont ressorties, mais pas tant que ça chez les humains. C’était décevant, la seule fois où j’ai essayé.”

“Vraiment ?”

“Oui. J’avais entendu dire que les humains n’étaient pas si différents des Gnolls et des Drakéides, mais il y a une différence là-dessous.”

Krshia fit un geste qui aurait été immédiatement censuré à la télévision. Erin restait toutefois fascinée.

“Vraiment ?”

“Oui. Les Humains sont regrettablement petits.”

“Petits ?

La situation était en train de lui échapper. Erin s’était d’une manière ou d’une autre embourbée dans cette discussion. Elle ne l’avait pas prévu, mais ses sens de l’embarras et de la honte étaient partis randonner un moment et elle était à présent affreusement, mais définitivement intéressée par le sujet actuel.

“Hum, on parle de quelle taille, là ?”

“Cette taille environ ?”

Krshia écarta deux doigts. Erin fronça les sourcils.

“Non… ils ne sont pas si petits que ça.”

“En es-tu sûre ? Je les ai vus personnellement. Très petit, oui ? Difficile à repérer.”

“Vraiment ? C’est tellement décevant…”

“Non… non, ils grossissent. C’est un truc de reproduction. Dès que le mec devient, hum, excité, ça…”

Erin s’interrompit. Krshia souriait et Selys secouait la tête.

“On les a vus, crois-moi, Erin.”

La Gnolle acquiesça.

“Ah. Ils grossissent ? Alors ça explique beaucoup. Celui que j’ai vu est resté petit. Malgré tous mes efforts.”

“Je suppose que le type était juste… intimidé.”

“Effrayé.”

“C’est regrettable. Mais au moins, sa langue fonctionnait encore.”

Erin se suça les lèvres tandis que Selys se rendait soudain compte qu’elle était prête pour un autre verre. Krshia lui sourit.

“Alors, ils deviennent grands comment, Erin Solstice ? Assez gros pour être utiles, j’espère ?”

Elle était sous le feu des projecteurs, à présent. Erin rougit - enfin, encore plus qu’avant. Elle était dans un état de rougeur permanente, mais elle fit de son mieux et écarta les mains.

“Hum. Grands comme ça ?”

Selys et Krshia regardèrent les mains d’Erin. Krshia secoua la tête.

“...Non. Tu n’en as jamais vu un ?”

Erin rougit.

“Eh bien, ce n’est pas comme si je pouvais mesurer… c’est plus long que ça ?”

“Plus petit, j’espère.”, murmura Selys.

Elle montra à Erin un écart beaucoup plus petit avec ses mains.

“Ça, c’est la taille normale. Du moins, parmi la plupart des Drakéides. Non pas que je sois une experte.”

“Mm. Voilà ce que j’ai vu.”

Erin et Selys regardèrent les mains de Krshia. La moitié des habitués de l’auberge - la moitié masculine - leva furtivement les yeux par-dessus leurs chopes.

“Huh. Donc les Gnolls…”

“Ils ont le plus gros, oui.”

“La taille ne fait pas tout.”

“Est-ce que c’est ce que disent les humains ? Les Drakéides ne disent pas ça.”

“Les Gnolls non plus. La taille, c’est bien, oui ? Trop et c’est désagréable. Mais pas assez, ce n’est pas assez.”

Krshia donna un coup de coude à Erin.

“Tu es d’accord, oui ? Une bonne taille fait toute la différence.”

“Je, euh…”

Embarrassée, Erin but une longue gorgée. C’était bien, l’alcool. Si elle en buvait suffisamment, il faisait disparaître son embarras. Mais Krshia avait probablement commandé un tonneau, parce qu’elle était toujours en train d’exposer les vertus d’un pénis convenable.

“Mm. Les meilleurs sont épais. Durs, forts…”

“Couverts de piquants.”

Soupira joyeusement Selys. Krshia et Erin la dévisagèrent. Le verre d’Erin était solidement arrimé à sa bouche, mais elle n’avait plus du tout soif.

“Couvert de piquants ?”

Elle se tourna vers Krshia. La Gnolle grimaça.

“Ce ne sont pas des épines. Mais plus des espèces de… crêtes ? Des zones de chair dure. Ce n’est pas mal. Plaisant, au bout d’un moment.”

“Ah. Je vois.”

Le silence s’abattit sur la tablée pendant quelques secondes. Le serveur Gnoll en profita pour se précipiter vers elles, apporter les boissons et remplir de nouveau les verres, et prendre ses jambes à son cou. Erin regarda son assiette. Elle l’avait entamée, même si elle ne s’en souvenait plus.

Au bout d’un moment, Selys se pencha en avant et baissa la voix.

“Ça me rappelle que je voulais te poser une question, Erin. J’ai un pari avec une amie à moi. Elle dit que les humains le font mais je ne l’ai jamais crue…”

Un millier d’images surgirent dans l’esprit d’Erin, un millier de liens internet sur lesquels elle regrettait d’avoir cliqué (et quelques-uns qu’elle ne regrettait pas). Elle se prépara à tout en voyant Selys hésiter. La Drakéide finit par poser sa question.

“Est-ce que les humains le mettent vraiment… dans leur bouche ?”

Erin dévisagea Selys. La Drakéide était mortellement sérieuse. Erin regarda autour d’elle. Une demi-douzaine de mâles baissa instantanément la tête. La demi-douzaine restante fut trop lente et fit semblant d’être en train de commander des boissons.

“Hum. Oui ?”

“Non.”

Krshia et Selys regardèrent toutes les deux Erin d’un air sceptique. La fille haussa les épaules, mal à l’aise.

“Quoi ? Oui, on… enfin je veux dire, les humains font ça. Pas moi, mais ça arrive.”

“Erin. C’est vraiment dégoûtant.”

“Mm. C’est inhabituel. Mais peut-être pas tant que ça ?”

Krshia contempla Selys d’un air songeur.

“Quoi ? Mais Krshia, réfléchis-y juste. Un de ces trucs ? Dans ta bouche ?”

“Oui, mais j’ai entendu dire que les Drakéides sont doués de leur langue. Je me trompe ?”

Le regard d’Erin se retrouva soudain irrémédiablement attiré par la bouche de Selys. Elle darda involontairement sa longue langue en couvrant sa bouche d’une main.

“C’est différent ! Et je n’ai certainement jamais… mais la bouche ? Vous le mangez ?”

Krshia fit la moue.

“Ce serait dégoûtant, oui ? Ce n’est sûrement pas…”

La Drakéide et la Gnolle s’interrompirent en voyant l’expression d’Erin. Elle regarda fixement un mur et ne répondit pas. Au bout d’un moment, Selys s’éclaircit la gorge et changea de sujet.

“Je ne comprends juste pas. C’est bizarre.”

“Oh, pitié. Vous dites que les Gnolls et les Drakéides ne le font jamais ?”

“Non.”

“Non.”

Erin regarda tour à tour Krshia et Selys.

“Pourquoi ? Je veux dire, je ne dis pas que ce soit génial mais…”

“Je pense que ce serait difficile de convaincre un mâle de mettre quoi que ce soit dans la bouche d’une Gnolle s’il n’était pas prêt à le perdre. Ce serait au mieux risqué.”

Krshia dénuda ses dents et Erin comprit son argument. Erin avait des canines. Quatre, pour être précise. La bouche de Krshia était remplie de canines, et tranchantes avec ça. Ses véritables canines étaient très prononcées, ce qui faisait penser Erin à un chien. Et les hyènes étaient des chiens, si ses souvenirs de biologie étaient bons. Moitié chien, moitié chat, quelque chose comme ça.

Selys avait aussi des dents pointues, et Erin se demanda à quel point elles étaient tranchantes. Elle avait vu Selys mordre dans son bœuf sans effort. Là où Erin devait mâcher consciencieusement les morceaux de nerfs occasionnels, Krshia et Selys avaient dévoré aisément la totalité de leur repas.

“Je vois ce que tu veux dire. Hum. J’imagine que c’est juste un truc d’humains alors. Et ça marche aussi dans l’autre sens, vous savez.”

“Dans l’autre sens ? Oh, tu veux dire quand le mec utilise sa langue. Ça arrive aussi chez nous.3

Krshia acquiesça.

“Ils le font tout le temps. C’est un préliminaire important.”

“Duh.”

“Les longues langues. C’est très bon.”

Erin frissonna. Elle avait la chair de poule et la conversation devenait de plus en plus embarrassante.

“Je, euh, okay. C’est beaucoup d’informations. Donc… donc il y a de grosses différences.”

“Pas si grosses que ça. La plupart des parties sont globalement les mêmes. Ce sont juste les détails qui changent.”

“En effet. Mais su tu devais coucher avec quelqu’un, je suis sûre que tu aimerais beaucoup dans tous les cas.”

La conversation était soudain revenue sur sa vie sexuelle. Ce qui n’était pas un sujet qu’Erin avait trop envie d’aborder. Elle leva les mains, sur la défensive.

“Écoutez, j’apprécie que vous vous inquiétiez pour moi, mais je ne connais vraiment personne en ville. Je veux dire, okay, je connais quelques personnes, mais ce n’est pas comme si j’étais désespérée ou quoi que ce soit. Je veux dire, à qui est-ce que j’irais… ?”

Erin s’interrompit.

“Est-ce que vous êtes en train de dire que je devrais, hum, sortir avec quelqu’un que je connais ? Comme Relc ?”

Krshia haussa les épaules, mais Selys secoua la tête avec véhémence.

“Quoi ? Bien sûr que non. Je veux dire, sauf si tu en as envie. Et tu pourrais faire beaucoup mieux que Relc. Je veux dire, tu l’as bien regardé ?”

“Qu’est-ce qui ne va pas chez lui ?”

Selys regarda Krshia, mais la Gnolle avait l’air décontenancée aussi. Elle soupira et essaya d’expliquer.

“Relc ? Oh, c’est un soldat, Erin. Il l’est toujours, même s’il est à la retraite. Il peut valoir le coup pour une nuit, mais après, il courra derrière la queue de quelqu’un d’autre. Et de plus, il est, tu sais...3

La queue de Selys fouetta le sol et elle regarda autour d’elle avant de baisser la voix.

“Un peu moche, tu vois ?”

“Vraiment ?”

“Tu n’as pas vu sa tête ? Son profil et sa mâchoire ne vont juste pas ensemble. Et ses écailles…”

Selys jeta un œil à son audience et se rendit compte qu’elle l’avait perdue.

“Eh bien, fais-moi confiance, il n’est pas très beau. Bon, si tu parlais d’Olesm, là je pourrais comprendre. Il est plutôt beau gosse.”

“Vraiment ? Je veux dire, oui. Donc tu dis que…”

“Eh bien, par exemple. Mais il y a beaucoup de compétition pour l’avoir.”

“Ah bon ?”

Selys hocha la tête, d’un air sérieux.

“C’est un [Tacticien], il est intelligent, et il a de belles perspectives d’avenir. Je connais beaucoup de gens qui sont intéressés.”

“Hrr. Il est acceptable, j’imagine. Si Erin était intéressée par lui. Est-ce que c’est le cas ?”

“Je n’y avais pas réfléchi. Jamais.”

“Eh bien, y a-t-il quelqu’un qui t’intéresse ?”

Erin réfléchit. Elle ne connaissait qu’une poignée d’autres mâles.

“Hum, eh bien, il y a Pion.”

La Gnolle et la Drakéide la dévisagèrent toutes les deux. Elles échangèrent des regards de connaisseuses.

“Oh.”

“Je vois.”

“Je ne voulais pas dire ça. Je veux dire, c’est un autre mec. Il ne m’intéresse pas. Du tout.”

“C’est bien. Je ne connais personne qui voudrait s’accoupler avec un Antinium.”

“Je ne suis pas certaine qu’ils puissent avoir des relations sexuelles, pour être honnête. Ils ont l’air d’avoir l’entrejambe plutôt… lisse.”

“Oui. Et ce sont des insectes.”

“Oui.”

“Bien sûr.”

“Et je ne suis pas intéressée par les insectes.”

“Oh, je le savais.”

“De toute évidence.”

Erin plissa les yeux pour dévisager ses deux amies. Selys s’éclaircit la gorge.

“Bon, il y aurait qui d’autre ?”

“... Pisces ?”

“Non !”
Krshia et Selys parurent soulagées.

“Eh bien, si tu ne connais personne avec qui tu souhaites t’accoupler, cela pourrait être bien d’en trouver un, oui ? Et nous pouvons aider. Nous pouvons te dire ceux qui sont doués en sexe et ceux qui sont déficients.”

Selys acquiesça.

“Je ne veux pas juger, mais c’est plutôt important. Mes amies disent toutes que la satisfaction dépend de ça. J’ai entendu dire que certains de leurs compagnons de queue sont… eh bien, je ne veux pas donner de noms, mais certains ont l’air de ne presque pas tenir du tout.”

Krshia hocha la tête d’un air sérieux en fronçant les sourcils.

“J’ai eu les mêmes expériences. Beaucoup de nuits insatisfaisantes parce qu’il n’arrivait pas à durer. C’est une chose frustrante.”

“Vraiment ? Combien de temps cela peut durer - ou ne pas durer - pour toi, Krshia ?”

La Gnolle étudia la question.

“Hum. Pas longtemps, je dirais… quinze minutes ? Le bon sexe dure d’ordinaire encore une demi-heure ou plus, oui ? D’ordinaire plus proche d’une heure, mais il n’y a pas toujours assez de temps donc…”

Elle leva les yeux et vit Erin et Selys qui la dévisageaient.

“Quoi ? C’est la fin qui prend le plus de temps, oui ?”

“La fin ?”

“Le nouage.”

“Le quoi ?”

Erin pensait se souvenir de l’accouplement chez les chiens. Mais si les Gnolls… ses yeux vinrent se poser sur Selys et les deux femmes partagèrent un moment d’intérêt partagé et d’horreur. Selys regarda Erin.

“Une demi-heure. Est-ce que les humains… ?”

“Je ne crois pas. Hum. Probablement pas. La vidéo la plus longue que j’aie regardé durait…”

Erin essaya de ravaler les mots qu’elle venait de prononcer avant de se souvenir de l’identité de son audience.

“... Non. Je pense que la moyenne est autour des cinq minutes ?”

“Cinq ?”

“Je veux dire, ils peuvent durer plus longtemps. Pourquoi ?”

“D’habitude, je… je veux dire, les Drakéides le font pendant environ dix minutes. Au moins.”

“Dis minutes. Wow. C’est plutôt impressionnant.”

“C’est sympa. J’aimerais bien qu’ils restent un peu plus longtemps après, mais tu connais les mâles. Quand ils ont fini, ils ont fini.”

“Mm. C’est agréable de rester enlacés après, oui ?”

Erin pouvait comprendre cela. Ou plutôt, elle pouvait imaginer Krshia et un Gnoll faire des câlins de chiens, ou même s’enlacer comme des humains. Mais lorsqu’elle regardait Selys et pensait à deux Drakéides… le plus intime qu’ils pouvaient espérer était de se frotter avec leurs écailles. Cela n’avait pas l’air agréable. Un peu comme frotter deux morceaux de papier de verre entre eux ?

“Eh bien, je peux voir que vous sortez beaucoup, toutes les deux.”

“Pas tant que ça. Je ne suis pas… on disait juste… Une fois par mois.”

“Ou une fois par semaine.”

“Je n’ai trouvé personne de bon dernièrement donc c’est plutôt calme.”

“J’ai eu une relation sexuelle hier. C’était plaisant, oui ?”

Erin et Selys regardèrent fixement Krshia. La Gnolle haussa les épaules.

“Tu es vraiment… ouverte sur ce genre de sujet, Krshia.”

Krshia sourit.

“Mon peuple, nous avons de très bons nez, oui ? Cela ne sert à rien de se cacher ce genre de chose donc nous n’avons pas besoin de modestie. Et de plus, sentir est une bonne chose. Cela nous en apprend beaucoup.”

“Oh ? Comme quoi ?”

“Comme lorsque nous sommes en œstrus. Ah… cela veut dire être dans notre période d’accouplement. Alors les mâles viennent nous voir. Et nous savons aussi lorsque nous sommes enceintes. C’est une bonne chose à savoir.”

“Oui. Oh, oui ! La grossesse ! Comment vous gérez ça ?”

“Qu’est-ce que tu veux dire, Erin ?”

“Eh bien, hum, vous avez des relations sexuelles, non ? Et si vous tombez enceintes ?”

Il n’y avait de toute évidence pas de préservatifs dans le coin, et Erin était à peu près certaine qu’il ne devait pas y avoir beaucoup de mages spécialisés sur le contrôle des naissances. À moins qu’il n’existe une classe de [Gynécolomancien] ou autre.”

Krshia inclina la tête et regarda Erin.

“C’est un problème facile à régler. Il y a un thé que nous pouvons préparer pour empêcher ce genre de choses.”

“Oh.”

Erin se sentit bête. Krshia hocha la tête d’un air sage.

“Mm. C’est un bon thé. Savoureux. Je t’en ai donné la dernière fois que tu es venue chez moi, tu ne t’en souviens pas ? Tu as eu l’air de l’apprécier.”

“Vraiment ? Vraiment. Bien sûr. Et je l’ai bu. Ce qui ne pose aucun problème.”

“Oui, c’est bien. Je te donnerai quelques herbes à infuser chez toi. Non pas que tu aurais besoin de t’en occuper si tu faisais cela avec un Gnoll.”

“C’est bien, en effet. Je, euh, ne voudrais pas avoir une portée. Ou pondre un œuf.”

“On ne pond pas d’œufs ! Là encore, tu penses aux lézards !”

“Vous ne pondes pas d’œufs ? Vraiment ?”

Erin dévisagea Selys. La Drakéide grinça furieusement.

“Non ! Nous sommes des Drakéides, pas des lézards !”

Ce qui signifiait qu’ils étaient des mammifères, si Erin se souvenait bien de ses cours de biologie.

“Oh, désolée, Selys. C’est juste, tu sais, je pensais que les Drakéides étaient comme les Dragons et que…”

“Nous ne pondons pas d’œufs. Nous sommes des descendants des Dragons, mais juste pour certains aspects. Nous ne pondons pas d’œufs, nous n’hibernons pas. Nous. Ne. Sommes. Pas. Des. Lézards.”

La queue de Selys fouetta furieusement le sol et elle darda sa langue en fusillant Erin et Krshia du regard. Ces dernières échangèrent des regards en silence, mais ne dirent rien. Selys prit une longue gorgée apaisante dans son verre pour se calmer.

“Donc, quand est-ce que tu voudrais avoir une relation sexuelle ?”

Erin cracha la majeure partie de sa boisson sur le sol, mais elle aspergea plutôt largement Selys.

“Oh, c’est dégoûtant, Erin !”

“Selys !”

“C’est juste une question. Et ce n’est pas comme s’il fallait que tu ailles tripoter le premier mec que tu verras. Mais on pourrait te présenter quelqu’un de sympa, tu vois ?”

“Non. Je ne vois pas. Et je ne vais pas… je suis beaucoup trop occupée pour…”

“Cela ne prendrait qu’un moment, oui ? Nous pourrions partir et tu pourrais rencontrer plusieurs jeunes de ma connaissance. Je suis sûre qu’ils seraient ravis d’apprendre ton odeur.”

Erin se leva, inquiète.

“Écoutez, c’était symp… j’ai bien aimé discut… je dois y aller.”

Elle se détourna, et s’enfuit. Selys et Krshia a regardèrent s’empresser de quitter la taverne. La Drakéide attrapa une serviette et se mit à s’essuyer le visage.

“Je pense que c’est l’idée de se faire sentir qui l’a achevée. Les humains ne se reniflent pas, d’ordinaire.”

“Mm. Ils devraient le faire plus souvent. C’est une bonne chose de connaître l’odeur de ton partenaire.”

“Eh bien, Erin ne va rien sentir de sitôt si c’est comme ça qu’elle réagit quand on lui propose de rencontrer d’autres mecs.”

“C’est vrai.”

Les deux se turent, et se regardèrent par-dessus la table. Au bout d’un moment, Selys reprit la parole.

“Quinze pièces de cuivre qu’elle prend un Drakéide d’abord.”

“Hrm. C’est d’accord. Mais tu perdras ton pari. J’ai un bon jeune à proposer à Erin.”

“Et je connais un mec. Plusieurs mecs, d’ailleurs.”

“Eh bien, nous verrons qui elle choisit.”

Le silence retomba. Selys picora dans son assiette. Elle n’avait plus vraiment faim. Se faire recouvrir de bave avait tendance à faire ça même au dîneur le plus affamé.

“... Donc. Une demi-heure ? Vraiment ?”

Krshia sourit à Selys et brisa l’os qu’elle tenait entre ses pattes. Elle se mit à lécher la moelle.

“Tu veux vérifier ?”

 
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Histoire secondaire - Rituels d’Accouplement - Deuxième Partie

Traduit par EllieVia

*Avertissement. Ceci est la deuxième partie du chapitre Rituels d'Accouplement. Si vous n’aimez pas les descriptions d’organes génitaux ou de sexe ou de quoi que ce soit qui s’y rapporte, ne lisez pas ce chapitre. Il s’agit d’une histoire secondaire qui n’est pas reliée chronologiquement aux chapitres actuels de l’intrigue principale.



***



Le premier prétendant d’Erin vint frapper à sa porte le lendemain. Elle ouvrit la porte et se retrouva nez à truffe avec un Gnoll qui lui souriait de toutes ses dents en lui tendant un bouquet d’étranges fleurs orange odorantes. Elle le reconnut. C’était Tkrn, l’un des gardes de la ville.

Elle était tentée de lui claquer la porte au nez. Mais Erin se contenta de sourire.

“Hum, salut. Tu es Tkrn, c’est bien ça ? Comment puis-je, euh, t’aider ?”

Tkrn, le Gnoll amical qu’Erin aurait aimé un peu moins amical en ce moment précis, lui adressa un large sourire.

“Je suis venu t’offrir un présent, Erin Solstice.”

Il tendit le bouquet. Erin eut un mouvement de recul lorsque Tkrn lui colla les herbes malodorantes sous le nez. Erin toussa.

“Qu’est-ce que… c’est ?”

Tkrn parut décontenancé. Il agita les fleurs et Erin s’efforça de ne pas s’évanouir.

“Ce sont des fleurs. Les humaines aiment les fleurs, oui ? J’en ai choisi de particulièrement odorantes pour toi.”
“Et pourquoi veux-tu me les donner ?”

“J’ai entendu dire que tu cherches un partenaire d’accouplement. Je suis venu te faire la cour. Pour ce faire, il me faut des fleurs. C’est bien ainsi que font les humains, non ?”

À ce stade, ce ne fut pas son [Instinct de Survie] qui se déclencha, mais l’instinct naturel d’Erin qui se mit à tambouriner contre son crâne. Elle dévisagea Tkrn et se demanda si elle pouvait se contenter de fermer la porte. Non. Ce serait probablement malpoli.

Elle restait tout de même tentée. Erin jeta un œil aux fleurs.

Elles puaient. Elles lui faisaient penser aux cornouillers, les arbres de son quartier qui puaient le poisson pourri tous les printemps. Elle poussa le cadeau de Tkrn sur le côté et toussa deux fois.

“Non merci. Je ne veux pas… je veux dire, les humains ne se donnent pas tant de fleurs que ça. Plus vraiment. Je crois. Les fleurs, c’est sympa. Celles-ci sont… odorantes. Mais qu’est-ce que je pourrais bien en faire ?”

“Les manger ?”

“Les humaines ne mangent pas les fleurs.”

“Ah bon ?”

Tkrn contempla ses fleurs et se gratta la tête. Puis il les jeta sur le côté.

“Eh bien, j’ai d’autres cadeaux ! Regarde !”

Il plongea la main dans un sac à bandoulière et tendit un anneau à Erin. Elle le regarda fixement.

“C’est un anneau.”

“Oui ! Les humains prennent ça avant de s’accoupler, oui ?”

Erin contempla l’anneau. Il n’était même pas serti d’une pierre précieuse. C’était un joli anneau. Un anneau de bois gravé qu’on pourrait acheter comme souvenir. Elle savait qu’elle ne devrait pas en vouloir à Tkrn, mais elle se sentait insultée qu’il soit aussi bon marché.

Elle fusilla Tkrn du regard.

“C’est Krshia qui t’envoie, pas vrai ?”

Il écarquilla les yeux, puis tenta d’adopter une expression innocente peu convaincante.

“Non, je suis venu de mon plein gré.”

“Vraiment ?”

“Vraiment. Krshia a peut-être mentionné le fait que tu cherchais des partenaires…”

“Je ne cherche pas de partenaire.”, répondit Erin du tac au tac.

Tkrn parut déçu.

“Tu es sûre ?”

“J’en suis sûre. Relativement sûre. Très sûre. Bref dans tous les cas, je n’ai pas de fourrure ni… ni d’autres attributs Gnolls. Je dois être probablement hideuse pour toi, non ?”

Il lui sourit de nouveau. Erin fut saisie par son étalage de dents acérées. Oui, elle voyait définitivement pourquoi le sexe oral n’était que dans un seul sens dans la culture Gnolle.

“Je suis attiré par les trucs charnus.”

Là, c’était une phrase à donner la chair de poule à Erin, et elle n’était pas sûre que ce soit dans le bon sens du terme. Mais c’était résolument terrifiant dans tous les cas.

Tkrn sourit à Erin.

“Tu as de très belles dents. Et tes hanches… sont larges. Très fertile, oui ?”

“Non… je…”

“Si tu acceptes mes cadeaux, je m’accouplerais bien avec toi. Ou si tu préfères, nous pouvons apprendre à nous connaître.”

“Apprendre à se connaître ? Comment ? Je veux dire, je ne suis pas intéressée mais… que font les Gnolls lors de leur premier, euh, rendez-vous ?”

Le visage du Gnoll s’éclaira et son sourire s’élargit.

“On pourrait apprendre nos odeurs respectives. Je pourrais te sentir.”

“Me sentir ? Hum…”

L’esprit d’Erin s’envola au-devant de la conversation. Elle pensa au chiens et l’endroit qu’ils reniflaient quand ils se croisaient.

“Oh non. Bordel, non.”

“Non ?”

Tkrn parut désorienté, et blessé. Erin leva les mains.

“Non. Méchant… méchant Gnoll. Je ne suis pas intéressée. Va-t’en.”

“Tu es sûre ? Je pourrais te lécher, aussi. Ou… je pourrais tuer quelque chose et te l’apporter !”

“Non.”

“Et te peigner ? Je pourrais brosser tes poils. Vous n’en avez pas beaucoup, vous les humains, mais j’ai entendu dire qu’il y en avait plus sous vos vêtements. Si tu…”

“Non ! Pas de brossage, pas de renfilage, pas de léchage, et pas de tuage ! Va-t’en !”

“Mais je n’ai même pas…”

“Non ! Ouste !”

Erin agita les mains devant Tkrn, sa patience à bout. Il eut l’air blessé, mais elle pointa la ville du doigt.

“Rentre en ville ! Et dis à Krshia que je n’ai pas envie d’un partenaire ! Je veux dire d’un petit ami ! Va-t’en ! Je suis sérieuse !”

Tkrn dévisagea Erin. Lorsqu’il vit qu’elle n’allait pas changer d’avis, son visage se décomposa, et ses oreilles s’affaissèrent. Il ressemblait tellement à un chien penaud qu’Erin dut retenir la pulsion incontrôlable de tendre la main pour le gratter derrière les oreilles. Elle s’en abstint. Cela pourrait mener à des caresses, et il y avait caresses et… caresses. Elle n’allait pas entretenir l’idée des unes ou des autres pour le moment.

“Je comprends. Je suis désolé de t’avoir fait perdre ton temps.”

“Hum, d’accord. Merci ?”

Erin ferma la porte, le cœur tambourinant dans sa poitrine. Pourquoi avait-elle dit “merci” ? C’était mieux que de dire désolée, au moins. Aucun bruit de lui parvint de derrière la porte pendant quelques secondes, puis Tkrn s’éloigna.

Bon, au moins il n’allait pas rester hurler à la lune derrière sa fenêtre. C’était probablement raciste de penser ça, mais Erin n’en avait cure. Elle allait cogner Krshia…

Erin songea à Krshia. La Gnolle ressemblait à un joueur de basket sous stéroïdes recouvert d’un tapis. Elle allait crier sur Krshia, poliment, et à distance.

En revanche, au moins, Tkrn n’avait pas insisté. Non voulait dire non même en ce monde, ce qui était bien. Très bien.

Erin soupira et se tourna pour retourner presser des fruits bleus. Mais elle s’arrêta. Est-ce qu’il y avait quelque chose, dehors… ?

Le léger bruit d’éclaboussures fut un premier indice, mais l’odeur confirma rapidement sa théorie. Erin ouvrit la porte.

Tkrn redressa la tête. Il était face au mur, à quelques pas de la porte. Le regard d’Erin fut attiré par son entrejambe, mais une autre question, plus urgente, franchit ses lèvres.

“Est-ce que tu es en train de… pisser sur ma porte ?”

***

Le deuxième prétendant était suave et beau parleur, un homme à femmes, mais c’était un Drakéide. Il s’appelait Culyss et Erin l’aimait bien même si elle ne l’aimait pas.

Il vint à sa porte avec un petit cadeau - un collier avec un pendentif en métal martelé en forme d’un pion, en plus - et la charma avec quelques plaisanteries. En quelques instants, il l’avait invitée à l’inviter et ils étaient assis dans l’auberge à discuter.

Au bout d’un moment, elle avait dû lui poser des questions sur sa queue. Erin n’avait pas pu s’en empêcher. C’était une queue, et au contraire des queues poilues des Gnolls auxquelles elle était habituée, les queues des Drakéides étaient longues et flexibles.

“Ma queue ?”

Culyss parut surpris par la question, et encore plus lorsqu’Erin demanda si elle pouvait la toucher. Elle était curieuse de savoir à quoi ça ressemblait. Il écarquilla les yeux un moment, mais accepta plus facilement qu’elle ne s’y serait attendue.

C’est ainsi qu’elle se retrouva assise à une table avec Culyss dos à elle, à lui caresser la queue, la tâter, et la sentir onduler sous ses mains.

C’était fascinant, pour Erin, en particulier parce que la queue s’avéra être assez musclée malgré le fait que ce ne soit qu’un appendice que les Drakéides traînaient derrière eux pour garder l’équilibre. Elle pouvait se plier, se tordre, et même manipuler des objets si un Drakéide s’y mettait sérieusement.

Et elle avait des os. Erin appuya sur la queue et Culyss émit un son étrange.

“Doucement. Doucement…  Ah…”

“Oups, désolée. Je t’ai fait mal ?”

Erin leva les yeux, inquiète, mais Culyss avait le regard perdu dans les airs. Il secoua la tête avec véhémence.

“Non… non. Je t’en prie, continue.”

Elle s’exécuta. Les écailles étaient rigolotes au toucher, et Culyss ne cessait de s’agiter à chaque fois qu’elle caressait la queue. C’était comme avoir un étrange serpent domestique sur les genoux et Erin fut fascinée lorsqu’il enroula l’extrémité de sa queue autour de sa main.

Elle finit par s’ennuyer et Culyss cessa de gémir. Il se leva avec précipitation de sa chaise lorsqu’elle lui lâcha la queue.

“Merci de m’avoir laissée faire ça.”

“Quoi ? Oh, non.”

Il secoua la tête.

“Merci à toi. Je, euh, je, euh, devrais y aller.”

“Quoi, déjà ?”

Erin était déçue, mais Culyss avait l’air de vraiment vouloir partir. Il couvrait également son entrejambe avec sa queue.

“Je reviendrai. Plus tard. J’aimerais beaucoup approfondir notre relation.”

Ils en avaient une ? Mais Culyss n’était pas Tkrn et il était bien assez sympathique. Il lui dit au revoir à la porte en lui souriant d’un air chaleureux.

“Je suis vraiment ravi de t’avoir rencontrée.”

Erin cilla.

“Hum. D’accord ?”


***

Il fallut environ deux heures pour qu’Erin comprenne ce qui venait de se passer. Le premier indice lui vint lorsqu’elle se demanda ce qu’un jeune mâle vigoureux pouvait avoir besoin de cacher, puis le deuxième indice lui vint lorsqu’elle se demanda si les queues des Drakéides étaient sensibles. Le troisième indice lui vint lorsque Selys défonça presque sa porte d’un coup de pied.

“Tu lui as caressé la queue ? Erin ! Ce n’était que votre premier rendez-vous “

“Je ne savais pas ! Je ne savais pas !”

Des cris s’ensuivirent. Lorsque Selys demanda à Erin si elle avait aimé, au moins, Erin lui jeta une chaise dessus. Mais c’était surtout pour cacher le fait qu’elle était rouge pivoine.

***


Après le départ de Selys, Erin enfouit son visage entre ses mains, courut dans l’auberge jusqu’à ce qu’elle trébuche sur une chaise, puis se roula en boule dans un coin et essaya de faire comme si la dernière heure n’avait jamais eu lieu.

Il s’écoula dix minutes, ou peut-être une heure. Erin fut tirée de sa rêverie par un coup de doigt acéré dans le flanc. Elle glapit.

Loks poussa Erin jusqu’à ce qu’elle se déplie de sa boule et la fusille du regard.

“Quoi ?”

Loks pointa l’une des tables du doigt et la regarda d’un œil noir.

“Oh, c’est vrai, aujourd’hui c’est le jour des échecs, c’est ça ?”

Erin s’assit. Son visage était encore rouge, et elle avait envie d’enterrer sa tête dans le sol. Mais les échecs restaient les échecs, et au moins, elle pourrait oublier en jouant.

C’est ainsi qu’elle se retrouva à jouer contre Loks, en lui expliquant toute la désolante affaire tandis que la petite Gobeline réfléchissait douloureusement à chacun de ses coups.

“Ce n’était pas comme ça quand j’étais plus jeune. Je veux dire, la plupart des mecs que j’ai rencontrés en-dehors de l’école étaient dans des clubs d’échecs ou dans des tournois.”

Loks leva les yeux sur Erin qui était en train de lui prendre son fou. La Gobeline fronça les sourcils, ce qu’Erin prit comme une invitation à poursuivre la conversation.

“Parfois, ils regardaient mes seins, mais c’étaient le genre de gars qui perdaient toujours. Je me suis toujours bien entendue avec ceux qui étaient sérieux. Les échecs sont les échecs, tu vois ? Ils me draguaient beaucoup, mais je n’étais pas intéressée.”

Erin hésita. Elle devait être honnête.

“... Pas trop.”

Son adversaire baissa les yeux sur l’échiquier. Elle était en échec et mat. Loks émit un bruit de dégoût et se mit à replacer les pions.

“Oh, c’est sûr, il y avait quelques mecs que j’aimais bien. Mais si je me mettais à sortir avec eux, tout se mettait à tourner autour de si j’étais meilleure qu’eux. Si une fille était meilleure qu’eux… ”

Erin soupira d’un air découragé. Il y avait beaucoup moins de choix à partir de 2000 Elo, qu’importe le genre. Et elle n’était pas intéressée par les hommes plus vieux qu’elle.

“J’ai toujours un peu pensé que je rencontrerais un mec cool lors d’un tournoi d’échecs un jour, ou à l’université. Je n’ai jamais vraiment rencontré qui que ce soit de très excitant ailleurs.”

Sauf en ligne. Erin se souvenait vivement de mysterio_Gamer12, avec qui elle avait eu une relation en ligne. Ils s’étaient rencontrés en jouant aux échecs et elle avait été persuadée que c’était un beau gosse.

… jusqu’à ce qu’elle découvre que mysterio était en réalité une polonaise qui pensait qu’Erin était un garçon.

“Ça avait été un Skype bourré de malaise.”

Loks regardait l’échiquier d’un œil noir. Ce n’étaient pas tant les remarques niaises d’Erin qui embêtaient la Gobeline que le fait que même en bavardant, Erin pouvait traiter son adversaire comme une vulgaire serpillière.

Erin soupira, découragée, en prenant un autre pion de Loks pour l’ajouter à sa collection grandissante.

“Tout es tellement… tellement sexuel, ici. Je veux dire, ouvertement sexuel. Tout est dévoilé en plein jour. Certains Gnolls ne portent même pas de pantalon, juste des pagnes.”

Elle déplaça un autre pion et Loks faillit renverser rageusement l’échiquier.

“Et maintenant Culyss… je ne savais pas que les Drakéides exprimaient leur, hum, affection en se caressant la queue. Selys disait qu’il aurait beaucoup aimé me montrer des trucs avec sa queue. Et Krshia a dit que Tkrn était juste en train de marquer mon auberge pour que les autres Gnolls sachent qu’il me faisait la cour. Est-ce que… est-ce que ça veut dire qu’à chaque fois qu’un Gnoll décidera qu’il m’aime bien il se mettra juste à pisser sur mes murs ?”

Loks prit la reine d’Erin. Erin mit son roi en échec. La Gobeline leva les bras au ciel et poussa un cri perçant.

“C’est le jeu.”

Erin regarda Loks commencer à replacer violemment les pions sur l’échiquier.

“Tu n’as pas besoin de t’occuper de ce genre de choses, pas vrai ?”

Loks leva un regard méfiant sur Erin.

“Le sexe, je veux dire.”

Elle n’eut qu’un regard vide en retour. Erin comprit enfin que Loks ne savait peut-être pas de quoi elle parlait.

“Tu sais. La manière dont on fait les bébés ? Tu sais comment ça marche, pas vrai ?”

Loks secoua lentement la tête. Erin hésita. Maintenant qu’elle y réfléchissait, quel âge avait Loks ? Avait-elle l’âge de savoir pour les oiseaux et les abeilles ? Mais est-ce que les Gobelins discutaient vraiment de ce genre de choses ?”

Elle devrait peut-être le mentionner. Après tout, Loks était la cheftaine de sa tribu Gobeline. Ce qui voulait dire qu’elle devait recevoir quelques avances.

“Hum. D’accord. Wow. Comment est-ce que je pourrais expliquer ça ?”

Erin joua une autre partie contre Loks à qui elle essaya d’expliquer comment fonctionnait le sexe. Au milieu de la partie, Loks leva les yeux, lâcha son pion, et dévisagea Erin.

“C’est vrai. C’est comme ça que ça marche. Et après un bébé arrive neuf mois plus tard. Chez les humains, en tout cas.”

La Gobeline recula, la bouche ouverte, frappée d’horreur.

“Eh bien, ce n’est pas comme si tu avais besoin de faire ça. Écoute, c’est parfaitement naturel !”

Erin leva la main mais la Gobeline secoua la tête. Elle tituba vers une chaise puis se détourna et se précipita vers la porte.

“Tu peux utiliser une protection ! Je veux dire…”

C’était trop tard, la Gobeline était déjà en train de courir vers les collines. Erin regarda fixement la porte grande ouverte et soupira.

“Oups ? Mais c’est peut-être une bonne chose qu’elle soit au courant.”


***


La dernière conséquence de la leçon de biologie impromptue d’Erin vint le lendemain, lorsque Culyss revint pour un deuxième rendez-vous. Erin était en train de se cacher au deuxième étage de son auberge et faisait semblant de ne pas être à la maison. Elle l’avait repéré alors qu’il montait la colline, et elle était terrifiée à l’idée d’avoir une conversation avec lui.

Que pourrait-elle bien dire ? “Oh, salut Culyss. Désolée, mais je n’avais pas prévu de te masturber la queue, j’étais juste curieuse.” Cela avait l’air encore pire dans la tête d’Erin, mais elle savait qu’il faudrait qu’elle dise quelque chose.

Il s’avéra qu’Erin n’eut jamais besoin d’avoir une quelconque discussion douloureuse. Il y eut de la douleur, bien sûr, mais c’est Culyss qui eut mal.

Le Drakéide était en train de frapper à la porte de l’auberge lorsqu’il entendit le cri suraigu. Il se retourna et réussit à crier une fois avant que la meute de Gobelins en colère l’engloutisse.

Le petit groupe de Gobelins le fit tomber par terre et se mit à le frapper avec des bâtons. Culyss hurla à l’aide et son cadeau de savons délicats se fit piétiner dans l’herbe. Les Gobelins hurlèrent, furieux, pendant qu’ils le tabassaient.

Erin regarda par sa fenêtre. Elle pensait qu’il s’agissait exclusivement de Gobelines, mais c’était difficile d’en être certaine. Elle relevait de petits indices, toutefois. Les Gobelines étaient un peu plus petites que les Gobelins, souvent un peu plus habillées (même si ce n’était pas une norme non plus), avaient les yeux un peu plus en amande et avaient tendance à ne pas autant se curer le nez. Mais son instinct lui disait que c’étaient des Gobelins à cause de la sauvagerie avec laquelle elles battaient le pauvre Culyss.

Les Gobelins avaient tendance à se battre le plus salement possible si leur vie en dépendait. Mais les Gobelines avaient l’air de viser exclusivement l’entrejambe du Drakéide. Même le mâle le plus énervé du monde se serait probablement retenu de sauter à répétition sur les parties de Culyss tandis que d’autres Gobelins lui maintenaient les jambes écartées.

Au bout de quelques minutes de douleur, Culyss parvint à rouler hors de la cohue de Gobelines et à prendre ses jambes à son cou. Erin regarda les Gobelins le pourchasser en direction de la ville. Eh bien. On aurait dit que Loks avait expliqué le lien entre le sexe et les bébés au reste de sa tribu.

“Et pendant tout ce temps, aucun d’entre eux n’avait compris ?”

Peut-être qu’ils l’avaient déjà su. Peut-être que ce n’était qu’une revanche à l’ancienne sur les mâles de manière générale. Erin n’était pas certaine de savoir si elle devait applaudir les Gobelines ou se sentir mal pour Culyss. Elle se contenta donc de se faire un verre de jus bleu et de le siroter dans l’intimité de son auberge.

Elle se demandait à présent comment elle allait pouvoir expliquer l’histoire du thé à Loks. Peut-être qu’avec des images… ?


***


Culyss ne revint jamais à l’auberge. Erin se retrouva heureuse et seule, avec la visite occasionnelle d’un Gobelin amoché en train de suivre une Loks indignée (et empouvoirée) pour lui tenir compagnie. Cet état de fait dura deux jours, jusqu’à ce que Selys et Krshia viennent toquer à sa porte.

Aucune des deux n’était contente. Il y avait apparemment le problème du pari non résolu, et Erin était indignée d’avoir été l’objet d’un pari pour commencer.

“C’était pour rigoler, Erin !”, protesta Selys, à moitié cachée derrière Krshia.

Erin hésita, une chaise levée au-dessus de la tête, Krshia soupira et lui ôta doucement la chaise des mains.

“C’est regrettable, oui ? Tkrn et Culyss n’étaient pas idéals, mais ils auraient été bien pour quelques nuits, au moins.”

Erin fusilla Krshia du regard, les joues écarlates.

“J’ai dit, je ne veux pas de… je suis bien comme je suis !”

“Mais tu es énervée. L’accouplement t’aiderait, oui ?”

“ Non !”

“Oh, allez, Erin. On voulait juste te faire te sentir mieux ! Et Culyss t’aimait vraiment, même avant que tu… tu sais…”

“Je ne veux pas en entendre parler. Il ne s’est jamais rien passé !”

“Je ne vois pas en quoi c’est un problème. Ce n’est pas comme si tu étais une demi-Elfe prude ou quoi. Qu’est-ce qu’il y a de mal à avoir un peu de sexe, Erin ?”

Erin hésita. Elle dévisagea Selys qui la fusillait du regard, à moitié offensée. Elle pouvait se sentir rougir. Erin baissa les yeux sur ses pieds. Lorsqu’elle reprit la parole, c’était d’un ton calme.

“Ce n’est rien. Je sais que vous vouliez bien faire mais… c’est juste… je n’ai pas... je sais comment ça marche mais je n’ai jamais vraiment…”

Krshia et Selys échangèrent un regard. Et soudain, les pièces du puzzle se mirent en place.

“Oh.”

“Je vois.”

Krshia se gratta la tête et s’exprima franchement.

“J’ai fait une erreur. Tkrn… ce n’était pas un bon choix. Je lui ai parlé de toi parce que je pensais qu’il serait bon. Pour se détendre, tu vois ? Il est bon, mais pas suffisamment pour une première fois, oui ?”

“Et Culyss est… ouais. Ce n’est pas un bon matériel pour une première fois. C’est sûr, il fait le boulot mais c’est pour les filles expérimentées. Ce dont tu as besoin c’est… quelqu’un d’autre. Quelqu’un de mieux.”

Erin renifla. Krshia et Selys étaient soudain beaucoup plus compréhensives. Elles la laissèrent tranquille.

“Ce n’est pas que je n’ai pas envie d’essayer, c’est juste…”



 
***






Elles revinrent une heure plus tard. Avec des cadeaux, cette fois-ci.

Des cadeaux vraiment, vraiment horribles.

“Tiens.”

Erin baissa les yeux sur les objets que Krshia lui poussa dans les mains. Elle les accepta, seulement parce que l’alternative était que Krshia continue à les pousser dans ses seins. Elle les soupesa dans ses mains.

“Oh mon Dieu. C’est ce que je pense, pas vrai ?”

Krshia sourit d’un air encourageant à Erin.

“Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre, je me le demande ? C’est pour toi, Erin. Cela fera l’affaire jusqu’à ce que tu trouves un partenaire.”

“Et j’en ai un aussi !”

Selys agita son “cadeau” dans les airs et les yeux d’Erin le suivirent. C’était presque hypnotisant. La Drakéide l’offrit à Erin, mais Erin ne voulait vraiment pas le prendre.

“Vous pensez que j’ai besoin de ça. Toutes les deux ?”

Selys et Krshia lui firent un grand sourire. Erin contempla les instruments en bois dans ses mains et essaya de ne pas les regarder ni trop les sentir entre ses mains. Si elle devait catégoriser les deux, elle en avait un… un Drakéide et un Gnoll. Le Gnoll était plus gros. Il était relativement lourd dans ses mains et elle le regarda fixement, fascinée.

C’était très réaliste. Erin regarda fixement la grosse boule à la moitié du modèle. Elle était à peu près certaine que les mecs n’avaient pas de bulbe. Mais il apparaissait que les Gnolls ressemblaient plus aux chiens que prévu.

Krshia sourit et hocha la tête en voyant Erin examiner son cadeau.

“C’est bien sculpté, et poli, oui ? L’artisan a pris grand soin de faire en sorte qu’il n’y ait pas d’écharde lorsque tu t’en serviras.”

“Et tu peux les laver.”

“Mm. C’est pratique, oui ? Et ainsi, tu n’as besoin de personne d’autre pour être heureuse.”

Erin contempla ses cadeaux. Elle ne savait pas quoi dire. Elle était littéralement sans voix.

Elle leva les yeux. La Drakéide et la Gnolle était toujours en train de lui sourire, s’attendant probablement à ce qu’elle dise quelque chose au sujet de leurs cadeaux si bien choisis.

Erin ouvrit la bouche, sourit, hésita, puis claqua la porte. Krshia et Selys regardèrent fixement la porte en bois et entendirent Erin verrouiller le loquet.

“Tu penses qu’elle est énervée ?”

Krshia haussa les épaules.

“Mm. Elle est timide. Mais je te ferai savoir si elle utilise nos cadeaux. Ce sera probablement aujourd’hui ou demain. Ce n’est pas bon de laisser la tension s’accumuler, oui ?”

“J’imagine. Mais, hum, ne me le dis peut-être pas. Je n’ai pas besoin de savoir.”

“Comme tu voudras. Mais tu en as acheté un très bien. Très réaliste.”

“Oui, hein ? Il y a un super magasin qui en fabrique. Il faut demander, parce que le commerçant ne peut de toute évidence pas les mettre dans son étalage, mais ils en font de toutes les tailles.”

“Vraiment ? Il faudra que j’aille visiter ce magasin alors.”

Erin écouta Krshia et Selys discuter derrière la porte. Elles allaient apparemment y aller tout de suite. Et Krshia avait dit qu’elle saurait quand Erin utiliserait…

Eh bien, tout était très simple à présent. Elle ne pouvait plus aller en ville… plus jamais, à présent.

Erin se couvrit le visage de ses mains. Grave erreur. Les deux modèles lui cognèrent le visage et elle les baissa immédiatement. Elle regarda les deux objets de bois long et durs… elle les posa sur une table et se détourna.

Toren regardait Erin, un chiffon à la main. Elle se figea sur place. Ses deux orbites remplies de flammes bleues regardèrent d’abord les pénis de bois puis son visage.

Il avait beau être mort, le squelette parvint tout de même à juger Erin avec ses yeux. Ou peut-être que c’était elle qui se jugeait. Erin fronça les sourcils. Elle jeta l’un des godemichets et il l’esquiva.

“Qu’est-ce que tu regardes, toi ?”


 
Maroti
   
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2.15
Traduit par Maroti

Le tact était un art qui, comme toute chose, était essentiel. Un sourire était important, car ta première impression était probablement ta dernière. Il fallait se rappeler d’être courtois, professionnel, et efficace.

Je peux faire le dernier point. Je suis en train de… Travailler le reste.

« Livraison. »

La fille aux cheveux bleus qui m’ouvre la porte cligne des yeux en me voyant. Je cligne des yeux en surprise. C’est la première fois que je vois quelqu’un avec des cheveux teints. Mais, comme je le vois rapidement, ce n’est pas une teinture intentionnelle.

L’[Alchimiste] retire un peu de poussière bleu de ses yeux et soulève un petit nuage. Elle tousse, et je fais un pas en arrière.

« Êtes-vous Rikku ? »

Elle hoche la tête, les yeux larmoyants. Je lui tends le paquet, qui est une… Patate qui a été enveloppée plusieurs fois. Elle est en train de pousser, et une tige verte en sort. Oh, et la patate et plus grosse qu’un bébé. Probablement la taille de deux bébés si on garde la même échelle de mesure.

C’est lourd. Et j’ai l’impression qu’elle est en train de grossir. Le trajet jusqu’à cette petite bicoque m’a donné l’impression de voyager avec un sac à dos vivant qui n’arrêtait pas de bouger. Gah. Je regrette cette livraison, mais au moins elle est bientôt terminée.

« Vous avez un Sceau ? »

Peut-être que j’ai accepté cette requête parce que je pensais aux [Alchimistes]. C’était quand même une erreur. Il semblerait que beaucoup de leurs livraisons sont souvent magiques ou périssables, ou dans ce cas, les deux.

L’étrangement nommée Rikku disparaît dans sa hutte alors que j’attends impatiemment, espérant que la patate n’explose pas ou ne me décapite pas. Je ne suis pas certaine pourquoi c’est et franchement, je ne veux pas savoir.

Mais quand même. Rikku. En voilà un nom intéressant pour quelqu’un du coin. Cela sonnait presque… Japonais. Quelque chose de mon monde.

Mais après tout, il y avait un coin nommé Galle pas loin, donc je suppose que cela arrive que les gens choisissent le même nom de temps en temps. Même si je n’ai pas encore rencontré de Lenny ou George. Quoique j’ai rencontré ce mec qui s’appelait Adrien il n’y a pas longtemps. C’était presque normal comme prénom.

Mais qui suis-je pour parler ? Mon nom est Ryoka. C’était probablement bizarre pour plein d’Américain chez moi.

Dans tous les cas, la patate. Je la veux hors de mes mains et dans la hutte avant qu’elle ne fasse quelque chose de bizarre. C’était une livraison express, ou il fallait payer beaucoup pour qu’elle soit livrer le plus vite possible. Et je peux voir pourquoi. Il y avait une possibilité d’avoir des haricots magiques en plantant ce truc.

Enfin, la porte s’ouvre et Mademoiselle Cheveux Bleu émerge avec un Sceau de Coursier tout aussi bleu. Qu’est-ce qui s’est passé à l’intérieur ? Est-ce que j’ai envie de savoir ?

Non.

« Voilà le paquet. Attention, c’est lourd. »

Elle le prend. Elle est plus forte qu’elle en a l’air, mais je suppose que les [Alchimistes] doivent l’être. Je hoche la tête alors que sa bouche s’ouvre, probablement pour me remercier ou quelque chose du genre.

« A la prochaine. »

Je suis déjà en train de descendre la colline herbeuse en direction de la route de terre avant qu’elle ne puisse répondre. Bon, au moins cette fois j’ai dit plus de cinq mots. Il y a du progrès.

Je ne suis pas à l’aise avec les gens. Vraiment pas. Ce n’est pas que je déteste l’humanité en général. C’est juste que je trouve les conversations avec les étrangers vraiment, vraiment gênante*.


*Ouais. Est-ce que tu t’es déjà assis à côté d’une personne silencieuse dans un bus qui ne fait que regarder la fenêtre ? C’est moi. Ce n’est pas que je te déteste, le fait est que je te déteste parce que tu as pris le siège à côté de moi, c’est juste que c’est tellement gênant et maladroite que je ne peux pas le gérer. Sérieusement. Va-t'en.


Mais être sociable est une compétence que je dois apprendre à maîtriser. Qui l’eut cru ? Toutes ces fois ou mes parents m’ont envoyé en colonie de vacances où je me faisais renvoyer ou que je fuguais jusqu’à ce qu’ils envoient la police et des gens pour me retrouver. Et pourtant, j’en suis là, essayant d’être sociable.

Le mot clef étant essayé. C’est vraiment difficile, d’accord ? Mais j’essaye.

Je suis obligé.

Mais bon, pour l’instant c’est mieux de rester concise, pas vrai ? Alors que je ralentis sur la route de terre, j’essaye de me rappeler combien de livraisons j’avais réalisé dans la journée. Six ? Ou peut-être huit ?

Une journée est passé depuis que j’ai envoyé Teriarch boulée et que j’ai gagné un contrat à huit-cents pièces d’or. Normalement je devrais être à mi-chemin vers les Plaines Sanglantes ou dans la direction de la pierre, mais je suis toujours au nord. Faisant des livraisons pour des pièces de cuivre et d’argent.

J’ai mes raisons. Premièrement, même si la livraison de Teriarch est importante, il est un abruti arrogant et il peut attendre. Deuxièmement, je dois me préparer.

La dernière fois que je suis passé prêt des Plaines Sanglantes j’ai croisé des Araignées Cuirassée et quelques autres types de monstres, rien de plus. J’ai eu de la chance. Mais je ne peux pas savoir combien de bandits ou d’autres choses peuvent rôder là-bas, donc j’ai besoin d’équipement.

Il a été… Clairement établi que je n’ai pas les compétences nécessaires pour affronter tout ce qui se trouve au-dessus des bandits mal équipé et des groupes de Gobelins. J’ai la potion de Teriarch, c’est vrai, mais je la réserve en cas d’absolu dernier recours, plutôt que ma première option.

Donc je reste dans le coin, principalement, car je suis en train d’attendre que mon nouvel équipement soit créé. Ou préparé. Concocté ? Qu’importe la bonne formulation, Octavia est en train de le faire.

Sa potion malodorante a fait des merveilles dans les Hautes Passes. C’était tellement efficace que j’ai réussi à sortir même après que Teriarch me l’avait prise. Tous les monstres étaient toujours absents, et je me suis rendu à Celum sans le moindre problème.

Bon, je ne vais pas commencer à porter une bouteille de ce truc cauchemardesque sans être certaine, absolument certaine que le truc ne va pas fuiter. Même sous scellé la potion continuait d’empester. Octavia était en train de travailler sur quelque chose de plus sûre, mais elle avait aussi d’autre projet sur lesquels elle devait se concentrer.

Le prix pour engager un [Alchimiste] ? Huit pièces d’or, pour les tests, l’expérimentation et la création des produits recherchés. C’était incroyablement cher, mais Octavia n’était même pas certaine que les choses que je voulais étaient réalisable. Je me ferais rembourser si elle n’arrive pas à terminer ce que je veux, mais je pense qu’elle va y arriver. Et si c’est le cas, cela sera huit pièces d’or bien dépensées.

Mes pieds nus tapent la plaisante et chaude route de terre. C’est tellement merveilleux que je souhaiterais presque ne pas avoir à retourner à la Guilde pour livrer mes Sceaux. C’est l’un des rares endroits que les Fées de Givre n’ont pas encore recouvert, et donc, l’endroit ressemble aux dernières semaines de l’automne.

Mm. Quel étrange monde, où l’hiver est le produit de créatures et non pas de phénomènes météorologiques. Mais est-ce que c’est comme ça partout dans le monde ? Ces Fées de Givre sont lentes, et inefficaces. Je me demande si l’hiver est un phénomène mondial ou une vague déferlant sur les continents, changeant possible de rythmer ou de lieu selon les envies des fées. Cela serait très intéressant.

Mais bien sûr, comment est-ce que je pourrais tester mon hypothèse ? Les livres sont en bas de ma liste de priorités. Je n’ai pas le temps de lire, et j’ai besoin d’économiser un maximum d’argent pour des choses importantes. Le manque de librairies dans ce monde est une insulte*.


*De librairies publiques. Tous marchants riches ou nobles a probablement sa propre librairie, mais je ne vois pas comment je pourrais y rentrer. Bon sang, dans mon monde j’avais besoin de mettre des sandales dès que je voulais rentrer dans une librairie.


Des informations. Cela devait de plus en plus clair après chaque jour que même si je découvre les fondamentaux de ce monde, il y avait un lexique entier de donnée que je n’avais même pas encore considéré.

Donc que faire ? Erin savait moins que moi, mais elle connaissait plusieurs personnes qui avaient peut-être accès à ses informations. Cette Gnoll nommée Krshia, Klbkch, probablement Pisces… La seule question que je me posais était de savoir si leur parler valait le risque de me faire percer à jour.

Je pourrai essayer de contacter BlackMage, ou un autre utilisateur sur mon IPhone si je savais comment le sort marchait. Pisces avait été capable de brièvement récupérer les messages… Est-ce que j’allais pouvoir envoyer un message à l’un d’entre eux ?

Peut-être. Cela semblait risquer, surtout quand il avait été prouvé que les Iphones peuvent être hackés par de la magie. De plus, je ne connais pas leurs situations. Les gens peuvent dire tout et n’importe quoi, mais même si nous sommes dans un nouveau monde, nous sommes toujours humains. La politique, l’avarice et les préjudices n’ont pas disparu avec notre monde.

Non, non. Là je dois me concentrer sur ce que je dois faire. La livraison de Teriarch est ma plus haute priorité. Huit-cents pièces d’or m’aideront immensément moi, ainsi qu’Erin et Ceria. De plus, cela m’aidera pour mon prochain objectif.

Car j’ai un objectif maintenant. Devenir Courrière.

La logique est simple. Un Courrier est considéré comme quelqu’un d’important, voir vital selon la manière de voir les choses. Il y a de l’influence, et du respect. Ils sont équivalents à des aventuriers de rang Or, voire plus. Si j’obtiens cette position, je serai capable de traverser le continent et de poser des questions en voyageant partout sans être suspecte.

De plus, les Courriers étaient bien mieux payées que les Coureurs de Villes pour leurs livraisons. Si je pouvais gagner ma croûte de cette manière alors Erin n’aurait pas à s’inquiéter pour son auberge. J’économiserai de l’argent, et utiliser l’argent pour…

Bon, le plan était encore flou. Mais Erin avait encore raison. Si je regardais trop loin en avant j’allais trébucher sur ce qui était devant moi.

En parlant de ça, je saute au-dessus d’une pierre tranchante sur la route. Cela aurait fait mal. Mais ceux qui court pieds-nus apprennent à constamment garder un œil au sol, donc les chances que nous marchons dans quelque chose d’horrible sont plutôt faible.

Hm. Les choses que nous voyons et celle que nous ne voyons pas. Est-ce qu’il y a un moyen de savoir où sont les gens de mon monde ? Nous avons tous des Iphones, donc nous devrions être capable de nous repérer de cette manière, pas vrai ? Comment est-ce que la magie pouvait nous trouver ? Simplement dire que c’était de la magie semblait facile. Est-ce qu’elle utilisait un aspect de nos Iphones ? Est-ce qu’ils envoient un signal ?

Oh non. Le GPS !

Je m’arrête et je jette mon sac au sol. Ryoka, espèce d’idiote. Comment est-ce que tu n’as pas fait attention à ça? Le GPS était la première chose à laquelle les gens pensaient. Ils avaient pu te traquer depuis tout ce temps ! Dans tous les endroits !

My Iphone brille et je vais urgemment dans les Paramètres. Puis je m’arrête. Mon cœur arrête de battre la chamade dans mon torse.

Il est déjà éteint. C’est vrai. Bien sûr. Je me souviens avoir éteint le GPS le jour où mes parents me l’ont offert pour qu’ils ne m’espionnent pas. C’était la chose à faire, vu que c’était la seule raison pour laquelle il me laissait l’avoir.

Bon, c’est un soulagement. Je ferme le menu. La batterie tient encore le coup, environ 30%. Maintenant que j’y pense je pourrais écouter de la musique en courant. Cela fait un bail que je n’ai pas utilisé mon Iphone, mais je veux conserver la batterie maintenant que Sostrom…


« Qu’est-ce que c’est, humain ? »


Et ma journée va mal se passer. L’air autour de moi se gèle, et je lève les yeux. Une Fée de Givre est au-dessus de mon épaule, regardant l’écran lumineux avec curiosité.

Bon sang. Je pensais que Teriarch les avait toutes chassés. Mais non, apparemment être presque réduit en cendres ne m’offrant qu’une journée de paix. Je regarde la Fée de Givre et remets mon Iphone dans sa coque usée.

« Va. T’en. »

La fée prend une expression hautaine. Elles n’écoutent jamais ce que je dis, ou pour répondre à mes commentaires sauf quand elles veulent que je réponde à une question. Elle flotte autour de mon Iphone et je le mets dans ma poche. Puis elle hurle dans mon oreille.


« Ne m’ignore pas ! Dit nous ce que cela est! C’est une chose de fer, mais pas véritablement. Et cela fait de la lumière sans magie ou feu ! Qu’est-ce que c’est ? »


Une autre fée vole paresseusement autour de ma tête. Elles ne semblent pas avoir besoin de faire battre leurs ailes comme les insectes ou oiseaux. Elle pointe ma poche du doigt en parlant à son amie. Les fées semblent toujours voyager en groupe de huit ou plus.


« C’est un objet né du smog et des flammes, venu d’un autre monde ! Elle l’a ramené ici, cette stupide tchoin ! »


Ceci me fait tourner la tête. Je regarde la fée qui vient de parler.

« Un autre monde ? Qu’est-ce que tu veux dire par ça ? »

Elle me regarde, et détourne les yeux. Elles ne sont pas intéressées pour répondre à mes questions. Mais j’ai désespérément besoin de réponse. Qu’est-ce qu’elles voulaient dire par ça ? Est-ce qu’elle veut dire ce que je pense qu’elle vient de dire ? Si c’est vrai…

La première fée se pose sur ma tête, gelant ma peau avec ses petits pieds. Elle se penche pour que sa tête apparaisse à l’envers dans mon champ de vision.


« Humain malodorant ! Comment un mortel comme toi connais le vieux fumeur ? »


Je n’ai pas la moindre idée de ce dont elle parle. Et même si cela m’est difficile, je suis curieuse, donc je réponds.

« Quel vieux fumeur ? »

Les fées échangent un regard incrédule en flottant autour de ma tête. Elles parlent entrent-t-elles, me regardant en secouant leurs petites têtes.


« Ne sait-elle pas ? Elle vient de lui parler ! »

« Je pense qu’elle est aussi débile que l’autre. »

« Deux têtes et pas un seul cerveau ! Comme c’est triste ! »

« Comme c’est drôle ! »



La fée sur ma tête s’abaisse et frappe la peau de mon crâne. Je grimace et serre les dents. Je veux vraiment, vraiement l’attraper pour la retirer de ma tête mais la seule chose que cela fera sera de me donner des engelures. Elle me donne une migraine rien qu’en se tenant là, mais les fées peuvent devenir bien plus froides si elles le veulent.


« Je parle de celui de feu vivant dans la cave, idiote ! Vieux et grincheux ! Comment est-ce que tu le connais, pathétique mortel que tu es ? »


Celui dans la cave ? Elles parlent de Teriarch. Mais pourquoi est-ce qu’elles l’appellent… ?

La fée tape de nouveau mon front et je grimace. C’est bon. Elles n’auront rien de ma part. Je lance un regard noir aux fées et je me tais. Si elles peuvent être des idiotes têtues, alors je peux aussi en être une.


« Oh, tu nous ignores ? Alors ignore ça ! »

Perdant patience, la fée sur ma tête décolle. Je sais ce qui arrive donc je me prépare. Une seconde plus tard, une boule-de-neige m’atteint à l’arrière de la tête, me faisant tituber alors que je cours. Elle rit, et soudainement le troupeau décide de rejoindre.

L’air tiède et le ciel bleu deviennent froids et mordant, et de la neige commence à tomber alors que les Fées de Givres utilisent leur magie, amenant l’hiver à ce dernier endroit. Le sol gèle sous mes pieds, et tout autour de moi, des boules-de-neige de la taille de mes poings commencent à s’abattent alors que les fées tournent autour de moi.

Je continue de courir, essayant d’ignorer la neige froide me frappant le visage, le torse, le dos et les jambes. Je sais qu’elles s’arrêteront. Les fées sont des brutes. Elles se lasseront si je ne réponds pas. Elles arrêteront de me lancer de la neige dans quelques secondes…

Dans… Quelques… Secondes…

***

Je m’arrête plus de seize kilomètres plus loin pour m’arrêter et sortir mes chaussures de neige de mon sac ainsi que des vêtements secs. Pas pour me changer, juste pour essuyer la neige et la glace qui colle à mon corps.

La dernière Fée de Givre s’envole en riant, et je la maudis silencieusement en tremblotant. Je suis trempée, et presque en hypothermie à cause de ce qu’elles m’ont fait subir.

Qui savait que de petites fées pouvaient lancer des boules-de-neige aussi fort ? Mais elle sont parties, au moins jusqu’à s’ennuient de nouveau et qu’elles reviennent pour me tourmenter.

« Bordel de merde. »

Je n’aurai jamais deviné que j’allais détester les fées à ce point. Sérieusement. Elles sont pires que les chiens qui ne sont pas attachés ou les bouteilles brisées au sol. J’aimerais mieux courir pieds nus dans une forêt de sapins plutôt que d’avoir ces fées derrière moi.

Et pourquoi est-ce qu’elle ne dérangent que moi ? C’est comme si elles aimaient rendre ma vie misérable plus que les autres. Est-ce qu’il n’y a pas un moyen de s’en débarrasser ? Elles n’aiment pas le fer, mais cela ne semble pas aussi bien marché que les comtes le racontent. La moitié du temps le pauvre gars levant un fer-à-cheval vers les fées se fait envoyer bouler par une rafale de vent.

Et qu’est-ce qu’elles disaient ? Quelque chose à propos de Teriarch. Elles voulaient savoir comment je le connaissais ? Est-ce qu’elles le connaissaient ? Il était capable de les chasser, ce qui était plutôt unique.

Vieux fumeur. Pourquoi est-ce qu’elles l’appelaient comme ça ?

…Non ? Non, ce n’est pas ça. Cela ne peut pas l’être. Je veux dire, ça serait trop évident. Je l’aurai remarqué instantanément.

Pas vrai ?

Teriarch est juste un mage. Un mage qui ressemble de manière suspecte à un Elfe, et il ne fait rien pour le cacher. Et il utilise des expressions bizarres… Et il a une cave.

… Et beaucoup de trésors de valeur dans cette cave… Et il peut invoquer des flammes…

Non. Je l’aurai remarqué plutôt. Mais pourquoi je ne l’ai pas fait ? Les pièces s’emboîtent. Mais Teriarch, a-t-il fait quelque chose à ma tête ?

Bien sûr qu’il l’a fait. Il l’a déjà fait une fois. Pourquoi pas deux ?

De la magie. Comment puis-je dire que quelque chose est réelle ? Il pourrait me faire croire tout et n’importe quoi, pas vrai ? Trop de ça et j’allais commencer à douter de mes propres souvenirs. Et si des choses que j’avais dites et faites en présence de Teriarch, ou des choses qu’il m’avait dit auraient été effacées de ma mémoire ?

Pense. Cognito ergo sum. C’est tout ce que je sais. Ergo sum cognito. Je sais que je suis un être pensant, ça je peux le croire. Mais…

Omnia quae scis forsitan species vana sit. Je pense que c’est ça. Mon Latin est rouillé.

Si je prends sérieusement cette déclaration lancé au hasard par les Fées de Givre, et je ne peux pas l’interpréter autrement, alors pourquoi je ne l’ai pas remarqué ? De la magie ? Ou je l’ai remarqué et il m’a fait oublier.

Comment défaire un sort qui alterne la mémoire ? Est-ce qu’il y en a un sur moi ? Est-ce que c’est vérifiable ?

Du calme, Ryoka. Si tu continues comme ça tu va devenir une malade qui voit des complots partout. Tous les complots ne sont pas faux. Il est vrai que le gouvernement est en train de nous espionner, que la moitié de la richesse du monde tiens dans les mains de huit personnes, et que la magie et les autres mondes existent.

Ouais. Je suis dans la mouise.

Je continue de courir, essayant d’aller quelque part à l’intérieur avant que la glace fondue et l’air hivernal ne me tue. En plus, il est l’heure de rendre mes Sceaux. J’ai besoin d’un bain chaud, d’un repas chaud, et d’un lit chaud. Je mangerai et dormirais dans le bain si possible.

Oui. Un bain me semble être une très bonne idée. Un petit arrêt à la Guilde des Coursiers et je pars en direction d’une auberge.

C’est le problème avec les plans. Ils ne se déroulent jamais comme on l’espère.

***


« Sept livraisons en une journée ? Voyons Ryoka, je sais que je t’ai dit que nous avions besoin d’aide, mais essaye d’en laisser un peu pour nous. »

« J’y penserai. »

Je souris légèrement pour que Fals sache que je plaisante. Il rit comme si je venais de dire quelque chose d’hilarant, et juste comme ça, la conversation continue sans le moindre silence pesant.

Je suis assise dans la Guilde des Coursiers, prenant le temps de me réchauffer et d’attendre qu’une des réceptionnistes me paye. Par coïncidence, Fals venait aussi de terminer ses livraisons, donc il s’est assis à côté de moi. Il a commencé à parler, je ne lui ai pas arraché la tête avec les dents, et nous y voilà.

Nous ne sommes pas les seuls Coursiers dans la guilde. Il y a beaucoup de gens à l’intérieur, se réchauffant. Incluant une personne que j’aurais volontiers préféré voir morte dans une congère quelque part.

Le regard que Persua me lance est plus tranchant qu’une lame de rasoir. Si elle en avait une sous la main, elle me l’aurait probablement lancé au visage. Je croise son regard, sans perdre face ou cligner des yeux. Si elle veut un combat du regard, ça me va. Je peux passer cinq minutes sans cligner de yeux.

Fals le remarque et bouge sa tête entre ses yeux et les miens. Je détourne les yeux et j’entends Persua rire bruyamment à l’autre bout de la pièce.

Tout rapetisse quand je suis dans la Guilde des Coursiers dans ces villes, toutes les petites relations et vendetta sortent des placards. Il faut se souvenir que dans ce lieu Fals est un gros poisson et que toutes les Coursières et réceptionnistes l’aiment. Et Persua me déteste, car il semble m’apprécier. Et Garia aime Fals, ce qui rend tout plus compliqué.

Garia n’est pas là, ce qui me soulage légèrement. Nous n’avons pas reparlé depuis que je lui ai annoncé la nouvelle à propos des Cornes d’Hammerad, et je ne sais pas quoi dire.

Pendant ce temps, Fals est en train de faire son truc de charmeur, ce qui est de dire bonjour à tous les Coursiers en les appelant par leurs prénoms, et de parler avec eux. C’est un type sociable. Un bon type, peut-être. Je me souviens encore des problèmes avec Magnolia et la Gilde, mais j’admets qu’il fait son boulot bien mieux que tous les autres Coursiers de la guilde, moi comprise. Je suis peut-être plus rapide, mais il a une bonne relation avec tous ses clients.

Fals se penche sur la table, une jambe rebondissant au sol. Il, comme tous les Coursiers, a la bougeotte une fois assis. C’est une chose que nous avons tous en commun, nous aimons courir.

« Liscor, huh ? C’est plutôt loin, mais la Guilde des Coursiers à Esthelm à peut-être des requêtes allant jusque-là. Encore plus s’ils savent qu’il y a quelqu’un qui fera des allers-retours fréquents. »

« Hm. Ca me semble bien. J’ai une… Amie là-bas donc je vais m’y rendre souvent. »

Un sourcil de Fals se lève, mais il cache sa surprise.

« Bon, je vais parler au Maître de la Guilde là-bas quand j’aurai la chance. Nous n’avons pas beaucoup d’échanges avec les Drakéides et les Gnolls, mais c’est parce qu’ils viennent rarement au nord. Cela serait bien d’ouvrir de nouveau le dialogue. »

Je hoche poliment la tête, et il essaye de ne rien dire qu’il regrettera. Bien sûr qu’il est surpris que j’aie une amie. Même moi je suis surpris.

Maitre de la Guilde, hum ? D’après ce que j’ai compris, ils sont d’anciens Coursiers à la retraite. C’est la même chose pour les Guildes d’Aventuriers. Le staff est constitué de personne embauché pour aider ou de personnes trop blessées ou vieilles pour continuer de travailler. C’est un bon système qui donne du travail à ceux qui ont contribué à la guilde.

Fals me regarde et tousse poliment.

« Je me… Demandais si tu aimerais manger un morceau à un pub plus tard. Je connais un bon cuisinier qui vient d’apprendre la compétence [Cuisine Avancée]. »

Merde. C’est ce que je craignais. J’hésite. Fals est probablement un chic type mais je ne suis pas intéressé par lui. Je ne le suis simplement pas. Mais après, je ne peux pas simplement l’envoyer bouler. J’essaye de trouver une excuse, puis les portes s’ouvrent.

Fals et moi regardons autour de nous, et nous bondissons tous deux hors de nos chaises qui s’écrasent au sol.

« Garia ! »

Elle titube dans la pièce, instable sur ses pieds. Sa main est posée sur un bandage autour de sa tempe, et du sang coule sur sa joue gauche. L’un des Coursiers à côté de la porte l’attrape avant qu’elle ne puisse tomber.

Je ne me souviens pas avoir traversé la pièce. Mais je suis à côté de Garia avant tout le monde, retirant lentement le bandage. Fals est juste derrière moi, anxieux.

« A quel point est-elle blessée ? »

« Je n’arrive pas à le voir. Sors de la lumière et aller me chercher de l’eau. Et une potion. »

J’ai presque oublié l’existence des potions de soin. Mais je me souviens de mon entraînement pour porter les premiers soins. Je prends une bouteille d’eau que quelqu’un m’a tendue et un bout de vêtement coupé pour délicatement nettoyer le sang. Il ne semblerait pas que le crâne de Garia soit fracturé, il ne fait que saigner, mais j’ai besoin de vérifier.

La respiration ? Elle est bonne ? Le pouls ? Consistant. Si la blessure à la tête est grave, j’ai besoin d’éviter de l’aggraver. Mais les premiers soins prenaient toujours en compte que la personne allait recevoir de vrais soins ensuite. Ce monde n’a pas de docteur ou d’hôpital, que des [Soigneurs]. Si elle est blessée, je suis peut-être la personne la plus qualifiée pour l’aider.

Garia frissonne légèrement alors que je nettoie le sang, mais elle reste immobile sur sa chaise. Ses yeux sont perdus. Merde. J’espère qu’elle n’a pas de concussion. Mais c’est quand même mieux qu’un crâne fracturé.

Fals pousse une potion dans mes mains.

« Tiens. »

« Attends, j’ai besoin de vérifier… »

Je sens le plus délicatement possible la partie autour de la blessure. Cela fait gémir Garia, mais je dois m’assurer qu’il n’y a rien de casser. Si c’est le cas, une potion de soin va peut-être mal remettre l’os.

Le crâne de Garia n’est pas cassé. Je ne pense pas que l’os soit craqué. Elle a juste perdu du sang. Je débouche la potion et j’en verse un peu autour de la blessure.

Elle commence à se fermer alors que Garia gémit. Elle attrape mon bras, tellement fort que je la sens me serrer jusqu’à l’os. Mais je ne lui dis pas d’arrêter.

En quelques secondes, la blessure se ferme et Garia me lâche. Elle prend quelque grandes inspiration, avant de me regarder.

« Merci, Ryoka. »

Je la regarde. Elle est toujours pâle dut à la perte de sang, et la potion n’a rien fait pour sa concussion, si c’est ce qu’elle a. J’attrape son épaule pour la maintenir droite alors que je la regarde dans les yeux.

« Qu’est-ce qu’il s’est passé ? »

Comme si je ne le savais pas. Mais Garia secoue sa tête. Ses lèvres tremblent. Elle me regarde, puis Fals, les larmes aux yeux.

« Je me suis fait attaquer. »

***

L’histoire arrive alors que l’autre Coursier apporte une chaise avec un coussin à Garia. Nous devons l’asseoir alors que la pièce s’agglutine autour d’elle. Cela me surprend, mais après tout, je ne suis jamais resté assez longtemps dans la Guilde pour voir quelqu’un rentrer blesser.

Qu’importe ce qui est dit sur les Coursiers et leur mentalité, ils prennent soin des leur. Un Coursier se fait attaquer et tout le monde est en danger. C’est pourquoi la réceptionniste sort de son comptoir pour apporter quelque chose d’alcoolique pour Garia, et Fals s’assoit à côté d’elle alors que les autres Coursiers s’approchent, écoutant son histoire.

« C’était des bandits. Ils sont venus du sommet d’une colline et ont essayé de me barrer la route. Certains étaient en train de tirer des flèches, et l’un avait un gourdin. J’ai essayé de les distancer, mais il m’a eu… »

Garia fait signe vers sa tête soignée et le sang séché sur sa joue. Elle ne semble pas se rendre compte qu’un autre Coursier est en train de nettoyer le sang.

« Des bandits ? Sur la route principale ? »

Fals secoue sa tête et quelques coursiers échangent des regards.

« Ils doivent être désespérés. J’ai entendu dire qu’il y avait un groupe qui s’attaquait aux voyageurs… »

« Je n’arrive pas à croire qu’ils ont attaqué l’un des autres en plein jour. Et des flèches ? D’habitude ils essayent de nous faire les poches, pas de nous tuer. »

« Comment est-ce que tu t’en es sorti ? »

C’est ce que je veux savoir .Garia cligne des yeux.

« J’ai été sauvé. J’étais au sol quand quelqu’un a attaqué les bandits. Je ne sais pas qui. Un voyageur, je pense. Peut-être un autre Coursier ? »

Fals fronça les sourcils, et regarda la carte sur le mur. Les villes et routes principales y étaient marquées.

« Quelqu’un de Galle ? Nous pourrions demander à la Guilde s’ils ont quelqu’un qui est venu par là. »

« Est-ce qu’on devrait sortir et essayer de les trouver ? Si cette autre personne… »

« Soit elle a pris la fuite, soit les bandits l’on eut. Nous n’allons rien trouver et nous nous mettrons en danger. »

Les autres Coursiers discutent en arrière-plan. Je suis toujours concentré sur Garia. Fals pose la question que je m’apprêtais à poser.

« Tu es parti ? Pourquoi est-ce que tu étais toujours blessée ? Tu n’as pas eu le temps de te soigner ? »

« J’ai… J’ai juste continué de courir. Je n’ai pas pensé à me soigner. Je ne pouvais pas le faire, même si je le voulais. »

« Pourquoi ? Tu as perdu beaucoup de sang. Une potion de soin t’aurait empêché de t’effondrer comme ça. »

« Je… N’en aies pas. Je ne peux pas m’en acheter. »

Garia rougit et devient rouge. Elle regarde ses pieds alors que les autres Coursiers détournent le regard. Bien sûr. De tous les Coursiers de Villes, Garia est la plus lente même si elle peut porter de lourde charge. Elle court pour quelques pièces d’argent dans le meilleur des cas, et est habituellement payée en pièce de bronze.

Les autres sont silencieux, et puis Fals tapote Garia sur le genou. Elle donne l’impression qu’elle s’apprête à pleurer de honte.

« Il n’y a pas à avoir honte. Tu es arrivé jusque ici sur tes deux pieds après avec été touché par un gourdin. Je n’aurai pas réussi à faire cela. »

Les autres Coursiers acquiescent. Fals se retourne et lève la voix.

« Est-ce qu’on a quelque chose de chaud à boire ? Pas d’alcool, est-ce que quelqu’un peut lui apporter une chope de lait de chèvre ? Et de la nourriture. Et une couverture ! Garia est presque gelée ! »

Quelques Coursiers passent immédiatement par la porte en entendant ses mots, et la réceptionniste foncent dans l’arrière-salle pour trouver une couverture. Je regarde Garia.

Pas assez pour une potion de soin. Attaquer par des bandits sur la route. Cela ne m’est jamais arrivé, mais c’est parce que je cours trop vite pour que cela soit un problème.

Et quand je pense enfin comprendre ce monde, quelque chose comme ça arrive pour me rappeler que tu n’as pas besoin d’horribles monstres. Les humains savent être cruels entre eux.

Fals essaye de faire en sorte que Garia reste assise et appelle pour que quelqu’un lui apporte quelque chose de chaud à boire et une couverture. Je la regarde, puis les autres Coursiers, et décide qu’elle ira bien.

Je sors silencieusement de la foule et vers la porte. J’évite de me faire repérer en sortant. Je dois parler à Octavia. J’allais déjà la voir, mais maintenant, j’ai de raisons de lui parler.

***

J’entends le cri avant d’ouvrir la porte. Bordel. C’est quoi maintenant ?

Je me colle à côté d’une des fenêtres, écoutant attentivement. Octavia est en train de hurler à l’intérieur. Est-ce que je vais me prendre une explosion si j’entre ? Pas le temps de se poser de question.

J’ouvre la porte et je me jette hors du chemin. Rien n’explose. Je fonce dans le magasin et je vois Octavia au centre.

La jeune femme à la peau noire est en train de hurler et de se griffer le visage.

« Mes yeux ! C’est dans mes yeux ! »

Une potion couleur rouge vif… Non, vermillon est posé sur la table devant Octavia. Elle est débouchée. Immédiatement, je couvre mes propres yeux et je retiens ma respiration, mais cela ne semble pas être toxique.

Et… je suis plutôt certaine de ce que cela est. Et si c’est ce que je pense que c’est, Octavia ne fait qu’aggraver la situation en se frottant les yeux.

Je m’approche aussi rapidement que possible vers Octavia sans que je prenne le risque de renverser quelque chose. Elle est toujours en train de se frotter le visage, mais ses yeux sont tellement en train de pleurer qu’elle ne peut probablement rien voir.

« Aaaaaaaagh ! Je ne vois rien ! »

« Octavia ! C’est moi ! »

J’attrape ses mains.

« Ne frotte pas, sinon ça va s’empirer ! »

Elle ne m’écoute pas. Les doigts d’Octavia sont à ses yeux, elle est en train de me combattre alors que j’essaye de l’arrêter. Elle est forte, peut-être plus forte que moi.

« Octavia, écoute-moi, arrête ! »

Ses doigts s’enfoncent dans ses yeux et je m’arrête. Octavia hurle, pousse avec ses doigts, et ses yeux sortent de leurs orbites.

Je vois les orbes de chair bouger, et puis elles sont dans l’air, réel et horrible pendant un instant, attaché avec des fils rouges aux orbites. Et puis…

Deux pièces de cotons tissées ensemble pour ressembler à des yeux touchent le sol. Je les regarde et vois la tâche orangé et rouge de la potion sur le devant du coton.

Octavia soupire, et se relaxe dans mon emprise. Elle parle normalement en tournant deux orbites béantes vers moi.

« Oh, salut Ryoka. Est-ce que tu peux trouver mes yeux au sol ? »

Je la regarde. Le visage d’Octavia est toujours constitué de chair, mais sans ses yeux, je peux littéralement regarder dans ses orbites. Ils sont béants, et je sens que mon déjeuner remonte.

« Je… »

« Oh attends, c’est les orbites, pas vrai ? Désolé. »

Elle ferme ses paupières et je peux finalement détourner le regard. Je ramasse les deux yeux avec beaucoup de précautions, avant de les déposer dans ses mains. Octavia sourit.

« Merci, Ryoka. Je ne m’attendais pas à ce que ça fasse aussi mal. Wouah. C’est une bonne chose que tu sois venu, sinon j’aurai mis une éternité à les retrouver. »

Je hoche la tête sans rien dire, et je réalise qu’elle ne peut pas me voir. Octavia attrape la table devant elle avec précaution alors que je la regarde.

« Tu… Vas bien ? »

« Oh, bien sûr ! Désolé si je t’ai fait peur, j’étais juste en train de tester la potion que tu m’as fait faire. C’est du solide, je peux te le dire. Ça vaut la moindre pièce de cuivre que tu as investi dedans, et dès que je nettoie la mixture je serais ravi de te montrer les autres. »

Elle tâtonne sur la table, manquant de faire tomber la potion de spray au poivre, avant de la rattraper juste à temps.

« Hey Ryoka, j’ai un seau d’eau dans le coin. Est-ce que tu peux me le trouver ? »

Silencieusement, je trouve le seau d’eau et le mets devant Octavia. Elle lance les yeux dedans et commence à doucement les nettoyer.

« Hm. Je trouve que l’huile dans la potion colle bien. Je sais que j’ai une potion de nettoyage sur mes étagères. Tu peux me la trouver ? C’est vert avec des traits bleus. »

Il me faut quelques minutes pour localiser la bonne potion, mais quand je la donne à Octavia elle ajouta quelques gouttes dans l’eau qui devient aussitôt clair, et moins de dix secondes plus tard elle retire ses yeux de l’eau et les tapote délicatement avec une serviette avant de les remettre dans ses orbites.

Octavia se tourne vers moi avec un grand sourire, clignant des yeux quelques fois avant de les essuyer.

« Whew ! Désolé pour ça. C’est toujours un challenge de nettoyer le tissu si j’en renverse. Je devrais juste garder la potion à ma ceinture, mais tu sais comment c’est. »

Je la regarde. Je n’arrive pas à oublier la vision de son visage dépourvu d’œil de ma tête.

« Ca… Va ? »

« Tout va bien, merci de demander ! J’admets que ça fait très mal de recevoir ce truc dans mes yeux, mais je peux t’assurer sans prendre de risque que la potion est complète. Je te proposerai bien de l’essayer, mais tu ne peux pas retirer tes yeux de tes orbites, donc tu vas devoir me croire, d’accord ? »

Je cligne des yeux alors qu’Octavia lève la potion, et j’ai un mouvement de recul.

« Dégage ça de mon visage. »

« Oups, désolé, désolé. Laisse-moi rebouchonner ça. »

Octavia ferme la potion avant de me la tendre. Je la prends avec précaution et regarde le liquide à l’intérieur.

« Une potion de poivre, prête à aveugler tout ce que tu n’aimes pas. Elle devrait couvrir une grande surface. Fait juste attention à ne pas la lancer lorsque le vent souffle dans ta direction où tu vas finir tout aussi aveugle quand ça va te toucher. »

« Compris. Je veux dire… Merci. »

Ouaip, une potion de poivre. Pour être plus précise, c’est l’équivalent du spray au poivre. Octavia a pris tous les piments et les substances douloureuses qu’elle pouvait mélanger pour en faire quelque chose qui ferait passer du gaz lacrymogène pour de l’eau au citron.

Et oui, je lui ai demandé qu’elle m’en fasse. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle l’utilise sur elle.

Je regarde les yeux d’Octavia. Ils sont toujours un peu rouge et la peau autour de ses yeux est légèrement irrité.

« Tu es sûre que ça va ? Ce truc va te donner des plaques. »

« Bah, ce n’est pas pire que si je m’étais versé de l’acide dessus. Je vais peut-être me pencher dessus et m’assurer que tout va bien, mais je vais bien pour l’instant. »

Bien sûr. Les Tissés n’ont pas besoin de potion de soin. Ou s’ils en avaient besoin, cela serait en dernier recours. Mais c’est bien plus facile de remplacer le tissu ou de se recoudre.

« … Bonne nouvelle, alors. Je, heu… »

Je secoue ma tête et je me souviens de pourquoi je suis là.

« Est-ce que tu as une potion de soin ? Une efficace. J’en ai besoin d’une. »

« Des potions de soin ? J’en ai plein ! Tu veux quel degré de puissance ? Les bonnes sont toutes au-dessus d’une pièce d’or. »

« J’en ai besoin d’une pour Garia. »

« Oh ? »

Je lui explique brièvement ce qui s’est passé et les yeux de la Tissée s’écarquillent.

« C’est terrible ! Bien sûr que j’ai une potion de soin. La fille en a besoin ! Tiens, je te donne une ristourne. Garia pourra me rembourser. »

Elle tend la main vers une potion, mais je l’arrête.

« Garia dit qu’elle ne peut pas s’en payer une. Elle n’est pas riche, donc elle ne pourra sûrement pas payer plus de quelques pièces d’argent. »

Octavia fronce les sourcils.

« Ce n’est… Pas vraiment assez. Je suppose que je peux lui donner quelque chose de faible, mais si elle court elle a besoin de quelque chose de plus fort. »

« D’accord, donc donne-moi une potion de soin qui ne coûte que quelques pièces d’argent. Voilà le payement. »

Je mets une pièce d’or et quatre pièces d’argent sur le comptoir. Les sourcils d’Octavia se lèvent et elle me regarde.

« Ah. »

« Tu as un problème ? »

Elle hésite, et pousse les pièces vers moi.

« Garde-les. Garia est une gentille fille, et elle est une de mes plus fidèles clientes. Je détesterai la voir blesser, enfin, plus que ce qu’elle n’est déjà. »

Cela me surprend, mais Octavia prend une potion jaune sur une étagère et la met sur le comptoir.

« Celle-ci ne devrait valoir que quelques pièces d’argent. Et bien encore, elle peut l’utiliser avec parcimonie si la blessure n’est pas trop profonde. Dit lui que j’en ai encore dans ma boutique. Et parles-en aux autres Coursiers ! »

« Je le ferai. Hum. Merci. »

Légèrement gênée, je prends la potion. Octavia me sourit.

« Est-ce que c’est tout ? Comme tu peux le voir je suis toujours en train de tester et de créer certains trucs que tu m’as demandé, mais j’en ai déjà un peu si tu en as besoin. »

J’hésite, avant de hocher la tête. Tant qu’à faire. J’ai encore quelques jours avant la date où je devrai rentrer à l’auberge d’Erin, alors autant se préparer au pire en espérant le meilleur. Garia a illustré mon point.

« Je vais prendre ce que tu as de prêt. Combien as-tu réussi à en finir ? »

Octavia se tourne et bouge une petite caisse, l’ouvrant pour me montrer ce qu’il y a l’intérieur.

« La potion de poivre est prête, même si je n’ai pas trouvé un moyen de l’asperger comme tu m’as demandé. Mais tu peux toujours la jeter. J’ai deux sacs fait, et deux autres bouteilles pour toi. »

Elle me tend quelques sacs bien fermés par une ficelle. Ils sont supposés être faits en fil spécial qui ne laissera rien passer, mais je m’assure que les nœuds sont bien faits avant de les mettre dans mon sac.

Octavia pose une main sur mon bras avant de me donner les deux autres potions.

« Attention avec celles-là. J’ai dû acheter du verre enchanté pour les deux. Il y a un bouchon sur le dessus, retire-le pour que le verre s’affaiblisse et que tu puisses les jeter si tu veux. Mais attention. Si tu le brises près de toi tu risques de… »

« Je serais prudente. Tu vas continuer de travailler sur les deux autres ? »

« Bien sûr ! Quand tu reviendras, j’en aurai plusieurs de chaque. Et ensuite nous pourrons parler d’un autre deal, peut-être ? J’adorerai travailler sur d’autres projets, si tu as l’argent. »

« Je devrais, quand je reviendrais. »

Je range toutes les potions dans mon sac, les entourant avec précaution dans la couverture que j’utilisais lors de mes longs trajets. Je hoche la tête en direction d’Octavia.

« Je dois retourner voir Garia. Je te vois…

« … Plus tard. Vous les Coursiers vous êtes toujours occupés. Reviens vite, et avec plus de pièces ! »

Je quitte le magasin et descends la rue en courant. C’était une excitante poignée de minute, mais la chose la plus importante est que j’ai la potion. Avec cela en tête, je reviens à la Guilde des Coursiers et je manque de rentrer dans un autre Coursier en arrivant.

« Désolé. »

« Ma faute, passe en première. »

Il me sourit et je lui fais un hochement de tête en passant. Je ne l’ai jamais vu, mais peut-être qu’il vient de loin. Je trouve Garia et les autres là où je les ai trouvé, sauf que maintenant Garia à de la nourriture devant elle et une couverture sur ses épaules.

Fals lève les yeux vers moi alors que je marche vers lui. Il lève ses yeux.

« Ryoka, où est-ce que tu étais ? »

« J’allais chercher quelque chose. Tiens. »

Je sors la potion et je la mets sur la table devant Garia. Elle regarde la potion avec des yeux écarquillés.

« Gratuit. Avec les compliments d’Octavia. Elle dit aussi qu’elle fera une ristourne à tous les Coursiers voulant une potion de soin. »

Les autres Coursiers murmurent, approbatif, et je sais une main me taper dans le dos. Bon, peut-être qu’Octavia allait trouver de nouveau client avec ça. C’était probablement ce qu’elle voulait.

Mais elle ne mérite pas que je pense à elle comme ça. Elle m’a donné la potion pour Garia. Elle savait peut-être que cela allait lui attirer de la sympathie, mais c’est juste un bon sens des affaires liés à une gentille personne.

Garia regarde la potion, puis moi. Elle rougit de nouveau.

« Je ne peux… Elle a l’air couteuse. Je ne peux pas la prendre. Je vais te… La rembourser. »

« C’est un cadeau. Prends-la et utilises-là. »

« Mais… »

Fals donne un léger coup de coude à Garia et me fait un rapide clin d’œil. Pour une fois je suis content qu’il soit là.

« Ecoutes Ryoka, Garia. Octavia sait qu’elle peut nous faire acheter des potions si elle trouve la bonne qualité. De plus, tu as besoin de quelque chose en cas d’urgence comme pour aujourd’hui. »

Il s’arrête et fait claquer ses doigts.

« J’ai une baguette de trop avec un unique sort de [Ralentissement] enchanté dessus. Cela n’arrêtera pas les flèches, mais cela te permettra de distancer un groupe de bandit pour la prochaine fois. Tu peux venir dans ma chambre plus tard pour aller la chercher. »

Les autres Coursiers semblent apprécier l’idée. L’un d’eux offre une potion de stamina, et un autre lui dit qu’il a une dague qu’elle peut avoir. La bonne humeur demeure jusqu’à ce que j’entende une voix aigüe en face de moi.

« Certains d’entre nous gagnent assez d’argent pour qu’on puisse se débrouiller. Nous n’avons pas besoin de nous inquiéter des autres Coursiers. »

Je lève les yeux. Bon, pourquoi est-ce que les bandits n’auraient pas pu attaquer Persua ? Elle renifle en me regardant moi et Garia. Ses yeux partent un court instant vers Fals, et puis fusille Garia du regard.

« C’est quoi l’urgence ? Garia s’en est sorti une petite égratignure. Si elle était plus rapide, elle ne se serait pas fait attraper. »

Je ne suis pas une experte, mais même-moi je sais que c’est la mauvaise chose à dire. Beaucoup de Coursiers lui envoient des regards noirs, mais à mon dégoût, certains sont d’accord avec Persua. Salauds.

« Dans tous les cas, Garia devrait rembourser Ryoka… Pardon, je veux dire Octavia pour la potion. Nous gagnons tous assez d’argent, pas vrai ? Du moins, moi je le fais. »

Le visage de Garia est rouge comme une tomate, et mon souffle est court. Mes mains se serrent. Est-ce que je peux lui en coller une ? Elle n’est pas trop loin. Je pourrais réduire son foutu visage en bouillie avant que quelqu’un ne m’arrête.

Mais… non, bordel. Je ne peux pas faire cela. Je desserre mes mains et me force à sourire Persua. Elle veut utiliser les mots ? Je peux faire avec des mots.

« Oh, vraiment ? Combien est-ce que tu gagnes, Persua ? Je suis curieuse. Est-ce que tu gagnes quelques pièces d’argent où ce n’est que du cuivre ? Je gagne pas mal. Tu veux comparer ? »

Le visage exigüe* de Persua s’assombrit et elle m’envoie un regard de haine pure.


*Je ne sais toujours pas si c’est le bon mot.


« Au moins je je ne pars pas ailleurs dès que cela me plaît. Je suis une Coursière dédiée à la Guilde, pas une fille errante. »

C’était faible. J’ouvre la bouche pour répondre mais Fals intervient. Il nous regarde toutes les deux depuis la gauche de Garia.

« Persua. Ryoka. Ce n’est pas le moment. »

Elle fait un mouvement avec ses cheveux et je ferme ma bouche. Bordel. C’était mesquin. Je devrais le savoir, mais Persua…

Je n’ai jamais eu de fille au lycée me balancer sous les roues d’un wagon, elles essayaient juste de me pousser du haut des escaliers. Persua était à un tout autre niveau. Mais Fals avait raison.

Il attend quelques instants pour s’assurer que nous ne commençons rien, avant de se retourner vers Garia. Il lui parle doucement.

« Nous allons demander à la garde de mettre quelques patrouilles sur les routes. Qu’est-ce qui est arrivé à ceux qui t’ont attaqué, Garia ? »

Elle tremble et commence à parler, mais quelqu’un la coupe. Un grand gars s’avance et lève la voix.

« Ils sont morts. J’ai rapporté l’accident à la Garde locale. »

Tout le monde le regarde. Garia ouvre la bouche en grand, et je réalise que je me tiens à côté du type que j’ai vu à l’extérieur de la Guilde des Coursiers.

Le grand Coursier que j’ai vu rentrer fait un hochement de la tête aux autre Coursiers. Il regarde la tête de Garia avec intérêt avant de lui parler.

« Ravi de voir que tu n’as pas été trop gravement été blessé, Mademoiselle Coursière. J’étais inquiet, mais tu t’étais éloigné avant que je puisse te rechercher. »

Les yeux de Garia s’écarquillent, et elle essaye de se lever. Fals l’arrête, mais Garia pointe du doigt vers le nouvel arrivant.

« Tu… Tu es celui qui m’a sauvé ! »

Il n’est pas aussi beau gosse que Fals, quelqu’un lui a cassé le nez et il ne s’est jamais bien remis. Mais il a quelque chose que les autres Coursiers n’ont pas, et c’est une présence. Il est comme l’un des athlètes que tu vois aux Jeux olympiques et dans les compétitions, quelqu’un avec assez de confiance en soi et en ce qu’il font que cela se ressent dans tout ce qu’ils font.

Fals sourit au nouveau Coursier, lui tendant la main.

« Tu as sauvé Garia sur la route ? Merci, de ma part et de la part de tout le monde dans la Guilde. »

« C’est normal. »

L’étranger rend la poignée de main à Fals et sourit en retour. Ses yeux se tournent vers moi, et puis vers les autres Coursiers.

« C’est une bonne Guilde que vous avez là. Laissez-moi me présenter. Mon nom est Valceif Godfrey. Je suis un Courrier venant de Port-Fondateur. Je suis venu jusqu’ici car j’ai une livraison en direction de la ville de Liscor. »

Il hoche de la tête en direction de la pièce silencieuse.

« C’est un plaisir de faire votre connaissance. »

***

« Je ne peux pas rester. J’ai une importante livraison à faire. »

Ce fut la première chose que Valceif dit après que le brouhaha baissât suffisamment pour qu’il puisse se faire entendre. Il se tenait sur l’avant de ses pieds, regardant Fals et la carte.

« En vérité, je serais volontiers reparti il y a une heure, mais je devais m’occuper de ces bandits et faire un rapport à la Garde locale. Et… Je suis perdu. »

Il se tient au centre de la pièce comme s’il est habitué à ce genre de réaction incrédule. Je suis celle qui n’y suis pas habitué à ce genre de réaction. Les autres Coursiers, de Ville ou de Rue, traitent ce gars comme s’il était une rock star. Même Fals semble impressionné.

« C’est un plaisir de vous rencontrer. Je n’ai rencontré que deux Courriers avant cela, et jamais autant au sud. Mon nom est Fals. Je suis désolé que les guildes ne nous ont pas notifié que vous veniez au sud, hm, Valceif. »

« Appelle-moi Val. C’est un plaisir de te rencontrer, Fals. »

« Est-ce que nous pouvons faire quelque chose pour vous ? Vous devez être fatigué. De nouveau, nous ne savions pas que vous étiez en route sinon… »

Valceif secoue sa tête.

« Je n’ai pas arrêté de courir depuis que j’ai passé Invrisil. À moins que vous ayez un mage dans votre guilde, je ne suis pas surpris que vous ne soyez pas au courant de ma venue ici. »

Un mage dans une Guilde de Coursier ? Ça serait pratique, mais c’est pour des guildes bien plus grandes que celle-ci. Et est-ce qu’il a dit qu’il était venu d’Invrisil ? Est-ce que ce n’est pas la ville qui se trouve à presque mille kilomètres de là ?

Fals semble ne pas le croire aussi, mais Val se contente de sourire.

« Je vais bien. En vérité. Je ne me serais pas arrêté, mais je ne vais jamais autant au Sud et la neige rend la navigation difficile. Si tu pouvais m’indiquer l’une des routes principales sur la carte, je serais reconnaissant. »

« Mais nous aimerions vous parler. Si nous n’imposons pas, je sais que beaucoup de Coursier veulent devenir Courrier un jour. Est-ce que vous pourriez nous donner une heure de votre temps pour vous reposer ? »

Le Courrier décline de nouveau.

« Ma livraison est une priorité. Je ne peux pas m’arrêter pour discuter. Mes excuses, mais je repasserais par là en remontant. Il y aura tout de temps qu’il faut à cet instant. »

Fals hoche aussitôt la tête. Je me demande ce qui est si important pour qu’un Courrier n’est pas le temps de se reposer.

« Nous pouvons avoir un Coursier vous montrer l’endroit. Nous avons aussi une carte si… »

« Un Coursier fera l’affaire. Quelqu’un de rapide de préférence ? »

Fals hoche la tête, agité, regarde autour de lui. Bon, cela me semble être une bonne opportunité. Je lève ma voix et je m’avance.

« Je vais aussi dans cette direction. Ça te dérange si je viens ? »

Les autres Coursiers me regardent, et Val pose une question silencieuse à Fals. Il hoche la tête, soulagé.

« Ryoka est la Coursière de Ville la plus rapide de la région. Elle peut rapidement vous guider jusqu’à la route. »

« Alors, si cela n’est pas un problème, j’aimerais partir le plus tôt possible. Est-ce que cela te convient ? »

Il lève un sourcil en ma direction, et je reconnais un challenge quand j’en vois un. Je pense que j’aime presque le gars. Il est confiant, mais pas arrogant. Il me rappelle les autres athlètes que j’ai rencontrés.

« Donne-moi cinq minutes. Si ce n’est pas trop long ? »

Fals semble qu’il est sur le point de s’étouffer sur sa langue, mais Vals me fait un grand sourire.

« Cinq minutes seront suffisantes. Je serais là. »

Je hoche la tête et je bouge vers le comptoir. La réceptionniste est en train de regarder Vals, mais elle sursaute et me regarde quand je tousse.

« J’ai toujours besoin de mon payement. »

« Quoi ? Oh ! Laisse-moi juste… »

Il lui faut un peu plus de cinq minutes pour me donner mes pièces, principalement car ses mains n’arrêtent pas de trembler. Mais éventuellement, j’ai mon argent et je resserre mon sac à dos en refaisant mes lacés.

Vals hoche la tête en ma direction et s’extirpe de la foule de Coursiers.

« Prête à partir ? »

« Suis-moi. »

Il se retourne et fait un hochement de la tête vers la pièce.

« Coursiers, Mademoiselle Garia. Ce fut un plaisir de vous rencontrer. »

« Merci d’avoir sauvé… »

Oups. La porte se ferme derrière Val et moi. Nous avons déjà passé la porte. Je le regarde. C’est un Courrier ? Je me demande à quel point il est rapide.

Et comme s’il lisait dans mes pensées, Val jette un œil à mes pieds et puis vers la rue.

« La route est glissante. Si tu veux y aller tranquillement, je suivrai ton rythme. Pointe-moi dans la bonne direction et je vais continuer ma route. »

« J’ai aussi à faire à Liscor. Je vais peut-être faire route avec toi. »

« Tu es la bienvenue. »

Si tu arrives à suivre. Ni moi ni lui n’avons besoin d’entendre ses mots. Je serre les dents, mon corps est fatigué, mais c’est un challenge. C’est une course. Moi contre un Courrier. Voyons à quel point la barre est haute.

« Allons y. Essaye de suivre. »

Je ne pars pas en sprintant tout de suite. C’est une terrible idée à part pour un cent mètres. Mais je garde un rythme soutenu à travers la ville.

Val garde le rythme sans effort, je peux dire qu’il me regarde alors que je cours. Je le sais car je fais la même chose.

« Tu as une bonne forme. Il est bon de voir une autre personne qui sait courir. »

Il le dit, mais c’est ma ligne. Quand je suis venu dans ce monde je pensais que personne d’autre ne savait comment courir. Même Fals à tendance à perdre un peu d’énergie dans ses mouvements, et la plupart des Coursiers n’ont pas de bonne posture ou de forme.

Mais Val court comme un athlète sur une piste. Pas rapide, centre de gravité léger, touchant le sol avec l’avant et le milieu du pied plutôt que son talon. Lui et moi courront comme si nous tombions en avant, le corps relâché, nos pieds battant le sol gelé.

La ville disparaît derrière nous et je décide de voir à quel point ce type est rapide. Je vais dans ma course rapide, la vitesse à laquelle je cours dans un marathon. Val ne cligne même pas des yeux alors qu’il accélère.

Huh. D’accord…

Je bouge plus vite. Je suis désormais à fond la caisse. Il reste avec moi sans cligner des yeux. Donc je sprinte, je pousse dans le sol et je m’envole. Mes pieds sont peut-être ralentis par ces foutues chaussures, mais même avec elles, je peux aller terriblement vite.

Le monde devient flou autour de moi et se change en tunnel. Je frappe la terre gelée avec mes pieds le plus rapidement possible, laissant un nuage de poudreuse derrière moi alors que je fonce. Ça devrait le faire. Ça devrait le…

Val est juste à côté de moi, ses jambes traversant la neige, souriant. Il ne se moque pas, ce n’est même pas un challenge. Il est juste en train d’apprécier la course, et il est juste à côté de moi alors que je donne tout ce que j’ai.

C’est une foutu bla...

« Tu n’as pas de Compétence, ou de Classes, pas vrai ? Le fait que tu puisses courir aussi vite est très impressionnant. »

Val cri dans le vent. Je ne peux même pas me permettre l’effort de le regarder. Je donne tout ce que j’ai dans cette course. Mais j’entends sa voix, même pas essoufflé. Alors que je sens que je suis en train de chercher à reprendre ma respiration.

« C’est ce que la fille au visage exiguë de ta Guilde m’a dit. Elle ne semble pas t’apprécier. »

Persua ? En cinq minutes… Elle avait parlé ? Cette pute.

Je ne peux même pas penser. J’essaye d’aller plus vite, mais Val ne semble même pas fatigué.

« Je ne peux pas blesser ta fierté. Mais il est vrai que j’ai un job à faire. Tu es rapide, mais j’ai besoin d’aller à Liscor cette nuit au plus tard. Donc, excuse-moi. »

Il court un tout petit peu plus vite, et il me fait un hochement de tête. Puis il dit deux mots.

« [Double Pas]. »

Le monde est flou autour de moi, mais Val est comme le centre d’une lentille. Vu que nous gardons le même rythme, c’est comme s’il n’y avait que deux personnes dans le monde. Mais quand il parle, il accélère soudainement.

Je n’arrive pas à le croire. Mais soudainement Val est en train de faire deux pas à chaque fois que j’en fais un. Ses pieds sont plus flous en touchant le sol… Maintenant, j’arrive à peine à voir ses jambes bouger. il accélère, courant deux fois plus vite que moi.

En quelques secondes, il est à des centaines de mètres devant moi. C’est comme si j’étais immobile alors qu’il court. Il est rapide à ce point.

Le point flou qu’est le Courrier accélère jusqu’à la route principale, avant de s’arrêter. Puis le point flou fait demi-tour et Val apparaît à mes côtes suivant le rythme sans effort.

« On se revoit à Liscor ! Je suis à la recherche d’une étrange personne qui joue aux échecs là-bas. On m’a dit qu’un [Tacticien] Drakéide est le meilleur joueur de la ville. Après que je l’ai trouvé, je vais prendre un verre ou deux. »

J’hoche la tête, et c’est tout ce que je peux faire. Val me fait un sourire, et lève deux doigts vers son front. Il accélère, et bouge de nouveau plus rapidement que moi, plus rapidement que n’importe quel être humain de mon monde. Il fonce sur la route enneigée, soulevant d’épais nuages de neige derrière lui.

En moins d’une minute, il est tellement loin que ce n’est qu’un point à l’horizon. Je le perds de vue après ça.

Je ralentis et j’arrête de courir. Mes chaussures glissent légèrement sur la neige compacte, et je sens mes pieds frotter contre le cuir et se brûler. J’aurai probablement une cloque ou deux, mais cela ne me concerne pas pour l’instant.

Mon cœur bat la chamade dans ma poitrine. L’air froid brûle mes poumons. Je sens mon corps qui essaye de se remettre alors que mes jambes hurlent d’agonie. la route v


Dernière édition par Maroti le Mer 14 Oct 2020 - 16:39, édité 2 fois
 
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2.16 - Première Partie

Traduit par EllieVia


Elle était Reine, et pas lui. En théorie, cela signifiait qu’il devait obéir à tous ses ordres.  Mais la théorie se substituait très mal à la pratique, et les Antiniums avaient appris il y a bien longtemps qu’il n’était pas sage de faire confiance à une entité unique pour prendre les meilleures décisions de manière systématique.

La position de Prognugator avait ainsi été établie, et leur conception avait fait l’objet d’un travail considérable. Chaque Prognugator était en mesure d’assister sa Reine en se chargeant des affaires mineures de la Colonie, voire de la mettre en garde s’il pensait qu’elle faisait erreur.

De tels incidents étaient rares, mais pas inconnus par ce système qui s’était avéré fonctionnel. Et pourtant, cet Antinium précis n’était ni un Prognugator ni une autre Reine, et possédait cependant une autorité qui lui était propre.

Klbkch, le Revelantor nouvellement réincarné des Antiniums Libres, était techniquement un rang au-dessus d’un Prognugator. Il pouvait même ignorer les instructions de sa Reine, telle était la nature de ses devoirs.

Il y avait toutefois une différence entre une désobéissance délibérée dans le cadre d’un objectif supérieur et une rébellion. Klbkch obéissait encore aux ordres de sa Reine pour les affaires courantes, et elle pouvait remettre en question ses actes autant qu’il pouvait remettre en question les siens.

Comme en ce moment.

“Des fenêtres vitrées ? Pourquoi, Klbkchhezeim ?”

Klbkch baissa la tête, agenouillé devant sa Reine.

“J’ai considéré qu’il s’agissait d’une dépense nécessaire, ma dame. La Colonie peut largement couvrir ce coût, après tout.”

“”Pouvoir” n’est pas la même chose que “devoir”. De plus, tu étais en train de rebâtir une auberge que l’humaine avait elle-même détruite. Pourquoi gaspiller les ressources de la Colonie pour quelque chose d’aussi trivial ?”

“Nous avons largement les fonds pour cela.”

C’était vrai, mais et alors ? La Reine savait que sa Colonie avait assez d’or pour acheter des fenêtres en verre pour la majeure partie de Liscor. Ils fournissaient des services précieux grâce à leurs Ouvriers, bien qu’ils prennent soin de ne pas prendre trop de travails aux citoyens locaux.

D’ailleurs, ils sous-produisaient régulièrement lorsqu’ils fournissaient un service. Les Ouvriers Antiniums pouvaient construire et déconstruire des bâtiments dans la nuit s’ils le souhaitaient. Ils étaient efficaces, inépuisables, et n’avaient pas besoin de se préoccuper d’instruments de mesure ou de travailler à partir de plans.

Il serait aisé de conquérir la majeure partie de l’industrie liscorienne, mais cela mènerait invariablement à une catastrophe économique. Et la Colonie était conçue pour travailler de concert avec d’autres espèces, et non les diviser.

C’est la raison pour laquelle que bien que les Antiniums Libres occupent une part vitale de l’économie, ils laissaient largement assez de travail et d’opportunités de faire affaire avec d’autres espèces. Ils achetaient beaucoup de choses - de la nourriture, des objets artisanaux, et des vêtements, bien qu’ils n’aient que peu besoin de tout cela. La Colonie pouvait produire tout ce dont les Antiniums avaient besoin, mais personne n’était obligé de le savoir.

Rien de tout cela ne justifiait un gaspillage inutile. La Reine dévisagea Klbkch d’un air sévère.

“Explique-toi. Est-ce un cadeau à offrir à cette enfant humaine, ou une sorte de pot-de-vin ?”

“Un cadeau, ma Reine. Un acte bienveillant, de sorte qu’elle puisse nous assister dans nos tâches.”

“Hmf. Je vois.”

Klbkch écarta les mains. Il n’en avait que deux, ce qui dérangeait encore la Reine. Mais elle lui avait donné cet attribut à sa demande, et l’efficacité de cette nouvelle forme prouverait son efficacité en temps voulu.

“Nous avons bien plus besoin d’Erin Solstice qu’elle n’a besoin de nous. Et je pense que nous ne devrions pas la forcer à nous apporter son aide. Nous bénéficierons de ces petits cadeaux et des services rendus sur le long terme.”

“C’est le fait que ce soit elle, une simple humaine, qui ait réussi à accomplir le rêve des Antiniums qui me trouble profondément, Klbkchhezeim. Pourquoi elle ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi, après si longtemps, cela peut-il être si simple ?”

Klbkch tenta d’apaiser l’agitation qu’il sentait chez sa Reine. Il s’exprima calmement et distinctement.

“Peut-être que c’est parce que nous avons agi de manière irréfléchie et que nous n’avons pas abordé le problème avec la bonne approche. Nous n’avions aucune idée de la manière par laquelle nous allions pouvoir accomplir l’impossible. Et peut-être… peut-être parce qu’Erin Solstice n’est pas une humaine ordinaire.”

“Je vois.”

Et en effet, la Reine comprenait bien plus que les simples mots de Klbkch. Elle savait qu’il gardait secrètes des informations au sujet de l’humaine connue sous le nom d’Erin Solstice. Elle n’en avait cure. Klbkch était loyal et si elle ne lui avait pas implicitement fait confiance, il n’aurait pas survécu à cette journée. Il l’irritait parfois, tout simplement. Mais ils formaient tous deux un binôme depuis si longtemps qu’elle ne se souvenait plus du temps où il n’en avait pas été ainsi. C’était comme cela qu’ils fonctionnaient, tous les deux.

“Le nouveau, Ksmvr. Il éprouve des difficultés à endosser ta position.”

“Est-ce surprenant ? Il est nouveau. Laissez-lui le temps.”

“Je l’aurais tué pour son échec, autrefois.”

“Il ne savait pas. J’ai rectifié sa manière de penser. Et la Colonie a besoin d’un Prognugator.”

“Mm.”

La Reine s’agita. La situation actuelle ne lui plaisait pas du tout. C’était étrange, étant donné qu’ils avaient enfin accompli une partie du rêve des Antiniums.

“Quelles sont les autres nouvelles du monde de la surface ?”

Klbkch hocha la tête. Il marqua une pause pour prendre le temps de réfléchir. Un Ouvrier ne marquait jamais de pause, pas plus qu’un Soldat. Mais aucune des deux formes ne réfléchissait vraiment. La réflexion était une capacité que la Reine avait appris à apprécier plus que toute autre. Elle attendit patiemment.

“Les Tympans au sud ont rapporté la présence d’un groupe de guerriers Gnolls se dirigeant vers la ville. À leur tête, un guerrier de haut niveau, et tous appartiennent à la Tribu des Crocs d'Argent.”

“Intéressant. La même tribu que le groupe précédent ? Scruta l’Omnisciente a décimé le dernier groupe de guerriers. Quelle raison désespérée peut-elle justifier le fait de risquer une deuxième expédition ?”

“Erin Solstice, peut-être. Ou peut-être une convergence d’événements.”

“Hrm. Assure-toi qu’ils ne perturbent pas le plan.”

“Oui.”

“Autre chose ?”

“Les Tympans ont rapporté la présence d’un Courrier venu livrer un colis venu du nord. Il est déjà en ville et demande à voir le Drakéide du nom d’Olesm.”

“Enfin une chose qui ne concerne pas Erin Solstice.”

Klbkch marqua de nouveau une pause puis, pour la première fois depuis des années, la Reine décela de l’humour dans sa voix.

“Pas exactement, ma dame. Il demande à voir le meilleur joueur d’échecs de la ville. Il pense qu’il s’agit d’Olesm, mais…”

La Reine se décala de sa place dans la caverne, traînant son corps enflé. Sa voix s’éleva et les Soldats qui montaient la garde à l’entrée de sa chambre s’agitèrent.

“Pourquoi le monde tourne-t-il autour d’une unique petite humaine ? Qu’est-ce qui la rend donc si unique ?!”

La rage de sa dirigeante ne perturba pas Klbkch, et sa voix fendit son ire lorsqu’il haussa à son tour le ton.

“Peut-être parce qu’elle fait partie d’un dessein encore plus grand, ma Reine. Un dessein que nous n’avons pas encore élucidé, mais qui inclut Erin Solstice. Et elle n’est pas la seule. Ryoka Griffin, Erin Solstice… sont des pièces du puzzle. Je crois qu’elles sont connectées à d’autres anomalies découvertes par les Colonies.”

Cette déclaration coupa sa Reine dans son élan. Elle hésita, et pris le temps d’assimiler les messages silencieux qu’il lui transmettait par leur lien télépathique.

“Il faut discuter de tout cela. Trouve d’autres éléments. Je vais parler avec les autres. Pendant ce temps, trois Colonies ont envoyé des membres. Ils souhaiteront voir les Aberr… les Individus. Assure-toi qu’ils restent en sécurité.”

“Avec votre permission, je vais les envoyer à l’auberge - sous bonne garde - avec d’autres Ouvriers pour poursuivre leur apprentissage des échecs.”

“Accordée. Fais ce que tu dois, Klbkch. Je vais m’occuper des affaires de la Colonie, sans me préoccuper des affaires de la surface.”

“Merci, ma Reine.”

Elle soupira. Elle avait perdu son plus proche confident, son deuxième palpe, sa lame et son bouclier. Le poids de ses devoirs s’alourdit sur ses épaules.

Toutefois. Toutefois, le temps était au changement. Une époque de révélations glorieuses et de succès. Elle le sentait dans tout son être. Encore un peu, et peut-être…

“Ils seront là sous peu. Fais ce que tu peux concernant cette aubergiste jusqu’à ce moment-là.”

“Oui.”

Il n’y avait plus rien à dire. La Reine leva un palpe languide et s’interrompit. Une dernière pensée lui fit reprendre la parole.

“... Es-tu bien certain qu’elle n’a plus de ces mouches acides ?”

“Oui, ma dame.”

“Dommage.”


***

Il était une fois une vieille cité. Mille ans plus tôt, elle se dressait, droite et fière, un royaume riche à la fois de magie et de trésors. Mais comme toute chose, elle finit par s’effondrer. Les cœurs des gens rapetissèrent, ou leurs dirigeants devinrent peut-être arrogants et cruels. La cité finit par céder à la corruption qui la rongeait de l’intérieur.

Ils verrouillèrent leurs portes, et bâtirent des armes terribles. Les survivants créèrent des pièges pour protéger leurs richesses et lâchèrent des monstres entre les murs de leurs maisons. Ils enfermèrent la plus puissante de leurs reliques, défiant quiconque de venir la chercher dans cet endroit envahi par la mort.

Un truc comme ça. Erin n’était pas vraiment certaine des détails, mais les anciennes ruines étaient apparemment une grande trouvaille, et tout le monde était à la fois excité et terrifié.

Excité, parce que tu pouvais trouver l’Unique anneau du pouvoir dans les ruines. Terrifié, parce que Sauron lui-même se trouvait peut-être là-dessous, prêt à t’arracher un œil.

Dans tous les cas, l’histoire n’avait aucun sens.

“Comment diantre peut-on oublier l’existence d’une ville entière ?”

Olesm haussa les épaules, impuissant, en réfléchissant à son prochain coup. Erin attendit de voir s’il décidait qu’il valait mieux perdre son fou que son cavalier. Certes, la tradition voulait que les fous aient plus de valeur dans le temps, mais son cavalier pouvait menacer son roi. Du moins jusqu’à ce qu’elle le prenne avec un petit piège qu’elle avait préparé avec son cavalier et sa reine.

“La Capitaine a été aussi surprise que le reste d’entre nous. Je veux dire, c’était vraiment un coup de chance de découvrir ça. On cherchait quelque chose pour nous aider à déterminer l’espèce d’Écorcheur, et voilà qu’on trouve une carte presque complète et un livre de textes indéchiffrables.”

Ceria regarda Olesm soigneusement sauver son fou d’une mort certaine. Erin prit son cavalier et se mit à avancer vers le roi d’Olesm en continuant leur conversation.

Cela faisait longtemps qu’Olesm ou Erin n’avaient pas joué aux échecs. Ils avaient donc tous deux pris le temps de faire quelques parties après avoir établi qu’il n’y avait pas de deuxième Écorcheur prêt à leur arracher le visage.

Olesm aurait vraiment pu attendre jusqu’à demain. Mais comme le sommeil les avaient de toute manière toutes les deux fuies après le cauchemar de Ceria, elles étaient restées debout et avaient repris des forces avec un petit déjeuner chaud et des parties d’échecs. Enfin, Erin et Olesm jouaient aux échecs. Ceria se contentait de regarder.

“On pourrait croire qu’il pourrait y avoir au moins une personne pour s’en rappeler, non ?”

“Je ne sais pas. C’était il y a vraiment longtemps, et j’imagine que si personne n’est tombé sur les ruines entre-temps, les gens ont oublié. Les textes ont peut-être des milliers d’années. Parfois, les gens tombent sur des ruines datant de l’époque où les Elfes parcouraient encore la terre.”

“Vraiment ?”

“Oui. Zevara dit que… eh bien, elle s’inquiète de savoir s’il s’agit d’un donjon magique ou s’il est juste très vieux. Écorcheur tend à prouver qu’il serait magique, ce qui serait un problème.”

“Hum. Les donjons ne sont-ils pas tous magiques ?”

“Non… ou du moins, beaucoup de donjons ont des trucs magiques à l’intérieur, c’est vrai, mais un donjon magique a une espèce de source de mana. C’est … enfin, tu peux expliquer, Ceria ?”

“Ouais.”

La demi-Elfe hocha la tête. Elle commença à croiser les mains derrière sa tête mais s’en empêcha.

“Les donjons magiques sont particuliers parce qu’ils ne tombent pour l’essentiel jamais à court de monstres. Et leur niveau de danger n’a strictement rien à voir avec celui des donjons non-magiques.”

Erin captura l’un des pions d’Olesm et il grogna.

“Pourquoi ?”

“Le mana des donjons attire des monstres plus vicieux. De plus, il est possible qu’il les rende plus fort. Si on ajoute à cela le fait que la chose à l’origine du mana est d’ordinaire incroyablement mortelle, on aboutit à des donjons qui ne se font jamais vraiment nettoyer. Les cités et les nations aux alentours se contentent d’y poster des gardes et d’engager des aventuriers pour surveiller les populations de monstres des étages les plus élevés et de prier pour que rien de trop dangereux n’en sorte.”

“Ça a l’air affreux. Et il y aura d’autres monstres semblables à Écorcheur ?”

“Les tombes ressemblaient à celles d’un donjon non magique, malgré les morts-vivants. Donc, non. Le reste du donjon pourrait être bien pire.”

Erin frissonna.

“Est-ce qu’il y a une seule bonne nouvelle ?”

Olesm secoua la tête, mais ce n’était que parce qu’Erin était sur le point de le mettre en échec et mat.

“Peut-être. Ça pourrait être bon pour les affaires. Quand les aventuriers entendront parler du fait qu’il y a un énorme donjon ici, ils vont envahir la ville.”

“Je croyais qu’ils l’avaient déjà fait. Et après, ils ont fui.”

“C’étaient là des aventuriers Bronze et Argent. Mais un donjon magique confirmé aussi vieux que ça ? Ça va attirer des Aventuriers Légendaires et Or, peut-être même venus des autres continents.”

“Wow. Ça a l’air à la fois bien et pas bien.”

“Mmh. Est-ce que c’est échec et mat ?”

“Dans deux coups.”

Olesm soupira et inclina son roi. Il contempla tristement l’échiquier et secoua la tête.

“Je croyais que les quelques niveaux que j’avais gagnés allaient changer les choses, mais ce n’est pas le cas.”

“Tu t’améliores.”, le rassura Erin.

Elle jeta un œil à travers l’une de ses charmantes fenêtres vitrées et fronça les sourcils en voyant le ciel. Il commençait à faire jour dehors.

“Hm. Bizarre. Je pensais que j’aurais quelques visiteurs de plus à présent.”

“Des visiteurs ? Tu parles des Antiniums ? Ou des Gobelins ?”

“Non, je parle de visiteurs. D’invités. De gens que je ne connais pas qui veulent acheter plein de nourriture et me donner de l’argent.”

Erin soupira. Elle se tourna de nouveau vers la fenêtre. Elle pouvait voir la ville au loin, mais personne qui ne monte chez elle.

“Vous voyez, j’ai vendu des hamburgers toute la journée hier et j’étais certaine que tout le monde allait se précipiter ici aujourd’hui pour en avoir encore. Mais ils n’ont peut-être pas faim ? Ou ils dorment encore ?”

Olesm s’agita en replaçant les pions.

“Oh… à ce sujet...”

Quelqu’un ouvrit la porte. Erin se retourna, un sourire éclatant aux lèvres.

“Bonjour, bienvenue ! Entrez et… oh. C’est toi.”

Pisces traîna de la neige à l’intérieur en s’engouffrant dans la pièce bien chauffée. Il regarda autour de lui d’un air distrait, puis s’avança vers Erin.

“Ah. Te voilà. Ton auberge a changé de place. Pourquoi a-t-elle changé de place ?”

Erin fronça les sourcils et se demanda si c’était un avant-goût de la journée qui allait suivre. Pisces n’était pas son client préféré. Pour tout dire, elle préférerait avoir presque n’importe qui d’autre que lui dans son auberge.

Mais elle hésita et reconsidéra cette affirmation en voyant Pisces approcher. Il avait l’air plus maigre qu’à l’accoutumée, et sa robe était encore plus sale que d’habitude. Quand l’avait-elle vu pour la dernière fois ? Un jour avant ?

Non... pas depuis qu’ils étaient sortis des Ruines avec Ceria. Normalement, Pisces débarquait dans son auberge au moins tous les deux jours. Où était-il allé ?

Les cheveux en bataille du mage ressemblaient à un nid de moineaux, et ses yeux étaient injectés de sang. Mais il avait un sourire maniaque sur le visage lorsqu’il s’approcha. Il tenait quelque chose serré entre ses deux mains, et Erin le dévisagea avec méfiance.

“Pisces. Que fais-tu ici ?”

“Je viens de faire une énorme - non, une percée exceptionnelle dans le domaine de la nécromancie. J’ai formulé, à moi seul, une nouvelle branche de la magie.”

Il regarda le reste de la table et ne parut remarquer que maintenant la présence de Ceria et Olesm.

“Ah. Springwalker. Drakéide. Salutations.”

Ceria leva un œil sur Pisces. Elle ne parut pas surprise par son état échevelé.

“Pisces. Quelle folie as-tu encore concoctée cette fois-ci ?”

Erin n’était pas sûre de vouloir le savoir. Mais Pisces avait clairement hâte de lui montrer. Il ouvrit les mains.

Admirez cette merveille !

Il leva une main pour montrer à Erin ce qu’il tenait dans sa paume. Erin cilla en apercevant quelque chose de petit et… rampant ?

Gyaaah ! Une araignée !

Elle lui rabattit la main vers le haut et l’araignée atterrit sur le visage de Pisces. Il cria.

Enlevez-la-moi !”

La petite araignée sauta de son visage et atterrit par terre. Elle se précipita vers Olesm, le Drakéide glapit et tomba de sa chaise. Mais l’araignée ne lui accorda aucune attention. Elle grimpa sur un pied de table et rampa sous la table pour atteindre le haut. Là, elle s’arrêta, et fit face à Olesm en silence.

“Une araignée ! Écrasez-la !”

Ceria attrapa Erin qui levait l’échiquier pour réduire l’affreuse bête en bouillie. La demi-Elfe la retint le temps que Pisces se relève.

“Ne lui fais pas de mal ! C’est ma création !”

“Quoi ?”

Pisces haletait. Il pointa un doigt tremblant sur l’araignée qui restait immobile face à lui.

“Elle est morte. Morte-vivante, pour être plus précis.”

Erin regarda fixement l’araignée. Lorsque la peur instinctive qui l’avait saisie la quitta, elle comprit ce que Pisces était en train de dire.

“Non. Tu as fait une araignée morte-vivante ?”

Pisces montra d’un geste la petite araignée comme s’il pouvait en être fier.

“Je suis peut-être le premier [Nécromancien] depuis des années à être parvenu à maîtriser l’animation d’espèce dénuée d’os. J’ai même appris une nouvelle Compétence. Et j’ai gagné des niveaux !”

Erin débattit intérieurement pendant quelques secondes pour savoir si elle devait le frapper lui ou l’araignée. Puis elle laissa tomber et accepta que tout ceci était l’horrible réalité.

Elle regarda l’araignée. Elle était plutôt petite, maintenant qu’elle la regardait de plus près. Cela n’arrangeait en rien la situation.

Elle ressemblait aux araignées d’Australie ou d’Amazonie dont on entendait parler à la télévision, celles qui pouvaient vous tuer d’une seule morsure. Son corps était noir, mais de la chitine rouge recouvrait ses pattes comme une armure.

En effet. Cette araignée paraissait porter une armure, pas seulement une carapace. Erin frissonna. Elle la regardait sans bouger, comme n’importe quel autre mort-vivant. Mais c’était une araignée. Ce qui rendait la situation bien pire.

“D’accord. Tu viens officiellement de créer la chose la plus horrible qui existe. Des araignées mortes-vivantes. Contente pour toi. Maintenant, sors cette chose de mon auberge.”

Pisces cilla. Il montra de nouveau l’araignée.

“Mais c’est ma dernière création. C’est une merveille. C’est…”

“Sors. La. D’ici. Ou je l’écrabouille.”

Pisces dévisagea Erin. Puis il fronça les sourcils et pointa le doigt. L’araignée morte-vivante bondit instantanément de la table et sortit par la porte ouverte. Erin referma la porte derrière elle et frissonna.

“Il ne pourrait pas y avoir quelqu’un de normal dans mon auberge pour une fois ?”

Pisces trouva une chaise retournée, la contempla, et en prit une qui était déjà dans le bon sens à la place. Erin le fusilla du regard en retournant la première chaise.

“Bien, je pense que mes efforts ont été remarqués. J’aimerais manger, s’il te plaît. Je suis relativement affamé.”

Le moment qui suivit fut étrange. Erin et Ceria lancèrent toutes deux un regard noir à Pisces au même moment, et toutes deux purent voir que l’autre avait envie de lui assener une claque derrière la tête. Ce qui les fit sourire.

Olesm avait l’air d’avoir envie de jeter quelques-uns des pions qu’il rassemblait sur le mage. Mais il se retint. Au lieu de cela, il s’assit à la table, replaça les pièces sur l’échiquier et reprit la parole.

“Je ne vois pas ce qu’une araignée a de si impressionnant. Certes, c’est une forme unique de Nécromancie, mais en quoi est-ce plus impressionnant qu’une armée de zombies ?”

Pisces renifla. Il posa les mains sur la table et regarda la cuisine d’un air appuyé. Erin ignora son regard.

“Il s’agit plus d’une révélation que la Nécromancie peut être appliquée à des types de cadavres plus inhabituels qu’autre chose pour le moment. Les araignées animées ne pourraient servir que dans le cadre d’embuscades ou de missions de reconnaissance dans un contexte militaire. Les os et la chair sont en effet plus simples d’utilisation, mais c’est l’amélioration en tant que telle que je voulais vous montrer.”

Il hocha la tête en direction d’Erin.

“Tu te souviens peut-être de m’avoir interrogé sur la possibilité d’utiliser des restes non-humanoïdes pour créer des morts-vivants. J’ai relevé ton défi, et le fruit de mon labeur est manifeste.”

Erin se souvenait vaguement d’avoir titillé Pisces à ce sujet. Elle regretta d’avoir amené le sujet un jour.

“Super. Tu peux faire des araignées mortes-vivantes, maintenant. On n’a pas de problème, toi et moi, tant que tu les gardes loin d’ici. Mais ce n’est pas vraiment ce qui m’intéresse. Je suis plutôt intéressée par un squelette. Toren.”

Pisces regarda Erin en fronçant légèrement les sourcils, puis il balaya l’auberge du regard.

“Qu’a donc ma création ? Est-ce qu’il y a quelque chose… d’anormal chez lui ?”

Erin tenta d’expliquer aussi brièvement que possible ce qu’il s’était passé. Pisces leva les yeux au ciel lorsqu’elle lui expliqua son ordre de partir, mais il avait l’air concentré sur le problème, au moins.

“Il est parti. Je ne le trouve nulle part. Tu ne saurais pas comment le retrouver, par hasard ?”

Le mage marqua une pause, et ferma les yeux.

“Étrange. Je devrais pouvoir dire où il se trouve, mais j’en suis incapable.”

Ceria s’assit en face de Pisces.

“Je croyais que les [Nécromanciens] pouvaient toujours dire où se trouvaient leurs créations même s’ils les reliaient à quelqu’un d’autre.”

“Normalement, c’est le cas. Mais je… ne sens son aura nulle part.”

Erin dévisagea Pisces d’un air inquiet.

“Il n’est pas mort, si ?”

“Il est mort-vivant.”

Il renifla d’un air méprisant. Erin serra le poing d’un air menaçant, et Pisces reprit précipitamment la parole.

“Ce que je veux dire, c’est qu’il est encore animé, mais je n’arrive pas à déterminer sa localisation. Je le saurais si Toren avait été incréé, mais je ne peux le localiser. C’est presque comme si… quelque chose interférait avec son aura.”

“Un pic de magie ? Une concentration de mana ?”

Pisces hocha la tête à l’attention de Ceria.

“Quelque chose dans le genre. Je pourrais essayer de me rapprocher, mais cela demanderait beaucoup de travail.”

“Et donc ? Qu’est-ce qui t’en empêche ?”

Erin posa les poings sur ses hanches et dévisagea Pisces. Il cilla.

“Pourquoi ferais-je cela ? Le squelette reviendra un jour ou l’autre, qu’importe tes ordres. C’est dans sa nature. De plus, j’ai plutôt faim. Comme je l’ai déjà dit. Est-ce que tu pourrais m’apporter le menu, ou le plat du jour ?”

“Bien sûr ! Parce que je n’ai qu’envie de faire à manger pour un mage qui apporte des araignées dans mon auberge et ne me paie jamais !”

Répondit Erin en haussant la voix et en se tirant les cheveux. Pisces était impossible. Ceria lui mit un coup de poing dans l’épaule et Pisces la regarda d’un air blessé en se frottant l’épaule.

“Si ton squelette n’est pas revenu demain je jetterai un œil. Mais il me faut de la nourriture pour jeter des sorts, et je suis resté reclus ces derniers jours. Quelques heures ne changeront rien. Et je suis un client estimé. Sauf si tu en attendais d’autres ?”

“Je pensais que j’aurais des centaines de clients à présent ! Ou au moins dix !”

Erin fit les cent pas dans son auberge en réfléchissant à ce qu’elle pourrait servir à Pisces qui lui demanderait le moins d’effort. Elle pointa furieusement la ville du doigt à travers sa fenêtre.

“J’ai fait plus de quatre cents hamburgers hier, et pas une seule personne n’est venu en racheter ! Comment ça se fait ?”

“Hamburger ? Intéressant. Je vais en essayer un.”

Olesm toussa dans une main écailleuse pendant qu’Erin émettait un bruit étranglé.

“Je peux expliquer cela, Erin.”

Elle le regarda. Le Drakéide avait un air d’excuse.

“J’ai vu beaucoup de commerçants et de vendeurs dans les rues en venant ici. Il n’y en avait pas beaucoup d’ouvert si tôt, mais tous vendaient des hamburgers.”

“Quoi ?”

Ils avaient pris sa recette ? Enfin, ce n’était pas sa recette, mais elle avait quand même l’impression d’avoir été volée.

Erin dévisagea Olesm, blessée. Ce n’était pas juste. En fait, si. Erin ne possédait pas la recette des hamburgers et c’était vraiment facile à faire, mais elle avait tout de même l’impression que c’était mal. Ryoka l’avait prévenue. Erin ne s’était juste pas attendue à ce qu’elle soit copiée en une nuit.

“Mais j’ai d’autres choses que les hamburgers ! J’ai d’autres plats que je suis carrément prête à faire.”

“Vraiment ? Je vais goûter tout cela et te donner mon opinion réfléchie.”

“Je suis désolé, Erin. Mais c’est comme ça que ça marche. Tu as une très bonne idée, et les autres décident de te copier. Ils ont plutôt bien retrouvé ta recette. La seule chose qu’ils n’aient pas réussi à comprendre c’est comment faire les sauces rouge et blanche.”

La mayonnaise et le ketchup. Il lui restait ça, au moins, même s’il était tellement désagréable de confectionner les deux condiments que cela ne la fit pas se sentir mieux. Elle s’affala sur une chaise et soupira.

“Super. Et moi qui pensais avoir mon auberge pleine à craquer ce soir.”

“J’en suis désolé, Erin. Si ça peut aider, je pense que Relc et Klbkch viennent ce soir. Et quelques Antiniums aussi, probablement.”

Ceria frotta le dos d’Erin. Erin hocha la tête. C’était une bonne chose qu’elle ait une clientèle régulière, mais ses espoirs venaient de s’envoler en fumée. Elle avait vraiment cru qu’elle avait trouvé sa spécialité.

“... D’accord. J’imagine que je peux faire un stupide cheeseburger ou autre.”

Pisces leva un doigt.

“Je préfèrerais ce “hamburger”, pour tout dire. Je préfère la viande.”

“C’est la même chose !”



Dernière édition par EllieVia le Mar 13 Oct 2020 - 12:38, édité 1 fois
 
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2.16 - Deuxième Partie

Traduit par EllieVia


***


Il fallut à Erin le temps de faire un cheeseburger à la va-vite et de l’amener à un Pisces appréciateur pour commencer à se sentir un peu mieux. Elle s’assit avec Olesm et Ceria, écouta les bruits appréciateurs du mage et se dit que la journée n’allait peut-être pas être si terrible.

Certes, elle était déçue pour les clients, mais…

Quelqu’un frappa à la porte de son auberge. Erin écarquilla les yeux et elle arrêta d’écraser Olesm aux échecs pour sourire au Drakéide.

“Aha ! Tu vois ? Premier client de la journée.”

Il cilla et Erin haussa la voix.

“Entrez !”

La porte s’ouvrit. Mais au lieu de la Drakéide et de la Gnolle auxquelles Erin s’était attendue, un humain apparut dans son auberge. Il secoua ses chaussures pour en enlever la neige et entra.

“Bien le bonjour. Je cherche un Drakéide du nom d’Olesm. Il ne serait pas là, par hasard ?”

“Quoi ?”

Olesm leva les yeux de la partie d’échecs et le jeune homme à l’entrée le repéra. En quelques pas, il se retrouva à la table d’Erin et Olesm.

Erin cilla devant le type, tellement surprise qu’elle faillit ne pas s’émerveiller devant la vitesse à laquelle il avait bougé. C’était un humain ? Un mec humain ?

Oui, c’était un humain classique. Il avait la peau bronzée, des cheveux noirs, et un nez légèrement aquilin. Il était vêtu de vêtements de voyage, et il avait l’air d’être extrêmement en forme.

Olesm se leva.

“Je suis Olesm. Hum, est-ce que tu es une sorte de messager ?”

“Je suis un Courrier de Port-Fondateur. J’ai un colis pour le meilleur joueur d’échecs de la ville de Liscor. Est-ce que c’est toi ?”

Le Drakéide écarquilla les yeux en dévisageant le Courrier, puis il se tourna vers Erin.

“Un Courrier ? C’est… je veux dire, oui, je suis le meilleur joueur d’échecs de Liscor, mais Erin ici présente est bien meilleure que moi. C’est à quel sujet ?”

“J’ai un colis. Je n’ai pas le nom du bénéficiaire, mais on m’a donné pour instruction de livrer ceci à quiconque reconnaîtrait ce dessin.”

Le Courrier plongea la main dans sa poche et en sortit quelque chose. Tout le monde regarda fixement le morceau de parchemin usé et délavé. Erin le reconnut immédiatement lorsqu’il le déplia.

L’encre avait coulé là où des gouttes d’eau étaient tombées, et quelqu’un avait renversé un liquide orange sur un coin du parchemin, mais elle vit d’un côté un puzzle d’échecs simple, et de l’autre la solution détaillée qu’elle avait écrite au dos du parchemin.

De l’autre côté se trouvait un petit jeu d’échecs complexe qui lui avait donné du fil à retordre autrefois et qui avait ici été résolu en quatre coups. Olesm prit le morceau de papier des mains du Courrier et inspecta les lignes gribouillées à côté du puzzle, les serres tremblantes.

“C’est… juste. Juste ! J’ai galéré pendant une semaine sur celui-là. Quelqu’un d’autre au trouvé la solution ?”

“Ah, donc tu es le créateur de cette… chose ?”

Le Courier leva un épais paquet emballé de son sac à dos. Olesm cligna des yeux et secoua vivement la tête.

“Moi ? Non, j’ai déjà peiné à le résoudre. C’est Erin qui a créé le puzzle.”

Il pointa Erin du doigt. Elle cilla et rougit lorsque le Courrier se tourna vers elle. Il était plus grand qu’elle de bien dix centimètres, et il l’examina avec attention.

“Mes excuses. Tu es la créatrice de ce puzzle ? Je m’appelle Valceif. Val. On m’a dit de te livrer ceci.”

“Moi ? Oh, je suis Erin. Erin Solstice. Je, euh, j’ai fait ça, mais je ne m’attendais à rien en retour. Juste… une lettre, c’est tout. C’est à quel sujet ?”

“Je n’en sais vraiment rien, Miss Erin. Je ne suis qu’un Courrier. Quelqu’un a posté une commande généreuse pour une livraison prioritaire à l’attention de quiconque avait envoyé ce morceau de papier. Je suis censé te le donner, si tu l’as fait.”

“J’ai fait ça, oui. Mais… qu’est-ce que c’est ?”

Val jeta un œil à quelque chose dans sa main gauche.

“Hm. Tu ne mens pas, ce qui fait de toi la bénéficiaire.”

Il lui offrit le colis, mais Erin était encore métaphoriquement à dix mètres derrière la conversation. Elle cligna des yeux en regardant sa main.

“Comment sais-tu que je ne mentais pas ? Est-ce que c’est une Compétence ?”

Val secoua la tête. Le Courrier ouvrit la main, et montra à Erin un morceau de quartz transparent attaché à un lien de cuir. La pierre claire luisait d’une couleur jaune.

“Juste une gemme enchantée avec un sort de [Détection de Vérité]. C’est un problème classique pour les Courriers.”

“Un Courrier ? C’est une espèce de Coursier super important, c’est ça ?”

Il sourit brièvement.

“Certains le disent, oui. Nous sommes simplement plus compétents que les Coursiers de Villes, c’est tout. On fait des livraisons longue-distance qui sont trop importantes pour être confiées à qui que ce soit d’autre. Quelqu’un a payé une grosse somme d’or pour te donner ceci, Erin. Je serais ravi que tu m’en débarrasses.”

Elle tendit la main vers le paquet, puis hésita.

“Qu’est-ce que je dois faire ? Je n’ai pas de Sceaux sur moi ! Il t’en faut un, pas vrai ?”

Il secoua la tête.

“C’est bon. Les Courriers n’utilisent pas le même système que les Coursiers des Villes et les Coursiers des Rues.”

Il tendit le paquet emballé, et Erin remarqua pour la première fois quelque chose d’étrange dessus. L’objet avait été emballé dans des couches d’une espèce de toile marron, mais un ruban noir maintenant le tout fermé. Et au centre du ruban était enchâssée une étrange pierre runique.

Elle brillait d’une lumière noire. Ceria siffla et Pisces leva les yeux de son repas pour regarder l’étrange objet. Val le tapota délicatement.

“C’est un Sceau de Courrier. Il va enregistrer le lieu, vos visages et vos identités, et l’heure à laquelle j’ai livré le colis. N’importe quel mage pourra ainsi confirmer que j’ai livré mon paquet au bon bénéficiaire.”

“Oh. Donc… donc ça va prendre une image de moi ?”

“Un truc du genre. Pose simplement la main sur le sceau, et il fera le reste. Ne t’inquiète pas, il ne va pas te faire de mal.”

Pour le coup, ce n’était pas pour la rassurer, mais Val avait l’air prêt à insister, et Erin était intensément curieuse. Elle posa avec précaution sa paume sur la pierre.

La lumière noire émise par la pierre devint immédiatement blanche. Erin enleva vivement sa main, mais la pierre ne fit rien d’autre. Elle se détacha simplement du ruban, et Val l’attrapa. Le paquet se mit à se défaire un peu.

“Ma livraison est complétée. Merci.”

“Hum, de rien. Je veux dire, merci !”

Erin prit l’objet emballé et le regarda, complètement désorientée. Il n’était pas très lourd - il avait l’air rectangulaire et dur dans ses mains. Elle jeta un regard désespéré à Ceria.

“Qu’est-ce que je dois faire. Qu’est-ce que c’est, pour commencer ?”

La demi-Elfe haussa les épaules. Elle fixait le paquet avec intensité. Même le Courrier avait l’air intéressé. Il toussa dans sa main.

“Tu es libre de jeter le paquet, mais ce n’est rien de dangereux. Le mage de ma Guilde l’aurait détecté. C’est juste un colis pour toi.”

“Très bien alors… j’ouvre ?”

Olesm acquiesça avec enthousiasme. Il regarda le morceau de parchemin dans ses griffes, puis le paquet.

“Ça doit venir de la personne qui a envoyé le puzzle ! Ouvre-le, Erin !”

“Si ce n’est pas trop demander, j’aimerais voir ce que c’est aussi. Je viens de loin et la curiosité est en train de me dévorer.”

Erin cligna des yeux, puis hocha la tête.

“Évidemment. Bien sûr ! Port-Fondateur… C’est loin, pas vrai ?”

Pisces ricana et Ceria éclata de rire. Val eut l’air amusé.

“Très loin.”

“Eh bien, hum, assieds-toi, si tu veux. C’est une auberge. Oui, c’est une auberge et je suis l’aubergiste. Je peux aller te chercher à manger et j’ai des lits si tu es fatigué. Dès que j’aurai…”

Erin alla poser le paquet à la table à côté de celle de Pisces. Le mage se leva, et Ceria et lui s’approchèrent pendant qu’Olesm et Val regardaient fixement le paquet inidentifiable.

Erin retint sa respiration en défaisant le ruban noir et retira le tissu marron. Que pouvait-est-ce bien être ? Elle se rappelait à peine avoir envoyé le puzzle d’échecs, mais quelqu’un avait dépensé beaucoup d’argent pour lui renvoyer quelque chose ? Que pouvait-est-ce bien être ?

Le dernier morceau de tissu tomba pour révéler ce qu’il y avait à l’intérieur. Tout le monde se pressa autour pour mieux voir, puis se mit à regarder fixement l’objet. Le visage d’Olesm s’affaissa, et Erin se sentit déçue.

C’était… un échiquier. Juste un échiquier. Il était fait d’un bois glorieusement lisse, et l’ensemble était tellement profondément luxueux qu’Erin pensait tenir là quelque chose qui aurait coûté des milliers de dollars dans son monde, mais cela restait un échiquier.

Et il n’avait même pas de pions.

Pendant un instant, tout le monde regarda fixement l’échiquier, puis Pisces ricana et retourna manger son hamburger. Erin contempla le morceau de bois gravé, déçue et encore plus désorientée qu’avant.

“Qu’est-ce que c’est ? Ce n’est qu’un échiquier. Pourquoi donc quelqu’un m’enverrait-il ça ?”

Ceria tâta le plateau et haussa les épaules.

“Il est joli. C’est un joli grain de bois qu’il y a là. Du Afzelia massif, si je ne me trompe pas.”

Erin n’avait aucune idée de ce dont il s’agissait, mais cela avait l’air coûteux. Elle n’en demeurait pas moins mystifiée par l’échiquier.

“À quoi sert un échiquier sans pions, huh ?”

C’était un peu le but. On n’avait pas besoin d’échiquier - c’étaient les pions qui comptaient. On pouvait jouer par terre en traçant des lignes dans la poussière si on avait les pions. Mais à quoi pouvait servir un plateau seul ?

Olesm se gratta les épines au sommet de son crâne.

“C’est peut-être un cadeau pour celle qui a fait un aussi bon puzzle ?”

C’était logique, mais Erin n’était pas sûre que ce soit cela.

“Ce n’était qu’un puzzle. Il n’était pas si dur que ça. J’en connais bien d’autres qui sont pire que ça.”

La queue d’Olesm s’agita.

“Quoi ? Vraiment ? Mais j’ai tellement travaillé dessus !”

Erin se mordit la langue et tenta de ravaler ses mots.

“Je ne veux pas dire qu’il était facile. Non… tu t’es vraiment bien débrouillé, Olesm ! C’est juste que je ne vois pas pourquoi qui que ce soit dépenserait autant d’argent pour m’envoyer quelque chose juste pour un puzzle d’échecs.”

“Il y a des gens riches qui sont comme ça. C’est peut-être juste un présent pour montrer leur appréciation.”

Val hocha la tête en direction de l’échiquier, et Erin sursauta en se rappelant sa présence. Il regarda le plateau en fronçant les sourcils.

“Cela n’explique pas pourquoi l’expéditeur était tellement pressé de le faire arriver ici, mais je suppose que certaines personnes sont simplement impatientes. Mais il n’y avait pas de demande pour qu’une réponse soit envoyée, juste une demande de confirmation de livraison.”

Est-ce que c’était curieux ? Erin pensait que oui. Quel était l’intérêt d’envoyer un puzzle d’échecs si on n’en renvoyait pas un encore plus difficile en retour ? C’était ainsi que les choses étaient censées se passer, et elle avait vraiment envie d’entamer un dialogue de ce genre. Dans son monde, elle avait fait ça avec plusieurs personnes en ligne…

Le Courrier haussa les épaules, s’étira et fit doucement craquer son cou.

“Eh bien, c’est un mystère. Mais je suis heureux d’avoir enfin réussi à te trouver. J’ai fouillé toute la ville pendant près d’une heure avant que l’on me dise qu’Olesm était peut-être à cette auberge. Et ensuite, l’auberge n’était même pas à l’endroit où que l’on m’avait indiqué.”

“Oups. Hum, oui. On a… déménagé il y a quelques jours.”

“Cela ne m’a pris que quelques minutes pour trouver la bonne. Ne t’inquiète pas, les panneaux m’ont bien aidé.”

Val sourit, et Erin lui retourna son sourire. Sa franchise lui plaisait.

“Eh bien, j’imagine que je l’utiliserai plus tard. Ce sera parfait si on fait d’autres parties. Pour le moment…”

Erin jeta l’emballage dans la cuisine. Elle pourrait en réutiliser une partie, et le tissu marron avait l’air solide. Elle posa le plateau sur une table dans un coin de la pièce et l’oublia dès qu’elle s’en détourna. Erin regarda Val et réalisa qu’elle avait une opportunité juste devant elle.

“Hum, Val ? Je suis vraiment reconnaissante que tu sois venu jusqu’ici. Et il s’avère que je suis l’[Aubergiste], et que nous sommes dans mon auberge. Donc… est-ce que tu voudrais manger quelque chose avant de partir ?”

Le Courrier était en train de s’étirer, possiblement pour partir en courant. Mais en entendant les mots d’Erin il marqua une pause, et sourit. Il balaya l’auberge du regard et hocha la tête.

“J’aimerais beaucoup. Est-ce que tu me recommandes quelque chose en particulier ?”

Erin sourit d’un air rusé, et Olesm et Ceria ne purent s’empêcher de sourire.

“Que dirais-tu d’un hamburger ?”

Pisces leva une main et lança :

“Je vais en prendre un autre !”


***

Ryoka courut pendant toute la nuit et une partie de la journée qui suivit sans s’arrêter. Sa volonté et son désespoir la maintenaient en mouvement. Ça et l’une des potions de stamina d’Octavia.

Chaque fois que Ryoka prenait une gorgée de l’infect liquide bleu, elle rêvait de pouvoir s’arracher la langue. Mais une seconde plus tard, l’énergie se mettait à s’engouffrer dans ses veines comme un barrage qui céderait sous la pression. Elle courait, ses jambes oubliaient les courbatures dont elles ne cessaient de rappeler l’existence à son corps, et elle sprintait, seule, sur la route gelée.

Mais qu’importe la vitesse à laquelle elle courait, elle savait qu’elle ne rattraperait jamais Val. Il était tellement rapide. Plus que rapide. Il avait dépassé la limite humaine. Sa limite.

Un cheval aurait eu du mal à soutenir son allure. Non… il était probablement aussi rapide qu’un cheval au galop. Peut-être encore plus.

Dieu. Ryoka ferma les yeux pendant un très bref instant en continuant sa course. Elle avait toujours cru qu’elle pouvait relever les défis de ce monde seule, sans magie ni classe. Avec quelques tactiques astucieuses et l’alchimie d’Octavia, Ryoka avait cru pouvoir se qualifier en tant que Courrier. Mais Val avait fait voler cette illusion en éclats.

Il pouvait courir deux fois plus vite qu’elle. Ce n’était pas juste de la triche. C’était réinventer entièrement la condition humaine. Si les gens pouvaient aller plus vite que les chevaux sans machines…

Il était peut-être temps de repenser ses idéaux. Si c’était ce que Ryoka pouvait atteindre, peut-être…

Les pensées mélancoliques de Ryoka furent interrompues par un éclat de lumière loin à sa gauche. Elle hésita, ralentit, et changea de direction en un battement de cœur. Quelque chose était étendu dans la neige, à un mille de là.

C’était petit, au début, mais Ryoka comprit en s’en approchant que l’objet était en réalité énorme. Elle s’arrêta lorsque le sol enneigé devint boueux sous ses pieds.

C’était une… énorme armure. Elle était étendue au sol, les bras en croix, dans une zone qui n’était plus couverte de neige. La neige avait fondu, et quelque chose avait transformé l’herbe mouillée en un paysage boueux.

Ryoka ralentit en se frayant un passage à travers la terre brisée et le sol brûlé et boueux. Que s’était-il passé ici ? Une sorte de bataille. Mais cette armure…

En marchant à côté, Ryoka réalisa que l’armure n’était pas du tout normale. Pour commencer, c’était une armure de plate ; des morceaux de métal noir martelés ensemble pour créer un béhémoth imposant. Et béhémoth était le terme qui convenait pour cette armure. Elle était massive.

Même Calruz - même lui aurait nagé dans cette armure. Mais ce n’était pas ce qui attirait l’attention de Ryoka. Non, c’était un autre aspect de l’armure qui la dérangeait.

Elle était défoncée. Il n’y avait pas d’autre mot pour cela. On aurait dit que quelqu’un avait roué de coups chaque centimètre carré de l’armure avec des marteaux. Le métal noir était cabossé par endroits - par d’autres, il était troué, comme si quelque chose de petit avait percé le métal.

Des carreaux d’arbalète ? Ryoka en doutait, mais elle ne voyait que ça. C’était soit cela, soit un énorme arc long qui avait fait ces dégâts. Elle n’avait vu qu’une seule arbalète brisée depuis qu’elle était arrivée dans ce monde, mais quelque chose avait percé l’armure.

Mais une autre question lui venait à l’esprit. Elle s’accroupit à côté de l’armure ruinée. Elle ne comportait pas de heaume, elle pouvait donc regarder à l’intérieur sans problème. Et elle ne vit que l’absence de sang ou de chair.

Il n’y avait pas de sang sur l’armure. Nulle part. Et c’était la chose la plus étrange qui soit. Avec tous ces dégâts, il y aurait sûrement dû y avoir un peu de sang, ou un cadavre, à côté, mais l’armure était simplement vide.

Ryoka regarda autour d’elle. Quelqu’un s’était battu ici. Il y aurait dû y avoir des corps. Mais il n’y en avait pas. Elle vit quelque chose d’autre dépasser du sol et se dirigea dans cette direction.

Une énorme épée brisée était enfoncée dans le sol à une vingtaine de mètres de là. Ryoka l’observa et remarqua la façon dont quelque chose avait fendu la lame à deux endroits différents.

“Que diable… ?”

En observant simplement le sol boueux, Ryoka voyait bien qu’une terrible bataille avait eu lieu ici. La zone de boue faisait presque deux milles de large, et s’étendait jusqu’au pied d’une montagne au loin.

Ryoka suivit la boue jusqu’à une ouverture étrange au milieu de la roche. On aurait dit l’entrée d’une grotte, mais très petite. C’était juste assez large pour laisser passer l’énorme armure, mais trop petit pour laisser passer quoi que ce soit de plus gros.

L’humaine regarda à l’intérieur de la caverne, mais ne put rien distinguer à l’intérieur. Elle retourna voir l’armure, et l’examina.

“De l’acier ?”

Elle n’était pas métallurgiste, mais Ryoka pensait que c’était le cas. L’armure sonna lorsqu’elle la cogna avec ses phalanges. Le fer aurait fait un bruit plus sourd.

Qui avait les ressources de créer quelque chose d’aussi cher ? Ryoka était presque tentée d’essayer de voir si elle pouvait récupérer l’armure, mais elle était tellement détruite qu’elle n’était pas sûre que cela en vaille la peine.

Cela en valait probablement la peine dans tous les cas. Ryoka prit une note mentale de sa localisation pour y revenir plus tard. Après un instant d’hésitation, elle enfouit l’armure sous la neige pour qu’elle soit moins visible de la route.

Mais qui s’était battu ici ? Qui était le propriétaire de l’armure, et qui ‘lavait détruite ? Il n’y avait aucun indice.

Ce n’était qu’un mystère de plus à résoudre. Ryoka grogna en se relevant. Il y avait d’autres pistes qui menaient à la fissure au flanc de la montagne. Quelque chose était entré là-dedans, mais Ryoka n’était pas prête de le suivre.

Déjà, elle était épuisée. Et de plus, elle avait une profonde aversion pour le fait d’entrer dans des cavernes sombres alors que quelque chose armé d’une arbalète y rôdait peut-être. Et enfin, elle avait un Courrier à rattraper.

Elle n’était plus qu’à quelques heures de Liscor. Ryoka retourna à la route et repartir. Son corps lui faisait mal. Elle voulait reprendre une gorgée de potion de stamina, mais Octavia l’avait prévenue que cela ne pouvait pas repousser l’épuisement qu’un temps.

Ryoka courut tandis que la matinée s’éclaircissait, ne songeant qu’à son point d’arrivée. Elle pourrait manger, s’asseoir, et boire de l’eau chaude en arrivant à l’auberge d’Erin.

Mais lorsqu’elle arriva à l’endroit où aurait dû se trouver L’Auberge Vagabonde, Ryoka ne vit qu’une colline déserte. Elle leva les yeux vers le terrain vide et regarda autour d’elle. Non. Elle était définitivement au bon endroit. Mais…

“Où diable est-elle partie ?”


***

Les fenêtres en verre de l’auberge étaient pleines de chaleur et de lumière lorsque Ryoka finit enfin par la trouver. Pendant quelques minutes, elle s’appuya simplement contre le mur de l’auberge, trop épuisée pour faire quoi que ce soit d’autre. Puis l’odeur enivrante et la chaleur de l’auberge l’appelèrent, et elle ouvrit la porte.

La pièce était magnifiquement chaude, et dès l’instant où Ryoka entra, elle vit un visage familier. Ceria était assise à une table, en train de sourire et de rire avec Olesm. Pisces était assis en face d’eux et mangeait un mets qui lui était familier. Erin était assise à une table et riait avec Val…

Val.

Ryoka s’arrêta net tandis qu’Erin se levait. Le Courrier inclina la tête et lui dit quelque chose sur un ton d’excuse. Elle agita les mains pour indiquer que ce n’était rien et se dirigea vers la cuisine.

“Un autre hamburger ? Je t’amène ça tout de suite !”

Ryoka dévisagea Val qui s’adossait à sa chaise en soupirant d’un air joyeux. Il avait plusieurs assiettes vides étalées devant lui, et il avait l’air d’être à l’auberge depuis un bon bout de temps.

Il tourna la tête vers la porte ouverte, et vit Ryoka. Val sourit instantanément.

“Ryoka ? Quelle bonne surprise ! Je ne m’attendais pas à te voir ici ! Tu viens d’entrer ?”

Tout le monde se retourna en entendant son nom. Erin s’arrêta net, et lui adressa un sourire éclatant.

“Ryoka !”

Ceria se leva, et Olesm l’imita. Ryoka avança lentement et ses amis s’approchèrent.

Erin commença à essayer de faire un câlin à Ryoka ou une autre démonstration d’affection, mais elle s’arrêta à quelques pas de la coureuse. Olesm éternua, Erin toussa, et Ceria s’écarta de Ryoka. Elle ne pouvait pas leur en vouloir.

Elle puait.

“Désolée. Je viens d’arriver. J’ai couru toute la nuit.”

Ryoka savait qu’elle était couverte de sueur, de neige fondue, et d’une quantité non négligeable de boue. Mais Erin agita les mains et lui sourit quand même.

“Wow, ça a été rapide ! Tiens, assieds-toi et je vais t’apporter à manger. Et une serviette. Tu veux quelque chose à boire ? J’ai cette boisson alcoolisée que j’ai achetée chez Krshia…”

Ryoka s’assit à la table en face de Val et le dévisagea. Erin hésita.

“D’ailleurs, Ryoka, c’est un autre Coursier. Un Courrier, en fait. Il s’appelle…”

“Val. On s’est déjà rencontrés.”

“Vraiment ? C’est tellement bizarre !”

Val hocha la tête. Il n’avait pas l’air incommodé par le fumet de Ryoka.

“On vient de se rencontrer dans une ville au nord d’ici. Ryoka m’a aidé à trouver le chemin, d’ailleurs. Mais je ne pensais pas que nous allions nous revoir dans cette auberge. Tu ne vas pas y croire, Ryoka, mais il s’est avéré que c’était ma destination depuis le début. Ma livraison était à l’attention de cette aubergiste, Miss Erin.”

“Oh ?”

“Oui, c’était un échiquier “

Erin pointa du doigt l’échiquier dans un coin de la pièce d’un air surexcité.

“J’imagine que c’est parce que j’ai envoyé ce puzzle à quelqu’un. Et ils m’ont donné un échiquier. Bon… ce n’est pas si incroyable que ça, mais c’est cool qu’on se connaisse tous !”

“Oh ?”

Le visage de Ryoka était complètement dénué d’expression. Erin cilla, mais Val se pencha vers elle.

“Je pense que Ryoka irait mieux si elle mangeait un morceau et qu’elle buvait un peu. De l’eau, pas de l’alcool.”

“Oh, bien sûr ! Tu dois être affamée ! Je reviens tout de suite !”

Elle était tellement fatiguée que Ryoka ne remit pas en question le fait de manger un hamburger. Mais elle faillit bel et bien pleurer, surtout lorsqu’elle mordit dedans.

Un vrai hamburger. Pas de la merde de fast food. Elle en mangea deux avant de comprendre ce qu’il se passait et but six verres d’eau. Doucement… elle allait manger, mais elle n’avait pas l’intention de vomir dans cette auberge toute neuve.

“... et après ils m’ont donné des fenêtres vitrées, tu vois ?”

Erin était en train de finir d’expliquer comment son auberge avait déménager. C’était une explication décousue, mais Ryoka en comprit l’essentiel. Des auberges explosives ? Elle ne savait pas quoi faire de cette information.

“Eh bien, je suis heureux d’avoir découvert cette auberge. Je n’avais jamais rien goûté de tel. J’aimerais beaucoup ramener la recette dans le nord. Je suis sûr que les aubergistes là-bas adoreraient l’apprendre.”

Val soupira en posant ses mains sur son ventre bien rempli. Erin eut un sourire en coin.

“J’imagine que cela ne coûte rien de te le dire.”

Il y avait quelque chose derrière ses mots, mais la tête de Ryoka était embrumée. Elle était rassasiée, et épuisée, mais elle eut une autre pensée en regardant Pisces et Ceria en train de se disputer dans un coin.

“J’ai un problème.”

Tout le monde se tourna vers elle, et Ryoka réalisa qu’elle n’aurait pas dû dire ça à voix haute. Mais il était trop tard à présent. L’esprit épuisé de Ryoka ne pouvait pas gérer les subtilités et ne se focalisait à présent que sur le problème qui lui trottait dans la tête depuis qu’elle avait pris la route.

“Est-ce que vous pouvez savoir si quelqu’un m’a jeté un sort qui m’altère l’esprit ?”

Demanda-t-elle à Pisces et Ceria. Les deux mages cillèrent et échangèrent un regard, puis vinrent s’asseoir à leur table.

“De la magie psychique ? Quoi, quelqu’un t’a jeté un sort, Ryoka ?”

“Peut-être. Je ne sais pas. Vous pouvez me tester ?”

C’était juste quelque chose que les fées avaient dit. Mais les seules personnes à qui Ryoka faisait un peu confiance étaient les deux personnes devant elle. Ceria et Pisces échangèrent un nouveau regard et acquiescèrent. Ils étaient étrangement synchronisés, parfois.

“Il y a un moyen facile de vérifier, même si c’est bizarre. Normalement, un sort qui altère l’esprit reste caché jusqu’à ce que la victime s’en rende compte. Et naturellement, la magie les empêche de réaliser que quelque chose ne va pas. Mais si tu penses que tu es affectée par un sort, ça devrait marcher.”, lui expliqua Ceria en levant la main.

Les extrémités de ses doigts brillaient d’une lumière verte. Devant elle, Pisces ferma les yeux et ses doigts se mirent à briller d’une lumière bleue.

“[Détection de Magie].”

Pisces et Ceria lancèrent le sort au même moment et se fusillèrent du regard. La pièce s’éclaira d’un coup.

Ryoka et Erin poussèrent un cri étouffé en voyant Val exploser soudain de couleurs comme un arbre de Noël. Des auras magiques tourbillonnèrent autour de lui, en se regroupant par taches sur sa personne. Ses poches, des portions de sa ceinture…

Chancre. Tu avais raison, Ryoka !”

Ceria pointa Ryoka du doigt. Elle regarda autour d’elle, et remarqua une autre lueur qui provenait d’elle, cette fois. C’était difficile à voir, mais c’était quelque chose qui… tourbillonnait autour de sa tête ? Quelque chose de lumineux, comme un halo de smog. Erin le regarda fixement.

“Hey ! Ta ceinture brille aussi !”

C’était vrai. Certaines potions de Ryoka luisaient faiblement, mais l’une d’entre elles - la potion rose-orangé que Teriarch lui avait donnée - brillait intensément. Val siffla.

“Il y a de la magie là-dedans.”

Pisces et Ceria avaient également leur propre aura de couleurs lumineuses. En fait, il n’y avait qu’Erin et Olesm sans aura de couleurs. L’auberge était pleine d’auras magiques qui sortaient de différents endroits. Val, Ryoka, Ceria, l’échiquier, Pisces…

“Eh bien, il est certain qu’il y a un sort puissant qui t’affecte.”

Les deux mages annulèrent leur sort et l’auberge revint à son panel habituel de couleurs. Tout parut soudain terne et ordinaire. Ceria regarda fixement la tête de Ryoka, et secoua la tête.

“Tu es enchantée. Et il s’agit d’un enchantement tellement puissant que je ne suis pas sûre de pouvoir y faire quelque chose. Je suis désolée, Ryoka.”

“Je sais que je ne peux rien y faire.”

Pisces se rassit sur sa chaise, les yeux écarquillés. Il prit le verre de Val et le vida.

“C’est de la magie d’échelon… 6 ? D’échelon 7 ? Qui as-tu donc mis en colère pour qu’il te jette un sort pareil ?”

“J’ai bien une idée. Bordel.”

Ryoka soupira, frustrée mais animée d’un juste désir de vengeance. Elle avait raison. Et peut-être que les fées… nah. Impossible. Mais comment avaient-elles pu savoir ?

Val fronça les sourcils, puis plongea la main dans ses poches.

“Tu es pleine de surprises, n’est-ce pas ? Attends ; tiens. Prends ça.”

Il sortit quelque chose de sa poche et le montra à Ryoka et au reste de l’assemblée.

“J’ai une amulette puissante que j’utilise pour me protéger contre ce genre de magie. Elle vaut plusieurs milliers de pièces d’or, donc elle devrait enlever tout ce qui t’affecte.”

“Oh ! Je connais ces trucs !”

Erin regarda attentivement d’un œil brillant le charme qui pendait à la main de Val. Ryoka reconnaissait aussi l’objet. C’était un attrape-rêve, un cercle dans lequel on avait tissé des fils dans une forme symétrique, comme une toile d’araignée.

La seule différence ici était que cet attrape-rêves-ci était beaucoup plus petit que ceux que Ryoka et Erin connaissaient - à peine plus gros que le pouce. Et le cadre était fait de métal et non pas de bois. Mais les fils étaient beaux, chacun formant une ligne de couleur miroitante qui rejoignait les autres au centre de l’amulette dans un motif captivant.

“Tiens. Plaque-le simplement sur ta tête et il annulera tous les enchantements que tu as sur toi.”

Val tendit l’attrape-rêves à Ryoka qui le regarda d’un air incertain.

“Tu es sûr ?”

Il haussa les épaules.

“Ce n’est pas un objet à usage unique, et si tu es enchantée, tu vas avoir besoin de quelque chose de puissant pour te débarrasser du sortilège. Considère ça comme un service d’un Coursier à un autre.”

“Huh. Euh, merci.”

Dès qu’elle le prit dans sa main, le petit charme se mit à bourdonner. Val hocha la tête.

“Tu es sous l’emprise de quelque chose.”

Ryoka leva le charme, et le bourdonnement se mua en un gémissement sourd. Val fronça les sourcils.

“Il ne devrait pas faire ce bruit. Attends une…”

Trop tard. Ryoka pressa le charme contre sa tête. Elle sentit le métal chauffer, puis il refroidit. Ryoka baissa l’amulette et la contempla d’un air médusé.

“Je ne suis pas sûre qu’il se soit passé quelqu…”

Il y eut un déclic dans sa tête. C’était comme si Ryoka avait un sentiment de déjà-vu, mais le sentiment était mille fois plus fort. Elle cilla. Des souvenirs, des souvenirs oubliés se ruèrent sous son crâne. Ainsi qu’un mot.

Un mot, dont l’écho résonnait dans sa tête.

Dragon.

Le gémissement qui provenait de l’attrape-rêves devint soudain un hurlement. Olesm plaqua ses mains sur ses oreilles et Pisces et Ceria plongèrent au sol.

L’attrape-rêves explosa, rejetant Ryoka en arrière. Val s’écarta comme un maelström, et Erin retint son souffle lorsque des morceaux enflammés disparurent à quelques centimètres de son visage.

Ryoka fut catapultée par-dessus la table, renversant l’assiette vide de Pisces. Elle s’écrasa violemment au sol et la porcelaine vola en éclats sous son poids. Elle sentit quelque chose se tordre dans son épaule.

“Ryoka ! Tu vas bien ?”

Erin s’accroupit à côté de Ryoka, examinant d’un air inquiet le visage de son amie. Ryoka allait bien, elle n’était que meurtrie et étourdie. Mais elle ne répondit pas immédiatement. Ses yeux clignotaient. L’attrape-rêves avait fonctionné.

Elle se souvenait. Elle se souvenait de tout.



 
Maroti
   
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2.17
Traduit par Maroti
Partie 1

Ryoka tituba dans la cave, ensanglantée. Mourante. Chaque pas était une agonie. Elle sentait sa chair tranchée et les fragments de pierres plantés dans sa peau éroder sa santé mentale.

La douleur. Elle ne savait pas pourquoi elle continuait de bouger. Mais Ryoka titubé en avant, la pierre se changea en marbre. La pièce était remplie de trésors faits d’or et de magie.

Elle laissa des traces de pas rouges en avançant, oubliant la douleur pendant une seconde. Les merveilles autour d’elle étaient bien plus glorieuses que tout ce qu’elle avait pu voir dans un muséum. Des œuvres d’art aussi resplendissantes que les plus belles pièces du Louvre étaient accrochées à côté d’épées qui brillaient de magie. Oui, c’était dans l’air.

La magie.

Ryoka sentit son cœur battre faiblement dans son cœur. Elle entendit un courant d’air, et les murs de la caverne s’ouvrirent et c’est à cet instant que son cœur décida d’arrêter de battre.

Car au centre de cette caverne au miracle se trouvait un Dragon.

Un Dragon. Une massive créature quatre fois plus grande qu’une maison, sommeillant sur le marbre froid. Une créature toute droite sortie des mythes et des rêves.

Serpent. Wyrm. Drake. Arach. Naga. Ormr. Tanniym. Vovin. Draak. Drage. Draeke.

Dragon.

Le massif dragon était en train de dormir dans un espace libéré situé au centre de la caverne. Ryoka s’arrêta. Elle le regarda. Ses écailles brillaient alors que la lumière les touchait, brillante d’une telle majesté que son cœur en souffrait.

Ses yeux se remplirent de larmes. Ryoka tomba à genoux alors que son sang couvrit le sol de marbre. Elle s’en fichait. Cela valait le coup. Tout cela valait le coup.

C’était un spectacle digne d’être vu avant de mourir.

« Hm. Qui est là ? »

Sa tête bougea. Le dragon ouvrit ses yeux et baissa le regard vers Ryoka. Elle croisa ses yeux immenses pupilles, une céruléenne et l’autre héliotrope. Des lumières célestes scintillaient en leur sein.

Pendant un moment, Ryoka comprit la magie. Elle regarda en leur centre ; la raison de pourquoi la magie existait. Un fragment de la vérité. Un morceau d’éternité. L’œil d’un dragon.

Ses yeux roulèrent à l’arrière de son crâne. Ryoka tomba en avant et son nez se cassa alors qu’elle s’écrasa au sol.

Le Dragon grommela profondément. Il regarda autour de lui et laissa échapper un soupir devant piste sanglante.

« Je vais devoir nettoyer tout ça, n’est-ce pas ? Et réparer le nez. Et utiliser un sort pour ses souvenirs. Franchement, voilà pourquoi les humains sont… »


***

Elle s’en rappelait.

« Éveille-toi, humaine. »

Ryoka ouvrit ses yeux. Elle se redressa et resta assise sur le sol, se rendant compte qu’elle n’avait plus mal. Elle était soignée ? Soignée ! Comment ?

C’était un miracle. Puis Ryoka remarqua le vieil homme se tenant devant elle. De longues robes blanches couvraient un corps à peine touché par le temps. Ses yeux vairons étaient baissés vers elle alors qu’il lui fit un signe.

« Debout, humaine. »

Ryoka se releva. Elle ne pouvait pas s’en empêcher. Sa mâchoire se décrocha quand elle vit les oreilles pointues et le visage parfait du vieil homme.

« Mm. Tu dois être épuisé de ton voyage. Je l’admets ; il est inhabituel pour moi de trouver l’un d’entre vous dans un tel état. Mais j’ai soigné tes blessures. Je présume que tu es la Courrière que j’ai demandée ? »

Ryoka cligna des yeux. Elle regarda le vieil homme bouche bée. Il fronça des sourcils en la regardant.

« Bonjour ? Peux-tu m’entendre ? »

L’humaine ne répondit pas. Teriarch regarda autour de lui, fronçant les sourcils.

« Quoi ? Qu’est-ce… »

Il tourna sa tête vers le mur de la caverne et s’arrêta.

« Ah. »

L’illusion de Teriarch était parfaite. Il ressemblait exactement à un humain normal, à part pour sa perfection et ses traits elfiques. Mais il avait oublié un aspect important.

Ryoka regarda l’ombre du dragon s’étendant sur l’un des grands murs de la caverne derrière Teriarch. Cette dernière s’entendait d’en-dessous de ses robes, jusqu’à refléter parfaitement le dragon, et non l’illusion.

« Mon dieu. Qu’e… »

Teriarch soupira. Il pointa Ryoka du doigt, et elle sentit sa tête se vider.

« Essayons de nouveau. »


***

Des souvenirs la balayèrent comme une vague. Des mots.

Teriarch regarda longuement Ryoka, immobilisée par sa magie. Il fronça les sourcils, avant de tapoter du doigt sur ses lèvres, pensif.

« Que s’est-il passé dans le monde pendant que je dormais ? »

Ryoka cligna des yeux. Pendant qu’il dormait ?

« Depuis combien de temps dormez-vous ? »

« Ah. Je veux dire… »

Teriarch cligna des yeux plusieurs fois en regardant Ryoka, avant de faire passer sa baguette devant son visage.

« Oublie cela. »

Ryoka cligna des yeux. Teriarch fronça des sourcils. Il s’arrêta, avant de parler.

« Je souhaite connaître tous les majeurs conflits actuels entre plusieurs nations, les nouvelles technologies ou sorts inventés, les monstres légendaires aperçut ou vaincus, et tout changement de cette nature. Dit-moi les nouvelles que tu as entendues ces dernières années environ. Ce qui s’est déroulé pendant que j’étais… Reclus ici ? »

L’humaine s’arrêta, avant de hausser les épaules. Même lié par un sort de vérité, son ton projeta une bonne dose d’insolence.

« J’sais pas. »

« Pardon ? »

« Je ne fais pas attention aux nouvelles. Vous savez probablement plus de choses que moi. »

Teriarch souffla, agacé, avant de regarder Ryoka, le sort de vérité était toujours actif. Il changea de sujet.

« Est-ce que tu sais au moins si Magnolia Reinhart est toujours en vie ? »

« … Oui. »

Il hocha sagement la tête, caressant sa barbe.

« Fort bien. Fort bien. C’est une bonne nouvelle. Alors, as-tu entendu parler d’une étrange enfant nommée Ryoka Griffin ? Elle est une Coursière, comme toi, probablement d’un niveau élevé dans la classe de [Coursière], contrairement à toi. »

Ryoka ouvrit la bouche et Teriarch continua, irrité.

« Même si je ne sais pas pourquoi Reinhart veut que je retrouve cette maudite fille, je n’imagine pas pourquoi. Est-ce que j’ai l’air d’avoir le temps de chercher une gamine agaçante ? »

« … Ne venez-vous pas de dire que vous ne saviez pas si Magnolia était en vie ? »

Teriarch s’arrêta et pointa sa baguette vers Ryoka.

« Oublie aussi cela. Je ne connais pas de Magnolia Reinhart. »

Il s’arrêta, avant de changer son ton. Teriarch regarda Ryoka.

« Maintenant, dit moi qui est Ryoka Griffin. Reinhart a dit… Malédiction ! »

Il pointa de nouveau sa baguette vers Ryoka et elle oublia. Teriarch ferma ses yeux. »

« Voilà pourquoi… »


***

Ryoka s’arrêta et regarda l’immense épée accrochée à l’un des murs de la caverne. Elle était trop large pour être utilisée par un humain, voir un Minotaure. Teriarch caressa sa barbe avec fierté.

« Ah. Es-tu en train d’admirer ma collection ? Cela a été l’arme d’un géant, il y a fort longtemps. Je lui ai pris quand… Enfin, c’est une autre histoire. Remarque l’excellent forgeage de la lame. »

« Tout cet or et ces objets magiques… »

Ryoka regarda la pièce, libéré du sort de Teriarch. Elle regarda une pile de rubis, tous plus gros que son poing.

« Je suis un… Collectionneur. »

« Ce n’est pas une collection. Ca ressemble plus à un… Trésor ? »

Teriarch agita précipitamment ses mains devant le visage de Ryoka.

« Ce n’est pas un trésor. Tu ne penseras pas que c’est un trésor. »

Ryoka cligna des yeux, le regard vide, pendant quelques secondes et Teriarch s’arrêta. Puis il parla de nouveau.

« Aimes-tu ma collection ? Je l’ai amassé depuis tous les recoins du monde. »

Elle regarda autour d’elle, admirant sa magnificence pour la première fois. Ryoka devait l’admettre, c’était plus qu’époustouflant.

« Comment avez-vous amassé tant de trésors ? Ils semblent… Magiques. »

« Oh, bien sûr qu’ils sont magiques. Mais j’ai mes moyens. De plus, quand tu as la possibilité de voler, amasser tant de trésors est relativement simple. »

Ryoka regarda Teriarch. Il s’arrêta, et déglutit.

« Voler avec de la magie, c’est ce que je voulais dire. Je ne connais pas d’autre moyen de voler, bien sûr. »

Les yeux de Ryoka se plissèrent légèrement.

« Certainement. »

« Bien sûr. Ahem. Remarque l’Orbe de Scrutation. Elle est scellée dans du jade pure et enchantée avec plusieurs sorts d’amélioration qui augmente la portée et la puissance du sort. »

Ryoka la regarda et se figea. Teriarch la regarda avec inquiétude.

« Quoi ? L’ai-je laissé allumer ? »

Il la regarda et jura.

« Par la barbe de Tamaroth ! »

L’Orbe de Scrutation reflétait la pièce dans laquelle ils se tenaient. Elle montrait une petite humaine se tenant devant un dragon dorée. Cette fois le juron de Teriarch fit trembler la caverne.

Teriarch pointa une griffe vers Ryoka alors qu’elle se retournait pour courir. Il parla sèchement.

« C’en est trop. Oublie tout ce que viens de voir sauf la partie où je t’ai donné tes instructions. Sors. Reviens dans deux minutes. »

Ryoka se retourna et sortit de la caverne. Teriarch lança un regard irrité à l’orbe magique et sa queue fit un mouvement pour la pousser de son piédestal. L’orbe se brisa contre un mur dans une explosion de brume et de magie.

« Maudite babiole. »


***

Encore une fois. Un dernier souvenir fit trembler Ryoka sur le plancher de l’auberge.

La potion puante gardait tous les monstres à distance. Ryoka ne pouvait s’empêcher de sourire alors qu’elle marchait vers l’entrée de la cave de Teriarch. Mais elle se figea. Elle vit quelque chose bouger plus loin sur le sentier en pente.

Le mouvement ne dura qu’une seconde. Mais Ryoka vit quelque chose se cacher derrière un gros rocher alors qu’elle s’arrêta. Elle se figea sur place, et sa main alla à sa taille. Elle avait un couteau qu’elle utilisait pour camper à sa ceinture. Normalement elle se battrait avec ses mains, mais…

La chose sortit sa tête, et Ryoka serra le manche assez fort pour faire craquer ses phalanges.

La chose semblait vaguement humaine. Elle avait une tête humaine, un torse normal et des jambes qui dépassaient légèrement du rocher. Mais elle était nue.

Et elle était anormale.

Son visage n’allait pas. L’un de ses yeux penchait sur la droite jusqu’à presque être vertical, et l’autre regardait dans la direction opposée au premier.

Une petite pupille regarda Ryoka à travers la trentaine de mètres les séparant. Puis la chose sortit de derrière le rocher et Ryoka se figea. Son esprit fut envahi par la terreur. Cela ne devrait pas pouvoir bouger comme ça. C’était…

La chose tendit une main vers elle, un horrible bras griffu s’étira vers elle, réduisant la distance. De la chair s’allongea comme du chewing-gum, la peau s’arrachant et partant pour révéler quelque chose de rouge et de pulsant en-dessous. Ryoka ne pouvait pas bouger. Son corps était envahi par la terreur. Les doigts de la chose s’approchèrent de son visage…

Et un rugissement envahi l’air. La créature la tête, et son bras se rétracta en un instant. Il se retourna et commença à courir alors qu’une immense ombre plongea le monde de Ryoka dans les ténèbres. Elle leva la tête.

Teriarch vola au-dessus d’elle, des écailles dorées illuminant la montagne en reflétant la lumière du soleil. Il se posa, provoquant une secousse qui mit Ryoka à genou. Elle ne pouvait que le fixer.

La massive tête de Teriarch se tourna subitement vers la chose en fuite, qui courrait de manière erratique et désordonnée vers un tournant du canyon. Il cracha du feu vers elle, un jet de flamme concentré qui frôla la créature et la manqua de peu. Puis la créature disparue.

Le dragon, Teriarch, soupira et regarda Ryoka. La Ryoka de cet instant n’avait pas la moindre idée de qui il était, et elle ne pouvait que le regarder, pétrifiée. Sa voie était telle une avalanche entendue au loin.

« Tu dois être plus prudente, Ryoka Griffin. Des choses plus sombres rodent dans les Hautes Passes. Elles ne sentent pas, ou si elles le font, elles ont une opinion différente de la nôtre. »

Il haussa les épaules, comme si cette menace n’avait pas d’importance. Pour lui, c’était le cas.

« Entre. Nous devons discuter. Oublie ce que tu viens de voir. Cela ne sera qu’un fardeau.

Ce n’est qu’à cet instant que les Fées de Givres revinrent, riantes, et que le Dragon vola de nouveau dans sa caverne avant de cracher du feu. La mémoire de la… Chose… Disparue de l’esprit de Ryoka alors qu’elle s’avança vers Teriarch.


Elle avait oublié, mais désormais elle s’en rappelait. Elle s’en rappelait. Elle savait. Et le savoir était glorieux. Elle en avait vu un. Une légende en chair et en os.

Un dragon.

***

Erin regarda Ryoka avec inquiétude alors que la jeune femme gisait au sol, regardant le plafond avec des yeux vides. Elle regarda Val et les autres.

« On ne devrait pas faire quelque chose ? Ca fait presque trente minutes. »

Ceria secoua la tête. Elle était assise dans une chaise, regarda intensément Ryoka. Elle n’avait pas laissé Erin ou quelqu’un d’autre toucher Ryoka, sauf pour la mettre dans une position plus confortable.

« Il ne vaut mieux pas le faire, surtout si elle éprouve quelque chose de magique. Le mouvement peut changer sa perception et affecter son esprit. À moins que tu as une opinion différente, Pisces ? Tu en sais plus que moi sur les sorts de manipulation mentale. »

Erin regarda Pisces. Il était aussi en train d’observer intensément Ryoka. Elle se souvenait que, en effet, il connaissait des sorts d’illusions, comme celui qu’il avait utilisé lors de leur première rencontre.

Mais il secoua sa tête, perdu dans ses pensées.

« C’est bien au-delà de mes capacités. Est-ce que quelqu’un d’autre a remarqué qu’il y avait un sort d’alerte lié au premier sort ? »

« Je l’ai vu. »

Olesm parla depuis une table éloignée. Val hocha la tête. Il s'était agenouillé à côté de Ryoka, étudiant son visage.

« Tout comme moi. Le sort a brisé un puissant charme. J’ai besoin de voir un [Mage] à ce propos. On m’avait dit que mon charme était capable de stopper les sorts et de retirer tous les types enchantements. »

« C’est de la vantardise dénuée de sens. »

Les mots de Ceria furent les derniers prononcés pendant un long moment. Tout le monde regardait Ryoka dormir, ou rêver, en silence.

Erin s’inquiétait. Elle n’était pas certaine que Ryoka et elle étaient de bons amies, elles n’avaient passées qu’une journée ensemble, mais elles avaient sauvées Ceria et combattues des monstres, donc cela devait compter pour quelque chose.

Elle avait l’impression qu’une heure venait de passer, mais la réalité fut que Ryoka se releva soudainement après quelques minutes, prenant de grandes inspirations paniquée en se tenant la tête.

« Ryoka ! »

Erin bondit vers elle, mais Val était plus proche. Il aida Ryoka en lui présentant une main qu’elle agrippa en regardant autour d’elle.

« Doucement. Ryoka, est-ce que tu vas bien ? Est-ce que le charme a marché ? »

« Quoi ? Quoi ? Je… Je vais bien. Oui, ça a marché. »

Ryoka regarda la pièce, les yeux écarquillés et à bout de souffle. Ceria abandonna son fauteuil pour s’approcher, et Olesm bougea à une table plus proche.

« Qu’est-ce que tu as vu ? Est-ce que tu te souviens de quelque chose d’important ? »

« Je… C’était… »

Ryoka ferma ses yeux. Quand elle les rouvrit, quelque chose passa derrière son regard alors qu’elle secoua la tête. Erin vit une étincelle de tristesse, de joie, avec un soupçon de peur, mais plus que tout, il y avait de l’émerveillement dans ses yeux. C’était une expression qu’elle n’avait jamais vu Ryoka faire.

C’était… Innocent. Contrairement à l’expression habituelle de Ryoka, qui oscillait entre quelque chose d’impossible à lire et une expression butée.

« C’est un secret. Je suis désolé. Mais je ne peux rien dire. »

« Mince. Tant pis. »

Val secoua sa tête. Il était en train de ramasser les fragments carbonisés de l’attrape-rêve. Erin doutait vrament qu’il puisse les réparer, mais peut-être qu’ils étaient encore utiles ? Elle commença à l’aider à ramasser les morceaux.

« Je, heu, suis désolé pour votre charme. »

Ryoka regarda les morceaux au sol, et ses vêtements roussis. Val soupira avant d’hocher la tête et Erin le regarda.

« Est-ce que le charme était coûteux ? »

« Tu peux dire ça. Il m’a coûté plus d’un millier de pièces d’or. »

« Un milli… »

Pisces s’étouffa et recracha une gorgée d’eau. Ceria regarda les restes calcinés de l’attrape-rêve et Ryoka devint pale.

« Je peux te repayer. J’ai une livraison… »

Val agita sa main devant elle, faisant taire Ryoka. Il la regarda sérieusement.

« Dit moi, d’un Coursier à l’autre. Est-ce que ça valait le coup ? »

Ryoka hésita. Avant de hocher fermement la tête.

« Alors oublie le prix. C’était ma décision de te le donner, je m’en souviendrais comme leçon sur ce que je dois donner ou non. Après, est-ce que cela était une erreur ou non… »

Il hocha les épaules, avant de sourire.

« Aujourd’hui est plein de surprise, hein ? »

Pisces et Ceria regardèrent Val bouche bée, et il était possible de ramasser la mâchoire d’Olesm du plancher, mais Ryoka se contenta de sourire. Elle ferma sa main et regarda par-delà son poing. Elle sourit, avec tant de sincérité qu’Erin en était surprise.

« Merci. Ça valait le coup. »

« De rien. Nous devons prendre soin des nôtres, pas vrai ? »

Mille pièces d’or en magie ne semblaient pas ne ‘rien’ être pour Erin, mais Val mit les quelques morceaux calcinés dans un sac qu’il mit dans sa ceinture. Et c’était tout. La dette était oubliée. C’était tellement cool qu’Erin ne trouvait pas les mots.

Val était un bon gars. Erin sourit, se précipita dans la cuisine, et en ressortit avec un hamburger fumant qu’elle mit devant lui.

« Je ne peux pas rembourser tout ça, mais c’est la maison qui offre. »

Il avait été pour Ryoka, mais l’autre femme était toujours en train de regarder dans le vide, et Erin ne pensait pas qu’attendre quelques minutes allait la déranger. Val regarda le hamburger. Il en avait déjà mangé quatre, mais son estomac grommela. Il sourit à Erin.

« Tu es très gentille. Mais, ah, est-ce que je pourrais avoir un peu de ce truc rouge dessus ? Comment est-ce que tu l’as appelé ? »

« Du ketchup. Mais c’est un supplément. Faut payer. »

Val cligna des yeux en direction d’Erin qui lui fit un grand sourire.

« Je plaisante ! »

***

Ryoka était toujours en train d’essayer de remettre ses idées en place quand Erin s’approcha d’elle avec de la nourriture. Ryoka leva son burger à sa bouche, les yeux dans le vide.

Peut-être que c’était un testament à la nostalgie, le fait que les talents de cuisinière d’Erin s’étaient amélioré, ou la famine de Ryoka, mais ce fut ça qui la ramena sur terre. Oui. Un bon hamburger pouvait effacer l’émerveillement d’avoir rencontré un dragon.

Du moins pendant dix secondes, qui fut le temps nécessaire pour que Ryoka avale son burger. Erin lui en apporta un autre, et Ryoka refit le tour de magie.

« Tu es certaine que tu devrais manger aussi vite ? »

Erin posa la question à Ryoka alors que le second burger se changea en miette sous ses yeux. Ryoka cligna des yeux vers Erin, et la fille leva les mains en l’air, exaspéré.

« D’accord. Mais c’est toi qui nettoies si tu vomis. Toren est toujours absent, et je ne le fais pas. »

« C’est normal. Est-ce que je peux en avoir deux autres ? Trois ? »

C’était tellement bon de manger de la nourriture de son monde ! Mais Ryoka ralentie alors qu’Erin lui apporta son troisième burger. Elle était affamée, autant à cause de sa course que de ses souvenirs.

Val était assis à côté d’elle, mangeant des frites qu’Erin avait faites. Il en trempa une dans le ketchup et regarda Ryoka.

Il n'était vraiment pas ce à quoi elle s’attendait. Et le charme qu’il avait perdu à cause d’elle…

« Encore merci. »

Il haussa les épaules.

« Ca arrive. Je préfère découvrir que mon charme peut être surchargé ici que d’avoir des problèmes sur la route. De plus, le mage qu’il me l’a donné va me faire une remise… Elle a intérêt de le faire, vu qu’elle m’a promise qu’il ne se casserait jamais. Je devrais être capable de le racheter en quelques livraisons.

« Vraiment ? Combien est-ce que tu te fais par livraison ? »

Val regarda le plafond, pensif, en mâchant une frite.

« Quarante pièces d’or ? Je peux me faire mille ou deux mille si la zone est dangereuse ou si j’ai besoin d’être rapide. »

« Quarante… ?»

Ceria s’étouffa sur un morceau de patate et Olesm lui tapa le dos jusqu’à ce qu’elle le recrache. Val semblait amusé.

« Ce n’est pas tant que ça. Les nobles ont assez d’argent à jeter par la fenêtre, et n’importe quel aventurier de Rang Or peut gagner mille fois plus que ça s’ils ont de la chance dans un donjon. »

« L’argent est différent d’où tu viens, je suppose. Ici, les pièces d’or valent beaucoup. »

Erin parla en remplissant les verres des deux Coursiers. Olesm hocha la tête, mais Val haussa les épaules.

« Il y a une différente monnaie parmi les hauts-niveaux. Une fois le Niveau 30 dépassé, tu deviens… Un sur mille sur le continent ? Quelque chose du genre. Tes compétences deviennent tellement demandées que tu peux te faire plus d’argent que n’importe qui d’autre. Et bien sûr qu’une personne avec une classe touchant à la gestion de terres ou à l’achat et à la vente de biens gagnera des milliers de pièces d’or chaque mois. »

Ryoka dut secouer sa tête, même si le parallèle avec son monde n’était pas si éloigné que ça. Erin soupira, imaginant ce qu’elle ferait avec tant d’argent et s’assit à la table de Val, lui faisant un sourire.

« Je suis contente que tu sois venu ici. Contrairement à certaine personne, tu payes pour ta nourriture et tu as aidé Ryoka. Donc dès que tu veux revenir pour une nuit ou pour manger, je serai heureux de te servir. »

Val semblait épris de regret.

« Je doute que tu vas me voir dans le futur proche. Je ne fais pas souvent de livraison aussi loin au sud. »

« Vraiment ? Mais tu es un Courrier. Tu ne livres pas partout ? »

« D’une certaine manière. Mais ma zone est généralement autour de Port Fondateur. Je suis loin, même pour moi. En vérité, je suis surpris que j’aie été appelé pour cette livraison. Normalement, il y a un autre Coursier qui fait les livraisons dans le coin, mais apparemment il a été occupé à cause de quelques problèmes avec les morts-vivants dans la zone. »

« Un autre Courrier ? »

C’était la première fois que Ryoka entendait parler de ça. Elle se demandait si c’était un Drakéide ou un Gnoll. Val hocha la tête, il fit un geste vers la fenêtre tourner vers Liscor avec son pouce.

« C’est un Garou nommé Épervier. Je l’ai rencontré quelques fois. Il est assez rapide pour faire l’aller-retour à Port Fondateur. Je ne sais pas pourquoi il ne l’a pas prise, mais apparemment, il y a eu des problèmes avec les mort-vivants, et c’est pour ça qu’il serait indisponible. »

Épervier ? Ryoka ne connaissait pas ce nom, contrairement à Erin. Ses yeux s’écarquillèrent.

« Oh, je l’ai rencontré hier ! Il est tellement mignon ! »

Ryoka cligna des yeux en regardant Erin. Mignon ?

Val rit bruyamment, et hocha plusieurs fois la tête.

« Hah ! Il l’est, pas vrai ? Il ne faut pas lui dire en face. Il se bat encore mieux que moi, et il n’aime pas que les humains se moquent. »

« Mais il l’est. Je veux dire, il mange aussi de la viande. C’est pas bizarre ? »

« Pourquoi? Il n’est pas comme un animal, est-ce que ça serait bizarre si les Drakéides mangeaient du lézard ? »

Val et Erin regardèrent Olesm. Le Drakéide était en train d’apprendre à Ceria à jouer aux échecs, mais quand il entendit ça il se retourna, une inhabituelle grimace sur le visage.

« Nous ne sommes pas des lézards ! »

« Désolé ! »

Val leva une main et se reconcentra sur sa conversation avec Erin.

« En vérité. Je suis surpris d’avoir été nécessaire. Cet endroit à deux personnes avec une vitesse de Courrier. L’un est Épervier, et je connais l’autre uniquement par sa réputation. Est-ce que tu as entendu parler de lui ? Il est connu sous le nom de Gecko par certains Courriers qui l’ont rencontré. »

« Gecko ? Comme un lézard ? »

Les épaules d’Olesm se courbèrent. Erin jeta un torchon roulé en boule à sa tête, et le projectile rebondit dessus.

« Je ne parle pas des Drakéides ! »

Elle regarda Val et Ryoka avant de secouer sa tête.

« Je n’ai jamais entendu parler de quelqu’un nommé le Gecko. Bizarre. Il y a plein de personnes connues à Liscor que je ne connais pas. »

« Enfin, peut-être qu’il, ou elle, est uniquement connu par les Coursiers. Je suppose que les autres gens ne doivent pas autant y prêter attention. »

« Hm. Enfin, tu sais, Ryoka est super rapide ! Je parie qu’elle pourrait être une Courrière aussi ! »

Ryoka et Val regardèrent Erin, et elle se sentit rougir. Elle ouvrit la bouche, mais Val lui coupa la parole.

« Un Courrier a besoin de beaucoup d’expérience. Un jour peut-être, mais pour l’instant elle est l’une des plus rapides Coursières de Villes que j’ai rencontré. Ce qui est encore plus impressionnant en sachant qu’elle n’a pas de niveaux. »

« Oui… Je suppose. Mais Ryoka est douée ! Est-ce que tu peux lui donner un coup de main ? Je sais pas, genre, parler aux gens pour lui donner un test ou un truc du genre ? »

Val frotta son menton de manière pensive et hocha la tête.

« Si tu veux essayer de devenir Courrière, je peux essayer d’avoir quelques Guildes de Coursiers lui donner des requêtes longues distances. Tu en penses quoi, Ryoka ? »

Val regarda Ryoka. Elle cligna lentement des yeux en regardant la table.

« Mm. »

Val et Erin regardèrent Ryoka et se rendirent compte que la fille était en train de piquer du nez dans son assiette. La tête de Ryoka était tellement remplie de statique qu’elle entendit à peine les deux changer de siège. La potion de stamina avait arrêté de faire effet, et tout ce qu’elle voulait faire… était… dormir…

La tête de Ryoka descendit. Son visage se posa dans son burger et elle se redressa. Il était quelle heure ?

Le soleil était toujours debout, et Val était toujours dans l’auberge. Mais il était à la porte, en train de parler à Erin.

« C’est un bon endroit que tu as, et ta nourriture est unique. Je vais faire quelques courses en ville et revenir ici ce soir. A moins que tu attends une foule ? »

Erin grimaça.

« J’attendais une foule, mais il semblerait que tout le monde en ville est déjà en train de faire des hamburgers. Reviens, car j’ai de quoi faire plein à manger, d’accord ? »

« Je ne dirais pas non à plus de ces patates frites. Et je reviendrais, même si tu ne fais que des hamburgers. »

« Je vais faire des Philly cheesesteaks! »

« Pourquoi est-ce que tu mets toujours le mot ‘fromage’ dans tes plats ? Cheeseburger, cheese steak… Je veux dire, le fromage n’est pas l’ingrédient principal, alors pourquoi ? »

Olesm gratta ses épines. Il regarda autour de lui pour savoir si quelqu’un partageait son avis, mais se retrouva seul.

Val ouvrit la porte et fit un salut en portant deux doigts à son front à Erin, puis il s’arrêta. Plusieurs Fées de Givres étaient autour de la porte, riant. Val leur jeta un coup d’œil prudent.

« Je déteste ces choses. Elles ne me lâchent pas lors de mes voyages et je n’arrive pas à les perdre qu’importe ma vitesse. »


« Hah ! Le petit garçon pense pouvoir nous distancer? Quelle blague ! »


Val esquiva une boule-de-neige qui entra dans l’auberge et renversa les pièces de l’échiquier qu’Olesm et Ceria utilisaient. Il s’en alla en laissant derrière lui le douloureux cri du Drakéide, il baissa la tête en courant vers Liscor, les fées le talonnant.

Erin mit les mains sur ses hanches et secoua la tête en regardant par la fenêtre.

« Nous devons faire quelque chose pour ces fées. Elles sont vraiment méchantes. Tu ne vas pas croire ce qu’elles m’ont fait tout à l’heure, Ryoka. Ryoka ? »

Ryoka piquait du nez, mais elle redressa la tête et regarda Erin.

« Quoi ? »


« … C’est pas grave. Tu sais, j’ai beaucoup de lits à l’étage si tu veux dormir. Nous pouvons parler plus tard. »

« … Non. Non, je vais rester éveiller jusqu’à ce soir. »

Si elle dormais maintenant, elle n’allait jamais dormir ce soir, et elle n’avait pas la motivation de rester éveillé 24 heures pour régler le problème. Elle fronça les sourcils, et se pinça fort.

« Ça va aller. Qu’est-ce que tu vas faire ? »

Erin haussa les épaules et regarda la position du soleil dans le ciel.

« Je comptais ouvrir l’auberge toute la journée, mais vu que personne ne vient… Je suppose que je vais acheter plus de nourriture pour ce soir. Je veux faire des stocks, et Selys à envie d’aller aux bains publics ensemble. Tu veux venir ? Tu pourras rencontrer Krshia et tout… laver. »

Cela semblait être un bon plan pour Ryoka. Non pas la partie ou elle allait à Liscor ou celle où elle allait rencontrer la Gnolle, mais un bain chaud serait parfait. Elle hocha la tête.

« D’accord. »

Elle était toujours épuisée quand Erin et elle marchèrent vers la ville, laissant Olesm, Ceria et Pisces s’occuper de l’auberge. Erin avait confiance en Ceria pour surveiller les deux autres, et il semblait qu’ils allaient jouer aux échecs au lieu de causer des problèmes. Il semblerait que les [Mages] aimaient autant le jeu que les [Tacticiens].

Les potions de stamina. Ryoka savait qu’elle avait réussi à rejoindre Liscor aussi vite uniquement parce qu’elle en avait pris une. Elle avait l’impression que son corps était fait de plomb, et ses yeux n’arrêteraient pas de se fermer si elle ne se concentrait pas.

Parler était encore plus difficile, mais Ryoka était curieuse de savoir pourquoi Val était venu aussi loin pour retrouver Erin.

« Tu as envoyé un puzzle d’échec ? »

« Ouais. Il n’était pas super difficile, mais compliqué quand même. Je suppose que ça a intéressé la personne qui avait envoyé le puzzle, car il ou elle m’a envoyé cet échiquier qui coûte une fortune. Pourquoi ? C’est une mauvaise idée ? »

Erin regarda Ryoka alors que l’autre fille marcha à ses côtés, fronçant des sourcils en regardant ses pieds.

« Peut-être. Pas une bonne idée de donner des secrets. Pourrait être… Une mauvaise chose. »

Ryoka avait du mal à penser. Elle avait essayé d’expliquer les dégâts causés par l’imprudence à Erin, mais Erin n’était pas aussi prudente qu’elle. Probablement un truc de personnalité.

« Si tu es trop doué… Cela pourrait être un problème. »

« Vraiment ? Être doué aux échecs pourrait être dangereux ? »

Peut-être, si la personne qui avait envoyé l’échiquier partait chercher Erin et découvrait ses secrets. C’était la paranoïa de Ryoka qui parlait, mais c’était toujours possible.

Mais après tout, en pensant aux milliers de choses qui pouvaient mal se passer, peut-être qu’elle n’avait pas à s’inquiéter.

Ryoka suivit Erin de manière mécanique dans la ville, ignorant le chemin qu’ils empruntaient jusqu’à ce qu’Erin s’arrête. Ryoka renifla. Une odeur familière était dans l’air, celle de la viande en train de cuire. Elle regarda autour d’elle.

La Rue du Marché était pleine de vendeurs et de piétons. Mais dans le froid hivernal, un troisième groupe de vendeur venait d’apparaître, et c’était les vendeurs de nourriture. Mais contrairement aux autres jours, ils n’étaient pas en train de vendre une variété de plat aux passants, mais un seul, et familier, plat.

Des hamburgers.

Tous les Gnolls et Drakéides dans la rue étaient en train de les vendre alors qu’ils faisaient cuire la viande sur des brasiers, tout comme Erin avait fait la première fois. Ils étaient tous en compétition, mais il semblerait qu’il y ait assez de gens désireux de manger quelque chose de chaud pour que tout le monde trouve sa clientèle.

Tous les vendeurs avaient une queue, une quelque chose d’unique pour appâter le client. Certains avaient différents types de fromage pour leur cheeseburger ; d’autres avaient changé les épices ou la viande. Un Drakéide plus audacieux que les autres avaient créé un hamburger à quatre steaks que Ryoka avait grandement envie d’essayer.

Les Gnolls et Drakéides s’arrêtèrent alors qu’ils aperçurent Erin descendre la rue. Ils ne croisèrent pas vraiment les yeux d’Erin, mais ne s’arrêtèrent pas de faire revenir et de vendre leurs burgers. Ryoka regarda autour d’elle et inhala l’odeur de la viande en train de cuire. Bon sang, elle commençait à avoir encore faim.

« Bon, je sais où est passé toute ma clientèle. »

Erin grimaça et donna un coup de pied dans la neige.

« Allons trouver Krshia. »

Erin regarda les vendeurs alors que Ryoka tituba derrière elle.

« Hey, est-ce que je peux faire quelque chose contre le fait qu’ils m’ont volé ma recette ? Est-ce que je peux les copyrights ou porter plainte pour plagiat ou un truc du genre ? »

« Copyrighter ta recette ? Pas sans une armée. Ou un très gros marteau. »

Ryoka fronça les sourcils alors que le sol commença à tourner dans son champ de vision. Elle vit Erin ouvrit la bouche, probablement pour demander la taille du marteau, avant que la fille ne se retourne et sourit.

« Krshia ! »

La grande Gnolle sourit et sortit de son étal pour accueillir Erin. Elle renifla Ryoka et la fille essaya de ne pas grimacer en retour.

« Il est bon de te voir en ce jour, Erin Solstice. Et je remarque que tu as amené une amie. »

« Oui ! Ryoka est arrivé hier. Oh, et tu ne devineras jamais ce qu’il s’est passé ce matin, Krshia ! J’ai rencontré ce Coursier qui s’appelle blah et il blah blah blah. »

Ryoka coupa la voix d’Erin alors qu’elle essaya de se redresser. Venir ici avait été une erreur. Tout ce qu’elle voulait faire était de prendre un bain et dormir. Mais Erin voulait parler à son ami, et Ryoka allait devoir s’asseoir dans les bains pendant des heures, pour parler

Bon sang. Elle n’allait pas pouvoir le faire. Ryoka voulait juste qu’Erin termine ce qu’elle avait à faire pour qu’elle puisse aller dormir.

La musique. La musique allait l’aider.

Ryoka tâtonna dans sa poche. Son Iphone était toujours là, protégé dans son étui. Elle le sortit et l’alluma. Elle avait besoin de musique. Quelque chose pour la tenir éveillé. Quelque chose avec du rythme

Elle descendit la liste de chanson, fronçant les sourcils en regardant les petites lettres. Ryoka avait plus de dix mille chansons sur son Iphone, et ce n’était pas une blague. Elle avait un modèle de 32 GB, et elle avait désinstallé toutes les applications à part les plus essentielles, son Iphone était juste un outil pour écouter de la musique qui avait la possibilité de participer à une conversation de groupe magique.

Bien sûr, toutes les chansons n’étaient pas bonnes, voir acceptable. Ryoka avait bien trop de chanson qu’elle avait téléchargée étant jeune et qu’elle n’avait jamais pris la peine d’effacer. Mais elle termina par trouver une chanson qu’elle aimait. Un classique.

Une lourde basse se fit entendre dans ses oreilles, bientôt rejoint par un rythme de tambour. Elle attendit, tapant de l’orteil pour Freddie Mercury. Elle sourit alors que la musique l’emporta.

« Ain’t no sound but the sound of his feet, machine guns ready to go.»

Another One Bites the Dust par Queen envahi les oreilles et l’esprit de Ryoka alors qu’elle mit le son à fond. Elle n’avait pas peur d’embêter Erin ou Krshia avec la musique, l’une des choses pour laquelle Ryoka dépensait beaucoup d’argent était une bonne paire d’écouteurs.

Freddie Mercury avait une voix qui parlait au cœur de Ryoka. Elle ouvrit ses yeux, souriante, et remarqua quelque chose d’étranges dans la rue. L’un des vendeurs Gnolls s’était arrêté, et il était en train de faire quelque chose d’étrange. Ryoka fronça les sourcils.

Est-ce que le Gnoll… Etait en train de bouger sa tête en rythme ? Oui. C’était ce qu’il était en train de faire.

Et là-bas. Krshia avait arrêté de parler à Erin et était en train taper du pied. En rythme.

« Are you happy are you satisfied? How long can you stand the heat?»

Ryoka regarda autour d’elle. Chaque Gnoll de la rue s’était soudainement arrêté, à la grande incompréhension des Drakéides et rares humains. Oui. Ils étaient tous en train de bouger la tête en rythme avec la musique.

Merde.

Ryoka arrêta la chanson. Aussitôt, les autres Gnolls la regardèrent avec reproche.

Bordel de… Ils pouvait entendre la musique depuis l’autre bout de la rue. Bien sûr. Ryoka voulait se gifler. Ils étaient comme des chiens. Ils entendaient bien mieux que les humains.

Krshia donna un coup de coude à Erin et pointa l’Iphone de Ryoka du doigt.

« Mm. Ton amie, elle a quelque chose de vraiment intéressant, n’est-ce pas ? »

Ryoka fronça les sourcils, rangea son Iphone, et croisa les bras. Elle lui lança un regard. Erin grimaça, et murmura à Krshia.

« Elle est un peu ronchonne car elle est fatiguée. »

Ryoka l’entendit, et son humeur s’empira. Surtout parce que c’était la vérité. Elle fusilla Erin du regard.

« C’est l’heure de partir ? »

Elle l’avait dit comme une question, mais s’en était pas une. Erin hésita, mais Krshia avait déjà préparé sa commande. Erin s’excusa avant de partir.

« Hey. Qu’est-ce qui ne va pas ? Ils ont entendu ta musique ? Pourquoi est-ce que c’est une mauvaise chose ? »

« Car ils pourraient réaliser que j’ai de la technologie qui ne vient pas de ce monde. et… Et… »

Ryoka secoua la tête. Quelque chose à propos des théories du complot et découvrir la vérité ? Elle avait besoin de s’allonger ?

« Partons. Tu as dit qu’il y avait des bains publics ? »

« Par là. Mais, heu, ton Iphone… »

« Je le laisserai. Avec mes vêtements. »

« D’accord. »

 
Maroti
   
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2.17
Traduit par Maroti
Partie 2

***

Le bain fit des merveilles pour Ryoka, assez pour qu’elle s’excuse et même légèrement participer au bavardage d’Erin et Selys. Mais pas beaucoup ; Ryoka s’allongea dans l’eau chaude et profita de l’instant.

Malheureusement, à cause de la balance cosmique, il semblait que l’humeur d’Erin devienne l’inverse de celle de Ryoka de manière proportionnelle. Lorsqu’Erin découvrit qu’aucun client n’était venu de son auberge de la journée, l’habituellement positive aubergiste perdit son entrain.

Erin regarda l’auberge vide et jeta ses mains en l’air de dégoût.

« Est-ce que toutes les tavernes, pubs et tavernes sont en train de vendre des hamburgers ? »

Selys hocha la tête en retirant la neige de son manteau.

« C’est ça. Même Peslas en vend dans son auberge. »

Erin s’effondra sur une chaise et posa sa tête sur la surface lisse de la table. Ryoka échangea un regard avec Selys. Elle avait l’impression, qu’en tant qu’amie, qu’elle devait dire quelque chose d’encourageant. Quelque chose d’utile.

Mais quoi ?

‘Ce genre de truc arrive. Faut s’y faire ?’

‘Au moins il ne pleut pas ?’

‘Nous mourrons tous un jour, et personne n’y échappe ?’

… Non. Ryoka décida de ne rien dire. Selys tapota Erin sur l’épaule, et regarda autour d’elle à la recherche d’aide.

Pisces cligna des yeux en sa direction, mais Olesm intervint. Avec une terrible positivité forcée, il présenta un échiquier à Erin.

« Pourquoi ne pas faire quelques parties d’échecs ? Je suis certain que cela nous remontera tout le moral. Ceria et Pisces aiment aussi ce jeu ! »

Ryoka se porta volontaire pour jouer, et Selys fut contrainte d’encourager les joueurs car elle ne s’intéressait pas aux échecs. Au final, elle et Olesm étaient meilleurs que les deux mages, donc Ryoka et Olesm jouèrent contre Erin.

Malheureusement, cela fut une erreur. Ils avaient beau être bon, même eux n’étaient même pas proche d’Erin. Elle est écrasa dans de brutales parties qu’elle domina avant de retourner déprimer sur la table.

Ryoka abandonna. Elle ne savait pas comment remonter le moral des gens, elle arrivait à peine à remonter le sien la plupart du temps. Elle sortit son Iphone et le regarda. Puis elle décida d’abandonner la prudence et le tendit de nouveau vers Pisces.

« Est-ce que tu peux lancer [Réparation] dessus ? »

Les yeux du mage se posèrent sur l’Iphone de Ryoka avec un intérêt et une avarice qu’il prenait à peine la peine de cacher.

« Je connais le sort. Mais puis-je demander ce qui ne va pas avec cet, ah, appareil ? »

« Il commence à être à court de… Il a besoin de mana, pour ainsi dire. Écoute, est-ce que tu peux le réparer ? »

« Si je le fais… Me permettras-tu d’inspecter cet objet durant quelques minutes ? »

« Non. Ca ne sera pas possible. »

« Alors dans ce cas… »

Pisces haussa les épaules comme s’il n’y avait rien à faire. Ryoka serra les dents, mais Erin leva les voix.

« Fait-le. Ou je te jette ça. »

Erin ne leva pas sa tête, mais elle était en train de tenir une fourchette. Pisces hésita. Il était clairement en train de penser à la précision avec laquelle Erin pouvait lancer des objets. Il renifla.

« Fort bien. [Réparation]. »

Cette fois son Iphone ne changea pas de manière distinctive, mais l’écran s’alluma pendant une seconde. Quand Ryoka regarda de nouveau, la batterie était à 100%. Parfait.

Ryoka passa ses chansons, mais elle remarqua qu’Erin était en train de regarder son iphone. Bon. Erin lui avait dit qu’elle avait laissé son portable chez elle lorsqu’elle avait été téléporté ici.

Les yeux d’Erin reflétaient son envie et sa nostalgie. Elle pointa de manière hésitante à l’Iphone dans les mains de Ryoka.

« Est-ce que je peux le voir ? »

Ryoka hésita. Normalement, sa réponse à une personne touchant son portable était de lui mettre la main dessus d’une manière non-amicale. Elle ne le prêtait jamais à personne. Mais Erin… Erin était différente.

Ryoka lui tendit le portable avec réluctance.

« Tiens. »

Elle ne pouvait même pas dire ‘soit prudente avec’ car il pouvait être réparé en un simple sort. Mais les boyaux de Ryoka se tordirent d’embarras quand elle réalisa qu’Erin était en train de passer dans ses chansons.

« Oh mon dieu. Tu as Pokemon dessus ? C’est génial ! »

Le rouge lui monta aux joues. Ryoka fut tenté de lui prendre des mains, mais c’était trop tard. Elle serra les dents.

« C’était une phase. J’ai mis beaucoup de chanson dessus en tant qu’enfant et qu’ado. Je ne les écoutes plus. »

C’était un pur mensonge, mais Ryoka préférait être six pieds sous terre et en train de pourrir plutôt qu’admettre qu’elle écoutait certaines chansons sur son Iphone. Elle était passée par plusieurs phases dont elle n’était pas fière.

« Trop cool. C’est vraiment… »

Au moins Erin était heureuse. Ryoka vit son visage s’illuminer, et elle réalisa qu’elle aurait dû donner l’Iphone à Erin il y a longtemps. Elle l’avait considéré comme acquis en écoutant de la musique de temps en temps en courant ou avant de dormir, mais Erin n’avait rien de son monde. Ryoka prit un siège alors qu’Erin ferma ses yeux et sourit.

Ceria regarda les écouteurs dans les oreilles d’Erin avec intérêt. Ils étaient du matériel de sportif, ce qui voulait dire qu’ils restaient dans les oreilles même lorsque Ryoka courrait. Ils ne laissaient pas passer beaucoup de son, mais Ryoka vit la tête de la demi-Elfe se pencher et ses oreilles trésaillir légèrement.

« C’est étrange. »

Pisces était aussi en train d’écouter. Il avait un doigt à son oreille, et Ryoka vit une aura bleue autour de son doigt et de son oreille. Elle fronça les sourcils, mais les deux mages semblaient avoir des problèmes pour écouter le faible audio qui faisait sourire Erin.

Olesm et Selys regardèrent les mages et Erin avait intérêt, mais ils ne pouvaient rien entendre. Olesm tapota gentiment l’épaule d’Erin.

« Qu’est-ce que c’est ? Est-ce que je peux écouter ? »

Erin semblait surprise, mais elle hocha la tête.

« Oh, oui, bien sûr. Ce truc à des enceintes, pas vrai Ryoka ? »

« Ce n’est pas une… »

Ryoka s’arrêta et laissa tomber. Ceria l’avait déjà vu. Et de en plus…

« Ouais. Bien sûr. Vas’y. »

Erin retira les écouteurs et l’Iphone joua immédiatement. Ryoka entendit ‘’Hey There Delilah’’ jouer dans le silence.

Les quatre invités dans l’auberge se figèrent, et chacun réagit de manière différente.

Les yeux de Ceria s’écarquillèrent alors qu’elle entendit l’étrange musique qu’elle avait déjà entendu. Elle retrouva le souvenir, et ses yeux se remplirent de larmes alors qu’elle prit un siège. Ceria ferma ses yeux et se souvint.

Olesm regarda l’Iphone, la bouche grande ouverte, montrant des rangées de dents pointues. Il écouta avec un émerveillement innocent alors que sa queue commença à bouger en rythme avec le doux rythme.

Selys cligna plusieurs fois des yeux, avant de s’asseoir et de se concentrer sur la musique en fermant ses yeux.

Pisces… Il regarda le soleil couchant au loin sans dire un mot. Il essuya les larmes de ses yeux lorsque la chanson toucha à sa fin.

Et Erin et Ryoka écoutèrent et oublièrent pendant un moment qu’elles étaient dans ce monde. Les deux femmes sentirent leurs yeux les picoter. Erin sécha ses larmes avec sa manche, et Ryoka secoua la tête.

« Est-ce qu’il y a un moyen de hausser le son ? Le volume est à fond mais… »’

Erin s’arrêta alors qu’elle chercha dans les paramètres. Ryoka n’avait pas une solution à part acheter des enceintes, mais Pisces tendit la main vers l’Iphone.

« C’est à peine à problème. Donne-moi un instant. »

Il tapa la coque métallique de l’Iphone et murmura un sort.

« [Amplification de Son]. »

Soudainement, l’Iphone était assez bruyant pour remplir la pièce. Erin sursauta, avant de sourire en regardant l’Iphone.

« Wow. C’est bien mieux qu’avant. »

Ryoka regarda son téléphone, soudainement intéressé.

« Combien de temps le sort dure ? »

Cela était probablement une terrible idée de mettre de la musique aussi fort dans un endroit dangereux, mais sur la route… Pisces leva une main avant d’hausser les épaules.

« Je suis capable de prolonger le sort pendant plusieurs jours moyennant payement. »

« Je peux apprendre ce sort en moins d’un jour. »

Ceria fronça les sourcils en direction de Pisces alors qu’il la regarda de manière hautaine, mais Erin était toujours concentrée sur l’Iphone. Elle mit une main à son menton, avant de frapper son front avec sa paume assez fort pour que tout le monde la regarde, inquiet.

Erin était soudainement excité. Elle arrêta la chanson et tendit l’Iphone à Pisces.

« A quel point tu peux le rendre bruyant ? »

« A quel point aimerais-tu qu’il soit bruyant. »

« Vraiment bruyant. Super bruyant ! Assez bruyant pour que la ville puisse l’entendre. »

Pisces hocha la tête, et se concentra en ajustant le sol, murmurant des mots trop bas pour être entendu. Ryoka regarda son amie.

« Erin. Qu’est-ce que tu es en train de faire ? »

Erin se tourna et sourit à Ryoka.

« Je ramène des clients ! »

Quand elle lança la musique, le son manqua de déchirer les tympans de tout le monde. Erin avait ses mains sur ses oreilles, mais elle avait un grand sourire.

« Parfait ! Maintenant vous restez ici alors que je vais chercher mes clients ! »

Elle courut hors de l’auberge. Ryoka la suivit, et vit Erin escalader le toit. Elle cria vers Erin, mais l’autre fille ne s’arrêta pas. Erin se redressa sur le toit, et ouvrit la bouche.

«Hey ! C’est l’heure de la musique ! Commençons par un classique !

Ryoka mit ses mains à ses oreilles. La voix d’Erin était élevée ! Cela devait être une Compétence… C’était comme si Erin parlait dans un mégaphone. Mais Erin toucha l’Iphone et Ryoka réalisa ce qu’elle s’apprêtait à faire.

La batterie qui commença à traverser l’air était comme un coup de canon. Mais Ryoka entendit des cordes de guitare qu’elle connaissait par cœur. Erin prit une grande inspiration, et commença à chanter de manière synchronisée avec Kid Rock.

Ryoka resta bouche bée en regardant le plafond alors qu’Erin commença à chanter en parfaite synchronisation. La seule différence était qu’Erin changea les paroles de boy à ‘girl’ et man en… ‘women’ dit très rapidement, ce qui Ryoka approuvait totalement. Erin chanta alors la chanson, projetant sa voix à travers les plaines et vers Liscor.

Le son pulsa à travers l’auberge, tellement fort que Ryoka pouvait sentir la basse dans ses os. Elle ne pouvait pas retirer le sourire de son visage, surtout quand elle entendit Erin essayer de chanter avec le cœur de chanteuse.

«Whooaaaoh? Wooaaaoh!

Erin continua de chanter jusqu’à la dernière note. Ryoka s’attendait à ce qu’elle s’arrête, mais Erin changea de chanson. Et puis Ryoka entendit quelque qui figea son sang.

Non.

Des tambours battant. Le son de la jungle. Un orchestre cinématique, venant tout droit de la bande-annonce que Ryoka avait télécharger pour la chanson.

Non. Elle ne venait pas de faire ça. Sauf qu’elle l’avait fait. Erin avait mis son Iphone en aléatoire. Ryoka s’avança vers la porte, mais c’était trop tard.

«Celle-là vient de Tarzan ! C’était quoi déjà les paroles ? Attends, je m’en souviens ! C’est parti!

Ryoka écouta, partagée entre la douleur et l’émerveillement alors qu’Erin chanta la chanson. Comment faisait-elle pour se souvenir des parole ? Mais maintenant Ryoka pouvait pratiquement voir Tarzan dans sa tête.

Alors que la chanson se termina, Erin cria vers Ryoka d’une voix légèrement moins forte.

« Dit donc, tu as des tonnes de chanson Disney là-dessus ! »

Ryoka couvrit ses yeux avec une main. Mais elle ne pouvait s’empêcher de sourire. Elle se souvenait des chansons de son enfance. Erin fouilla la liste de chanson, et puis Ryoka entendit un battement de tambour familier. Erin écouta avec un sourire au son des personnages de Mulan tombant, et sa voix résonna sur les murs de la ville.

Bon sang. Elle se souvenait même des parties qui n’était pas chantée.

C’était incroyable. Erin n’était pas une grande chanteuse, mais elle était bien mieux que Ryoka l’avait jamais été. Ryoka avait pris des leçons d’un professionnel avec une multitude d’autres leçons données par des tuteurs que ses parents avaient embauchés, mais elle n’aimait pas chanter. Mais même si Erin respirait de travers et qu’elle avait parfois une octave de différence, la passion qu’elle mettait dans ses chansons outrepassait le moindre défaut.

Ryoka se tint dans la cuisine alors qu’Erin chanta ‘’Comme un Homme’’ de Mulan, et puis elle enchaina une version libre de ‘’L’Histoire de la Vie’’ du Roi Lion. Et comme les animaux devant le Rocher de la Fierté, ses mots guidèrent un troupeau.

Au début, ils vinrent de la ville un par un ou par groupe de deux, puis les quelques devinrent les nombreux. Un courant de personnes. Drakéides, Gnolls, et humains aussi, suivant la musique.

Ils se tinrent autour de l’auberge d’Erin, écoutant alors qu’elle chantait le meilleur de son monde que Ryoka avait filtré selon ses gouts. Mais voilà le truc, qu’importe les goûts, Ryoka avait beaucoup de chanson qui avait fait le top 100 chaque année, et chacune était préservée à la perfection dans son Iphone.

Pour ceux qui écoutaient, c’était comme entendre un classique pour la première fois. Et c’était un monde qui n’avait jamais entendu de la pop, du rock, du rap, ou la moitié des styles musicaux qui avaient évolués cent ans après qu’ils écoutaient aujourd’hui.

L’audience était capturée. Ou plutôt, absorbé par la musique, car là ils étaient incapables de rester immobiles.

Les Drakéides et les Gnolls étaient en train de danser ! Ryoka vit ce qui semblait être un bal de danse classique mélangé avec le chaos rythmé d’un certain garde Drakéide. Les Gnolls avaient leur propre mouvement, et ils bougeaient d’une manière que Ryoka ne pouvait qualifier que de primal.

« Oh mon dieu. C’est une fosse. »

Elle ne pouvait pas entendre le son de sa propre voix. Erin avait trouvé le moyen d’augmenter le volume de ses chansons, et elle était en train de couvrir le son des gens en dessous d’elle.

L’une des personnes en dessous de l’auberge criait sur Erin. Zevara avait aussi la compétence de [Voix de Stentor], ou elle avait une bonne paire de poumon, mais l’Iphone combiné à la voix d’Erin était assez fort pour complètement noyé la Capitaine Drakéide colérique.

Ryoka sourit alors qu’elle entendit Erin changer de chanson. Elle rentra dans l’auberge et vit Ceria, Selys et Olesm en train de se précipiter pour cuire des burgers alors qu’Erin était en train de chanter à plein poumons sur le toit de l’auberge.

« Cette là s’appelle ‘Excuse-toi’ ! Et elle est rien que pour toi, Zevara !»

Zevara essaye de grimper l’auberge, mais les autres personnes l’ont ramené dans la foule. Erin contra en se lançant dans ‘I Gotta Feeling’, et le reste devint de l’histoire.

Ryoka réalisa que des gens se bousculaient pour entrer dans l’auberge. Elle se faufila l’intérieur, et vit un mur de personne maintenant hors de la cuisine par un Olesm aux yeux écarquillés. Il était en train d’essayer de maintenir l’ordre, et il était en train échoué.

Ryoka parvint à passer la foule et à se frayer un chemin jusqu’à la cuisine. Elle vit Ceria et Selys tenter désespérément de faire les hamburgers d’Erin. Elle avait laissé beaucoup de viande et d’ingrédients, mais la Drakéide et la demi-Elfe étaient en train d’essayer de faire des hamburgers et de les servir aux gens affamés à l’extérieur en cuisant la viande. À une main, dans le cas de Ceria.

« Attendez ! Je vais aider ! »

Ryoka dut crier dans l’oreille de Selys avait que la Drakéide ne lui donne la spatule. Ryoka commença à retourner les burgers et les mettre sur des assiettes pour que Selys rajoute le pain et les ingrédients aux hamburgers. Elle n’avait pas de compétence, mais Ryoka savait cuisiner.

Le volume faisait rebondir l’huile qui était en train de cuire, mais Ryoka commença à cuisiner au rythme résonnant dans la cuisine. Elle retourna et servit aussi rapidement qu’elle le pouvait, se perdant dans la musique et le travail. Une main écailleuse ou à la peau pale était toujours là pour prendre ce qu’elle avait fait.

Elle prit aussi sa place pour savoir pour qu’Olesm puisse souffler durant quelques instants. Ce n’était pas comme prendre une commande ; les gens posaient leurs argents et prenaient de la nourriture. Ryoka se retrouva rapidement recouvert d’un mélange d’huile et de particules de nourriture.

Mais ils étaient en train de tout vendre, et de vendre n’importe quoi. Les hamburgers n’étaient que le début ; les gens dans l’auberge demandaient tout ce qu’ils pouvaient manger et boire, et Ryoka et les autres luttaient pour les servir.

Après tombés à court de bœuf, ils envoyèrent Olesm pour en racheter et commencèrent à cuire tout ce qu’il y avait dans la cuisine. La foule s’en fichait ; des bols de nouilles beurrées disparaissaient aussi rapidement que des frites trop cuites.

Olesm apparut trente minutes plus tard, une éternité, avec des ingrédients frais. Il revint avec plus que du bœuf, il revint avec tout ce qu’il avait pu acheter sur le marché.

Il avait réussi à convaincre Relc et Klbkch pour aider Krshia à rouler des tonneaux d’alcool jusqu’à l’auberge. Ils se sont pratiquement fait piétiner par la foule jusqu’à ce qu’Olesm parvienne à installer une table et de prendre le plus de chope possible.

Cela fit la dernière goutte. Ryoka avait pensé que les gens se précipitaient dans l’auberge avant ; mais maintenant elle ne pouvait même plus voir le sol. Les gens étaient en train de s’agglutiner dans l’auberge, déposant leurs argents dans une jarre collante qui avait servi à garder des mouches acides. Klbkch avait pris les mouches.

Ryoka prit un instant pour faire une pause. Elle tituba dehors et vit que l’auberge n’était le seul endroit qui commerçait. Alors qu’Erin continua de chanter, plusieurs vendeurs téméraires avaient mis en place leurs stands sur la boue et l’herbe. La neige avait fondu depuis bien longtemps à cause de la chaleur causé par la foule.

Ryoka vit du mouvement dans l’air au-dessus de l’auberge. Elle vit des formes bleues et luisantes voler au-dessus d’Erin dans le ciel nocturne. Des Fées de Givre.

Elles étaient en train de flotter dans l’air, dansant et effectuant des manœuvres complexes en riant alors qu’Erin chantait. Pour une fois, elles semblaient trop entrainées par la musique pour faire des blagues. Mais l’une d’entre eux avait une… Choppe ? Ryoka vit une fée la vider et la lancer dans la foule.

La chope se brisa à l’arrière de la tête de Relc, mais Ryoka pensa que ni lui ni les gens autour ne le remarquèrent. Ils étaient trop emportés par l’étrange musique, et le sentiment dans l’air était celui de pure excitation.

Erin commença à chanter ‘’All the Single Lady’’ et la moitié de la foule devint folle. Ryoka ne savait pas que les Drakéides portaient des anneaux, mais elle en vit quelqu’un sur des queues. Et puis elle vit quelques anneaux disparaître et des gens s’éloigner par groupes de deux alors que la nuit progressa.

***

Combien de temps cela dura ? Ryoka ne savait pas, mais même après un certain temps l’adrénaline et la musique n’était plus suffisant pour la tenir debout. Elle tituba, servant la foule qui se dissipait lentement. A un instant elle vit Zevara crier vers Erin alors qu’Erin fit une pause pour boire et manger un morceau que Ryoka lui avait passé.

« Des gens essayent de dormir ! Arrête de chanter ! »

« Non ! »

C’était un rugissement de la foule. Zevara regarda autour d’elle avec un profond air de dégoût, et Erin jeta le reste de son eau. Elle se releva, et le hurlement de la foule manque de rendre Ryoka sourde.

« Tu ne peux pas nous arrêter ! Ouais, tu ne peux pas m’arrêter ! Parce que… Musique ! »

Et bien sûr elle commença à chanter ‘’Can’t Stop The Feeling’’. Ryoka avait oublié qu’elle avait cette chanson sur son Iphone. Pourquoi ? Ah, oui, parce que c’était entraînant. Ryoka ne pouvait s’en empêcher. Elle bougea son pied au rythme de la chanson. Un tout petit peu.

… Elle a peut-être dansé avec un Gnoll, et s’est retrouvé à faire un concours pour savoir qui pouvait faire le plus de tricks avec Relc. Ryoka savait faire des sauts périlleux arrière ; mais elle découvrit que Relc pouvait le faire et faire du break dance en atterrissant, mais personne dans ce monde ne savait comment moonwalker.

Pendant une glorieuse nuit, Ryoka oublia tout ce qui était autour d’elle. Elle dansa, rit, et laissa la musique l’entraîner. Elle vit Erin rire et danser sur le toit. Les chansons portèrent Ryoka jusqu’à ce qu’il n’y ait plus que le silence et les ténèbres.

Depuis quelque part sur le toit de l’auberge, Erin éteint l’Iphone et arrêta de chanter. Les Drakéides et les Gnolls titubèrent dans la ville, et Ryoka réalisa que le monde tournait autour d’elle.

Olesm et Selys avaient déjà titubé à l’étage, laissant derrière eux un sol recouvert d’ordure. Pisces aida Ceria à monter les marches, et puis tituba vers l’extérieur.

Ryoka regarda les escaliers et n’essaya même pas de les monter. Elle vit Val lui faire signe alors qu’il monta, elle lui rendit la politesse, et s’effondra dans une chaise.

Ses yeux se fermèrent. Ryoka était en train de dormir avant que sa tête ne penche vers l’avant.

Elle dormit, et rêva de dragon.

***


[Aubergiste Niveau 21 !]

[Compétence – Cuisine Avancée Obtenue !]

[Compétence – Artisanat Avancé Obtenue !]


[Classe de Chanteuse Obtenue !]

[Chanteuse Niveau 6]

[Compétence – Mémoire du Verbe Obtenue !]

[Compétence – Maitrise de la justesse Obtenue !]

Erin entendit les mots juste avant de perdre connaissance. Elle se réveilla, toujours sur le toit de l’auberge, principalement parce qu’elle était en train de glisser.

Elle manqua de tomber au sol, et parvint à se sauver au dernier moment. Elle regarda le paysage en ruine, et se demanda si la neige allait tout recouvrir. Non. Elle allait probablement devoir tout nettoyer.

Cela valait doublement pour l’intérieur de l’auberge. Elle lança un regard au chaos et couvrit ses yeux. Mais cela n’allait pas aider.

Sans Toren, aucune des tables sales ou de la vaisselle à laver n’allait miraculeusement disparaître en l’espace d’une nuit. Erin regarda le sol recouvert de déchets et souhaita de tout son cœur que son squelette était de nouveau là.

Elle détestait nettoyer les saletés. Erin était douée pour la poussière.

Mais quelque chose attrapa l’œil d’Erin alors qu’elle regarda la pièce pour trouver un endroit ou commencer à laver. Une étrangeté.

Elle savait que personne n’était venu après que le dernier client avait titubé vers Liscor et que Ceria était monté. Mais quelque chose avait bougé pendant la nuit.

Rien n’avait changé dans l’auberge. À part une chose.

Erin regarda l’échiquier que Val lui avait livré, posé au bout du bar. Les rangs de pièces la regardaient, ordonnés et droits.

Mais… Elle n’avait jamais mis de pièce sur l’échiquier. Et lorsqu’Erin s’approcha, elle vit autre chose.

Les pièces étaient transparentes, éthérées. Elles ressemblaient à des pièces médiévales, avec des pions vaguement humains. Mais de la brume s’en échappait comme de la fumée, et ils avaient une certaine qualité surnaturelle.

Elles ressemblaient à de la magie, et elles étaient les pièces les plus cools qu’Erin avait vu de sa vie. Et elles étaient toutes parfaitement mise en place.

Sauf pour une pièce. Un pion blanc avait bougé deux cases en avant, occupant l’une des ouvertures les plus classiques aux échecs. Pion vers E4. L’ouverture du Roi Pion. Erin le regarda.

« Whouah. »



Dernière édition par Maroti le Mer 14 Oct 2020 - 18:28, édité 1 fois
 
EllieVia
   
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2.18

Traduit par EllieVia

Erin se réveilla avec un grand sourire sur le visage. Aujourd’hui était le premier jour du reste de sa vie, et pour une fois, tout était incroyable.

Ce qui était un peu moins incroyable, toutefois, était le chaos complet qui avait envahi sa salle commune. Le diamètre du grand sourire d’Erin diminua, mais elle maintint une apparence joyeuse. Certes, son auberge était saccagée, mais l’argent.

“L’argent !”

Des pièces d’or, des pièces d’argent, des pièces de cuivre. Elle avait beaucoup plus de pièces de cuivre qu’autre chose, mais Krshia lui avait donné plusieurs pièces d’or en montant des vivres de la ville pendant la nuit. Erin avait un gigantesque bocal d’argent, et à côté un bocal encore plus gros, là encore rempli de pièces.

Et encore à côté...

Erin dut se faire un câlin, elle était tellement exaltée. Ça avait marché ! Son idée folle avait fonctionné, et elle avait gagné tellement d’argent !

Elle devrait en donner un peu, bien sûr. Elle n’avait pas payé Selys, ni Ceria et Olesm pour leur aide, et Ryoka avait tout cuisiné ! Elle se demanda si la fille, facilement irritable, accepterait d’être payée. Elle allait accepter, pas vrai ?

Si seulement Toren avait été présent, la vie aurait été parfaite. L’idée fit glisser le sourire d’Erin de son visage, mais pendant un instant seulement. Il aurait nettoyé ce bazar pendant la nuit et l’aurait fixée avec un air effrayant de bon matin. Mais en son absence, elle allait devoir s’en occuper.

Eh bien, ce n’était pas cher payé pour une nuit aussi merveilleuse. Erin soupira, releva ses manches, et se mit au travail. Elle pouvait prendre une longueur d’avance avant de préparer le petit déjeuner. Quelque chose à base d’œufs et de lard, sans doute. Ce serait trop de travail de faire des pancakes.

En commençant à partir en chasse de chiffons, de seaux de neige fondue et bien sûr d’une serpillière et d’un balai, Erin repensa à la nuit dernière. Elle avait gagné des niveaux. Tellement de niveaux ! Erin savait que le niveau 20 n’était pas un niveau si élevé que ça - Selys lui avait dit que presque tout le monde arrivait à ce stade avant de mourir. Mais quand même. 21 niveaux !

Et la classe de [Chanteuse]. Erin en avait été surprise, mais elle avait vraiment voulu chanter de son mieux sur le toit. Et à quoi servaient ces compétences ?

[Mémoire Parfaite] et [Maîtrise de la Justesse]. Est-ce qu’elles fonctionnaient ? Erin se concentra.

Oui. Elles fonctionnaient. Et incroyablement bien, en plus ! Erin pouvait se souvenir de chaque parole, chaque couplet de chaque chanson qu’elle avait jamais chantée. Et de plus…

“Test, test, do, ré, mi, fa, sol, la, si, do !”

Elle était parfaitement juste. Il aurait été impossible d’améliorer sa voix même avec un autotune. Cela lui donna une sensation étrange ; comme si sa voix n’avait plus été la sienne. Mais ce sentiment fit rapidement place à un désir plus grand encore de chanter !

Ryoka avait repris son iPhone juste avant de s’endormir. Mais Erin pouvait encore chanter même sans l’appareil. De plus, il était encore enchanté et pulvériserait probablement les tympans d’Erin si elle l’utilisait.

Et maintenant, quelle chanson allait-elle chanter ? Erin se souvint de son échauffement, et sourit en se rappelant les paroles.

Elle se pencha pour ramasser avec précautions une robe abandonnée en la pinçant entre deux doigts, puis regarda le ciel en train de s’éclaircir au-dehors. Erin ouvrit la bouche, et chanta.

“Do, le do, il a bon dos, ré, rayon de soleil d'or… !”



***



Ryoka se réveilla au son de la musique. Comme elle avait la gueule de bois, c’était une terrible expérience, absolument horrible. Chaque nouveau couplet était comme un clou enfoncé au marteau-piqueur dans son crâne, et l’oreiller que Ryoka pressait sur sa tête mettait trop de temps à l’étouffer.

Le chant abhorré montait du rez-de-chaussée et flottait dans les airs, accompagné par des bruits sonores de porcelaine en train d’être empilée ou de couvertes en train d’être rangés.

Ce qu’Erin avait oublié, c’est que la nuit dernière, tout le monde avait imbibé une quantité non négligeable d’alcool. Elle avait bu aussi, bien sûr ; mais Erin était immunisée contre les effets de l’alcool et elle était donc la seule personne à se réveiller ce matin sans gueule de bois.

Ryoka craqua lorsque Erin atteignit le couplet du “la”. Elle saisit l’objet le plus proche qu’elle put atteindre, tituba hors de sa chambre et le jeta avec violence en bas des escaliers. Il apparut qu’elle avait attrapé sa table de chevet, et cette dernière éclata en mille morceaux lorsqu’elle s’écrasa au bas des marches.

Ryoka entendit l’exclamation choquée d’Erin. Elle grogna et retourna dans son lit d’un pas lourd.

“Malpolie !”

Mais le chant cessa. Ryoka roula dans son lit et reçut bien plus qu’une quarantaine de clins d’œil.

Lorsqu’elle finit par se réveiller une ou deux heures plus tard, Ryoka avait faim. Elle sortit d’un pas mal assuré de sa chambre, et vit que tout le monde était également en train de se lever. Leur synchronisation était probablement due au fait que le soleil avait traversé leurs fenêtres au même moment, et qu’Erin n’avait toujours pas acheté de rideaux pour sa nouvelle auberge.

Les visages étaient endormis, et les expressions grimaçantes. Ryoka hocha la tête à l’intention des autres invités.

“Ryoka.”

“Ceria.”

“Val.”

“Olesm ?”

Le Drakéide sortit en titubant de la chambre de Ceria et s’arrêta net. Il regarda le reste des clients de l’auberge. Il recula lentement et ferma la porte.

Ryoka regarda fixement Ceria. La demie-Elfe haussa les épaules. Elle ne croisa pas vraiment le regard de qui que ce soit d’autre et ils descendirent au rez-de-chaussée.

Ils y retrouvèrent une Erin éclatante et joyeuse, et des bols fumants d’œufs brouillés, une assiette de lard dégoulinant de graisse, et du pain. Ryoka aurait pu serrer Erin dans ses bras, mais elle était plus intéressée par la nourriture.

“Alors. Vous avez bien dormi ? Hum, désolée pour le chant ce matin.”

“J’ai plutôt bien aimé. C’était une chanson inhabituelle.”

Val sourit à Erin par-dessus son petit-déjeuner. Ryoka grogna. Ceria hocha la tête en se massant les tempes.

“Quelle nuit. Je n’arrive pas à croire la moitié des choses dont je me souviens. Et ce dont je me souviens pour de bon...”

Elle s’interrompit en évitant de regarder en direction d’Olesm. Et il s’appliquait également à ne pas regarder dans sa direction. Ryoka avisa sa queue agitée de tics nerveux. Erin ne sembla pas remarquer leur comportement. Au lieu de cela, elle pointa son échiquier posé sur la table d’un air surexcité.

“Devinez quoi, les gars ? Regardez-moi ça ! L’échiquier que j’ai reçu était magique !”

Tout le monde se tourna. Olesm lâcha sa fourchette et Val siffla en voyant les pièces fantomatiques.

“Je pensais bien que quelque chose clochait. Eh bien ! Ce n’est pas quelque chose qu’on voit tous les jours.”

Ryoka fronça les sourcils.

“Qu’est-ce que c’est ?”

“Une espèce de sort de duplication et un plateau connecté par magie, j’imagine. Évidemment.”

Ryoka tourna la tête et vit Pisces entrer en titubant dans l’auberge. Il avait l’air - et l’odeur - d’avoir dormi dehors. Ce que les débris qui tombèrent de sa robe confirmèrent.

“Pisces.”

“Ceria. Je vois que tu es en train de petit-déjeuner. Permets-moi de me joindre à toi.”

Pisces se glissa à la table de Ceria, au grand déplaisir de cette dernière. Erin fusilla Pisces du regard, mais elle ne le chassa pas de l’auberge. Au lieu de cela, elle se tourna de nouveau vers l’échiquier.

“Donc c’est, disons, un échiquier magique qui permet de jouer contre quelqu’un à distance ? Cool ! J’en avais un… tout pareil à la maison !”

Ryoka lança un regard noir à Erin tandis que Pisces et Val haussaient les sourcils. Olesm était occupé à inspecter le plateau et murmurait avec excitation en examinant les pions spectraux. Ils étaient plutôt impressionnants, surtout que la brume éthérée leur faisait comme une traîne lorsque le Drakéide les déplaça sur le plateau.

“‘Ils sont froids !”

Les pions étaient en effet froids au toucher, et Ryoka eut l’impression de tenir de l’air solide lorsqu’elle en toucha un. Erin contempla l’échiquier, et le pion alla se placer de l’autre côté du plateau.

“Eh bien, si ça, ce n’est pas une invitation à jouer… ça a l’air rigolo !”

Ryoka essaya d’analyser rapidement toutes les conséquences possibles de cette partie, mais elle n’en vit pas un nombre inconsidéré. De plus, la personne qui avait envoyé l’échiquier savait de toute évidence qu’il était arrivé.

Erin tendit la main vers un pion, mais la queue d’Olesm tressaillit et, voyant cela, elle s’interrompit. Le [Tacticien] hésita, puis regarda Erin d’un air suppliant.

“Est-ce que… est-ce que je peux faire une partie ? Je ne voudrais pas m’imposer, mais je suis curieux… quand tu auras fait quelques parties, est-ce que tu penses que je pourrai essayer ?”

“Eh bien, pourquoi pas essayer tout de suite ?”

Erin s’écarta et fit signe à Olesm de s’asseoir. Le Drakéide la dévisagea, bouche-bée, et Ryoka sourit sur sa chaise.

“Quoi ? Mais… non… je ne pourrais pas me permettre !”

Protesta Olesm tandis qu’Erin lui tirait la chaise. Elle secoua la tête.

“Oh, pitié. Ce n’est pas comme si c’était si important que ça, qui joue en premier. Et de plus, la personne en face ne sait pas qui je suis. Allez ! Il faut que je fasse du ménage, de toute façon.”

“Si tu es sûre… ”

Les mains d’Olesm tremblaient autant que sa queue lorsqu’il s’installa devant l’échiquier. Il regarda les pièces d’un air hésitant, puis avança un pion.

Pendant qu’il patientait - et Ryoka se demanda s’il allait devoir attendre longtemps étant donné le décalage horaire potentiel du joueur d’en face, elle se tourna vers Ceria. Le mage était en train d’observer Olesm, mais elle se retourna vers Ryoka et rougit violemment lorsque l’humaine lui donna un coup de coude.

“Quoi ? Ryoka ?”

“J’aimerais te parler de la possibilité que tu m’enseignes la magie plus tard. Si tu n’es pas trop occupée ?”

Ceria sourit d’un air ironique.

“Pas du tout. J’ai quelques petites choses à faire ce matin, mais est-ce que tu serais disponible dans quelques heures ?”

“Ce serait parfait. Je vais aller courir puis me reposer un peu plus. Je te retrouve ici.3

“Il a bougé ! Il a bougé !”

La voix surexcitée d’Olesm attira l’attention de tout le monde. Ryoka se concentra de nouveau sur le plateau, et vit qu’une pièce avait en effet bougé. Olesm était figé sur place, mais il finit par avancer précautionneusement une autre pièce. Au bout de quelques secondes, l’adversaire invisible répondit.

C’était impressionnant. Cela ne faisait, quoi, pas plus de quelques secondes ? Est-ce que le mystérieux expéditeur avait attendu que quelqu’un joue un coup ? Ryoka aimait les échecs, mais elle n’était clairement pas aussi fanatique qu’Erin et Olesm.

“Je vais rester ici et faire le ménage pendant qu’Olesm joue, puis je jouerai à mon tour. Ça va être une chouette journée !”

Déclara en Erin ramassant les assiettes et les couverts. Ceria hocha la tête et montra le mage assis à côté d’elle.

“Pisces et moi allons visiter la ville. Je veux aller voir Yvlon et il va s’acheter de nouvelles robes.”

“Vraiment ?”

Pisces regarda Ceria d’un air dubitatif. Il tritura sa robe couverte de taches.

“Mes vêtements actuels sont plutôt convenables.”

“Absolument pas.”

Tout le monde était d’accord avec l’affirmation de Ceria. La demi-Elfe pointa Pisces du doigt.

“Tu es dégoûtant. Tu as encore l’or que nous t’avons donné pour la jambe de Ryoka - dépenses-en un peu !”

Il hésita, et se leva pour la suivre lorsqu’elle s’avança vers la porte.

“Ah. À ce sujet. Penses-tu que tu pourrais m’accorder un petit crédit ?”

La porte se referma derrière eux. Ryoka et Val partirent peu de temps après. Ce qui ne laissa qu’Erin et Olesm dans l’auberge. Erin s’affaira à ranger, nettoyer les taches, complètement concentrée sur ses tâches.

Ce n’était pas facile. Mais ce n’était pas difficile non plus. À la vérité, ce n’étaient que les taches et les particules de nourritures coincées dans les espaces entre les lattes du plancher et sous les chaises qui agaçaient Erin. Pourquoi n’avait-elle pas pu avoir la compétence de [Récurage Avancé] ou quelque chose dans le genre, plutôt ? Même si ses deux dernières compétences avaient l’air utiles. Erin se demanda quels plats elle allait réussir à faire ce soir. Hm. Que devrait-elle préparer pour ce soir ?

Au bout d’un moment, elle entendit un son sourd provenant du côté d’Olesm. Elle se retourna, et le vit en train de regarder fixement la table, sa queue fouettant le sol. Le Drakéide avait l’air désemparé.

“Olesm ? Qu’est-ce qu’il se passe ?”

Il se retourna vers elle. Olesm semblait sur le point de pleurer lorsqu’il pointa l’échiquier du doigt. Les pièces blanches recouvraient le plateau, et il ne lui restait qu’un Roi et deux pions de son côté.

“Je… je suis désolé. Je ne peux rien faire.”



***



Ryoka inhala l’air frais et glacé lorsqu’elle sortit de l’auberge. L’hiver. Ah, l’hiver. Elle n’était pas fan.

Le froid et la neige rendait impossible pour elle le fait de courir pieds nus, et elle détestait par conséquent l’hiver. C’était tout.

Techniquement, Ryoka pouvait courir pieds nus dans la neige. Certains coureurs pouvaient même courir sur de l’eau gelée en hiver, elle avait vu des vidéos YouTube. Mais c’était une mauvaise idée de le faire sur le long terme, et c’était dangereux. De plus, ses parents avaient paniqué quand ils avaient appris que Ryoka faisait ça, donc il y avait ça, aussi.

Val apparut à côté de Ryoka et se mit à faire les mêmes sortes d’étirements qu’elle. Elle lui lança un regard en coin, et se demanda s’ils pensaient tous deux à la même chose.

Un jogging matinal. C’était le meilleur moment pour ça. Son corps était raide, et sa tête douloureuse à cause de la veille était encore embrumée. Il n’y avait pas d’autre solution que de s’en débarrasser en courant. Les joggings matinaux quotidiens faisaient partie de la vie de Ryoka - si elle n’allait pas faire de livraison aujourd’hui, elle voulait courir un moment.

“Est-ce que tu vas courir ? Ça te dit, un peu de compagnie ?”

L’offre de Val surprit Ryoka. Elle le dévisagea pendant quelques secondes avant de répondre.

“Je vais te ralentir. Tu es bien plus rapide que moi.”

Cela n’était même pas douloureux de l’admettre. Il y avait une telle différence entre eux que cela ferait plus mal encore de nier un fait aussi évident. Mais Val n’avait pas l’air d’être de son avis. Il se gratta la nuque et se tourna vers Ryoka.

“C’est peut-être vrai, mais pourquoi est-ce que cela nous empêcherait de courir ensemble ? Je ne suis pas obligé d’activer mes Compétences. Pour tout dire, je préfère m’en abstenir. [Foulée Double] et [Vivacité] dont géniales pour les longues distances, mais elles me fatiguent trop pour que je puisse faire d’autres choses quand j’en ai envie. Donc, on y va ?”

“... D’accord.”

C’était étrange. Ryoka n’était pas une coureuse sociale. Dans l’équipe de course du lycée, elle avait été tout aussi antisociale que partout ailleurs. Elle était même encore plus ostracisée là-bas parce qu’elle était la meilleure coureuse de l’équipe et qu’elle ne s’entendait avec personne. Une paria qui ne se pointait qu’aux événements et aux rencontres sportives et rien d’autre.

C’était autant la faute de ses parents que la sienne. Ils avaient forcé l’entraîneur à laisser Ryoka s’entraîner seule, étant donné qu’elle le faisait déjà après la fin des cours. Une mauvaise décision. L’une des nombreuses contre lesquelles Ryoka n’avait pas protesté ou qu’elle avait prises au cours des années.

Elle espéra que courir avec Val était une bonne idée. Elle le laissa choisir le rythme, et il la guida dans une course raisonnablement rapide à travers la neige. Pas trop rapide ; elle comprit vite qu’il voulait parler en courant, ce qui était encore un nouveau concept pour elle.

“C’était une sacrée nuit, hein ? J’ai vu des fêtes en cité qui n’atteignaient pas ce niveau. Et la musique ! Par les Dragons célestes, je n’avais jamais rien entendu de tel !”

“C’était cool, hein ?”

Pour Ryoka, les mots ne suffisaient pas à capturer cette nuit. Elle n’avait pas été magique, et n’allait pas lui changer la vie, mais elle avait été tout de même extraordinaire. Elle avait été… un peu magique, d’accord. C’était une bonne nuit. Une rareté, pour elle.

“Et l’artefact qu’utilisait Erin… c’était le tien ? Il fait de la musique ?”

“Il… rejoue de la musique.”

Ryoka plongea la main dans sa poche pour en retirer l’iPhone et le montra à Val. Il était éteint, et il le regarda avec curiosité avant d’accélérer le rythme.

“Je ne comprends pas comment il fonctionne, mais j’ai déjà vu des objets capables d’enregistrer la vue et le son. Et l’odeur. J’imagine que c’est quelque chose dans ce genre ?”

“Ça vient de chez Erin et moi. Tu peux voir ça comme de la magie. Ça s’en rapproche.”

Cela avait peut-être été une erreur de révéler qu’elle avait l’iPhone, mais cette conversation avec les autres avait montré à quel point l’idée de garder son monde secret était illusoire. De plus, il y avait des avantages à révéler quelques secrets.

“En revanche, dis-moi si tu croises quelqu’un avec ce genre d’appareil, d’accord ? J’aimerais les rencontrer.”

“Moi aussi, surtout s’ils ressemblent à Erin et toi !”

“Eh bien, ça se pourrait, oui. Mais je n’ai vu personne d’autre.”

Ryoka sentit ses jambes se réchauffer pendant qu’ils couraient dans la neige mouillée. Le soleil réchauffait sa peau, et elle allait de mieux en mieux à chaque seconde qui s’écoulait. Rien de meilleur qu’une bonne course et, étonnamment, la conversation ne faisait pas de mal non plus.

“Je dois encore te remercier. L’amulette… je veux te la rembourser, d’une manière ou d’une autre. Elle était extrêmement chère.”

“Comme j’ai dit, oublie. C’est un service d’un Coursier à une autre.”

Ryoka se sentit mal à l’aise. Les mots de Val ressemblaient beaucoup à ceux qu’elle avait entendu Fals répéter sans relâche.

“Tout de même. Ce n’est pas rien. Mille pièces d’or…”

Cette fois-ci, Valceif grimaça et ralentit pour se retrouver côte-à-côte avec Ryoka. Il la dévisagea d’un air grave.

“Ryoka, nous sommes des Coursiers. Quand l’un de nous a besoin d’aide, les autres Coursiers donnent ce qu’ils peuvent. Si on a besoin d’aide pour porter un colis, on demande. Parce que nous sommes semblables, toi et moi. Tu as besoin d’aide aujourd’hui ; demain cela pourrait être mon tour, ou quelqu’un d’autre. Je ne fais que rembourser les faveurs qui m’ont été accordées par le passé.”

Elle réfléchit à ce qu’il venait de dire. Val regarda les alentours et soupira.

“Écoute, je ne suis pas très content d’avoir perdu ce charme non plus. Mais c’est la vie. ON perd et on gagne. La dernière personne qui m’a aidée a reçu deux flèches en me mettant en sécurité après qu’un [Seigneur des Bandits] m’avait tendu une embuscade. C’est le moins que je puisse faire.”

Ryoka acquiesça. Puis elle baissa la tête.

“Bordel. Je suis tellement bête.”

“Quoi ? Pourquoi ?”

Ryoka tenta d’expliquer de son mieux. Elle eut l’impression de tout relater de manière terrible et confuse - elle n’avait pas l’habitude de parler de… quoi que ce soir, avec qui que ce soit. Mais Val parut la comprendre. Il ralentit légèrement en réfléchissant.

“Hum. Je comprends ce que voulait dire ce Fals, mais ce n’est pas exactement comme ça que je vois la chose. C’est le problème avec les petites Guildes. Par là…”

Il changea de direction en courant à petites foulées dans la neige. Ryoka le suivit, et remarqua qu’ils venaient d’éviter une zone suspicieusement plate.

“Un nid d’Araignées Cuirassées ?”

“D’autres Coursiers m’ont dit qu’elles aimaient se cacher sous terre pendant l’hiver. C’est une bonne chose que ce soient les seuls monstres dangereux qui posent des pièges - ou du moins, à cette période de l’année. Je ne viendrais jamais ici au printemps ou en été sans préparer une baguette ou deux.”

Val secoua la tête.

“Toujours mieux que des Crelers. Dieux morts, je ne peux pas supporter ces horreurs. Mais où en étais-je ? Les petites Guildes dans ce genre ne sont pas dans la même optique que moi. On se soutient si l’un de nous est en danger, mais personne ne donne des ordres aux autres. Ce qu’ils voulaient que tu fasses, ce Fals et le reste de la guilde… j’aurais été de ton côté aussi.”

“Vraiment ?”

Cela surprit Ryoka, même si c’était sans doute logique. Val n’était clairement pas Coursier au sein d’une Guilde, et il aurait probablement traité le reste des Coursiers comme des gens très différents.

“Nous sommes une communauté, pas un culte. Et ce n’est pas comme si je jetais des amulettes sur tous ceux que je croise. Si cette fille au visage pincé m’avait demandé de l’aide, par exemple, je l’aurais laissée se faire ensorceler toute la journée.”

Il fit un geste en direction de Ryoka alors qu’ils gravissaient une colline.

“Tu es différente. Ce Fals, la fille que j’ai sauvée…”

“Garia.”

“... oui, voilà. Eh bien, ils ne deviendront Courriers que s’ils ont beaucoup de chance et apprennent une bonne compétence. Ce qui ne me paraît pas très probable. Mais tu es plus rapide qu’eux sans niveaux. Et tu as les tripes de courir toute la nuit pour arriver ici.”

“Tu crois ? Mais je n’ai… je n’ai aucun niveau. Je ne pourrais jamais courir comme toi.”

C’est avec beaucoup de regrets que Ryoka l’admit. Elle avait toujours pensé que les niveaux n’étaient qu’une astuce bidon, un moyen de tricher ou de jouer le jeu de quelqu’un d’autre. Mais après tous ces jours passés dans ce monde, voir Valceif courir était la première chose à la tenter autant.

“Si… si je décidais de gagner des niveaux, ce serait peut-être mieux. Plus intelligent. Plus sensé.”

Elle s’attendait à ce que Val soit d’accord avec elle, mais il parut avoir des réservations.

“Je ne pense personnellement pas que ça en vaille la peine.”

“Pourquoi pas ?”

“Eh bien, déjà - ne te vexe pas, mais… tu n’atteindras jamais mon niveau si tu commences maintenant. Je sais que les [Guerriers] et les autres classes gagnent plus de niveaux en tuant des ennemis plus forts ou autres, mais nous autres [Coursiers] gagnons des niveaux d’une manière bien différente.”

“Comment ça ?”

“Nous gagnons des niveaux selon la distance que nous avons parcourue, et le défi que présentait la course. Certes, tu pourrais faire des courses horriblement difficiles, mais même là, je doute que tu atteignes le Niveau 10 avant la fin de l’année, et ta progression ne ferait que ralentir à partir de là. Non, je dirais que tu as ton propre style unique sans niveaux. Tu devrais continuer comme ça.”

C’était bien la première fois que Ryoka entendait cette opinion-là. Elle jeta un regard au profil de Val et son nez tordu.

“Tu crois vraiment ? Je n’ai croisé personne d’autre qui partage ton opinion.”

“Eh bien, c’est une histoire de préférences. Et de plus, tu ne le sais sans doute pas, mais les Compétences ne sont pas les mêmes même pour les gens qui ont la même classe.”

Ryoka s’en était doutée d’après les commentaires de certains Coursiers, mais elle ne l’avait jamais entendu dire par quelqu’un qui s’y connaissait. Elle laissa Val poursuivre en continuant leur lent circuit au cœur des Plaines Inondées de Liscor.

“Les compétences, c’est… comment devrais-je les décrire ? C’est comme un pari, mais un pari sûr. En gagnant des niveaux, tu gagnerais certainement de bonnes compétences, et d’autres un peu moins utiles. Mais tu peux généralement prédire celles que tu vas avoir selon ta classe.”

“Ah. Il y a un panel d’options ?”

Val leva un pouce en l’air et inclina la tête dans sa direction.

“Précisément. Tu peux obtenir des compétences rares comme [Foulées Doubles], et d’autres moins rare. Par exemple, la quasi-totalité des [Guerriers] gagnent tôt ou tard la compétence de [Peau Épaisse] s’ils se concentrent sur le combat rapproché. Mais ils l’obtiendront peut-être au Niveau 5, ou au Niveau 50. Enfin… non, pas au Niveau 50.”

“Pourquoi pas… attends, il y a des classes rares tous les 10 niveaux ?”

“Bien deviné ! Ouaip, j’ai eu ma compétence de [Foulées Doubles] au Niveau 30. Et bien sûr, parfois, on peut apprendre une compétence rare, mais ça requiert de l’entraînement et un peu de chance. Je suppose que si tu avais une classe tu pourrais apprendre quelque chose qui te permettrait d’aller plus vite mais…”

“Ça n’en vaut pas la peine. Compris. Mais comment puis-je aller plus vite sans classes ?”

“Avec de la magie, bien sûr. J’ai déjà rencontré des gens comme toi. Des gens sans niveaux, je veux dire. C’est comme ça qu’ils contrent le problème.”

Ryoka ralentit et son pied glissa sur un patch de glace. Elle se rattrapa et courut derrière Val qui s’était arrêté pour qu’elle puisse le rejoindre.

“Vraiment ?”

“Oui, j’en croise de temps en temps. Des gens de toutes sortes choisissent de vivre sans niveaux. Enfin, ils ne sont pas très courants, comme tu peux l’imaginer, mais j’en croise de temps en temps.”

“Est-ce qu’il y a des différences entre eux et les autres ?”

“L’attitude ? La manière dont ils sont traités ? Rien d’autre.”

C’était décevant, mais peut-être… Ryoka essaya de maintenir le flot de la conversation tout en réfléchissant.

“Et tu penses qu’on peut devenir Courrier sans Compétences ? Avec de la magie ?”

“C’est possible. Il te faut juste le bon équipement - la bonne magie, si tu as le don. Tous les Courriers ne sont pas rapides. Certains courent un peu plus lentement que toi, mais rien ne peut les arrêter. Il y a une [Tireur d’Élite] parmi nous qui monte à cheval. Elle tue tous ceux qui essaient de se mettre en travers de son chemin à deux-cents pieds.”

“Hm. Donc je remplis mon CV jusqu’à ce que je sois suffisamment célèbre, hein ?”

“Ton quoi ? Oh, tu veux dire prendre plein de requêtes prestigieuses ? Ouaip. Fais-toi un nom en tant que Coursière de confiance et tu deviendras Courrier. Il faut juste que tu prennes les requêtes qu’aucun autre Coursier ne va faire.”

“Eh bien, au moins j’ai bien commencé.”

“Oh ? Comment ça ?”

Ryoka hésita. Mais elle avait parlé en toute honnêteté avec Val jusqu’ici, et elle voulait continuer comme ça. De plus… elle lui avait parlé brièvement de la requête de Teriarch, en omettant tous les détails vraiment intéressants.

Val siffla.

“Huit cents pièces d’or ? Tu plaisantes. C’est… pas étonnant que ton type s’attendait à voir un Courrier.”

“Eh bien, c’était normalement quarante pièces d’or et une potion avant que je ne me mette à négocier avec lui.”

“Hah !”

Val dut réfléchir un moment pendant qu’ils poursuivaient leur course. Ryoka lui avait demandé s’il connaissait les terres par-delà les Plaines Sanglantes, en omettant de mentionner les morts-vivants ou la personne qu’elle devait retrouver, Az’Kerash.

“Les Plaines Sanglantes ? Et les terres australes, huh ? Effectivement, ça va te poser un problème, mais je ne suis pas sûr de pouvoir t’aider. Je ne suis descendu là-bas qu’une ou deux fois.”

“Dommage. Je me débrouillerai.”

“Tu n’aurais pas dû y aller sans t’être informée d’abord, en revanche. Et bien que je connaisse peut-être… attends, laisse-moi voir si je peux trouver le Courrier du coin.”

“Quoi ?”

Val plongea la main dans une bourse à sa ceinture. Il en sortit… une bête pierre. Elle ressemblait vaguement à celle que Teriarch avait donnée à Ryoka - une pierre lisse ordinaire, même si cette dernière était gravée de symboles luisants plutôt que d’une flèche.

Ils s’illuminèrent lorsque Val posa un doigt sur la pierre. Ryoka n’entendit rien, mais Val dut entendre une voix, parce qu’il se mit à parler dans les airs en continuant de courir.

“Ah, bonjour ? Est-ce que je parle bien à Épervier ? C’est Valceif, de Port-Fondateur. Je suis dans la région, et je me demandais si tu avais le temps de venir t’entretenir avec moi et une autre Coursière. Nous sommes juste en train de courir près de la ville. Est-ce que ça te dirait de… ? Merci.”

Il remit la pierre dans sa poche et se tourna vers Ryoka.

“J’ai appelé Épervier, un Courrier qui fait les courses dans le coin. Il sera avec nous dans quelques secondes.”

Ce n’était pas une exagération. Environ dix secondes après que Valceif eut parlé, Ryoka remarqua quelque chose sortir de la ville et foncer sur eux. Elle aperçut à peine le Coursier en lui-même ; son attention fut attirée par la neige qu’il soulevait sur son passage. Il intercepta les deux Coursiers en quelques secondes, et la neige tomba en cascade autour d’eux lorsque Épervier, tout à la fois Garou, lapin géant doué de parole, et Courrier de Liscor apparut.

“Valceif ! Je suis surpris qu’ils t’aient envoyé aussi loin au sud !”

“Salut, Épervier. Bah, tu sais comment c’est. Tu étais occupé, j’étais dans le coin et ils avaient besoin d’une livraison expresse donc me voilà.”

Les deux Coursiers se serrèrent la… main. Ryoka regarda fixement la grosse patte d’Épervier, son visage recouvert de fourrure et… lui-même.

Elle était incapable de gérer cela. Non. Non… elle était perdue. C’était un lapin géant. Ce n’était pas comme voir un Drakéide ou un Gnoll, elle avait affaire ici à un lapin parlant avec un pantalon et des tablettes de chocolat. L’esprit de Ryoka était en train de se dissoudre sur les bords.

“Et voici Ryoka Griffin, une Coursière de Ville. J’espérais que tu pourrais l’aider. Ryoka, je te présente l’un des Courriers les plus rapides du continent.”

“Épervier. Je suis le Courrier de la région. Ravi de faire ta connaissance, Miss Ryoka.”

Ryoka saisit avec précautions la patte qu’il lui tendait et la serra. Il avait… cinq doigts, mais quatre orteils au pieds. Sa fourrure était douce et chaude dans ses mains. Elle croisa son regard marron et tenta de sourire.

Val prit les rênes de la conversation. Il expliqua brièvement la livraison de Ryoka, en ajoutant quelques détails qu’elle jugeait inutile.

“C’est une Coursière de Villes, mais un cran au-dessus des autres. J’espérais que tu pourrais lui donner quelques conseils.”

Épervier sourit à Ryoka et haussa les épaules.

“Eh bien, je peux t’empêcher d’avoir trop d’ennuis, mais il y a toujours une guerre ou une escarmouche en cours là-bas. C’est risqué pour un Coursier de Ville ou même un Courrier inexpérimenté. Il faudrait peut-être y réfléchir à deux fois, Miss. Combien es-tu payée pour la livraison ? Est-ce que la requête en vaut vraiment le coup ?”

Il n’était pas exactement arrogant, mais il avait l’air trop détendu pour prendre la conversation au sérieux. Après avoir vu sa vitesse de course, Ryoka ne pouvait pas le blâmer de la prendre pour du menu fretin.

Elle s’arma de courage. Lapin ou non, il restait une personne. Souviens-toi de ça. Erin faisait paraître les conversations interespèces tellement faciles. Elle sourit à Épervier, et décida de lui rabattre le caquet. Juste un peu.

“On peut dire ça comme ça. Ma livraison vaut huit cents pièces d’or. Tu penses que ça vaut le coup ?”

Épervier trébucha, mais se rattrapa avant de s’étaler face contre terre dans la neige.

“Huit c…”

Il jeta un regard à Val. L’humain lui souriait. Épervier sourit d’un air piteux et hocha la tête en direction de Ryoka pour s’excuser.

“Eh bien, je t’ai sous-estimée, je vois. Mais ce que je dis à propos du danger est vrai, surtout si tu as quelque chose sur toi qui puisse attirer l’attention. Tu veux me passer la livraison ? Je la ferai et te donnerai cent pièces d’or.”

Ryoka secoua la tête. Elle n’allait pas donner sa requête, même si cela signifiait prendre des risques. À présent qu’elle avait appris pour Teriarch, elle était obligée de faire cette requête, pour plus d’une raison. Val adressa un regard de reproches à l’autre Courrier.

“Épervier.”

L’homme-lapin leva les mains en l’air, sur la défensive.

“Je propose juste. D’accord. Je me disais que tu n’étais pas sérieuse, mais je suis désolé, Miss Ryoka. Ça marche alors. C’est une livraison sérieuse.”

“Et c’est elle qui la fait.”

“J’ai juste proposé.”

“Merci, mais ça ira.”

Ryoka indiqua sa bourse de ceinture dissimulant la lettre et l’anneau d’un geste de la main.

“De plus, ce que je livre est ensorcelé pour ne pouvoir être porté que par moi. Tu mourras probablement si tu essaies de le prendre.”

“C’est… un détail important. D’accord. Eh bien, je suis ravi de donner des conseils. Qu’as-tu besoin de savoir ? Les routes pour voyager ? Les champs de batailles actuels ?”

“Tout ça, et aussi les monstres locaux, les choses comme ça. Ryoka n’est jamais descendue là-bas.”

Épervier hocha la tête. Ses orteils tressaillirent et il regarda la neige immaculée qui les entourait.

“Ça vous gêne si on parle en courant ?”

“Ça me va. Je connais un bon chemin dans le coin avec des portions plates sympathiques. Vous voulez que je guide ?”

“Ça me va.”

“Vas-y.”

Ils s’élancèrent. Comme Val, Épervier ajusta son rythme pour que Ryoka puisse le suivre confortablement. C’était un sentiment étrange d’être la personne la moins rapide du groupe. Épervier prit la parole pendant qu’ils couraient tous ensemble.

“Bon, déjà, est-ce que tu sais où tu vas ou est-ce que tu as une cible mobile ? Si c’est quelque chose comme les Villes Emmurées, tu vas pouvoir y aller plutôt facilement. Sinon…”

“J’ai un sort qui me pointe dans la bonne direction. Je n’ai aucune idée d’où je me rends.”

Val grogna.

“Je déteste ceux-là.”

Épervier acquiesça. Le lapin prenait de longues foulées détendues que Ryoka lui enviait. Il n’avait même pas l’air dérangé par la neige lorsqu’il passait dessus. Mais bon, il avait des coussinets sur ses pieds… pattes.

“Ça complique les choses. Si tu t’y rends avec un sort, tu pourras tomber en plein dans un nid de monstres ou l’une des zones de bataille là-bas. Il y a quelques conflits en cours, et n’importe quel Humain qui court là-bas se fait tirer dessus, Coursier ou non.”

“Quoi ? Les soldats n’attaquent pas les Coursiers ! S’ils savent que tu es un Coursier, ils devraient te laisser tranquille !”

Val avait l’air indigné, mais Épervier se contenta de lui sourire.

“Si tu peux prouver que tu es Coursier avant qu’ils ne te criblent de flèches, vas-y. De plus, ils utilisent des sorts qui rasent des zones entières, donc il n’y a pas de garantie que tu ne vas pas te retrouver coincée dans l’une d’elle. Mon conseil est juste de garder ses distances, mais si tu dois te rendre dans l’une d’elles…”

Il se mit à faire une liste de lieux, et Ryoka essaya de les mémoriser. Val sortit une carte de la région et commença à y noter des endroits pour elle. Encore un cadeau. Elle essaya de refuser, mais il lui dit qu’elle ne coûtait qu’une pièce d’or ou deux. Elle répondit en lui jetant deux pièces d’or dessus alors qu’ils continuaient de courir.

“Sois prudente, c’est tout. Tu peux parler aux soldats s’ils n’essaient pas de te tuer et normalement ils te laissent passer, donc ce n’est pas le véritable problème.”

“Alors c’est quoi ?”

Épervier sauta sauta droit au-dessus d’un tas de neige d’un mètre cinquante et atterrit avec légèreté. Il se retourna et courut à reculons tandis que Val et Ryoka contournaient l’obstacle.

“Les trucs à surveiller ? Je commencerais par les Gnolls. Reste loin d’eux sauf si tu es absolument certaine de savoir de quelle tribu il s’agit. Certaines sont amicales avec les Humains et les autres espèces, mais d’autres essayeront de te manger. Crois-moi, je parle d’expérience.”

Il fronça les sourcils en se frottant le cou. Ryoka pouvait imaginer le conflit qui découlerait… elle regarda Épervier et décida qu’elle ne pourrait plus jamais manger de lapin. Non pas qu’elle soit particulièrement fan de base.

“Il y a plusieurs tribus Gnolles dangereuses par là. Ne les sous-estime pas ; ils ne ressemblent pas aux Gnolls normaux qu’on croise ici. Hum… il y a beaucoup de monstres, mais ils sont principalement en train d’hiberner ou de se cacher en hiver. Fais attention aux Golems de Neige, en revanche. Ils sont pratiquement invisibles dans la neige. Oh, et les Wyvernes. Les blanches descendent des montagnes parfois et elles adorent le froid.

Ryoka savait ce qu’était les Wyvernes, mais elle n’arrivait pas à croire l’autre chose qu’avait dite Épervier.

“Des Golems de Neige ? Tu parles de bonhommes de neige géants ?”

“Des bonnes choses de neige.”

“D’accord. Désolée.”

“Erreur commune. Je suppose que tu as déjà vu ce qu’il se passe quand de stupides morveux font un Drakéide de neige et oublient de lui mettre des vêtements ? Imagine ça, mais dix fois plus gros et avec des stalactites en guise de dents et de griffes. De plus, ils peuvent jeter des boules de neige remplies de cailloux.”

Épervier frissonna.

“Je les déteste tellement. Si jamais tu sais que tu te rends proche d’un groupe d’entre eux, amène une espèce de sort de feu avec toi.”

“Et les Wyvernes… surveille le ciel. Si tu vois quoi que ce soit au-dessus de toi, même si tu penses que c’est un aigle, assure-toi d’avoir un endroit pour te cacher avant qu’elles t’atteignent. Elles peuvent plonger en piqué incroyablement vite, donc fais attention s’il y a des nuages.”

“Et vous n’allez pas me convaincre d’abandonner, malgré le danger ?”

Ryoka dévisagea les deux Courriers, amusée. Tout cela semblait presque aussi dangereux que les Hautes Passes, mais tout le monde alors lui avait dit qu’il était suicidaire d’essayer d’y aller. Val et Épervier secouèrent tous deux la tête. Val la désigna d’un geste de la main en entamant une courbe pour rentrer à l’auberge.

“Si tu as pris le contrat, tu n’as pas d’autre choix que de faire la livraison. Et si tu es du genre à abandonner juste parce que tu risques de mourir, tu ne deviendras jamais Courrier.”

Ryoka sourit, et les deux autres lui rendirent son sourire. C’était étrange de se sentir en phase avec d’autres gens.

“Autre chose ?”

“Les morts-vivants. Fais très attention à eux.”

Cette fois-ci, Épervier avait l’air parfaitement sérieux.

“Tu n’étais pas là lors de l’attaque des morts-vivants, n’est-ce pas ?”

“J’ai vu les conséquences de l’attaque.”

“Oui, eh bien… ils n’étaient vraiment pas au niveau de ceux que tu peux trouver dans les Plaines Sanglantes. Je veux dire, il y en avait un gros, mais individuellement, les pires qu’on a eu ici étaient les Seigneurs des Cryptes.”

“C’est déjà bien assez dangereux. C’est une catégorie de commandement.”

“Oui, mais ils commandaient des zombies, des squelettes, et des goules. Rien d’effrayant. Mais un bon nombre des morts-vivants que tu peux retrouver là-bas sont des restes du Nécromancien.”

“Oh.”

Ryoka regarda tour à tour l’humain et l’homme-lapin.

“Le Nécromancien ? Tu veux dire celui qui a levé l’armée des morts-vivants ? On parle de quel genre de morts-vivants, là ?”

Épervier frissonna.

“Le genre horrible. Le genre intelligent. Il a réduit en esclavage des spectres et des fantômes et construit de nouveaux types de morts-vivants. Écoute… achète de l’équipement d’urgence juste avant de partir. Quelque chose pour pouvoir t’enfuir rapidement si tu tombes sur un groupe.”

Ryoka porta la main sur la potion à sa ceinture, et se souvint de celles qu’elle avait prises chez Octavia.

“J’ai deux-trois trucs. Et quatre potions de soin et trois potions de stamina. Ça ira ?”

“Ça devrait aller.”

“Tant que tu ne t’éloignes pas trop des routes. Les potions de soin ne sont utiles qu’à la condition que tu sois encore vivante pour les utiliser. La meilleure solution reste de ne pas se faire blesser.”

“Je suis d’accord. Évite de te faire blesser.”

“Et n’abandonne pas ! Livre ou meurs !”

Ryoka ne put s’empêcher d’éclater de rire. Les deux Courriers étaient comme elle. C’était incroyable !  Elle prit une grande inspiration et cita de mémoire.

“ ‘Ni la pluie, ni la neige, ni la noirceur de la nuit ne sauront empêcher ces courriers d’accomplir promptement la tournée qui leur a été assignée*’, huh ?”

Val et Épervier dévisagèrent tous les deux Ryoka d’un air ébahi.

“Pas mal, comme devise ! Tu l’as entendue où ?”

“Oh, c’est une citation de chez moi au sujet des Courriers.”

“‘Ni la pluie, ni la neige’… oui, j’adore !”

Épervier hocha la tête et Val l’imita.

“On risque de devoir s’approprier cette devise ! Merci, Miss Ryoka.”

“Appelle-moi Ryoka.”

‘Miss’ paraissait être la manière polie de s’adresser à quelqu’un dans ce monde, presque comme les honorifiques japonais. Elle inclina la tête à l’attention des deux Courriers lorsqu’ils ralentirent en s’approchant de l’auberge.

“Merci à tous les deux. Je vous dois beaucoup. Je vous revaudrai cette faveur un jour.”

“Bah. Ce n’était rien.”

Épervier agita une patte d’un air dédaigneux. Puis il sourit à Val et Ryoka.

“Discuter, ça ne coûte rien, mais rencontrer d’autres bons Coursiers ? C’est génial de tomber sur de nouvelles personnes qui savent courir ! Vous ne me croiriez pas si je vous racontais à quel point ceux d’ici sont lents. Et hey, on pourra peut-être retourner à l’auberge du coin pour manger quelques hamburgers après, hein ?”

Val et Ryoka marquèrent une pause. Ryoka se souvint du nombre qu’elle avait mangé la veille, à la fois au déjeuner et au diner. Val pensait clairement à la même chose.

“Non.”

“Non, pas avant encore un mois.”

Val et Ryoka avaient tous les deux répondu en même temps. Épervier parut légèrement blessé.

“Pourquoi pas ? Vous étiez tous les deux à l’auberge la nuit dernière, non ? Celle avec la musique ? C’était géniale ! J’ai dû manger au moins huit de ces machins, et après j’ai pu m’envoyer de la queue, si vous voyez ce que je veux dire.”

Il sourit à Val et remua la patte.

“Les Drakéides. Tellement glissantes, tu vois ce que je veux dire ?”

Val et Ryoka échangèrent un regard. Val dévisagea Épervier.

“De queue ? Tu ne veux pas dire que…”

L’esprit de Ryoka se ferma littéralement à l’idée d’Épervier en train de manger huit hamburgers puis de trouver une Drakéide et…

Aucun des deux humains ne reprit la parole, mais ils accélérèrent tous deux au même moment. Épervier dut allonger ses foulées pour suivre la cadence. Il les fusilla du regard en se calant sur leur rythme.

“Oh allez quoi ? Vous pensiez vraiment que les gens charnus comme vous étaient mon truc ? Je préférerais déjà commencer par embrasser des Minotaures. Au moins elles ont quelque chose pour les couvrir ! Boules de poils, vous êtes tellement susceptibles, vous les humains…”




***

Olesm n’était pas un Drakéide bouffi d’arrogance, mais il avait tout de même sa fierté. Elle avait été terriblement écrasée, battue, et piétinée par une certaine humaine et les morts-vivants, mais cela restait tout de même de la fierté.

Il avait gagné des niveaux, risqué sa vie, et essayé d’apprendre à jouer à son jeu préféré du mieux qu’il le pouvait. Il avait appris avec la plus grande joueuse d’échecs du monde - Erin, et il pensait avoir réussi à faire quelque chose de sa vie.

Mais il voyait la vérité, à présent. Les eaux froides de la réalité lui léchaient le front, et Olesm était tellement submergé qu’il n’essayait même pas de nager.

Il sentit Erin s’approcher, et souhaita, souhaita tellement fort être le genre de personne qui pourrait capturer son cœur. Mais il était [Tacticien] - pas spécialement bon, et qui n’arrivait pas à la cheville de ceux de l’armée Liscorienne - mais il avait une compétence spéciale. Il savait lire les gens, et elle n’était pas intéressée par lui.

Du tout. Oh, elle l’aimait bien, mais Olesm savait qu’il n’y aurait jamais rien de plus. Et bien sûr, il avait trouvé quelqu’un…

C’était juste qu’elle était comme un phare pour lui, un puits de connaissances et un mystère inexplicable qui remuait son âme. Et il lui avait fait faux bond. Il arrivait à peine à regarder Erin. La honte fit retomber la queue d’Olesm.

“J’ai… perdu. Trois parties d’affilée. Je n’ai même pas pu me défendre.”

Erin contempla l’échiquier avec curiosité tandis qu’Olesm grimaçait. Il ne supportait même pas de voir à quel point il avait été démoli. Cela n’avait même pas été une bataille, vraiment. Juste l’adversaire en train de mettre la tête d’Olesm sous l’eau et de la maintenir ainsi jusqu’à ce qu’il se noie.

“Huh. Ce type est bon. Ou cette fille. Probablement un mec, en revanche.”

“Tu peux deviner son genre juste en regardant le plateau ?”

La queue d’Olesm retomba encore plus bas. Erin était tellement au-dessus de son niveau…

“Non ! Je veux dire… enfin, tous les Grands Maîtres de chez moi étaient principalement des mecs. Les filles ne jouent pas autant aux échecs donc je disais juste que… hm.”

Elle regarda fixement le plateau, puis se mit à remettre les pièces en place. Olesm regarda le plateau d’un air sombre.

“Je crois que je l’ai mis en colère. Ou… que je l’ai déçu. Je suis tellement désolé.”

Après la première partie, l’adversaire avait remis les pions en place rapidement. Mais cette fois-ci, il - ou elle - laissa Erin remettre toutes les pièces en place. Oui, Olesm sentait bien la désapprobation émaner des pièces. Cela le mettait au supplice, il ne pouvait pas le nier. Si l’adversaire s’était rendu compte que la personne qui avait trouvé le merveilleux puzzle n’était que du niveau d’Olesm…

Olesm baissa la tête et la posa sur la table. Il allait s’excuser, quitter l’auberge, rentrer en ville, et ne plus déranger Erin avant d’avoir gagné au moins dix niveaux. Il allait…

Une main frôla les épines sur la tête d’Olesm et il se redressa dans un sursaut. Erin lui caressa gentiment la tête en s’asseyant à la table.

“Il n’y a aucune raison d’être en colère parce qu’on a joué contre quelqu’un de moins fort que nous. Tout le monde doit apprendre d’abord. Si ce type est énervé, je vais lui donner une leçon pour toi.”

Erin retourna le plateau, et avança un pion blanc. Olesm hésita, mais son pouls se mit soudain à accélérer.

“Il est plutôt bon.”

“Je sais. J’ai vu. Donc… j’imagine que je vais m’y mettre sérieusement.”

“Je vais juste… je vais te laisser un peu…”

Olesm recula jusqu’à se trouver à une longueur de table d’Erin. Il attendit, la respiration hachée, alors qu’elle fixait le plateau du regard. Puis, il vit un cavalier avancer en F6, presque avec réticence. Son moral plongea de nouveau au fond de ses bottes.

C’était… comment Erin avait-elle appelé cela ? Oh, oui. La Défense Alekhine. C’était une ouverture agressive pour contrer, et cela suggérait que l’autre joueur s’était lassé de jouer contre Olesm. Il avait joué avec beaucoup de prudence au début, mais maintenant…

Erin sourit. Elle avança un autre pion - un cavalier en C3. Presque instantanément, l’adversaire contra, en avançant de nouveau son cavalier, mais Erin ne s’arrêta pas. Elle se mit à jouer ses coups rapidement, dès que l’adversaire avait bougé les siens.

Olesm sentit le choc parcourir le plateau. L’adversaire venait probablement de réaliser que quelqu’un d’autre était en train de jouer - Olesm n’avait pas joué aussi vite, et certainement pas avec un tel talent.

Pendant cinq bonnes minutes, la partie s’arrêta, et Olesm sentit que l’adversaire recalculait ses coups. Lorsque la partie reprit, elle était plus lente, et l’adversaire prenait son temps pour réfléchir à ses coups.

“Oh.”

C’était un son doux, résonnant dans le silence chaleureux de l’auberge. C’était Erin qui l’avait émis à la moitié de la partie. Elle avait fait une erreur, et l’autre joueur avait pris sa reine. Olesm regarda fixement le plateau, sous le choc, puis dévisagea Erin. Elle était surprise, mais elle se contenta de regarder le plateau et de recalculer sa position. Il l’entendit murmurer en se tapotant le menton.

“il est plutôt bon. Oui.”

Et alors…

Elle sourit. Un sourire semblable aux nombreux sourires éclatant qu’Olesm avait vus ou sentis auparavant, mais différent. Un frisson parcourut ses écailles.

Parce qu’il y avait une lueur dans les yeux d’Erin qu’il n’avait jamais vue auparavant. Et lorsqu’elle avança son pion pour punir le fou qui lui avait volé sa reine, il songea qu’elle avait l’air…

Affamée. Oui, c’était cela.

On pouvait dire ce que l’on voulait sur Erin, son talent aux échecs était indisputable. Dans ce monde, les échecs habitaient l’esprit de quelques joueurs depuis moins de trois ans. Mais Erin avait grandi en jouant aux échecs, enfant. Elle avait respiré, vécu le jeu, faisant plus de matchs en un an qu’Olesm dans toute sa vie.

Erin avait grandi en étudiant plus de 1500 ans d’échecs. Elle avait appris des Grands Maîtres et des nombreuses parties qu’elle avait vues. La stratégie des échecs avait grandement évoluée depuis l’origine du jeu, et Erin avait appris à jouer à un niveau tel que même parmi les 600 millions de joueurs dans le monde, elle restait au sommet.

Pour Olesm, elle était un dieu des échecs descendu sur ce monde. Il ne l’avait jamais battue, et n’avait jamais failli y parvenir. Mais on se sent seul, au sommet. Il n’avait vu Erin en difficulté qu’une fois - et il ne l’avait vue perdre qu’une fois.

Elle avait joué contre une centaine d’Ouvriers à la fois et leur avait enseigné une Partie Immortelle. Puis elle en avait joué une. Olesm se souvenait encore de cette partie.

Elle avait dû se sentir si seule, ensuite. Jouer contre des joueurs qui ne pouvaient même pas la faire jouer sérieusement. Mais à présent. À présent…

Erin jouait en silence, assise le dos droit contre sa chaise, la posture parfaite. Elle ne tournait pas la tête, ne bavardait pas joyeusement en jouant. Pour une fois, elle se concentrait entièrement sur le jeu. Et lorsque la partie s’approcha de la fin, ses réponses s’accélérèrent, sa concentration s’approfondit.

Pour finir, Erin prit le Roi noir, et Olesm se souvint enfin de respirer. Erin se réadossa à sa chaise et éclata d’un rire, enchantée. Et ce son, si pur, lui fit comprendre qu’elle était heureuse.

Heureuse d’avoir gagné. Mais encore plus heureuse d’avoir joué.

“Allez. Une autre partie ?”

Erin se mit à remettre les pièces en place, mais elle tapota l’un des pions spectraux sur l’échiquier, une fois. Et Olesm vit le pion noir avancer et tapoter doucement le plateau en réponse.

Ils se comprenaient. C’étaient deux joueurs séparés par des centaines, peut-être des milliers de milles, mais ils se comprenaient. Ils étaient là pour jouer. Et c’est ce qu’ils firent.

Une autre partie. Puis encore une autre. Erin les remporta toutes les deux. Olesm observa la quatrième débuter, et comprit la vérité.

Oui. La personne, quelle qu’elle soit, qui se trouvait de l’autre côté de cet échiquier n’était pas l’égale d’Erin. Mais elle était proche de son niveau. Si proche. Et à chaque nouvelle partie, elle envoyait un message à Erin, un message écrit dans cet échange très serré, dans chaque pion perdu et dans chaque échec.

Tu n’es pas seule.

Olesm essuya des larmes de ses yeux. Son cœur était douloureux, et il savait que cela pourrait paraître stupide pour un observateur extérieur. Mais il y avait de la beauté dans cela que seul un amoureux du jeu pouvait voir.

Cela lui coûta tellement de détourner le regard, mais il le devait. Olesm alla dans la cuisine et trouva ce qu’il cherchait. Il trouva un paquet de parchemins qu’Erin avait acheté quand il l’avait aidée pour son auberge. Il était toujours là, avec un encrier et une plume.

Olesm retourna dans la salle commune et observa la partie. Elle allait lentement, et il regarda le visage d’Erin pendant un bref instant. Elle fermait les yeux, un sourire léger aux lèvres, et son cœur se serra pendant un moment.

Il leva lentement la plume et la plongea dans l’encre. Olesm se mit à écrire, notant chaque coup dans la notation rapide qu’Erin lui avait enseignée.

Et Erin sourit, et les pièces d’échecs avancèrent. Elles dansèrent sur le plateau et le Drakéide écouta l’histoire en train de s’écrire.


***

Loin d’ici, dans une gigantesque tente plantée au milieu d’un jour chaud et humide, Niers Astoragon, second de l’une des Quatre Grands Compagnies de Baleros, et [Stratégiste] de plus haut niveau du continent, renversa lentement son roi et contempla l’échiquier.

Il ignora le vacarme de la bataille autour de lui. Ses soldats ressortiraient triomphants, et ses lieutenants avaient la bataille bien en main. Interférer ne ferait que ralentir leur croissance.

Non, au lieu de cela, il regarda fixement le plateau miroitant et les pièces magiques arrangées dessus. Il avait perdu. Pour la quatrième fois. Il avait été proche de la victoire… tellement proche ! Mais il avait perdu. Pour la quatrième fois.

Niers n’enragea pas. Il n’était pas, à vrai dire, en colère. Au lieu de cela, il souriait, d’une manière très similaire à celle d’Erin. Il posa une main sur son menton et le caressa, sentant le début de barbe râper contre ses doigts. Il avait oublié de se raser, et de dormir aussi, d’ailleurs. Il avait attendu de pouvoir jouer avec la personne qui avait créé le puzzle et après sa déception initiale, sa patience avait été récompensée au quintuple.

Pendant un instant, Niers hésita à partir en chasse de son rasoir. Il aurait bien emprunté la lame de l’un de ses lieutenants, mais il détestait quand ils s’inquiétaient pour lui. Une lame, même aussi large que lui, restait une dague, et il restait largement assez fort pour la soulever. C’était juste bizarre, voilà tout.

L’apparence l’emporte sur le désir. Niers était un [Stratégiste] de Niveau 63, et le destin de sa compagnie reposait sur ses épaules. Il ne pouvait pas laisser tomber ses soldats. Mais… peut-être après une dernière partie ?

Niers baissa la main vers un pion, mais il s’interrompit. Un bruit lui parvenait de l’extérieur - une dissonance dans le vacarme de la bataille. Niers écouta, puis soupira. Un crétin venait de déployer l’avant-garde de l’autre armée contre ses soldats, ce qui faisait basculer cette escarmouche en une bataille bien plus sanglante.

Ses soldats allaient avoir besoin de son aide. Niers leva une main et dit deux mots.

“ [Formation d’Assaut].”

L’atmosphère du champ de bataille se modifia. Satisfait, Niers se retourna vers le plateau, ignorant le rugissement de ses soldats lorsqu’ils sentirent le courant de la bataille changer de nouveau.

Il contempla le plateau. Il l’avait envoyé sur un coup de tête, jugeant le coût justifié pour une partie possiblement convenable. Mais à présent une question plus importante hantait son esprit, une question qu’il aurait aimé poser plus tôt.

Qui es-tu ?”

Les pions ne répondirent pas à haute voix. Mais lorsque Niers vit le côté blanc se remettre en place, il sut qu’il aurait une partie de la réponse en jouant. Il s’assit, se concentra plus intensément qu’il ne l’avait fait depuis ce qu’il lui paraissait être des années…

Et se mit à jouer.


Note d’EllieVia : Nous avons le plaisir d’annoncer l’arrivée de Zaza dans l’équipe depuis le début de la semaine ! Cette dernière a entrepris la relecture et la correction du tome 1, et déjà relu les neuf premiers chapitres que Maroti a pu ainsi reposter. Son excellent travail va permettre d’améliorer la qualité de la traduction, et on espère que vous apprécierez ! Bonne lecture à tous Smile


 
Maroti
   
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2.19 G
Traduit par Maroti

Le Roi des Gobelins chevaucha parmi les plaines enflammées et à travers les champs de batailles couvert de morts et de cendre. Du sang coula de son épée alors que les morts s’entassèrent jusqu’à dépasser les montagnes.

Il rugit, et la centaine de milliers de Gobelin de son avant-garde rugit avec lui. Ses armées balayèrent le continent, brûlant, pillant. Tuant.

Pas de prisonniers ! Pas de pitié ! Les jouets doivent mourir ! Tuez-les. Brulez-les. Tout ce que les Dieux ont apporté doit être détruit.

Sa rage était infinie. Le Roi Gobelin se jeta dans la bataille, tuant Humains, Drakéides, Gnolls et toutes les espèces qui se mettaient au travers de son chemin. Il s’arrêta seulement lorsque l’archère demi-elfe leva son arc. Le Roi Gobelin ne ressentit qu’un profond regret lorsque la flèche perça son crâne…



Loks se réveilla en hurlant. Sa tribu bondit, criant alors qu’elle lutta pour s’asseoir dans ses couvertures sales. Loks regarda autour d’elle, paniqué, avant de réaliser que tout cela n’avait été qu’un rêve.

Non, pas un rêve. Un souvenir. Une vision d’un passé lointain, quand le plus récent Roi Gobelin avait vécu.

Mais ce n’était qu’un fragment. Loks cria à ses Gobelins de s’éloigner et agita ses mains, elle savait que sa tribu n’était pas suffisamment grande pour vraiment la laisser se concentrer sur ses visions. C’était plus comme… Une bulle, flottant dans son esprit.

Elle se souvenait de la rage. Sans fin, dévorante. Est-ce que cela avait été le dernier Roi ? Dans l’esprit de Loks, il était plus un cauchemar vengeur, motivé par la mort et le massacre. Elle ne pouvait pas comprendre.

Mais après tout, le Roi Gobelin avait été le leader d’une tribu presque sans fin. Il aurait été capable de voir au moins… Mille ans dans le passé ! Si Loks avait une tribu aussi grande, elle aurait peut-être compris sa rage, son passé, et plus important encore, sa mort.

Loks n’avait jamais entendu parler d’un Gobelin mort de vieillesse. Son espèce vivait comme des allumettes ; ils brûlaient en quelques secondes dans les vents glacials de ce monde.

Mais Loks était différente. Elle n’allait jamais mourir.

La toujours jeune Gobeline frotta ses yeux. Elle était réveillée. La mémoire de cette mort était trop vivide pour retrouver le sommeil. Elle tira la couverture jusqu’à ses épaules, la retirant à trois Gobelins qui protestèrent jusqu’à ce qu’elle leur donne des coups de pied, et regarda sa nouvelle maison.

Ce n’était pas super. Mais vu que la dernière cave que les Gobelins avaient habitée pouvait être décrite comme un gâchis d’espace, ça allait faire l’affaire.

Loks passa à travers les Gobelins endormis, ignorant sur quoi ou qui elle marchait jusqu’à ce qu’elle atteigne une casserole qui n’était miraculeusement pas encore entièrement vidée. Loks ouvrit le couvercle tordu, goûta la soupe et grimaça.

Le goût était horrible. Mais après tout, la majorité des plats Gobelins avaient mauvais goût à cause de ce qu’ils mettaient dedans. Loks aurait dû ne pas y prêter attention, mais les plats d’Erin l’avaient gâtée.

La Gobeline trouva un bol, mangea les restes collés au fond, et le remplie de nouveau. Elle avait donné l’ordre que les autres Gobelins n’avaient pas le droit de se servir sauf lors des repas, et avec des portions limitées. Ses guerriers mangeaient deux fois plus que les autres Gobelins.

Mais Loks était une Chef, et à quoi cela servait d’être Chef s’il n’y avait pas quelques avantages ? Les autres Gobelins ne se plaignaient pas vraiment de leur Chef utilisant ses pouvoirs ; ce n’était pas juste, oui, mais c’était juste autre chose qu’ils feraient s’ils étaient Chef.

Loks mangea la soupe tiède avec ses doigts, léchant ses doigts pour ne rien gâcher alors qu’elle regarda la cave. Elle se tourna, hésita à repartir se coucher, et croisa deux yeux violets fait de flamme.

La Gobeline s’étouffa sur sa soupe et tendit la main vers son épée. Ses armes ne la quittaient jamais, même en dormais. Mais Toren attrapa le bol alors qu’il tomba, ignorant Loks alors que la Gobeline recula.

Le bol fut rattrapé, mais vu qu’il l’avait attrapé à l’envers, la soupe coula entre les doigts du squelette. Il regarda la mixture gluante, et secoua ses mains pour la retirer.

Loks regarda Toren, ignorant la nourriture renversée. Quelqu’un allait la manger plus tard. Elle le regarda tout comme Erin le regardait, mais le squelette n’était pas impressionné

Il était en train de croiser ses bras, attendant quelque chose. Quoi ? Toren ne pouvait pas parler, donc Loks devait deviner. Ah. Bien sûr ; il voulait qu’elle remplisse sa partie du marché pour qu’il puisse revenir. Les Gobelins avaient été trop épuisés pour faire autre chose après avoir monté le camp, mais sa patience était clairement à bout.

Oui. La cave. Le combat contre l’armure enchantée. Loks ferma les yeux alors que les événements d’hier lui revinrent.

Elle s’en rappelait. Mais vu que c’était son souvenir, c’était encore plus glorieux.

***

L’armure enchantée rugit de furie, du métal grinçant alors qu’il frappa Toren. Le squelette évita, et Loks arriva derrière l’armure et tira un nouveau carreau d’arbalète.

Le carreau toucha l’armure à l’épaule, mais comme toutes les autres flèches, cela ne dérangea pratiquement pas l’armure magique. Elle se tourna, et Loks prit aussitôt la fuite. L’armure s’avança derrière elle, mais Loks avait appris [Retraite Rapide] et elle s’éloigna de l’épée qui s’abattit derrière elle.

Les autres Gobelins crièrent, et l’armure se tourna juste à temps pour recevoir une douzaine de projectiles en argile. Même tirer en même temps, la volée ne fit même pas tituber l’armure. Elle commença à pourchasser les Gobelins, mais Toren lui bondit dessus par-derrière, lui assénant plusieurs coups.

Ses os se brisèrent, et Loks vit la team de Gobelins enfin revenir. Ils jetèrent trois rouleaux d’écorce kaboom sur le sol et Loks cria pour challenger l’armure. Elle fit tomber son casque avec un carreau, et il la chargea, son épée lourde levé pour mettre un terme à sa vie. Loks lança [Luciole] directement sur les rouleaux alors qu’il passa dessus…

***

Cela avait été un combat comme ceux qu’elle avait vu dans ses plus vieux souvenirs de Chef. Quand plusieurs Hobs de haut-niveaux avaient challengés et vaincus des monstres mortels. Cette fois, cela avait été la chance, l’audace, les nouvelles arbalètes et l’écorce d’arbre kaboom qui les avait fait gagner.

Et cela avait été juste. Loks se souvenait de comment l’armure s’était [i]redréssée
après avoir été explosé, et comment ils avaient dû lui envoyer presque toute leur munitions avant qu’elle n’arrête de bouger. Mais ils l’avaient fait. Ils avaient gagné.

Le prochain Chef serait capable de voir ce souvenir, Loks le savait. Celui qui allait la suivre allait pouvoir en apprendre beaucoup sur comment bien se battre. Son escarmouche ne lui avait pas coûté une seule vie Gobeline, ou un mort-vivant. Toren avait survécu, en pièce, mais Loks en avait déduit plusieurs choses importantes.

Premièrement, il semblait que Toren connaissait ‘l’endroit de mort’. En fait, il était même tombé dedans d’une quelconque manière, trouvant une autre entrée au donjon. Ce qui amena Loks à sa seconde découverte, cet endroit était un donjon.

Bien sûr. Elle ne savait pas pourquoi les autres Gobelins ne l’avaient pas compris, mais après tout, peu avait pût être témoin des nombreuses conversations de l’auberge d’Erin. Parfois les clients oubliaient que Loks était présente, et elle apprenait de fantastiques secrets.

Mais d’autres informations venaient après la première. Le donjon était immense. Loks le savait, car Toren était tombé dans un gouffre à plusieurs kilomètres de leur position. Loks avaient donc apprit la chose la plus importante :

Toren pouvait la comprendre.

Oui, elle avait été choquée de réaliser que le squelette pouvait comprendre le langage des Gobelins. Les morts parlaient toutes les langues, et donc Toren pouvait comprendre Loks. Et elle pouvait le comprendre car elle était une prodigue.

C’était facile. Il suffisait de poser une question, et Toren allait gesticuler. Puis il fallait poser plus de questions pour clarifier, et il allait dessiner des images, ou hocher ou secouer sa tête. C’était un système de communication très basique, mais avec lui, Loks avait réalisé que le squelette était bien plus intelligent qu’il ne laissait paraître. Elle se demandait pourquoi personne ne l’avait remarqué.

Ou… Peut-être qu’il était devenu plus intelligent avec le temps. Loks ne se souvenait pas de lui comme étant si instruit. Cela la rendait méfiante, mais les informations échangées en avaient valu le coup.

L’entrée du lieu duquel tant de monstres étaient sortis au fil des décennies était l’entrée vers une partie du donjon, le même donjon que les ruines avec les mort-vivants, sauf que cette partie était encore plus saturée de magie et dangereuse, et ce n’était pas quelque chose de facile à réaliser.

Mais il y avait du pouvoir là-dessous, et Loks avait besoin de pouvoir. Elle allait explorer le donjon. Avec l’aide de Toren. C’était le marché.

Au départ, Toren avait été apathique envers les Gobelins. Il avait erré alors que Loks rassemblait sa tribu, ne retournant uniquement lorsqu’il était devenu apparent que parmi les nombreuses qualités que le squelette possédant, un sens de la direction n’en faisait pas partie.

Loks avait parlé, et il avait principalement était d’accord. Toren avait fait un schéma rudimentaire du donjon, indiquant quels niveaux étaient les plus dangereux, et avait été d’accord pour lui montrer les quelques premiers niveaux qu’il avait traversé en échange de le ramener à l’auberge.

C’était un bon marché, et la tribu de Loks s’était engouffré dans la crevasse, confiant après leur victoire. Ils perdu prêt de dix Gobelins en l’espace d’une heure.

Trois étaient mort lorsque les gigantesques chauves-souris étaient tombées du plafond pour essayer de les déchiqueter. Les Gobelins avaient baissés leur garde quand les tunnels s’étaient agrandis. Ils venaient d’entrer dans une grande caverne recouverte de lichen et de goutte d’eau et c’était à cet instant que les Gobelins avaient dérangé le nid de Chute-Souris Griffues.

L’espèce de chauve-souris était ainsi nommée car, contrairement aux autres chauves-souris, elles avaient évolué de manière à chasser et de consommer la chair aussi bien que les petits insectes. Elles étaient deux fois plus grosses qu’une tête humaine et avaient des griffes tranchantes et la capacité à sur la tête de tous ceux qui entraient dans leur nid.

Cela aurait été bien plus terrible pour les Gobelins dépourvus d’armure si ce n’était pas pour deux choses. Le premier était que les Gobelins voyaient bien dans le noir, et second était que Loks connaissait le [Luciole]. Le feu avait fait paniqué les prédateurs, et les avaient changées en cible facile pour les Gobelins armés de frondes et d’arbalètes.

Un Gobelin était mort d’une combinaison des blessures infliger par les chauve-souris et le tir ami sous la forme du shrapnel tombant depuis le plafond une fois le combat terminé.

Ce n’était pas bon, et Loks s’était frappé pour avoir été aussi inconsciente. Ce n’était pas parce que Toren ne s’était pas fait blesser lorsqu’il fuyait l’armure que cela voulait dire que les alentours étaient sans danger.

Elle ordonna que les chauves-souris mortes soient ramassées et transformer en nourriture, et cloua au sol les vivantes avec des pierres sur les ailes. Ce n’était pas un acte de générosité ; c’était juste pour les garder fraiches plus longtemps.

Elles étaient devenues le dîner, mais aussi le petit-déjeuner de demain. Leur cuir avait beau être résistant, tout fondait avec assez d’eau et de chaleur.

Mais ce n’était qu’une partie de la découverte des Gobelins. Alors qu’ils explorèrent plus profondément la caverne, ils trouvèrent l’entrée du donjon. Une partie des murs avaient été découvert à cause d’une sorte d’effondrement d’un des murs de la caverne. Loks avait précautionneusement regardé dans un long couleur remplie de statues.

Rien n’avait bougé, et Toren ne se souvenait uniquement d’avoir couru pour sauver sa vie en traversant cette partie, donc Loks avait décidé de tenter le coup.

Elle avait fait quelques pas parmi les rangs de statues, ses guerriers Gobelins l’avait flanqué et Toren avait erré sans but quand elle remarqua un piédestal tenant un anneau brillant d’une lumière violette. C’était clairement un objet de valeur, et Loks le voulait. En vérité, il y avait plusieurs piédestaux parmi les statues de pierre, chacun présentant son trésor.

Les Gobelins aimaient autant les trésors que les autres espèces, et Loks avait décidé que cet anneau irait bien à son doigt. Elle fit deux pas, et toucha une plaque de pression. Une volée de flèches spectrale passa au-dessus de la tête de Loks, la manquant de cinq bons centimètres. Ce n’était pas dangereux, mais les deux Golems de Pierres posant comme des statues qui attrapèrent un Gobelin pour le démembrer l’était.

Six Gobelins furent tués avant qu’ils échappèrent aux mains de pierre et aux pieds les piétinant, aux lames sortant du sol et aux sorts ricochant sur les murs en provenance de glyphes cachés, ils battirent en retrait à travers le trou dans le donjon.

Les quinze Golems de Pierres poursuivirent les Gobelins avec une terrifiante vitesse, mais ils s’arrêtèrent quand les Gobelins passèrent le trou. Pourquoi ? Parce que… C’était un endroit qu’ils ne reconnaissaient pas ?

C’était la seule raison que Loks avait trouvée, et elle se doutait que c’était ce qui avait sauvé sa tribu. Mais malgré leur perte, les Gobelins n’étaient pas revenus les mains vides.

L’un des Gobelins avait attrapé un pendentif d’un piédestal. Il luisait, une gemme d’un bleu-blanc en forme de cercle, encadré du même or qui constituait le pendentif. C’était tellement beau que les Gobelins commencèrent à se battre entre eux pour l’obtenir jusqu’à ce que Loks le prenne pour elle.

Son sort de [Détection de Magie] lui indiqua que l’objet était magique, mais Loks n’avait pas la moindre idée de ce qu’il faisait. Elle l’aurait fait porter à un Gobelin, mais elle entendit un piaillement bruyant et se rappela des Chutes-Souris Griffues.

La chauve-souris s’était débattue quand Loks passa le pendentif autour de son cou, puis rien ne se passa. Loks avait tendu la main vers le pendentif…

Et la chauve-souris hurla alors que sa chair commença à fondre. Il lui fallut cinq minutes pour mourir, et elle passa le temps où elle le pouvait à hurler. Loks et les autres Gobelins s’était éloigné le plus possible jusqu’à ce que cela se termine.

Ce qui resta de la chauve-souris malchanceuse était une mixture de… Cela ne pouvait même plus être appelé de la chair. Des restes étaient le bon terme. Le pendentif était parti avec la chauve-souris, et n’avait laissé qu’une horrible odeur et le souvenir de ce qu’il avait fait.

Les Gobelins et Toren échangèrent un regard, et regardèrent les restes fondus. Ils prirent rapidement une décision, et travaillèrent pour l’appliquer pendant toute la journée d’hier.

***

Et c’est ainsi que Loks se trouva à manger un autre bol de soupe de chauve-souris en regardant les Gobelins travailler à l’autre bout de la caverne avec un squelette. Les Gobelins soulevèrent le dernier rocher en le mettant en place alors que Toren regarda d’un air désapprobateur. Ils étaient en train de se dépêcher de finir la barrière du donjon qu’ils avaient commencé hier.

C’était nécessaire, et Loks avait refusé de partir tant qu’elle n’était pas complétée. Toren avait silencieusement regardé Loks, mais avec acquiescé à la fin, principalement car il n’avait pas le choix. Loks avait presque excepté de le voir taper du pied comme Erin le faisait. Le squelette semblait imiter beaucoup de mimiques de l’aubergiste.

Loks recula et regarda le travail de sa tribu. La pile de pierre n’était nullement impénétrable, mais elle donnait l’impression que nettoyer un éboulement aurait été trop de travail. Elle espérait que cela allait sceller la caverne des monstres errants jusqu’à ce qu’elle puisse trouver une autre solution.

Comme une porte avec un piège à fosse de cent cinquante mètres de profondeur. Mais Loks était déterminé à rester proche du donjon. Les Golems de Pierres étaient de terribles ennemis, et l’une des choses que Toren avait suggérées était qu’ils n’étaient que le début des épreuves qui rôdait dans le donjon. Mais s’il y avait bien un endroit pour que sa tribu monte de niveau, c’était ici.

Mais pour l’instant, Loks devait tenir sa promesse. Toren commençait à donner des baffes aux Gobelins qui essayaient de s’approcher, et il avait une lueur dangereuse dans le regard. Certes, il avait toujours une lueur dangereuse dans le regard, mais Loks sentait qu’il y avait avoir des problèmes s’il elle ne bougeait pas rapidement.

Elle quitta la caverne, le squelette tapant du pied derrière elle. Loks inhala l’air froid hivernal et décida qu’elle était mieux à l’intérieur. Elle était trop exposée à l’extérieur.

Un doigt osseux lui entra dans le dos et elle se retourna en lançant un regard noir. Toren lui rendit son regard, et la vérité était que le sien était le plus efficace. Loks pesa le pour et le contre de lui mettre un coup de poing, et abandonna avant d’avancer dans la neige.

Ce fut une longue marche silencieuse à travers les plaines. Loks avançait plus rapidement, elle savait environ où se trouvait les nids d’Araignées Cuirassées, et elle pouvait facilement repérer les tas de neige qu’étaient les Crabroche. Toren suivit Loks en silence, s’arrêtant quand elle le faisait.

Loks et Toren marchèrent à travers la neige, levant la tête pour regarder le dernier groupe d’oiseau reptilien volé vers le sud. Loks vit un renard bondir à travers la neige et souhaita avoir amené son arbalète ; Toren regarda un oiseau.

Ils s’arrêtèrent pour voir un troupeau de sanglier passé, ce groupe n’était pas domestiqué comme le dernier que Loks avait croisé. Le troupeau de créatures poilues s’avança pesamment dans la neige, leur défense les aidant à briser la neige.

C’était paisible. Puis un Loup Carnassier hurla, et le monde redevint dangereux.

Loks s’allongea aussitôt dans la neige, cherchant le loup. Normalement ils ne hurlaient pas quand ils chassaient le Gobelin donc elle avait peut-être à avoir de la chance. Les Loups Carnassiers préféraient s’approcher discrètement pour tuer les Gobelins, mais celui-ci semblait chasser les sangliers, qui avaient commencés à courir à travers la neige.

Loks regarda autour d’elle et commença à dégainer son épée. Mais les Loups Carnassiers étaient énorme, bien plus gros que les loups normaux. Elle vit Toren mettre la main à sa taille pour prendre une épée qu’il n’avait pas, et mit la main à un objet à sa taille. Elle s’en empara alors que les Loups Carnassiers sortirent du bois.

C’était une meute entière, et ils rattrapaient rapidement les sangliers, même lorsque les cochons couinèrent et changèrent de direction. Loks regarda alors que la meute courut vers le troupeau, se dispersant pour former un filet. C’était une manœuvre performé par les chasseurs dans ce monde et dans celui d’Erin. Les loups allaient séparer le maillon faible, un enfant ou un adulte vieillissant, et allait le tuer ensemble.

Sauf que cette fois, le loup menant la charge fit une erreur. Trop pressé de faire paniquer le troupeau de sanglier, il courut vers le centre. Le mur de fourrure s’ouvrit alors qu’il courut vers eux, et il se referma soudainement, prenant le loup prisonnier.

Il hurla et mordit, mais soudainement les sangliers en fuites avaient leurs défenses tourner vers lui. Ils chargèrent le loup, donnant des coups avec leurs défenses, le percutant de tous les côtés. Ils se séparèrent de nouveau en un clignement d’œil, laissant derrière eux un tas de chair, de sang et de fourrure.

Les autres Loups Carnassiers ralentirent, et Loks les vit hésiter. Oui, c’était le problème. Même les plus grands prédateurs pouvaient se faire tuer par beaucoup d’ennemis plus petits que lui. C’était bien plus facile d’attaquer les faibles, les petits, et les isolés.

C’était légèrement dépressif, et prévisible, quand le leader de la meute renifla l’air et regarda vers Loks et Toren. Principalement vers Loks. Elle soupira et il courra vers lui, et Loks retira l’objet de sa sacoche.

Un joyau rouge s’éleva dans l’air, et Loks sentit la peur maladive à travers ses veines. Elle ne provenait pas que du joyau, mais aussi des loups courant vers elle, et Toren se mit soudainement à émir la même aura de terreur.

Les loups titubèrent, s’arrêtèrent, et firent demi-tour avant de courir couinant et pleurant de peur. Certains laissèrent des traînées jaunes derrière eux ; Loks les regarda partir alors qu’elle rangea calmement l’un des ‘yeux’ d’Ecorcheur dans sa sacoche.

Elle avait oublié que Toren avait l’autre. Enfin, une gemme était bien pour les moments comme celui-ci. Plus d’une fois, Loks avait arrêté les attaques sur sa tribu avec cette gemme, mais elle connaissait ses limites.

Le problème… Oui, le problème était que même si la gemme couleur sang était très pratique, elle ne servait à rien contre les autres Gobelins. Elle se ferait tuer si elle essayait ceci sur une autre tribu.

De plus il y avait des choses sur laquelle la pierre ne marchait pas. Les Antiniums, par exemple, ou encore Erin. Et les mort-vivants. Et Relc, d’après ce qu’avait compris Relc. Et bien sûr elle n’arrêtait pas les attaques à distance, la magie, les pièges…

Franchement, ce n’était pas vraiment si pratique que ça. Loks rangea la pierre et retira la main du pommeau alors que les gémissement disparurent au loin. Mais cela lui permit de traverser les plaines sans problème, ce qui était important. Elle pouvait laisser ses guerriers derrière elle pour surveiller la cave, et être ainsi plus rapide.

Toren était capable de suivre Loks. Le squelette avança dans la neige, ses yeux enflammés suivant ses mouvements parmi le paysage qui semblait rester le même.

Loks ignora son regard. Le squelette semblait être capable de maîtriser l’effet de peur de sa gemme, donc elle l’ignora. Elle devait réfléchir.

Bon, son idée d’aller dans le donjon avait été un succès mitigé. Elle avait trouvé un endroit ou vivre, du moins de manière temporaire. Et c’était un bon endroit ou s’étendre ; la pierre pouvait être minée et la Garde n’allait pas explorer aussi loin. Si Loks et ses Gobelins ne causaient pas de problèmes, ils n’allaient pas être pourchassés.

Malheureusement, le nouveau problème était la nourriture. Les Gobelins ne faisaient pas des embuscades au passager ou attaquaient les troupeaux par plaisir. Ils n’avaient pas de source naturelle de nourriture à part ce qu’ils pouvaient fourrager, et en hiver cette situation déjà précaire devenait fatale. En tant que chef, Loks devait apporter de quoi nourrir sa tribu, et elle ne pouvait pas le faire sans risquer la colère de la Garde.

Donc qu’est-ce qu’il restait à faire ? Loks avait pour plan de jouer aux échecs avec Erin une fois Toren ramenée. L’une des raisons pour laquelle elle n’avait pas quitté Liscor était les échecs. C’était… Différent. Loks pouvait être une chef et elle aimait ça, mais parfois elle voulait juste s’asseoir dans l’auberge et jouer une partie.

Loks vit les yeux de Toren briller plus fort alors que le bâtiment de bois devint finalement visible. Il abandonna Loks, courant à travers la neige. Elle s’en fichait.

Son travail était fait.

Toren s’arrêta et sembla hésiter alors qu’il monta la colline. Loks vit l’autre humain à côté d’Erin, celle avec les cheveux sombres et la peau différente, courir hors de l’auberge. Elle était suivie par ce qui semblait être un étrange nuage de points bleus. Loks les reconnaissait. Elles étaient les étranges choses malicieuses qui aimaient ennuyés les gens en hiver. Mais elles laissaient les Gobelins tranquilles, donc Loks ne prêta pas attention à elle.

À la place, elle se concentra sur la fille qui s’élança hors de l’auberge, agitant ses bras. Erin cria quelque chose et l’essaim s’arrêta en encerclant Ryoka. Quelque chose se passait.

Loks s’en fichait. Elle fit son chemin dans l’auberge alors que des gens en sortirent pour regarder et parler. Mais elle n’avait qu’une chose en tête.

Les échecs.

Ils étaient là. Plusieurs échiquiers déjà mis sur la table. Loks bondit sur un siège et sourit.

Oui, les échecs. C’était tellement étrange. Mais c’était la première fois qu’elle avait appris… Quoique ce soit d’un jeu.

Elle n’avait jamais connu les tactiques, ou comment berner son adversaire. Enfin, elle l’avait appris, mais pas de la manière précise et considéré nécessaire aux échecs. Le jeu lui avait appris à prévoir en avance, à être patiente. Il lui avait appris à penser, c’était le truc.

Et il lui avait donné un cadeau, l’avait rendu spéciale. Unique. C’était pour cela qu’elle allait toujours aimer le jeu.

Jouer contre les autres était sympa, bien sûr. Loks écouta le chaos dehors, tapant du pied avec impatience.

La porte s’ouvrit enfin alors qu’Erin entra, visiblement énervée. Loks s’en fichait. Elle attendit qu’Erin la remarque ; elle était trop digne pour faire un signe de la main ou l’appeler. Mais la fille s’était figée. Elle était en train de regarder le squelette qui se tenait patiemment au centre de la pièce.

« Oh mon dieu. Toren! »

Loks fit un son dégoûté alors qu’Erin se précipita vers Toren. Elle ignora les questions et les commentaires provenant de personne dont elle se rappelait à peine le nom. Elle attendit qu’Erin la remarque.

« Hey, qu’est-ce qui est arrivé à tes yeux ? »

La petite Gobeline regarda, mais Erin était trop occupée à regarder les yeux de son squelette pour la remarquer. Elle se leva sur sa chaise, mais fut ignoré une nouvelle fois.

Et une terrible chose arriva. Soudainement, Loks était de nouveau petite.

Petite.

Elle était petite. Physiquement, Loks était petite même pour un Gobelin. Mais elle était jeune, et cela allait changer. Elle n’allait peut-être pas devenir une Hob dans le sens qu’elle allait devenir une géante, mais elle était quand même un colosse dans sa tête.

Mais ici, dans cette auberge, Loks se sentait petite. Personne ne faisait attention à elle. Et elle n’était pas assez importante pour commander.

Elle regarda autour de l’auberge. Le mage Pisces, et l’autre mage avec la main morte, Ceria. Olesm, le [Tacticien], Erin, et Toren ? Et bien sûr il y avait l’autre fille, Ryoka. Ils étaient tous importants à leur manière.

Les mages avaient des niveaux, Olesm avait deux fois plus de niveaux en tant que [Tacticien] que Loks, et Erin était Erin, la fille qui avait tué le dernier Chef. Et Toren…

Il était le plus proche de Loks, mais il était important à Erin car il lui appartenait. Mais Loks était une Gobeline. Elle était la plus faible, elle n’avait pas de valeur.

Elle n’avait pas d’importance.

Enfin, Erin regarda autour. Elle remarqua Loks et faillit la manquer.

« Salut Loks ! Je ne t’ai pas vu ! Depuis quand tu es là ? »

Loks fronça les sourcils, et essaya de pousser les pensées rodant dans sa tête. Mais elles revenaient constamment, de temps en temps, pour lui rappeler qu’elle n’était pas importante. Oui, elle aimait l’auberge. Mais parfois…

« Oh, je sais que tu vas adorer ça ! Attends une seconde Loks… Tu ne devineras jamais ce qui s’est passé pendant que tu n’étais pas là ! »

Erin alla en cuisine, suivit de près par Toren. Loks l’entendit s’exclamer, rouspéter son squelette, et émerger de la cuisine avec quelque chose de formidable.

C’était un sandwich avec de la viande au centre. Loks mordit dedans, et les problèmes de son monde furent plus faciles pendant quelques secondes. Erin lui dit que c’était un hamburger, même si la viande n’était pas du jambon. Mais Loks s’en ficha.

Désormais contenté, elle s’assit et attendit pour jouer contre Erin. Mais elle fit oublier de nouveau.

Désormais Erin était en train de parler de la fille qui était partie avec inquiétude, et en train de débattre avec l’une des formes bleues dans l’air. Loks plissa les yeux vers la lueur, mais elle ne pouvait rien entendre. Avec quoi Erin était en train de parler ? Peut-être qu’elle parlait à elle-même. Elle semblait avoir une conversation à sens unique, puis elle retourna dans la cuisine.

Plus d’attente. Loks ne pouvait pas le supporter. Elle était une Chef. Elle ne devrait pas avoir à attendre ! Elle regarda autour d’elle. Si Erin était occupé, qu’en était-il du Drakéide ?

Mais Olesm était occupé à regarder Erin, et il ne la remarqua pas quand Loks lui envoya une pièce. Il se contenta de gratter l’endroit que la pièce avait touché.

Être ignoré. Loks sentit une sensation de brûlure dans son estomac alors qu’elle regarda autour d’elle. Puis ses yeux se posèrent sur quelque chose de fascinant.

C’était un échiquier, mais les pièces étaient faites… D’air ? Des fragments de vents fantomatiques et gelés. Loks regarda Erin alors que la fille agita les bras et cria, avant de se rendre jusqu’à la table.

Oui, c’était un échiquier magique. Et d’après ce qu’elle voyait, une partie était en cours. Loks regarda les pièces et en prit une de manière expérimentale.

Elle avait l’impression de ne rien toucher, mais il y avait quelque chose entre ses doigts. Ravie, Loks bougea la reine et prit une pièce.

Soudainement, l’échiquier bougea. Une pièce s’anima et prit sa reine. Loks bondit en arrière et regarda l’échiquier les yeux écarquillés. Puis elle comprit.

Quelqu’un d’autre était en train de jouer ! Bien sûr ! Ce n’était pas une conclusion difficile à trouver en assumant que l’échiquier était magique, et il l’était clairement. Donc qui était en train de jouer ?

Qu’importe qu’il était, Erin et lui avaient été en train de jouer une partie complexe. Loks s’assit à la table et regarda les pièces. Seule Erin aurait put jouer cette partie. Et maintenant Loks avait gâché sa partie, échangeant sa reine pour un pion. Mais…

Le cœur de la Gobeline commença à battre plus vite, et elle regarda la pièce. Oui, Erin était toujours occupée par l’une des lueurs bleues. Loks regarda l’échiquier. La personne de l’autre côté toujours en train d’attendre son prochain coup. Ou celui de Loks.

Est-ce qu’elle pouvait le faire ? Loks hésita alors qu’elle regarda les pièces. Erin était plus forte qu’elle. Mais…

Petite.

Loks bougea une pièce. Elle échangea un cavalier contre un fou et regarda son cavalier se faire prendre. Elle commença aussitôt à attaquer, pousser de manière agressive avec toutes les pièces qu’Erin avait.

Elle pouvait le faire. Si Erin pouvait le faire, alors Loks pouvait faire de même. De plus, ce joueur n’était pas Erin. À quel point pouvait…il…



Loks regarda l’échiquier. Toutes ses pièces avaient été prises. Son roi était encerclé, et venait d’être forcé dans un échec qui allait mener à un échec et mat.

Non. Cet autre joueur avait pris l’intégralité de ses pièces en quelques coups. Comment ?

Loks fit lentement tomber son roi. Aussitôt, l’échiquier se remit en place alors qu’elle regarda. Loks regarda les pièce se remettre, engourdie.

C’était impossible. C’était… Une plaisanterie. Loks était la meilleure, à l’exception d’Erin et peut-être, peut-être d’Olesm.

Furieuse, elle lança une nouvelle partie, ouvrant avec un cavalier. C’était parce qu’elle avait commencé avec la partie d’Erin et non la sienne. Mais cette fois, Loks allait jouer à sa manière et elle allait…



Perdre. Perdre encore et encore. Ce n’était même pas de longues parties. Loks regarda l’échiquier alors qu’elle fit tomber son roi une nouvelle fois.

Qui était cet autre joueur. Comment…

Les pièces bougèrent. Loks tendit la main pour reprendre ses pièces, mais les pièces ne bougeaient pas dans leurs positions d’origine. A la place, ils formèrent un… Visage.

C’était un visage basique, une expression qu’Erin aurait reconnue comme une emoji, ou un smiley. Une qui avait deux yeux et un sourire inversé.

Il savait. Loks regarda l’échiquier et se sentit de nouveau petite. Qu’importe qui étiat à l’autre bout, il savait qu’il ne jouait pas contre Erin. Et qu’il était déçu.

Pendant une seconde, Loks regarda l’échiquier. Puis elle le fit voler de la table.

« Hey ! »

La Gobeline sursauta alors qu’Erin cria. La fille s’approcha et ramassa l’échiquier alors que les pièces fantomatiques se remirent en place. Elle regarda Loks.

« Qu’est-ce que tu… Hey ! Tu as bougé mes pièces ! »

Elle lança un regard noir à Loks alors que la Gobeline détourna le regard. Loks ne pouvait même pas faire face à Erin. La honte et la colère envahirent son estomac.

« Aw. En plus, c’était une bonne partie. Je pensais que j’allais pouvoir… Enfin, peut-être pas. Qu’importe ! »

Erin pointa Loks du doigt.

« C’est à moi. Si tu veux utiliser un autre échiquier, y’a pas de problèmes, mais celui-ci est connecté à un autre quelque part et… Je suis en train de jouer, d’accord ? »

Loks haussa les épaules, ne regardant toujours pas Erin. Elle entendit la fille soupirer.

« D’accord. Désolé de m’être énervé, mais… C’est malpoli de jouer la partie d’un autre, tu sais ? Je vais jouer contre toi, si tu veux. »

Pour avoir sa confiance réduite en miette une nouvelle fois ? Loks hésita, mais elle aimait quand même le jeu. Elle hocha la tête avec réluctance, et Erin lui fit un grand sourire. C’était difficile de la haïr, même si Loks essayait.

« Cool ! Alors restes là et je vais… Oh ? »

Quelqu’un frappa à la porte. Loks se tourna dans son siège, prêt à tuer la personne qu’Erin appela.

« Entrez ! »

La porte s’ouvrit, et Loks vit un visage familier. Ou plutôt, un corps familier. Les Antiniums se ressemblaient tous selon elle, mais elle pouvait reconnaître Klbkch à sa minceur et au fait qu’il n’avait pas quatre bras. L’Antinium fit un hochement de tête alors qu’il entra dans l’auberge.

Il fut rejoint par le second Antinium que Loks reconnaissait, Pion. Il était un bon joueur, presque aussi bon que Loks, mais elle fronça les sourcils quand elle vit la troisième personne rentrer.

Le Drakéide.

Il lui rendit son air contrarié en la voyant.

« Super. La répugnante Gobeline est de retour. »

« Hey ! »

Erin mit les mains sur ses hanches alors que Loks regarda le Drakéide. Il la regarda sans la moindre trace d’émotion, et puis sourit en parlant à Erin.

Loks écouta avec impatience. Les deux Antiniums et le Drakéide n’étaient pas seuls. Ils avaient amené douze autres Ouvriers avec eux. Et ils étaient là pour…

Jouer aux échecs ?

Non. Il semblerait qu’ils voulaient jouer aux échecs comme ils l’avaient déjà fait. Pourtant Loks connaissait les Ouvriers qui avaient déjà joué dans l’auberge, et ces Ouvriers lui étaient nouveaux. Ils se comportaient différemment, et avec Klbkch dans la pièce avec eux, ils se comportaient… Différemment…

« Mais bien sûr ! Je veux dire, j’ai dit oui et j’adore jouer aux échecs alors pourquoi pas ? Et j’ai assez d’échiquiers pour tout le monde donc… »

Erin commença à organiser les Ouvriers alors que Loks regarda l’Antinium au corps noir. Quelque chose n’allait pas. Elle n’arrivait pas à mettre le doigt dessus, mais elle sentait que quelque chose était différent.

« Loks ? Désolé, je dois leur apprendre à jouer aux échecs. Tu peux jouer une partie contre moi comme démonstration si tu veux. »

Loks n’avait pas d’intérêt dans une partie ou Erin allait expliquer chaque coup. Elle s’assit dans une chaise, regardant Erin de manière à suspicieuse alors qu’elle commença à expliquer les règles et à former des paires pour que les Ouvriers puissent jouer.

C’était pareil, mais différent. Loks se souvenait avoir appris les échecs, et c’était… Différent. Le Drakéide bailla alors qu’il s’appuya sur un mur en essayant de parler avec Ceria, mais les deux autres Antiniums observèrent.

Et alors que les parties entre les Ouvriers commencèrent, Loks sut que quelque chose n’allait pas. Cela était visible dans chaque coup, et Erin le réalisa à son tour. Elle vit la fille froncer les sourcils, et savait que les parties allaient s’arrêter.

Mais Loks n’avait aucun réel intérêt dans les pourquoi et les conséquences du pourquoi de cette situation. Elle était venu pour se relaxer, potentiellement gagner un niveau, mais aussi pour apprendre quelque chose et… Trouver ce qu’elle devait faire ensuite. A la place, elle était coincé en train de regarder des gens, mal, joué aux échecs et avec le Drakéide.

Il lui lançait un regard de temps en temps, et elle lui rendait. Son regard lui donner l’impression d’avoir des vers en train de grouiller dans son estomac, mais elle savait qu’il était tout autant déranger par son regard. Et il avait moins de patience qu’elle.

« Hey, ça te dérange si je jette la Gobeline dehors ? Elle n’arrête pas de me regarder. »

Erin avait été en train de parler à Klbkch, mais elle le regarda assez longtemps pour froncer les sourcils.

« Ne sois pas malpoli. »

Il grimaça en sa direction, mais désista. Pendant quelques secondes. Puis il bondit de manière décontractée et s’approcha de Loks. Elle se prépara au pire.

Le Drakéide s’arrêta, se dressant au-dessus de la table et baissant les yeux vers Loks. Il était en train de sourire, mais ce n’était pas un sourire amical. Il pencha sa tête et parla doucement à Loks.

« Je suis parti à la recherche de ton petit nid, mais il semblerait que toi et ta bande soit partie. Bande de chanceux ; si tu étais resté je serais déjà en train de rendre des oreilles de Gobelins à la Guilde des Aventuriers. »

Elle resta immobile, luttant pour ne pas montrer ses émotions. Le Drakéide la regarda, et il vit la malice dans ses yeux. C’était un regard familier, qu’elle voyait souvent.

« Bien sûr, tu es trop peureuse pour faire autre chose que te cacher dans cette auberge. Si Erin n’était pas là, je pari que tu aurais trop peur pour t’approcher à moins de deux cents kilomètres de Liscor. »

Loks mordit sa lèvre. Elle voulait dire quelque chose, faire quelque chose. La colère monta dans le creux de son estomac, mais il était dangereux. Elle le savait. Ne fait rien. Ne dit rien. Attends que Erin regarde par là.

« Vous êtes tous des lâches. Vous prenez la fuite dès que je lève ma lance. Mais je suppose que c’est plus facile de vous rattraper comme ça. »

Loks céda. Elle leva les yeux vers le Drakéide et vit son regard. Elle prépara ses lèvres, et elle cracha.

Un jet de salive arrive sur le bras du Drakéide. Il cligna des yeux, et elle vit ses yeux se plisser.

… Loks se réveilla au sol, sa tête et sa mâchoire tournant alors qu’elle était à l’agonie. Elle essaya de s’asseoir et retomba. Quelque chose était en train de sonner dans son oreille, et ses dents semblaient… Être en train de bouger.

Elle pouvait entendre des voix au-dessus d’elle. Le Drakéide était en train de lever deux mains en l’air, haussant les épaules alors qu’Erin lui criait quelque chose.

« … Oses-tu ! Comment tu peux lui faire un truc pareil ? »

« Elle m’a craché dessus. »

« Tu fais quatre fois sa taille ! Et tu es un garde ! Tu n’es pas supposé blessé des gens innocents ! »

« Innocent ? Gens ? C’est une Gobeline. »

Le Drakéide pointa Loks qui se releva lentement. Erin était rouge alors qu’elle lui cria dessus.

« Pourquoi est-ce que tu fais ça ? Tu n’as jamais eu de problème avec elle avant ! »

Loks vit les yeux du Drakéide se plisser.

« Je n’avais pas de problème ? Je ne visitais pas ton auberge, tu te souviens ? C’est parce que je ne voulais pas voir ses petites saloperies dans le coin ! »

Erin hésita pendant une seconde, mais elle refusa de céder.

« Mais tu es venu ici. Et j’ai des règles. Le signe dit… »

« ‘Interdiction de tuer des Gobelins’. D’accord, d’accord. Mais je ne l’ai pas tué. De plus, qui en a quelque chose à faire de ce que le signe dit ? Tu ne fais pas partie de Liscor, et je suis un officier de la Garde. Ma responsabilité est de tuer les Gobelins et autres pestes. Tu ne peux pas m’arrêter. »

Il pointa vers Loks et elle tressaillit. Erin se contenta de le regarder pendant quelques secondes, et puis sa voix devint douce.

« Pourquoi est-ce que tu fais ça ? Pourquoi maintenant ? Qu’est-ce qui ne va pas alors qu’elle vient juste ici pour jouer aux échecs ? Qu’est-ce qui est si différent ? »

« C’est différent car Klbkch est de retour, et j’ai pour ordre de me débarrasser de ces choses. Et c’est ce que nous allons faire, crois-moi. Au moment où ils attaquent des voyageurs… »

Erin lança un regard angoissé vers Loks. Oui, le voilà. Ceria avait dit la vérité. Loks vit la demi-Elfe se lever à l’autre bout de la pièce. Ses doigts étaient en train de luire, mais Pisces était en train de la retenir. Bien. Le Drakéide pourrait tous facilement les tuer. Tout comme Scruta.

« Relc. Ca va aller. Ce n’est pas la peine d’agir à ma place. »

Klbkch parla calmement, et Erin continua alors que Relc secoua la tête.

« Loks n’est qu’une enfant. Tu ne peux pas faire de mal à des enfants, ou à ce qui ne sont pas dangereux ! Elle est une amie. »

Il regarda Loks.

« Super. Donc maintenant je suis le méchant car je suis la seule personne avec un cerveau ? Les Gobelins ne sont pas tes amis. Ils te poignarderont dans le dos à la première occasion ! Sale petite… »

Il donna un coup de pied. La Gobeline eut à peine le temps de voir le coup avant que la table à laquelle elle était assise se retournât. Elle hurla et essaya d’éviter le projectile. Les bords de la table s’écrasèrent au sol, écrasant presque son estomac alors que Loks roula au dernier moment.

« Relc ! Refais ça et … »

Le Drakéide regarda Erin et elle se figea. Il pointa Loks du doigt, et parla avec un froid glacial.

« Si je vois cette chose proche de Klb ou de la ville, je l’abats. »

Loks le regarda, il savait qu’il était franc. Elle le regarda, et sentit un poids l’alourdir.

Il n’y avait pas d’endroit sûr. Même pas ici. Elle s’était appuyée sur Erin, mais elle ne pouvait pas arrêter le Drakéide avec des mots. Il était fort. Elle était faible.

Elle voulait courir. C’était le même sentiment qu’elle avait vu, mais accentué fois dix.

Elle était petite. Et quand le Drakéide le regarda, Loks pouvait sentir le même regard. Toujours le même moment dans sa tête.


Un dos fuyant, un mouvement. Le torse du Gobelin explose alors que Loks se cache dans l’herbe, et le Drakéide rit de triomphe alors qu’il coupe la tête. De manière propre. Tellement propre.

L’enfant Gobelin se cache dans l’herbe, les yeux écarquillés, tremblant, regardant le torse. Quelque chose de si familier, mais d’alien. Combien de fois ces mains l’avaient relevé après être tombé ? Mais le corps était désormais ensanglanté, et sans vie.

L’enfant ne pleura pas. Elle attendit la mort alors que le second qui l’avait élevé mourus à quelques mètres d’elle. Puis un troisième Gobelin. Elle attendit que le Drakéine la trouve, mais il n’en vit que trois. Trois Gobelins, et un enfant qu’ils avaient laissé pour pouvoir voler à l’humaine solitaire.

Elle se cacha dans l’herbe, essayant de se faire le plus petit possible. Si elle était petite, il ne la trouverait pas. Si elle prétendait de ne pas exister, il n’entendrait pas son cœur battre.

Le torse ensanglanté commença à pourrir tout au long de la journée et de la nuit dans l’herbe à quelques mètres d’elle, puis l’Humaine arriva.



La réalité frappa Loks alors qu’elle vit le souvenir passer à travers son esprit. Elle ressentit la même peur qu’auparavant. Mais jamais. Plus jamais.

Elle ne pouvait pas se le permettre. Donc Loks regarda Relc. Ses yeux contenaient la promesse d’une mort rapide.

Mais elle…

Elle dégaina son épée.

«Loks ! »

La petite Gobeline tremblait en faisant face à Relc. Il la toisait, musculeux et mortel. Elle était terrifiée. Elle allait mourir. Elle se souvenait des morts, et elle voulait prendre la fuite, elle voulait hurler et se cacher, être lâche. Mais elle se dressa, tenant son épée.

Elle n’allait pas redevenir petite.

« Tu vois ? Qu’est-ce que je t’ai dit ? Je te ferai une faveur en te débarrassant de cette chose. »

La lance du Drakéide était dans ses mains. Loks ne l’avait même pas vu bouger. Elle savait qu’il pouvait la transpercer en un instant, mais elle ne pouvait pas reculer. Elle ne le ferait pas.

Il était plus fort, plus rapide, plus mortel. Mais si elle continuait de le fuir, elle n’allait jamais s’arrêter. Elle ne pouvait pas le faire. Elle ne pouvait pas continuer à être petite.

Elle regarda le Drakéide et pensa à son nom. Relc. Elle allait s’en rappeler jusqu’à sa mort. Que cela soit maintenant ou dans mille ans.

Relc. Elle ne le pardonnerait jamais. Il était son ennemi.

« Allez. Frappe-moi. Je te donne les trois premiers coups. Puis c’est mon tour. »

Relc lui fit signe d’approche d’une main. Loks le voulait. Elle voulait le frapper, mais ensuite il la tuera. Elle était coincée. Elle n’allait pas mourir. Mais elle n’allait jamais mourir. Pas maintenant. Pas…

« Arrête. Ça. »

La voix d’Erin était un morceau de fer froid dans la chaleur de la pièce. Elle s’avança devant Loks et regarda le Drakéide.

« Sors de mon auberge. Et si tu touches Loks… »

« Qu’est-ce que tu vas faire ? Me frapper ? »

Relc ricana en voyant Erin. Il ouvrit ses bras, la défiant de lui mettre un coup.

« Tu ne peux pas m’arrêter. Pas toi, pas ce Gobelin… Même pas toi, Klb, donc retire ta main de ton épée. »

Klbkch dit quelque chose, mais Relc ne le regarda pas. Il était toujours en train de regarder Loks, et elle savait qu’il attendait qu’elle fasse quelque chose. Mais elle n’était pas en train de le regarder, elle était en train d’observer ce qu’il y avait au-dessus de sa tête.

Loks leva les yeux. Quelque chose de bleus et d’indistinct était en train de flotter au-dessus de la tête du Drakéide. Ses yeux se plissèrent alors qu’il suivit son regard et qu’il leva les yeux.

« Mais bon… Dégage espèce de stupide insecte ! »

Il tenta de gifler la lumière pour l’éloigner, mais la créature évita le coup sans effort. Comme toujours. Mais lorsque Relc leva de nouveau la main pour la repousser, Loks sentit l’air se geler, et puis l’intégralité du corps du Drakéide fut recouvert de givre.

« Graaaaaaaaah ! »

Même le Drakéide n’était pas immunisé contre le froid. Il griffa ses écailles, alors que les Fées de Givres continuèrent de voler autour de lui. Sa mâchoire claqua lorsqu’il essaya de l’attraper, mais l’air devint aussitôt plus glacial, et sa bouche était soudainement remplie de neige.

Des stalactites commencèrent à tomber du plafond, se matérialisant de nulle part. Relc cracha la neige, et faillit se prendre de la glace dans l’œil. Il rugit et claqua la porte alors que les Fées de Givre le poursuivirent, laissant entrer l’air glacial.

« Quo… »

Erin était en train de regarder l’endroit où il était parti, puis elle se tourna vers Loks, concernée.

« Loks ! Est-ce que ça va ? »

Elle tendit la main vers la Gobeline, mais Loks fit n pas en arrière. Erin l’ignora et tendit la main vers le visage de Loks.

« Arrête ça. Il t’a frappé, n’est-ce pas ? Je n’arrive pasà le croire ! Comment est-ce que tu te sens ? Est-ce que tu as besoin d’une poche de… De glace ? Est-ce que quelque chose est cassée ? »

Loks repoussa sa main et secoua la tête. Erin essaya de vérifier si quelque chose était cassé, mais elle n’en avait pas besoin. Elle entendit Klbkch parler.

« Je présente mes excuses de la part de mon coéquipier, Erin Solstice, et à toi aussi, Loks. Je crois qu’il tient à moi, et à toi. Mais il a combattu dans la Guerre Gobelin et pense que les Gobelins sont des ennemis… »

Loks entendit à peine le reste. Elle se rassit à la table, tremblante. Sa mâchoire la lançait. La chair était déjà en train de gonfler, mais ce n’était pas important.

Elle l’avait fait. Elle l’avait vraiment fait. Elle lui avait tenu tête. Elle n’avait pas pris la fuite.

Elle n’était pas petite.

« Loks ? Ça va ? Est-ce que tu as mal quelque part ? »

Loks leva la tête. Erin était de retour, essayant de vérifier si tout allait bien. De nouveau, Loks dut la repousser. Mais Erin continuait de revenir, lui tournant autour, anxieuse et inquiète.

Comme les Gobelins que Relc avait tués. Loks pouvait à peine se souvenir de cette époque. À peine, mais…

Après un certain temps, elle glissa sous la table. Non pas parce qu’elle voulait se cacher, mais parce qu’elle ne supportait plus qu’Erin vienne lui demander comment elle allait toutes les deux minutes.

Personne ne la vit bouger. Loks était petite. Elle était invisible, comme les Gobelins étaient. Personne ne regardait aux Gobelins à part pour les voir en tant que menace ou peste. Il n’y avait qu’une personne qui les regardait, et elle…

… Elle était différente. Mais elle était occupée, et donc Loks s’assit sous la table et pensa.

Vengeance. Haine. Elle n’allait jamais chercher à se venger, car cela aurait été du suicide même avec le reste de sa tribu. Non, maintenant était l’heure de réfléchir à froid. La Garde était à la recherche de sa tribu, mais cela voulait dire qu’elle allait devoir faire un choix, rapidement.

Qu’est-ce qu’ils pouvaient faire ? Les seules directions étaient le nord et le sud, et le sud menait vers les Plaines Sanglantes et la tribu de la Lance Brisée et avait envoyé leur menace de mort avec son messager. Ils tomberaient sur sa tribu et ils allaient se faire massacrer en venant au sud.

Le nord alors. La Tribu des Crocs Sanglants était plus ouverte, ou plutôt, indifférent à sa tribu, mais cela pourrait rapidement devenir un bain de sang si elle restait dans son territoire. Donc que faire ?

Réfléchis. Réfléchis de manière logique aux menaces en face. Loks se concentra. Qu’est-ce qui était plus dangereux entre rester ici et affronter la Garde ou risquer la colère de la tribu des Crocs Sanglants et les monstres au nord ?

Même sans le Drakéide… Non, Relc, son nom était Relc, la tribu des Crocs Sanglants n’était pas de taille à affronter la Garde. Ils étaient presque une centaine de garde, même si certains restaient constamment sur les murs et beaucoup restaient à l’intérieur de la ville, mais ceux qui patrouillaient était bien plus fort que les Gobelins. Même s’ils n’étaient pas tous capables d’affronter un Hob en combat singulier, ils se battaient ensemble, avec discipline et intelligence.

De plus, la Tribu des Crocs rouges s’écraserait contre les murs de Liscor. C’était le réel avantage que la Garde avait. Ils pouvaient facilement défendre et attaquer à tout moment. Si c’était sur un champ de bataille équitable, il y aurait peut-être une chance…

Mais avec Relc, cette chance disparaissait. Il pouvait tuer quatre Hobs à lui tout seul, Loks en était certaine. Sa vitesse, force, et sa peau d’acier faisait de lui un autre type de créature, plus proche du monstre qu’autre chose.

Donc c’était la Tribu des Crocs Sanglants.

Et après quoi ? Est-ce qu’elle les défiait ? Comment ? La Tribu des Crocs Sanglants approchait du millier de Gobelins, sans compter les petites tribus qui les supportaient. Loks avait un avantage avec sa nouvelle arme, quelques jarres d’acide et l’écorce explosive. Comment est-ce qu’elle était supposée se battre contre ça ?

Mais la mort et les problèmes allaient venir pour sa tribu. Donc Loks allait finir en pièce avec la Garde d’un côté ou avec la Tribu des Crocs Sanglants de l’autre. Le donjon… Elle ne pouvait pas encore le risquer. Donc comment… ?

Petite. Elle était petite. Mais elle avait affronté Relc et n’avait pas fait demi-tour. Loks s’en souvenait. Elle se souvenait de la peur, de la certitude de la mort. Mais elle s’était tenu droite. Elle n’avait pas pris la fuite. Elle avait été morte de peur, mais durant cet instant…

Elle n’avait pas été petite.

Et c’est à ce moment que Loks sut ce qu’elle devait faire.

« Loks ? »

La Gobeline sursauta. La tête d’Erin apparue entre deux pieds de chaises.

« Te voilà. Écoute, tu peux sortir. Personne ne va te blesser, je te le promet. »

Comme si Loks en avait quelque chose à faire de ça. Elle sortit quand même. Erin toucha le visage de Loks, concernée, et lui demanda des questions sans importance. Mais le savoir brûlait en son sein. La sensation.

Elle savait.

« Je suppose que tu vas bien. Je suis désolé que cela soit arrivé. Écoute, laisse-moi te donner un peu de nourriture ou… Où faire une partie d’échec. »

Loks secoua la tête. Il n’y avait pas de temps à perdre. Elle pointa vers la porte, et Erin la regarda.

« Tu veux… Bien sûr. Mais tu peux revenir à n’importe quel moment, d’accord ? Tu seras en sécurité ici. »

Un magnifique mensonge. Ou peut-être… Loks hésita, regardant Erin. Peut-être qu’elle allait le rendre réel. Mais ce n’était pas là que se trouvait son futur. Ce n’était pas là que Loks allait grandir.

Elle secoua la tête, et pointa de nouveau vers la porte.

« Bien sûr, bien sûr. Je sais que tu es occupé. Tu vas partir et… »

Erin hésita et fronça les sourcils.

« Qu’est-ce que les Gobelins font toute la journée quand ils… Ne sont pas en train d’essayer de me poignarder ou de chercher de la nourriture ? »

Loks regarda Erin. Et elle sourit.

« … Tu souris ? Je ne comprends pas. »

***

La Tribu des Casses-Mâchoire était une petite tribu de Gobelins proche de Liscor. Différente de la Tribu des Plaines Inondées, bien sûr. En vérité, les deux tribus étaient des faibles même parmi les Gobelins. Mais le clan des Casses-Mâchoire était l’une des tribus qui payait un tribut régulier à la Tribu des Crocs Sanglants, et donc ils profitaient d’un semblant de protection.

Malgré tout, ils restaient dans une alcôve d’arbre éloigné de n’importe quel endroit habité, dans une petite vallée qui les rendait difficiles à remarquer. La tribu était principalement endormie à ce moment de la journée, juste avant le lever du soleil.

C’était l’hiver, et l’air était froid. Aucun Gobelin ne voulait se lever, surtout quand cela voulait dire qu’ils allaient devoir chercher de la nourriture durant toute la journée, ou chasser des rennes ou d’autre animaux à travers la neige. La nourriture représentait la vie ou la mort, mais cela ne voulait pas dire qu’ils devaient être proactifs à ce sujet.

Leur Chef pensait de la même manière. Guêleroc, une traduction approximative de son nom depuis le langage Gobelin, était en train de se réveiller alors que le soleil touchait son visage. Il était un Hob, l’un des deux de sa tribu. Il était le plus fort des deux, mais uniquement d’un niveau ou deux, et il était tout aussi feignant.

Mais même l’envie de dormir de Guêleroc ne pouvait pas lutter lorsque les rayons du soleil apparurent depuis le sommet de la colline. Il avait choisi la vallée car le soleil mettait plus longtemps à les déranger, mais Guêleroc avait toujours l’impression que la lumière le trouvait toujours trop tôt.

Il bâilla, s’assit, et regarda sa tribu en grattant son pagne. Guêleroc se leva…

… Et parce que Loks n’avait pas le moindre sens du timing dramatique, ce fut à cet instant que le carreau d’arbalète traversa sa colonne vertébrale et le cloua au sol.

Les autres Gobelins de la tribu regardèrent autour d’eux. Parmi le silence et le choc, Loks donna l’ordre de tirer.

Des munitions d’argile s’abattirent depuis les hauteurs, frappant les Gobelins et plongeant le camp dans le chaos. Loks rechargea lentement son arbalète noire avec un autre carreau et attendit. Cloue l’ennemi à sa position. Attaque sur les flancs. Elle regarda les rangs de Gobelins tenant des arbalètes et sourit.

Des expérimentations. Du changement. De l’évolution. Oh, et du pillage, du vol, et des coups de poignard dans le dos. C’était ce que faisaient les Gobelins.

Le nord était sien. La Tribu des Crocs Sanglants contrôlaient peut-être les Gobelins locaux, mais Loks avait de nouvelles armes, de nouvelles idées, et plus important encore, une nouvelle base ou se battre. Elle pouvait gagner. Elle allait gagner.

Elle allait conquérir un nouveau territoire au nord sur le sud était trop dangereux. Loks allait devenir plus forte. Elle allait gagner des niveaux. Et puis, une fois qu’elle sera assez puissante, et irait explorer de nouveau le donjon. Elle allait créer une tribu assez grande pour tuer le Drakéide et opposé la Garde. Elle allait rassembler assez de Gobelins pour se souvenir de ce qui avait rendu furieux le Roi des Gobelins.

Elle allait grandir. Jusqu’à être capable de vaincre l’étrange personne qui jouait aux échecs loin d’ici. Jusqu’à ce qu’elle puisse battre Erin.

Loks avait une liste. Elle leva l’arbalète, trouva le second Hob qui chargea en montant la colline et tira. Non pas vers sa tête ; plus bas. Vers sa seconde tête.

Elle n’allait pas perdre ici, ou un jour. Elle devait devenir plus grande, plus forte. Elle allait apprendre, et être clémente. Pour survivre, Loks pouvait tout devenir.

L’Hob mit la main vers la zone qui venait d’être touché et s’écroula au sol. Loks regarda l’objet qu’elle avait partiellement coupé avec son carreau. Pas trop clémente ; elle était une Gobeline après tout.

Mais elle pouvait le faire, Loks le savait. Elle allait le faire. Qu’importe le prix.

Elle n’allait jamais mourir.

 
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2.20 - Première Partie
Traduit par EllieVia


Lorsque Ryoka termina sa course, elle retrouva Erin et Olesm assis autour de l’échiquier, en train de parler échecs. Elle, Val, et Épervier s’arrêtèrent pour les regarder.

S’ils vivaient dans le monde de la course, Erin et Olesm appartenaient au monde mystifiant et silencieux des échecs. Cela faisait un peu penser Ryoka à de la religion, mais en lieu et place d’un autel ou d’un texte, Erin et Olesm vénéraient un échiquier.

Mais alors, jouer aux échecs était-il l’équivalent d’une prière ? Et en quoi constituait le blasphème ? Renverser le plateau ? Et pourquoi Ryoka poussait-elle cette analogie si loin ?

Elle toussa dans sa main. Olesm et Erin ne levèrent même pas les yeux.

“Tu vois, c’est à ce moment-là que j’ai su qu’il faisait pression avec le flanc gauche et qu’il essayait de me piéger pour me clouer. Là. Donc j’ai fait ceci et…”

“Ah ! C’est à ce moment-là qu’il a fait la gaffe !”

“Voilà. Mais même s’il n’avait pas fait de gaffe, j’aurais pris son pion et gagné l’avantage pour la fin de partie. Et c’est comme ça que ça se serait passé s’il ne s’était pas autant exposé.”

Olesm écrivait frénétiquement les explications d’Erin sur un parchemin. Il avait enfin l’air heureux. Ryoka n’était pas encore certaine qu’il soit recommandable de jouer aux échecs avec un inconnu mais…

La confiance. Elle devait faire confiance à Erin. Pas pour tout, mais au moins pour ça.

Ryoka toussa de nouveau, plus fort. Puis elle abandonna.

“Erin.”

Erin leva les yeux. Elle aperçut Val et Épervier, et ses yeux s’écarquillèrent.

“Oh ! Oh !”

Olesm se retourna et faillit lâcher sa plume.

“C’est bien Épervier ? Qu’est-ce que tu fais ici ?”

Épervier sourit en entrant dans la pièce avec Val. Ryoka fut mécontente de noter qu’ils ne suaient même pas.

“On est allé courir ce matin, et Épervier et moi-même pensions rester ici pour papoter. Sauf si tu es occupée avec ton… jeu ?”

“Quoi ? Les échecs ? Oh, non. On a beaucoup de tables disponibles.”

Erin resta avec les deux Courriers tandis qu’ils choisissaient une table à l’opposé de la salle. Elle n’arrêtait pas de jeter des coups d’œil à Épervier, et Ryoka savait qu’elle voulait le caresser. Erin était complexe de bien des manières, mais là, sa main tremblait.

“Est-ce que je peux… vous apporter quelque chose ? Un petit déjeuner ? Un déjeuner précoce ? Un goûter ?”

“Est-ce que je peux avoir un hamburger ?”

Épervier lança un regard nostalgique à Erin. Val grogna.

“Tout sauf un hamburger. Pourquoi pas ces lamelles de pomme de terre ?”

“Des frites ? Ça marche ! Un hamburger et des frites pour vous. Vous voulez du ketchup ? Tout le monde veut du ketchup.”

Ryoka regarda Olesm tandis qu’Erin s’affairait. Le Drakéide était toujours en train d’écrire sur le parchemin. Des… notations d’échecs ?

“Ce serait le bon moment pour utiliser ta tête, andouille.”

Olesm leva les yeux.

“Hm ? Désolé, tu étais en train de me parler, Ryoka ?”

“Non. Je me parlais à moi-même.”

Il retourna à ses notations. Ryoka essaya de se désembrumer l’esprit. Elle avait couru ce matin, et cela aidait à réduire les effets de la fête et de la beuverie de la veille.

À présent… concentre-toi. Que faisait-il ? Il notait des choses. De toute évidence. Essaie de faire une analyse un peu plus poussée qu’une élève de maternelle. Non, si Olesm était en train de noter la partie d’Erin - contre l’autre joueur, présumait-elle - et étant donné ses commentaires sur un match à égalité...

Erin était considérée comme étant plus forte que qui que ce soit d’autre…

Ah. Il notait les parties d’échecs. C’était, là encore, évident. Mais Ryoka voyait qu’il prenait des notes de commentaires sur une autre page. Et on ne faisait cela que si…

“Un journal. Ou un magazine.”

Olesm leva de nouveau les yeux.

“Hm ?”

“Désolée. Je réfléchis juste à voix haute.”

“C’est fascinant, n’est-ce pas ? Erin est une joueuse brillante et son adversaire…”

“J’imagine que tu dois gagner pas mal de niveaux en te mesurant à elle.”

Le Drakéide fit une moue que Ryoka ne put que décrire comme étant à la fois piteuse et mal à l’aise.

“Pas tant que ça. Mais tu as raison. J’ai en effet gagné pas mal de niveaux, et plutôt vite avec ça !”

Génial. Donc Erin était en train d’aider la personne qui se trouvait à l’autre bout du monde en ce moment. Ryoka lorgna le parchemin. Est-ce que lire des stratégies d’échecs aiderait d’autres [Tacticiens] ? Et d’ailleurs, pourquoi les échecs aidaient-ils tant les [Tacticiens], d’abord ? C’était un jeu. Un jeu qui impliquait de la stratégie, certes, mais pas…

“Oh mon Dieu.”

“C’est une expression intéressante. La plupart des humains se contentent de dire “dieux morts”.”

Ryoka ne répondit pas. C’était ça. En réfléchissant cinq secondes, on pouvait comprendre l’une des vérités critiques de ce monde. Ce système de niveaux n’avait pas été créé par quelqu’un issu du monde de Ryoka et d’Erin, issu de la Terre.

Si ce que pensait Ryoka été vrai. Elle n’eut d’autre choix que de demander.

“Olesm.”

Il la regarda, la plume levée au-dessus du parchemin.

“Oui ?”

“Est-ce que tu connais la plupart des classes ? Je veux dire, j’imagine qu’il y a des classes rares, mais tu connais la plupart de celles que les gens reçoivent normalement, non ?”

Il hésita.

“Jusqu’à un certain point. Je demande en effet les classes pour pouvoir les utiliser si j’ai besoin de me coordonner avec la Garde, donc on peut dire ça. Pourquoi ? Est-ce que tu es intéressée par une en particulier ?”

“Est-ce qu’il y a des classes pour les gens qui jouent à des… jeux ? Des jeux de plateau, je veux dire ?”

Olesm fronça les sourcils et se tapota le menton avec la plume, sans se préoccuper des taches que cela laissa sur ses écailles.

“Les jeux de plateau… on n’en a pas tant que ça. Il y a les joueurs d’échecs, bien sûr, et je sais qu’il y a des jeux semblables aux échecs que des [Tacticiens] ont mis au point… mais pas d’autres auquel je pense en ce moment. Les enfants jouent principalement à des jeux comme le palet à queue ou le jet de sacs de haricots.”

“Est-ce qu’il y a des classes qui y sont associées ? Une… classe qui implique de jouer contre d’autres pour s’amuser ?”

“[Parieur] ? Hum… j’ai entendu parler de gens qui obtenaient la classe de [Fainéant] ou de [Paresseux], selon la manière de les désigner, mais c’est quelque chose qui ne s’applique normalement qu’à l’aristocratie, tu sais, les quatrièmes fils, ce genre de choses. Sinon, j’imagine que la classe de [Tacticien] est la seule qui remplisse les cases.”

“C’est ce que je me disais. Merci.”

“Pas de souci. Content d’avoir pu aider ?”

Ryoka laissa Olesm à son jeu et réfléchit. Elle avait raison. Cela expliquait tout.

Question. Pourquoi les [Tacticiens] gagnaient-ils des niveaux en jouant aux échecs ? Peut-être qu’il était possible d’expliquer quelques niveaux avec les idées de stratégie, de feintes, ce genre de choses, mais une croissance aussi rapide ? Non. Cela n’avait aucun sens, surtout pour une classe qui devrait gagner de l’expérience en commandant des armées et en prenant des décisions dangereuses.

Oui, normalement, si on voulait gagner des niveaux, cela devrait être dans une espèce de classe de jeux de plateaux, mais il n’en existait pas ici. Et c’était la raison pour laquelle Olesm et le reste gagnaient des niveaux, et pas Erin ?

Parce qu’il n’y avait pas de classe de [Joueur]. Et quiconque avait conçu le système initial n’avait pas pensé - non, peut-être que la culture ne s’était pas encore adaptée à l’idée de quelqu’un qui jouerait juste à des jeux sans se concentrer sur la tactique ou le pari. Erin voyait le jeu comme un loisir, pas comme quelque chose qui devrait lui accorder la classe de [Tacticienne]. Mais Olesm et le reste d’entre eux voyait cela sous un jour différent.

Ce qui signifiait qu’Erin et Ryoka, à elles seules, ne constituaient pas un groupe suffisant pour définir une nouvelle classe, si c’était seulement possible. L’idée de classes prédéfinies créées par le créateur de ce système de niveaux ne collait peut-être pas avec l’idée de classes définies par la culture - Ryoka décida de catégoriser cette idée comme non confirmée.

Mais c’était logique. C’était une faille dans le système.

Et elle n’avait aucun moyen de l’exploiter, à moins de décider qu’elle voulait jouer aux échecs. Et même alors, seule Erin en bénéficierait si elle décidait d’arrêter de voir cela comme un jeu.

Mais ce n’était pas la chose la plus effarante. Ce qui l’effrayait vraiment, c’est la deuxième idée qui lui était venue lorsqu’elle regardait l’échiquier.

Est-ce que c’était un accident ? Ou… y avait-il un but. Les échecs. Cela venait d’être inventé dans ce monde, et le jeu gagnait en popularité chez les [Tacticiens]. Suffisamment pour qu’une personne envoie un échiquier de luxe à travers le monde, dépensant probablement des milliers de pièces d’or pour l’échiquier, la livraison, et cætera.

Parce qu’elle aimait les échecs ? Ou parce qu’elle savait que cela les aiderait à gagner des niveaux s’ils trouvaient un adversaire de valeur ?

La personne qui avait inventé les échecs savait-elle qu’elle avait trouvé un moyen de gagner aisément des niveaux de manière pacifique dans leur classe ? Ou n’était-ce qu’une coïncidence ?

Et que diable devait faire Ryoka au sujet de l’échiquier ?

Elle examina ses options. Elle n’en avait pas beaucoup, et la plupart mènerait à une Erin en train de péter les boulons, même si l’échiquier “disparaissait” par accident. Et les dangers…

Certes, cela allait aider une personne. Mais la considérer comme une ennemie parce qu’elle utilisait peut-être cela à son avantage n’était pas sage. Elle pensait peut-être que cela allait bénéficier autant à Erin qu’à elle, et c’était dans le cas où les peurs les plus sombres de Ryoka étaient complètement fondées.

Dans tous les cas, le talent d’Erin la rendait digne d’attention, et surtout, lui donnait de la valeur. Valait-il mieux avoir de la valeur et se faire remarquer ou rester cachée et secrète ? Elle avait déjà envoyé la lettre, et s’arrêter maintenant causerait plus de problèmes qu’autre chose.

La laisser jouer semblait être la bonne option pour Ryoka, mais elle décida qu’elle parlerait à Erin dès que possible. Juste après que…

“Hey, tu veux des frites ?”

Ryoka faillit bondir.  Erin recula pour éviter que Ryoka ne renverse son grand plateau de frites dorées et croustillantes. Ryoka les regarda fixement.

“C’était rapide.”

“Oui, c’est la nouvelle compétence que j’ai obtenue ! [Cuisine Avancée]. Cela me permet de tout préparer tellement facilement, et regarde !”

Erin tendit le plateau devant Ryoka. Chaque frite avait été cuite jusqu’à ce que les contours soient d’un brun doré, et Ryoka pouvait imaginer à quel point elles devaient croustiller. Et l’entendre, parce qu’elle venait d’en goûter une.

“C’est très bon.”

“Je sais, hein ? Elles sont tellement meilleures que celles que j’avais faites la première fois ! Les compétences, c’est incroyable !”

Il n’y avait rien à redire là-dessus.  Incroyables. Et effrayantes.

“Bref, j’en ai fait une tonne comme je veux manger en jouant avec Olesm. Dommage qu’elles soient si grasses, mais je parie que cela ne va même pas tacher les pièces !”

Erin se fendit d’un sourire éclatant en pointant du doigt l’échiquier et les pièces spectrales. Oui, c’était bien Erin. Offre-lui un échiquier magique capable de faire des parties contre n’importe qui dans le monde et elle se disait qu’il était bien pratique parce qu’elle ne mettrait pas de traces de nourriture sur les pièces.

… Bien que si Ryoka avait pu faire ça avec les vêtements elle n’aurait pas rechigné à cracher autant d’or que nécessaire. Erin apporta la nourriture à Val et Épervier, à leur grande joie, et lui lança par-dessus son épaule :

“Au fait, j’ai oublié ! Ceria est à l’étage, Ryoka !”

“Quoi ?”

Ryoka se retourna, confuse.

“Elle est déjà rentrée ?”

Ils ne s’étaient absentés que deux heures, même en comptant leur discussion sur les endroits dangereux et les monstres à éviter. Erin hocha la tête.

“Oui, elle a dit qu’elle voulait se reposer. Mais je suis sûre qu’elle est encore réveillée. Tu devrais l’inviter à un… brunch de frites ! Ou la laisser dormir si elle fait la sieste.”

“Je vais peut-être bien faire ça.”

Ryoka abandonna Erin et l’aubergiste retourna joyeusement à sa partie avec Olesm tandis que les Courriers commençaient de manger. Le goût de la frite s’attarda dans la bouche de Ryoka. Cela ne ressemblait pas exactement à une frite de chez McDonald’s, mais bon sang, le goût était proche. Les Compétences étaient la chose la plus effrayante du monde si elles permettaient à Erin de faire ça.

“Et peut-être qu’elles me changeraient aussi.”

LE pouvoir absolu corrompt absolument. Mais qu’est-ce que les… changements comme les classes et les niveaux faisaient aux gens ? Cela les empouvoirait ? Ou est-ce que cela les transformait en des brutes qui ne cessait de s’en prendre aux plus faibles ?

Ryoka savait ce que cela ferait aux gens de son monde. Elle avait vit l’enregistrement de l’expérience de la Prison de Stanford.

Mais les gens étaient différents ici. Certains étaient meilleurs que chez elle. Ou ce n’était peut-être que parce que Ryoka avait remarqué qu’ils étaient mieux que ceux de chez elle. Il était également possible qu’e ce soit parce qu’il y avait des monstres, de vrais monstres à combattre, ou que les gens devaient risquer leurs vies. Ceux qui surmontaient les obstacles parvenaient peut-être à se détacher des fardeaux que portaient les gens comme Ryoka, devenaient peut-être différents.

Ryoka ouvrit la porte et s’arrêta.

Ou… peut-être qu’ils étaient tous trop aliens pour que Ryoka arrive à assimiler leurs personnalités.

Ceria était assise sur le lit que les Antiniums avaient aidé à construire, à la lumière de la fenêtre, ses traits fins, sa chevelure scintillant au soleil. Parfois, Ryoka oubliait que la moitié de ses ancêtres étaient immortels. Morts depuis longtemps, certes, mais les scintillements de sa nature surnaturelle rendaient Ceria tellement unique, parfois.

À d’autres moments, elle était comme n’importe quelle humaine. Mais Ryoka ne lui avait jamais posé de questions sur ses parents. Et…

Elle se doutait que ce n’était pas un sujet qu’elle devrait aborder avant longtemps, de toute façon. Pas si ce que pensait Ryoka était vrai. Cause et conséquence. Prédictivité.

Le monde était tissé d’histoires tristes.

Comme celle-ci.

Ceria se tourna en entendant Ryoka entrer dans la chambre. Elle s’essuya les yeux, mais n’essaya pas de prétendre qu’elle n’avait pas été en train de pleurer.

“Ryoka. Désolée, je ne savais pas que tu étais rentrée.”

“Quelque chose ne va pas ?”

“Par où commencer ?”

Ceria éclata de rire. Elle leva sa main squelettique d’un air moqueur, et secoua la tête.

“Non. Ce n’est pas ça. C’est Yvlon. Elle est réveillée.”

Pendant un instant, Ryoka fouilla ses souvenirs, puis elle se souvint de la capitaine aventurière qui portait une armure d’argent. Elle sentit un frisson de culpabilité en se rappelant qu’Yvlon avait été à la Guilde des Aventuriers et qu’elle n’était allée la voir qu’une seule fois. Mais…

“Est-ce qu’elle va bien ?”

“Son corps, oui. Ils ont soigné la plupart de ses blessures, mais elle a des… cicatrices. Mais son esprit…”

Ceria secoua la tête avec désespoir.

“Elle vient de se réveiller. Quand elle m’a vue, je me suis dit… elle s’en veut.”

“Ah.”

Cela voulait tout dire, vraiment. Ryoka écouta la musique de la même histoire tragique se dérouler derrière les mots de Ceria.

“J’ai dû partir parce qu’elle commençait à s’agiter. Mais elle sait qu’il ne reste presque plus personne. Et l’assurance…”
“L’or pour les familles des morts ?”

“Oui. On ne peut pas la payer. Je veux dire, elle est la seule capitaine qui reste, et son équipe a entièrement péri dans les Ruines. Il doit y avoir encore huit survivants, et ils se sont éparpillés au vent. Et tout notre équipement a été réquisitionné par la Garde.”

“Et comment se sent-elle au sujet de ce qu’il s’est passé ?”

Ceria haussa légèrement les épaules, puis les laissa retomber.

“Tu crois quoi ? Elle s’en veut pour tout, et qu’importe qu’Écorcheur nous ait tendu une embuscade. Mais elle ne voulait pas se calmer, et on a dû appeler des gens pour l’empêcher de se faire du mal. J’ai dû partir.”

Ryoka voyait que les nouvelles avaient affecté la demie-Elfe. Mais elle ne voyait pas comment la réconforter…

Ryoka regarda les escaliers et se demanda si elle pouvait appeler Erin. Si ce n’était pour le soutien, au moins pour qu’elle lui donne des conseils. Ceria vit la direction dans laquelle elle regardait et secoua la tête.

“Je vais bien. Je ne voudrais pas perturber… ce qu’elle fait avec Olesm.”

“Ils ne couchent pas ensemble, si c’est la question que tu te poses.”

Ceria faillit s’étouffer. Ryoka la dévisagea, les sourcils levés.

“Je…”

Elle hésita.

“Pour Olesm… c’était…”

“Oublie. Je ne suis pas montée pour te poser des questions à ce sujet. Et je ne veux pas t’embêter. Mais si c’est un problème, je préférerais demander maintenant avant que tu ne fasses fondre le visage d’Erin.”

“Je le gèlerait, plutôt. Je ne suis pas très douée en sorts de feu. Et je ne ferais pas ça.”

Ceria soupira et se réinstalla dans son lit, faisant signe à Ryoka de s’asseoir. Cette dernière se réjouit intérieurement ; elle avait détourné la conversation des aventuriers et de la mort. Forte en conversation, Ryoka n’était pas.

“Moules à slimes, j’avais presque oublié la nuit dernière… écoute, je ne sais pas ce qu’en pense Olesm. Mais si Erin est intéressée…”

“Ce n’est pas le cas.”

“Tu es sûre ?”

“Relativement, oui. Ce serait tellement évident, tu imagines ?”

“J’imagine. Mais Olesm est amoureux d’elle.”

“Certes. Et tu es amoureuse d’Olesm.”

“Un peu.”

Ceria sourit, et Ryoka ne put s’empêcher de poser la question.

“Alors ?”

“Ryoka, je ne dirai rien. C’était juste… c’était bien. Et je l’aime pour plus de raisons que juste le fait qu’il m’ait sauvé la vie, même si ça aide. On a passé des journées là-dessous avec juste l’autre pour parler. Murmurer, plutôt.”

“Je ne juge pas. Mais je demande si d’autres vont le faire.”

Le léger sourire de Ceria s’effaça, et Ryoka regretta d’avoir dit cela. Mais c’était un bon point à soulever.

“Je me demande… on verra. Je ne suis même pas sûre qu’il y aura une prochaine fois ou autre. Mais…”

Elle soupira.

“Ce sujet est clos. Il aime les échecs, et je suis sûre qu’il est honnête. Erin et lui peuvent fixer ce plateau toute la journée, mais pas moi. Alors, pourquoi es-tu montée me voir ?”

“La magie. Mais si tu ne penses pas que je puisse…”

“Non, non. Autant s’y mettre maintenant.”

Ceria agita la main et s’avança maladroitement pour faire face à Ryoka. Elle laissa reposer sa main squelettique sur ses genoux pour parler. C’était encore difficile de l’ignorer, mais Ryoka essaya de regarder Ceria dans les yeux sans que cela tourne en combat de regards. Elle était mal à l’aise ; elle avait rarement eu une longue conversation de près comme ceci. Ou de loin, d’ailleurs.

“J’imagine que je n’aurais pas dû t’enseigner un seul sort et t’abandonner, mais j’imaginais que tu allais gagner un niveau ou deux dans la classe de [Mage] et que tu pourrais apprendre quelques sorts de plus grâce aux niveaux. Mais je devine que ce n’est pas ce qu’il va se passer, n’est-ce pas ?”

“Pas vraiment. Est-ce que c’est… un problème ? Est-ce qu’il est impossible d’apprendre des sorts ou de la magie sans classe ?”

Ceria secoua la tête.

“Non. Cela rend simplement la magie plus difficile à apprendre, c’est tout. Gagner des niveaux est un excellent moyen d’apprendre des sorts, et c’est tellement plus facile qu’être autodidacte.”

Elle tapota les mains de sa main valide sur son legging.

“En ce cas, on commence ? Si tu veux une éducation formelle, je te conseille d’aller prendre un siège à côté de Pisces et d’attendre environ un an. Je ne peux t’apprendre ce que j’ai appris à Wistram, mais je peux t’apprendre quelques sorts, si tu veux.”

“Tout ce que tu peux faire me va. Mais je n’ai aucune base en magie. Je ne sais pas comment fonctionnent les baguettes, les sorts…”

“Les baguettes amplifient ta magie. Elles stockent de l’énergie qui peut ou non se régénérer avec le temps. Cela dépend de la qualité de la baguette - certaines contiennent des sorts que tu peux déclencher une ou plusieurs fois.”

“Ça marche. Et les artefacts ?”

“Comme les baguettes, à la différence que d’ordinaire leur mana se recharge et leurs réserves sont plus importantes. Et aussi, si un jour tu en obtiens un, n’en parle à personne parce que certains te tueront pour ça. Ou t’offriront une rançon de roi.”

“Les sorts ? J’aimerais bien en apprendre quelques-uns.”

“Tu as un mois devant toi ?”

Ceria haussa un sourcil et Ryoka ne put s’empêcher de sourire.

“Tu m’as enseigné [Lumière] en une journée. Tu ne peux pas m’en apprendre un autre ?”

“Si je le connais. Pisces peut peut-être aider, mais il est pointilleux. Lequel souhaites-tu apprendre ?”

Ryoka avait une liste. Elle y avait bien réfléchi, et si elle pouvait apprendre n’importe lesquels, il y en avait trois qu’elle aimerait désespérément maîtriser.

“Pourquoi pas [Détection de Magie], [Boule de Feu], et [Célérité] ?”

Ceria leva les yeux au ciel.

Tout le monde veut apprendre le sort de [Boule de Feu]. Eh bien, ce n’est pas ton jour de chance, je ne sais pas le faire, et Pisces non plus. J’ai utilisé une baguette quand j’ai dû m’en servir. Mais je connais [Stalactite]. Le souci, c’est que tu risques de ne pas pouvoir le jeter sans baguette.”

“Vraiment ?”

“Oui. C’est une histoire de modelage de l’énergie. Oh, je pourrais jeter le sort une fois, mais le contrecoup serait douloureux. Peut-être que si j’avais une compétence ou plus de niveaux… et en plus, c’est un sort d’Échelon 3.”

“Ce qui signifie qu’il faut beaucoup de temps pour l’apprendre ?”

“À ton niveau, un an. Je ne dis pas ça pour te vexer, mais tu es une novice. [Détection de Magie] est d’Échelon 3 aussi, et [Célérité]... non.”

“C’est quoi le problème avec ce sort ?”

“Il y a des Échelons de magie. Je l’avais expliqué, pas vrai ? Eh bien, tu peux considérer le sort que tu veux apprendre - [Célérité] - comme un sort d’Échelon 4. Non... attends, peut-être 5 ? Je ne sais pas, désolée.”

“Est-ce que ça veut dire que je ne peux pas l’apprendre ?”

“Non, tu peux l’apprendre. Ou plutôt, tu as le potentiel pour. C’est juste que… je peux jeter des sorts d’Échelon 3. L’Échelon 4… c’est possible, mais j’aurais besoin d’un grimoire et de semaines… peut-être de mois pour apprendre le sort à mon niveau. Je pourrais peut-être l’apprendre en une semaine si j’avais un tuteur, mais en autodidacte…”

Ceria secoua la tête.

“C’est une question de temps et d’effort. Si tu te donnes suffisamment pour un sort, tu le maîtriseras. Mais il y a des limites. Si je voulais apprendre un sort comme [Boule de Feu Géante], cela me prendrait des années même si je connaissais les bases du sort. Ma magie n’est pas à un niveau auquel je peux le comprendre pour le moment, et je ne suis pas suffisamment versée en magie du feu de toute façon.”

“Je comprends. Donc ça ne vaut pas les efforts qu’il faudrait déployer ?”

“Cela en vaut carrément la peine, mais je n’ai pas de grimoire. Pourquoi crois-tu que je sois aventurière ? Ce n’est clairement pas pour garder la santé.”

Ceria tapota un doigt sur son genou et réfléchit.

“Pisces connait un sort d’Échelon 4, le sort d’[Invisibilité]. Je me souviens de quand il l’a appris - il a failli en mourir et il a étudié toutes les nuits pendant au moins deux heures tout un mois avant de réussir à le maîtriser. Et c’est un génie. Un génie arrogant et insupportable, mais il a appris [Invisibilité] quand il n’était qu’au Niveau 18. Il a gagné deux niveaux en l’apprenant.”

“Donc gagner des niveaux, chez les mages, leur permet d’assimiler les sorts plus rapidement ? Comme [Boule de Feu Géante] ?”

“Eh bien, si on partait du principe que je gagnais dix niveaux dans la nuit… oui. Ce serait beaucoup, beaucoup plus facile pour moi d’apprendre. D’un autre côté, si je, disons… comprenais comment fonctionne le sort, je pourrais l’apprendre tout aussi facilement.”

Ryoka fronça les sourcils. La magie n’était de toute évidence pas quelque chose de parfaitement linéaire. De ce qu’elle se souvenait lorsqu’elle avait appris [Lumière], c’était plus proche de… d’avoir une révélation mathématique, de résoudre une formule, quelque chose dans ce genre. Elle laissa Ceria poursuivre.

“Bref, de manière générale, la magie d’Échelon 3 est bien pour le combat, tant que tu ne te lances pas aux trousses de quelque chose de trop dangereux. [Stalactite], par exemple, est d’Échelon 3. Il y a un sort dérivé - [Tesson de Glace] - qui est d’Échelon 2. [Vent Glacé] est d’Échelon 1, même si je sais que Pisces peut rendre le sort beaucoup plus puissant qu’il n’est censé l’être.”

“Et [Lumière] ? Échelon 1 ?”

“Eh bien, je dirais Échelon 0 si je pouvais, honnêtement. C’est l’une des magies les plus élémentaires que les gens apprennent. Faire de la lumière, faire de la chaleur… [Étincelle] est un autre exemple.”

C’était logique, et Ryoka était tentée de l’interroger sur [Étincelle], mais…

“On peut ajouter de la magie à un sort ? Comment ?”

“Comme ceci. Je ne t’avais pas montré ça ?”
Ceria leva la main et une orbe de lumière jaune familière apparut dans sa main tel un doux soleil. Elle donna une pichenette à l’orbe de lumière dorée pour l’envoyer sur Ryoka. Cette dernière leva une main par réflexe et la lumière éclaboussa sa main avant de s’évanouir dans les airs devant les yeux ébahis et émerveillés de Ryoka. Elle n’avait rien senti lorsque la lumière avait touché sa peau.

“Tu peux la jeter, mais seul un très bon mage peut la contrôler à distance. Pareil pour la taille ; tu peux ajouter du mana pour rendre ta lumière plus grande ou lui donner une forme différente, mais au final, cela ne reste que des exercices. Ils t’aident à affiner ton contrôle sur les sorts, mais cela reste une simple lumière au final.

“Et l’intensité, alors ? Est-ce que tu peux la rendre aussi brillante que le soleil ?”

“Tu sais jeter le sort. À toi de me répondre.”

Ryoka se concentra. Ceria n’avait même pas dit [Lumière] pour créer son orbe, mais pour une raison qui lui échappait, Ryoka en était incapable.

“[Lumière].”

L’orbe sortit de sa paume. Elle était aussi lumineuse qu’à l’accoutumée, pas plus. Ryoka fronça les sourcils.

“Comment est-ce que… ?”

Attends, c’est une question bête. Qui demande la réponse pour tout ? Ryoka ferma les yeux, se concentra, et l’orbe devint plus lumineuse derrière ses paupières.

“Huh. C’était... rapide.”

C’était épuisant d’ajouter de l’énergie au sort. Ryoka se concentra cependant, et l’orbe devint plus brillante… encore plus brillante…

Mais pas si brillante que ça. Ceria se protégeait les yeux, mais ce n’était pas qu’elle risquait de devenir aveugle. Ryoka sentit qu’elle serait peut-être capable d’intensifier la lumière de la sphère, mais elle ne voulait pas prendre de risque.

Elle laissa l’orbe disparaître. Elle venait de comprendre une autre technique. C’était comme essayer de pousser ou de tirer, mais peut-être qu’absorber et réémettre étaient un meilleur moyen d’imaginer la manière dont elle pouvait contrôler le pouvoir en elle.

Quel qu’il soit, la sensation était une partie de l’esprit de Ryoka dont elle n’avait même pas réalisé l’existence auparavant. Se pouvait-il que la… magie soit semblable aux amygdales ou à l’appendice ? Quelque chose d’oublié depuis longtemps ?

“C’était impressionnant. C’est compliqué d’imaginer quelque chose d’aussi lumineux. J’en suis personnellement incapable.”

“Imaginer ?”

Ceria acquiesça.

“Les mages ne peuvent pas créer des sorts à partir de rien. Les images dans nos têtes deviennent des sorts. Donc je peux rendre le sort de lumière très brillant, mais pas aussi brillant, disons, que le soleil.”

Elle leva la main et une nouvelle orbe de lumière apparut. Elle devint d’un blanc lumineux aussi, mais pas aussi lumineux que l’orbe de Ryoka.

“J’imagine que je ne regarde pas si souvent les choses brillantes, hein ? Et je n’ai jamais vu le soleil de près donc je ne sais même pas vraiment à quoi il ressemble. C’est le fait qu’il soit si brillant qui le rend difficile à voir. Qu’est-ce que tu as regardé pour réussir à voir quelque chose d’aussi lumineux ?”

Les néons pendant les fêtes. Les lumières de la police. Les phares des voitures, et le soleil, oui, parce qu’elle était stupide étant enfant.

“Du feu, des trucs comme ça. Ah, tu dis que je peux plus facilement apprendre un sort si je comprends ce qui le compose ?”

“Eh bien, j’imagine qu’on peut dire ça comme ça. La plupart des mages ont des spécialités - quelque chose qu’ils comprennent. Personnellement, je comprends le froid. J’ai passé quelques hivers dans la neige et la glace, et j’ai toujours aimé les flocons. Mais j’ai également étudié les aiguilles de glaces, et… eh bien, cela veut simplement dire que comprends mieux les sorts comme [Stalactites].”

Elle fit un signe de tête pour désigner l’orbe dans ses mains.

“Tu peux probablement comprendre le reste toute seule, mais je vais t’apprendre à manipuler le sort de [Lumière] ? Mais je ne peux rien faire pour toi pour les sorts de [Célérité] ou de [Boule de Feu]. Si j’entends parler de quelqu’un qui vend un grimoire avec ces sorts dedans, je te le dirai, mais acheter un grimoire complet pour un seul sort…”

“Cela ne vaut pas la peine. Je comprends.”

“Oh, non, tu pourrais apprendre les autres sorts qu’il contient, mais j’allais dire que c’était trop cher. Les grimoires contenant de la magie d’Échelon 4 sont largement au-dessus de mes moyens, même quand j’étais encore avec… avec les Cornes.”

Cela allait peut-être bientôt changer. Ryoka se demanda ce que huit cents pièces d’or lui permettraient d’acheter. Probablement un grimoire d’Échelon 1, ou 2 maximum. Mais pour la magie… elle était prête à passer autant de nuits blanches que nécessaires pour la magie. Mais à quel point une classe accélérerait-elle son apprentissage ?

Ceria devait avoir senti le dilemme de Ryoka.

“Je ne suis toujours pas certaine de comprendre pourquoi tu n’aimes pas les classes, mais… bref, j’en ai assez dit avant. Si tu ne veux pas t’y prendre de cette manière, c’est très bien. La magie requiert d’étudier même avec des niveaux.”

Ryoka acquiesça, soulagée. Encore un choix repoussé. Pas une bonne chose à faire, mais elle pourrait y réfléchir toute la journée, toute la semaine s’il le fallait. L’Auberge Vagabonde était l’endroit parfait où rester pour apprendre.

Ceria pointa le doigt sur Ryoka et transforma l’orbe de lumière dans ses mains en un carré.

“Si on veut s’entraîner, autant faire une leçon complète. Refais le sort de [Lumière]. À présent, vide ton esprit. Concentre-toi sur le sort, et mets-y autant de pouvoir que possible. Voyons à quel point du peux le rendre lumineux.”

Ryoka s’exécuta, et elles s’entraînèrent toutes les deux jusqu’à entendre le cri.

***

Aaaah ! Mes yeux !”

Erin lâcha l’assiette qu’elle tenait entre ses mains pour se couvrir les yeux, mais lorsqu’elle regarda en bas, elle s’aperçut que Ceria avait rattrapé d’un sort l’assiette de frites.

Avec sa main squelettique.

Erin la regarda fixement, la vision floue à cause des larmes, et Ryoka et Ceria se levèrent. Ceria essaya de s’excuser. Elle cillait à intervalles rapprochés, et Ryoka aussi.

“On… s’entraînait à faire de la magie. Comment se passe la partie d’échecs ?”

Elle n’eut pas de réponse. Erin pointa juste du doigt, et Ryoka et Ceria le suivirent pour voir ce qu’elle montrait.

“Ta main !”

“Quoi ?”

Ceria cligna des yeux en regardant sa main puis se figea. Ryoka regarda fixement l’extrémité brillante des os blanchis.

“Je ne savais pas que tu pouvais la bouger.”

“Je ne peux pas… je veux dire, c’est déjà arrivé, mais c’était inconscient. Comme cette fois.”

“Ça doit être magique.”

Ryoka lança un regard appuyé à Erin, et elle rougit.

“D’accord, c’est évident. Mais je me demandais comment elle faisait pour tenir d’un seul bloc et, tu sais, ne pas se déliter, sans la peau et le reste.”

Ceria cligna des yeux.

“C’est vrai. Je n’y avais même pas pensé.”

“Et tu as failli me planter un pic de glace dans la tête la dernière fois avec, donc… elle doit bouger quand tu lances un sort !”

Ryoka regarda fixement Erin puis les deux femmes tour à tout, mais Ceria était en train d’acquiescer.

“Quand je canalise ma magie je dois… eh bien, je n’avais pas essayé parce que je pensais qu’elle était morte mais peut-être…”

Elle fronça les sourcils en regardant sa main. Ryoka et Erin ne virent rien, mais les doigts finirent par se crisper. Puis ils se mirent à bouger.

Ceria serra lentement les doigts pour former un poing en contemplant fixement la peau noircie et les os se mouvoir sans heurt. Pour Erin, c’était la chose la plus flippante qu’elle ait jamais vue ; les squelettes en cours de biologie étaient une chose, mais la main de Ceria bougeait tellement naturellement que c’en était effrayant.

“Par mes ancêtres., souffla Ceria.

“Bon sang, c’est extraordinaire !”

Erin voulait serrer Ceria dans ses bras, mais les frites flottantes lui bloquaient le chemin, et elle avait peur de rompre la concentration de la mage. Ryoka souriait aussi.

“C’est impressionnant. Ça fait mal ?”

Ceria secoua la main, mais elle souriait aussi à présent.

“Ce qui est vraiment impressionnant, c’est que je peux plus facilement jeter des sorts avec cette main qu’avec l’autre. Je l’ai senti en rattrapant cette assiette. Ça doit être les os.”

Erin ne saisit pas, mais Ryoka comprit instantanément.

“Les os des demi-Elfes conduisent mieux la magie ?”

Ceria hésita.

“C’est… un secret. Ne le dites à personne, s’il vous plaît.”

Ryoka acquiesça immédiatement, et Erin l’imita.

“Bien sûr que non. Carrément. Hum, merci d’avoir rattrapé les frites.”

“Les frites ?”

Ceria cilla, et sembla enfin se souvenir des frites et de l’assiette en train de flotter dans les airs. Elle regarda Ryoka et Erin.

“Aidez-moi à les attraper ? Je peux les faire flotter, mais je ne maîtrise pas le contrôle fin.”

En moins d’une minute, les filles et Ceria parvinrent à remettre les frites dans le plat et à en manger plus de la moitié. Elles descendirent toutes au rez-de-chaussée pour donner la bonne nouvelle à Olesm.

Il était extatique, mais il ne put s’empêcher de montrer à Ceria quelque chose qu’il considérait clairement comme tout aussi important. Il lui agita un parchemin recouvert d’une écriture serrée sous le nez, mais Ceria se contenta de cligner des yeux. Elle n’était pas non plus impressionnée par ses notes de la partie d’Erin avec son mystérieux adversaire.

“Erin a fait une bonne partie d’échecs ? C’est bien.”

“C’est plus que bien, Ceria. C’est… phénoménal ! Incroyable ! C’était… je suis sûr que quiconque était de l’autre côté du plateau a forcément dû gagner des niveaux ! Je n’avais jamais vu une telle partie. Et j’ai tout noté là-dessus !”

Il brandit le parchemin couvert d’encre sous le nez de Ceria. Elle cilla, médusée.

“Ça a l’air intense.”

Erin remarqua que Ryoka regardait le plateau en fronçant les sourcils. Est-ce qu’elle voulait faire une partie ? Mais ce n’était pas ce qui intéressait la coureuse.

“Est-ce que vous avez fini de jouer pour le moment ?”

“Je pense, oui. Je pense que la personne en face est occupée, parce qu’elle a tapoté deux fois le plateau avec un pion puis s’est arrêtée. Mais je partie qu’elle va refaire une partie demain. Et elle est tellement forte ! Ce n’est pas génial ça ?”

Wunderbar. Mais le joueur d’en face est vraiment si bon que ça ?”

“Il est vraiment, vraiment bon, Ryoka. Le meilleur que j’ai croisé depuis…”

Erin hésita en se rendant compte qu’elle était sans doute en train de piétiner les sentiments d’Olesm, mais le Drakéide acquiesça.

“C’est le meilleur que j’ai vu, aussi. Il doit être un [Stratégiste] !”

“C’est un autre type de [Tacticien] ?”

“Non… c’est comme un [Maître des Lances]. C’est un changement de classe qui advient quand on atteint un certain niveau. On se spécialise ou… on obtient de meilleures compétences.”

“Ah.”

Erin sourit de toutes ses dents, et elle se demanda quand le mystérieux joueur reviendrait faire une partie avec elle. Il avait remporté une partie. D’habitude, Erin était bonne perdante mais…

C’était une journée glorieuse. Elle avait des frites qui étaient faciles à faire, Ceria et Olesm étaient dans son auberge, et Val, Épervier et Ryoka aussi !

Mais les Courriers décidèrent alors de partir, ce qui était très bien, et Olesm décida qu’il fallait également qu’il rentre en ville. Ce qui laissait quand même Ceria et Ryoka, et Erin était heureuse de les avoir toutes les deux.

“Que voulez-vous faire ? On peut papoter, ou faire des jeux - autres que les échecs - ou on peut aller en ville ou…”

“Se cacher.”

Ryoka était en train de regarder par la fenêtre. Erin suivit son regard et son cœur se serra juste un peu.

Un essaim de Fées de Givre s’était formé autour de son auberge. Elles regardaient à travers les vitres, faisaient des grimaces puis…

Entrèrent ?

Non. C’était impossible. Mais, dans un silence frappé d’horreur, Erin vit la porte s’ouvrir lentement vers l’intérieur pour laisser entrer une Fée de Givre dans la pièce.

La petite créature azurée regarda autour d’elle et sourit tandis que Ryoka se figeait et qu’Erin devenait une statue de cire de l’horreur. Ceria recula jusqu’à se retrouver presque aux pieds des escaliers, mais il était trop tard. Les Fées de Givre entrèrent en voletant.

Elles s’engouffrèrent à l’intérieur dans une explosion d’air froid qui éteignit le feu de l’âtre et rappela l’hiver au souvenir d’Erin de la manière la plus douloureuse et glacée qu’il soit. Ryoka et Erin se couvrirent le visage pour contrer l’assaut des particules de glace qui fouettaient leur peau. L’instant d’après, les fées étaient partout.

 
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2.20 - Deuxième Partie
Traduit par EllieVia


”Regardez ! Regardez ! Deux Humaines et une bâtarde crasseuse !”

“Une auberge ! Un lieu pour se reposer et festoyer !”

“Je vais prendre un cochon à la broche ! Non ! Un cheval à la broche !”

“Regardez comme elles restent plantées là, toutes stupides et lentes !”

“Il n’y a pas de fer ! Pas de douleur !”



“Qu’est-ce qu’il se passe ?”, hurla Ceria par-dessus le vacarme des voix.

Ryoka et Erin regardaient les fées d’un air effaré. Elles étaient partout, grimpaient aux murs, s'asseyaient sur les tables, renversaient les assiettes…

“Ma cuisine ! Sortez de là !”

Erin courut en agitant les mains tandis que des fées disparaissaient dans la cuisine avec des hurlements de rire perçants accompagnés des bris de vaisselle. Ryoka balayait les Faes agiles qui voletaient autour d’elle de la main tandis qu’elles lui tiraient les cheveux ou en arrachaient des mèches. Mais lorsque l’air autour d’elle gela, même la coureuse dut
abandonner.

Mais la moins bien lotie était Ceria. Dès qu’Erin fut parvenue à chasser les fées de sa cuisine et qu’elles se désintéressèrent de Ryoka, toute la horde parut se concentrer sur Ceria. Et pas dans le bon sens du terme.



“Demie-Elfe ! Putain !”

“Fille de bâtard !”

“Répugnante corniaude !”



Elles volaient autour d’une Ceria roulée en boule en train de protéger sa tête. Certaines fées lui lâchèrent des tessons de glace dessus, d’autres lui jetèrent des boules de neige.

Arrêtez !

La voix d’Erin ne claqua pas exactement comme le tonnerre, mais elle recouvrit tout de même le tintamarre des fées. Elles s’interrompirent, et elle hésita en réalisant qu’elle ne savait pas vraiment ce qu’il se passait ni ce qu’elle pouvait dire.

Mais Ryoka, si.

“Que faites-vous ici ? Je croyais que les fées ne pénétraient jamais dans les bâtiments !”

La grande Asiatique fit face aux Fées de Givre en train de flotter dans l’auberge sans une once de peur. Erin se dressa derrière Ryoka, très apeurée au souvenir de l’avalanche qui l’avait frappée la dernière fois qu’elles s’étaient énervées.

“Vous n’êtes pas les bienvenues ici. Allez-vous-en.”

Les Fées de Givre la huèrent lorsque Ryoka pointa la porte du doigt. L’une d’elle leva deux doigts en l’air - une insulte ? - en flottant devant les yeux de Ryoka.




“Hah ! Nous avons le droit d’entrer ici ! Il n’y a pas de fer répugnant ici, et on nous a dit que nous serions les bienvenues ! Nous sommes invitées de longue date, idiote !”




Ryoka tourna la tête pour dévisager Erin. Cette dernière regarda ses pieds d’un air innocent et se donna plusieurs coups de pieds intérieurement. Ryoka se pencha pour murmurer à l’oreille d’Erin.

“Est-ce que c’est vrai ?”

“Je ne savais pas ! Elles allaient attaquer les Ouvriers pendant le chantier donc j’ai dit… je ne savais pas !”

“Les marchés des fées. Ne leur fais jamais confiance.”

“Ne les mets pas en colère, Ryoka ! Elles peuvent créer des avalanches… et elles connaissent les Roi Arthur ?”

“...  Quoi ?

L’une des fées était en train de flotter à côté des deux filles en train de chuchoter. Elle éclata d’un rire strident.



“Hah ! Est-ce donc tout ce à quoi vous autres mortels pensez ? Au Roi Arthur ? Ce branleur stupide ne connaissait même pas Caliburn avant que nous ne lui en parlions !”




“Caliburn ? Vous voulez dire L’Épée du Rocher ?”

Le regard de Ryoka se focalisa sur la fée, et Erin se sentit stupide. Mais la fée se contente de leur faire un doigt d’honneur à toutes les deux avant de s’élancer de nouveau dans les airs.



“Tu poses des questions à des invitées ? Où sont notre accueil, nos boissons et notre nourriture ? Nous exigeons notre dû ! Qu’on nous apporte des dés de vin et des gâteaux dorés et des tardes au massepain et des crèmes et peut-être que nous vous accorderons une bénédiction !”

“Mais d’abord, chassons l’impertinente qui oserait partager ainsi ce toit !”



“Ah !”

Ceria cria lorsque l’une des fées se posa sur son bras, gelant sa chair. Ryoka intercepta la suivante en protégeant la demie-Elfe de son corps.

“Arrêtez ça. Tout de suite.”

L’une des fées la regarda d’un air malveillant.




“Ah, tu prendrais la défense de cette chienne, n’est-pas, Humaine ?”



Ryoka ne répondit pas. Elle plissait les yeux en serrant le poing. Erin s’accroupit à côté de Ceria et essaya de réfléchir. Ceria lui murmura d’un air paniqué :

“Que veulent-ils ? Que font-ils ici ?”

“Tu peux les entendre ?”

Erin était étonnée. Tout le monde paraissait traiter les fées - ou Esprits de l’Hiver, selon eux - comme des boules floues que personne n’arrivait à distinguer. Mais Ceria pouvait clairement voir quelque chose. La demie-Elfe acquiesça en plissant les yeux.

“Je n’entends que des murmures, mais je peux distinguer… quelque chose. Ils ne m’aiment pas. Les Esprits de l’Hiver n’aiment pas les demis-Elfes.”





“Ne pas t’aimer ? On vous déteste, fils et filles de putes !”



L’une des fées se posa sur la tête de Ceria, ses cheveux gelèrent sur place et la demie-Elfe hurla. Elle était trop terrifiée par les Fées de Givre - Erin se demanda ce qu’elles lui avaient fait pas le passé.

“Arrêtez !”

Erin essaya de chasser la fée d’un revers de la main, mais elle se contenta de siffler de colère, la forçant à retirer sa main.

“Si on vous donne à manger, est-ce que vous partirez ?”, demanda Ryoka à l’une des fées. Elle n’eut qu’un haussement d’épaules insolent pour toute réponse. Elle se tourna vers Erin.

“Erin… va leur préparer quelque chose.”

“Quoi ?”

“Quelque chose…”

Ryoka hésita, et porta la main à sa tête tandis que les fées volaient autour d’elle en faisant la grimace et en lançant des commentaires vulgaires.

“Quelque chose de sucré. Du lait et du sucre. Mais dépêche-toi !”

Erin se précipita dans la cuisine et attrapa le sac de sucre et le lait qu’il lui restait. Elle prit un bol, y versa presque autant de sucre que de lait, et l’apporta dans la salle commune.

Les fées étaient arrivées dans une impasse avec Ryoka et Ceria. La demie-Elfe était recroquevillée et Ryoka la protégeait, mais de temps en temps, une fée s’avançait pour lui jeter quelque chose dessus.

Erin posa le bol de lait sucré sur la table, en en renversant un peu dans sa hâte.

“Voilà ! De la nourriture ! Prenez-la et partez !”

L’une des fées flotta jusqu’au bol pour goûter la concoction. Elle regarda d’un air suspicieux les grains de sucre au fond du bol, puis plongea précautionneusement un doigt dans le lait. Erin retint sa respiration lorsque la fée le goûta avec prudence. Puis…





“Qu’est-ce donc ? Ce n’est que du sucre et du lait de vache ! Tu essaies de nous insulter ?”


Hurla la fée d’un air outragé, et les autres fées s’agglutinèrent autour du bol.


“Du lait et du sucre ? Ce n’est pas suffisant !”

“Ce n’est bon que pour un goûter !”

“Nous exigeons plus !”




En quelques secondes, le bol fut vide. Erin le regarda fixement lorsque la dernière fée enfourna avec avidité du sucre mouillé dans sa bouche. Mais les fées avaient beau avoir mangé, elles n’avaient pas l’air apaisées. L’une d’elle flotta devant Erin en la dévisageant avec mépris.




“Je suppose que cela suffira pour commencer. Mais nous voulons plus ! Tu es une aubergiste, espèce de mollassonne. Fais-nous encore à manger ! Encore dix bols et nous considèrerons cela comme une faveur !”



Erin n’avait plus assez d’ingrédients pour faire un autre bol, et encore moins pour dix. Elle le leur dit, et les fées devinrent encore plus agitées.



“Alors pourquoi pas du divertissement ? Non ? Alors nous nous divertirons nous-mêmes !”



Elles se mirent à bombarder Ceria, à lui tirer les cheveux et les vêtements. Erin essaya de repousser les fées, mais elles étaient beaucoup trop vives ! Elles tourbillonnaient autour d’elle, à quelques centimètres de sa peau alors qu’elle essayait de les atteindre sans succès.

“Arrêtez ! Arrêtez !”

Ceria essayait de les repousser avec sa main valide, mais les fées se contentaient de virevolter autour d’elle. Erin essaya d’attraper une fée, mais cette dernière l’esquiva avec agilité, puis lui jeta de la glace au visage, ce qui la fit crier.

“Erin… va chercher une poêle. Et tout ce que tu as en fer.”

Ryoka se déchaînait aussi, mais lentement, en observant les fées qui esquivaient ses mains. Erin hocha la tête et se dirigea vers la cuisine, mais elle s’arrêta lorsqu’une fée lui vola devant le visage.



“Quoi ? Une poêle ? Nous ne sommes pas de stupides reines, et tu n’es pas une sorcière, morveuse !”



“Mais vous n’aimez pas le fer froid.”

Répondit calmement Ryoka, et les fées se figèrent dans les airs. Le froid de la pièce - déjà proche du zéro - s’intensifia à ces mots.



“Est-ce une menace, humaine ?”



“Non… juste un fait. On ne peut pas faire confiance aux fées. Ne t’approche jamais d’un tumulus de fées, ne remercie jamais une fée, ne mange jamais leur nourriture et ne leur parle pas de ton enfant. Elles ont peur du fer froid, toutefois, et je ne crois pas que vous puissiez entrer quelque part sans invitation.”

On aurait dit que Ryoka disait cela pour Erin autant que pour les fées. Elles dévisageaient froidement la grande fille, et Erin frissonna. Elle se dirigea lentement vers la cuisine, et lorsqu’elle en ressortit, elles étaient en train de se disputer.




“Nous ne volons pas d’enfants ! Nous apportons l’Hiver, espèce de vache ! Et nous acceptons vos remerciements sans voler de faveur ! Nous offrons nos présents en toute bonne foi, et tu voudrais nous menacer ?”





La fée la plus proche d’Erin l’aperçut, et cria d’une voix qui démentait sa taille.



Du fer froid ! Elle l’a dans les mains, mes sœurs ! Prenez garde !”



Les fées poussèrent un cri strident, un son si discordant qu’Erin faillit en lâcher la poêle. Mais elle la tint fermement, le visage résigné, et haussa la voix.

“C’est vrai. Et si vous ne partez pas immédiatement, je vais… je vais…”

Erin ne pensait pas vraiment pouvoir toucher l’une des fées, agiles comme elles l’étaient. Et elle n’avait pas non plus vraiment envie de le faire. C’étaient des pestes démoniaques, mais elle n’était pas une br… elle ne voulait pas leur faire du mal.

L’une des fées avança en flottant dans la pièce, en dévisageant Erin d’un air dur. Le froid qui s’échappait de sa petite stature était suffisant pour qu’elle recule légèrement, et lorsqu’elle prit la parole, la voix de la fée était grave et froide, pour une fois.





“Est-ce que tu nous menaces avec du fer froid alors que nous sommes invitées ? Briserais-tu les lois de l’hospitalité, mortelle ?”



Erin hésita et baissa la poêle. Il y avait une lueur dans les yeux de la fée qui la mettait très mal à l’aise. Et l’idée de répondre “oui” faisait tinter d’énormes et bruyantes sonnettes d’alarme sous son crâne. Pas aussi bruyantes que lorsque son [Instinct de Survie] s’était déclenché avec Écorcheur, mais presque.

“Non. Noooooon... mais Ceria est également mon invitée ! Vous ne pouvez pas être méchante avec elle si vous voulez rester ici !”

La fée pouffa avec mépris et pointa le doigt sur Ceria.



“Bah ! La demie-créature n’est pas ton invitée ! Elle ne paie rien, et n’offre rien en échange de la faveur de l’hospitalité ! Nous pouvons faire ce qu’il nous plaît !”



Comment savaient-elle cela ? Mais il était trop tard. À présent qu’Erin avait promis qu’elle ne leur ferait rien, les fées reprirent leur attaque sans pitié sur Ceria.





Putain ! Putain, salope, et bâtarde !”

“Va mourir, sale monstre !”

“Abomination !”



Ceria se réfugia dans un coin en pleurant sous leurs assauts répétés. Les fées étaient sans merci, et Erin et Ryoka ne pouvaient les arrêter.

“Pourquoi sont-elles tellement en colère ?”

Hurla Erin à Ceria. La demie-Elfe secoua la tête.

“Elles font ça. Elles font toujours ça. Depuis que je suis petite… !”

Elle glapit et cria lorsqu’une fée lui arracha une mèche de cheveux. Ryoka gronda, et la fée voleta à reculons, brandissant son trophée sanglant en riant.




“Une mèche de cheveux de la fille des putes ! Hah !”



“Arrêtez de l’appeler comme ça.”, cracha Ryoka, et les fées autour d’elle éclatèrent de rire. Elles s’arrêtèrent juste assez longtemps pour que celle qui avait arraché la mèche de cheveux de Ceria puisse y retourner.




“Et que voudrais-tu qu’on fasse, Humaine ? Qu’on soit gentille avec la fille des salopes et des lâches ?”



“Non. Prenez-vous-en juste à quelqu’un de votre taille.”

La fée regarda Ryoka d’un air incrédule. Elle jeta un œil à Ceria.




“La pathétique créature est bien plus grande que nous, stupide bigleuse.”



“Exactement. Je vous dis juste de dégager et d’aller embêter quelqu’un d’autre. Un escargot, peut-être, ou peut-être un nid de frelons.”

C’était comme parler avec des enfants, entre les flashs de discours adulte et de gravité terrifiante. Les autres fées huèrent et rirent aux éclats pendant que la fée devant Ryoka se fendit d’un rire perçant.





“Oh, et comment comptes-tu nous arrêter ? Tu vas briser le droit des invités ? On va te faire la même chose ?”




Elle vola vers Ceria, les mains tendues, criant d’une voix forte sur la demie-Elfe.




“Catin ! Catin ! Immonde salope, rejetonne des bâtards ! Va te noyer, espèce de sale bâtarde, espèce de pu...  ”



Erin ne vit pas Ryoka bouger. Tandis qu’elle agitait les bras avec désespoir, la jeune femme s’était déplacée lentement, très lentement. Elle avait observé le vol des fées, et elle passait enfin à l’acte. Sa main se leva en un éclair lorsque la fée passa en voletant devant son visage. Et elle la saisit.

Ryoka frappa la Fée de Givre au vol. Erin entendit un glapissement de surprise, puis la fée s’étala sur le plancher, fit plusieurs tonneaux et s’arrêta à quelques pas d’un pied de table.

Tout le vacarme de l’auberge… se tut. Les fées cessèrent de rire. Ceria se figea et regarda fixement la fée de givre qui était à présent clairement visible même pour la demie-Elfe. La fée resta immobile pendant un instant, puis s’assit lentement.

Elle n’avait pas l’air blessée. Sa peau cristalline ne semblait pas avoir subi de dégâts sous l’impact, et Ryoka était en effet en train de se masser les phalanges et de frotter le givre qui avait recouvert sa peau. Mais les yeux de la fée étaient sombres et durs lorsqu’elle dévisagea Ryoka.

Lentement, la Fée de Givre s’envola et se positionna devant les yeux de Ryoka. La coureuse la dévisagea sans une once de peur dans le regard, mais peut-être Erin fut-elle la seule à voir ses mollets se contracter lorsque la fée s’avança à quelques centimètres de son visage.





“Tu vas le regretter, Humaine.”



Ryoka lui rendit son regard sans fléchir. La Fée de Givre la fusilla du regard encore un petit moment, puis soudain, de manière alarmante, elle sourit. Elle ouvrit la bouche et montra à Ryoka les dents diaboliquement pointues de sa bouche minuscule.



“Hah ! On va tellement s’amuser !”



Puis elle  cria, et les fées fondirent sur Ryoka qui partit en hurlant, ouvrit la porte à la volée et  se précipita en courant dans la neige tandis que la quasi-totalité des fées de l’auberge la poursuivaient dans le froid hivernal pour la traquer en riant.

Laissant Erin et Ceria seules pour nettoyer tout ce bazar.


***

C’était censé être une chouette journée. C’était ce à quoi Erin avait pensé en ramassant des morceaux de glace et en balayant la neige dans un coin tandis que Ceria essayait d’allumer un feu. La demie-Elfe était bouleversée, et elle avait eu besoin d’un peu de potion pour soigner les zones où les fées l’avaient mordue ou lui avaient arraché des cheveux, mais elle allait bien.

“Ryoka m’a vraiment sauvée. Si elle ne s’en était pas débarrassée - normalement, elles s’en vont si je me réfugie quelque part, mais là…”

L’une des fées s’était approchée de Ceria, et Erin avait eu sa seule bonne idée de la journée.

“Paie-moi.”

“Quoi ?”

“Vite, n’importe quoi ! Dépêche-toi !”

Ceria n’avait pas d’argent, mais devant l’insistance d’Erin, elle lui avait tendu son soutien-gorge. C’était soit ça, soit sa culotte, et Erin avait accepté le paiement.

Et… cela avait fonctionné. Les quelques fées qui avaient décidé de ne pas pourchasser Ryoka avaient grommelé, mais elles avaient accepté de ne pas embêter la demie-Elfe. Erin ne savait pas pourquoi elle n’y avait pas pensé plus tôt.

Puis elles se mirent alors à virevolter dans les airs, en faisant des grimaces et des remarques vulgaires pendant qu’Erin faisait le ménage jusqu’au retour de Toren. Oui, il était revenu !

Comment ? D’où ? Et pourquoi ses yeux étaient-ils violets ? Erin était tellement transportée de joie qu’elle ne prêta attention à rien d’autre jusqu’à comprendre que Loks était venue à l’auberge aussi, et qu’elle avait ruiné sa partie !

Mais ce n’était pas grave. Puis Klbkch était venu avec tous les Ouvriers qu’il avait promis, et Relc et Pion aussi ! Ce qui aurait aussi dû être merveilleux. Sauf que…

“Ça ne va pas le faire.”, déclara Erin alors que les Ouvriers jouaient depuis une heure. Elle les dévisagea et secoua la tête. Quelque chose n’allait pas.

“Quel est le problème ?”

“Ils ne sont pas… ce n’est pas pareil. Tu les forces à jouer, et ça ne servira à rien.”

Klbkch la dévisagea sans comprendre. Il avait amené vingt Ouvriers à l’auberge d’Erin, pour qu’ils mangent un peu, mais surtout pour qu’ils jouent aux échecs comme il l’avait dit. Et elle leur avait expliqué les règles et les avait installées pour qu’ils jouent comme la dernière fois mais…

“Est-ce qu’il y a un problème ? Il faut que ces Ouvriers apprennent ce jeu, Erin. C’est… très important pour la Colonie.”

“Oui, mais ça ne va pas marcher. Ils ne vont pas devenir des Individus ni rien de ce genre.”

Klbkch hésita. Pion était occupé à discuter avec les Ouvriers, et Relc, adossé à un mur, s’ennuyait pendant que les deux discutaient. Ceria était montée dormir pour se remettre de l’attaque des Fées de Givre. Mais Klbkch…

C’était encore étrange de lui parler. Elle avait l’impression s’adresser à un fantôme, ou… à un presque-inconnu. Mais il était toujours le même.

Mais différent. Et cela faisait un peu mal à Erin de le savoir.

“Je sais ce que vous faites. Vous essayez de faire plus d’Ouvriers comme Pion, pas vrai ? En les faisant jouer aux échecs ?”

“Ah.”

Même Erin pouvait comprendre ceci si on lui donnait assez de temps. Elle secoua la tête.

“Ça ne va pas marcher.”

“Puis-je savoir comment tu le sais ?”

“Tu te souviens de la première partie que nous avions faite, où je leur ai enseigné le jeu ?”

Il lui semblait que cela faisait tellement, tellement longtemps. Mais cela ne faisait qu’à peine un mois ? Deux ? Erin n’en était pas sûre. Mais on aurait dit que cela faisait presque un an.

“Je m’en rappelle. Tu avais joué à la fois contre Olesm et moi, si je me souviens bien.”

“Oui, et ensuite j’ai invité les Ouvriers à venir jouer. Mais c’était tout. Ils n’ont pas été forcés. Et ensuite… j’ai demandé à Pion comment il s’appelait. C’est comme ça qu’il a choisi son nom.”

Klbkch resta silencieux un instant en dévisageant Erin.

“Tu lui as demandé son nom ? C’était… dangereux. La plupart des Ouvriers deviennent des Aberrations lorsque cela se produit.”

“Oui, je sais. Mais il a réussi à faire… quelque chose. Grâce aux échecs, à ce que j’ai compris.”

“Grâce à toi.”

“Pas seulement à moi.”

Erin secoua la tête, mais Klbkch insista.

“Tu as le don nécessaire. C’est cela que je cherche.”

“Oui… peut-être. Probablement non. Mais dans tous les cas, tu n’obtiendras pas ce que tu veux en forçant les Ouvriers à faire quoi que ce soit. Leur donner des ordres ne les fera pas devenir des individus, il faut que cela vienne d’eux, tu vois ?”

Klbkch resta silencieux pendant tellement longtemps qu’Erin s’inquiéta, mais il finit par acquiescer.

“Je… crois que oui. C’est étrange. Je crois… oui, je crois que je comprends. Il est étrange qu’un Antinium comprenne ce genre de choses. Et cela soulève un problème qu’il me faut considérer. Mais oui, je comprends.”

Il hocha alors la tête et ordonna aux Ouvriers de cesser de jouer. Il était tellement autoritaire avec eux mais il avait alors dit à Erin qu’ils réessaieraient plus tard, et cela aurait été très bien. Très bien si ce n’était pour ce qu’il s’était passé ensuite.

“Arrête. Ça.”

Erin s’était dressée devant Relc en essayant de ne pas trembler. Était-ce ce que Ryoka avait ressenti ? Dressé comme il l’était de toute sa taille devant elle, elle n’avait réalisé qu’à cet instant à quel point il était grand. À quel point il semblait fort. À que point…

Elle avait vu Toren se déplacer derrière le Drakéide, bien qu’il soit désarmé, et elle avait secoué légèrement la tête en se décalant pour protéger Loks. Personne ne pouvait arrêter Relc par la force, elle en était certaine. Mais elle pouvait peut-être le convaincre de se calmer. Elle le devait.

Il l’avait dévisagée d’un air blessé et plein de rage, puis une Fée de Givre s’était envolée pour se poser sur sa tête. Il était parti en courant de l’auberge en vociférant, et Erin s’était affaissée contre une table.

“Je vais m’excuser pour mon partenaire, Erin Solstice, et envers toi, Loks. Je pense qu’il tient à moi, et à toi. Mais il s’est battu pendant les Guerres Gobelines et il pense que les Gobelins sont les ennemis. Je vais lui parler, mais ce serait sans doute mieux pour tout le monde si la Gobeline ne revenait pas ici pendant un petit moment.”

Elle avait hoché la tête, et la fée, satisfaite, était rentrée à l’intérieur avec un petit air supérieur.





“Voilà ! C’est la bénédiction en échange de ta maigre offrande, Humaine ! Ce balourd impulsif ne te dérangera plus aujourd’hui !”



Puis elle était partie, et Loks aussi, blessée et fière, et Ceria était allée se coucher et les fées s’étaient envolées et Klbkch, Pion et les Ouvriers étaient partis et Erin était restée toute seule.

Sauf que Toren était revenu.

Erin s’assit à une table, dans son auberge, fatiguée, frigorifiée. Mais plus seule.

“C’était censé être une tellement belle journée, tu vois ce que je veux dire ?”

Il la dévisagea. Ce bon vieux Toren. Où était-il passé ? Mais il ne pouvait pas lui répondre. Il était juste… juste…

Qu’était-il ? Erin le contempla. Il était plus qu’un objet, mais il était si lent. Est-ce qu’il pouvait penser ? C’était un serviteur mort-vivant, d’après Pisces.

“Il s’est passé beaucoup de choses, tu sais. Beaucoup de bonnes. Et quelques mauvaises.”

Elle se sentait fatiguée. Hier avait été une journée si merveilleuse que les mots lui manquaient pour la décrire. Et les jours d’avant avaient été tout aussi merveilleux. Elle avait rebâti son auberge, et tourné un échec en succès.

“Mais j’imagine que je ne peux pas faire ça tous les jours.”

Erin baissa la tête. Ryoka était partie, et Erin ne savait pas quand elle reviendrait. Les fées allaient et venaient dans son auberge comme elles le voulaient, Ceria pouvait bouger sa main, Toren était de retour, les Antiniums avaient un problème bizarre, Relc se comportait comme un connard même s’il avait peut-être ses raisons, et Loks était blessée et absente et sa tribu se ferait peut-être tuer si elle revenait.

Un peu de bon. Beaucoup de mauvais. Mais Toren était revenu. Sur l’ensemble, Erin considérait que c’était match nul avec le karma de l’univers.

Si rien d’autre ne se produisait aujourd’hui, elle se considérerait chanceuse. Erin posa sa tête sur la table et s’endorm…

***

C’était une [Princesse], et elle mourait de faim. Cela faisait trop longtemps que le froid de l’hiver la transperçait jusqu’à l’os, et la méfiance des commerçants, les suspicions des gardes rendaient le vol de plus en plus difficile. Et sa magie commençait à s’épuiser.

Il ne lui restait plus que quelques recharges d’[Invisibilité], mais la faim la poussa à en utiliser une. Il faisait nuit noire, et il n’y avait personne dans les environs, de toute façon.

Les étals étaient verrouillés, mais elle avait des sorts pour s’occuper de n’importe quelle serrure, qu’elle soit magique ou non. Et de plus, la richesse était son droit de naissance ; elle méritait tout ce qu’elle prenait aux hybrides crasseux et aux serpents dégoûtants qui vivaient ici.

Mais il semblait que cette nuit, un idiot avait oublier de verrouiller son échoppe. D’épaisses couvertures étaient posées dans un coin, à côté de rangées de nourriture séchée et, plus tentant encore, d’un jambon frais posé sur un tabouret. La [Princesse] se mit à saliver tandis qu’elle volait des vivres à côté.

“Te voilà enfin.”

La voix surgit des ombres et la [Princesse] fit volte-face, prise de panique. Un énorme [Gnoll] - une gigantesque créature de fourrure sombre et de muscle se leva et sortit sous la lumière lunaire. Elle avait une voix profonde de femme, mais la [Princesse] ne vit que ses crocs et ses dents lorsqu’elle parla.

“Hrr. Nous t’avons laissée en liberté trop longtemps. Entre Scruta et les morts-vivants, nous n’avons pas eu le temps. Mais à présent, je peux te sentir, car tu n’as plus de sorts pour camoufler ton odeur, oui ?”

Elle pointa dans la direction générale de la fille en la cherchant des yeux dans la rue déserte.

“L’invisibilité n’est pas suffisante pour tromper ceux de ma race. Et nous avons les moyens de t’attraper. Ne cherche pas à t’enfuir… !”

Trop tard. La fille se mit à courir, mais à peine le bruit de sa course fut-elle audible que la Gnolle lui fondit dessus. Elle hurla, mais cela ne fit que faciliter la tâche de la commerçante qui l’attrapa d’une énorme patte.

“Je t’ai eue. À présent, voyons à quoi tu ressembles, oui ? Puis tu devras répondre de tes crimes devant la Garde, pour les dégâts que tu as causés et tous tes méfaits, oui ? Ne te débats pas. Je ne te ferai pas de mal.”

Le sort d’invisibilité, déjà faible car tirant sur les résidus magiques de la cape de la jeune fille, et fragilisé par le contact, se rompit. La [Princesse] en loques apparut soudain, et la Gnolle lui sourit.

“Te voilà enfin.”

La [Princesse] ne vit qu’une rangée de dents. Son esprit était embrumé par la peur, et elle leva donc un doigt.

Elle avait des anneaux sur chaque doigt, mais, trop sollicitée, la magie qu’ils contenaient s’était depuis longtemps épuisée au cours de son voyage. Un seul miroitait toutefois d’une lumière violette. La Gnolle le vit briller lorsque la [Princesse] en invoqua la magie. Elle s’emporta.

“Ne fais pas…”

Là encore, trop tard. Trop tard, et trop lent. La fille leva l’anneau en l’air et cria un mot.

Ignis !

La boule de feu qui surgit de l’anneau faisait presque deux fois la taille de sa tête, mais lorsqu’elle frappa l’échoppe derrière la Gnolle et la jeune fille, elle explosa dans un mur de flammes qui soulevèrent la jeune fille et engloutirent à la Gnolle.

Pendant quelques minutes, la jeune fille fut incapable de bouger. Elle n’entendait que le rugissement des flammes, et les cris paniqués des habitants voisins qui sortaient leurs têtes par la fenêtre et apercevaient le feu. Lentement, endolorie, la [Princesse] se releva. Elle regarda fixement l’échoppe en flammes, pleine de précieuses marchandises et d’une vie de labeur. Le spectacle ardent commença à s’effondrer, et des braises s’envolèrent et se mirent à enflammer la rue.

Quelque chose la saisit par-derrière. La fille hurla et fit volte-face en levant son anneau devant elle, mais une main gigantesque s’abattit, capturant sa main d’une poigne qui promettait de lui briser les os si elle bougeait.

La [Princesse] contempla, bouche-bée, le visage grondant qui lui montrait les dents et la fourrure brûlée. Elle hurla, hurla, mais il était trop tard. Deux paires de crocs s’écartèrent devant ses yeux, et des griffes plongèrent dans sa chair.







Note d'EllieVia : Je suis désolée de vous annoncer qu'il n'y aura pas de chapitre samedi. Nous vous retrouverons avec plaisir mercredi pour le prochain chapitre ! D'ici-là, portez-vous bien et bonne lecture Smile
 
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Note d'EllieVia : Je n'ai pas eu le temps de traduire le chapitre de samedi dernier, je reviens vers vous dès que possible (donc si possible demain...) ! En attendant, prenez soin de vous en cette période pas facile, courage à tous, je vais essayer de continuer de poster régulièrement !
 
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2.21 - Première Partie
Traduit par EllieVia


Assise au sommet d’une colline herbeuse, elle cueillit lentement un pissenlit duveteux. Les graines se dispersèrent dans le vent lorsqu’elle le leva à son visage pour souffler le reste des aigrettes dans les airs.

La brise s’empara des graines qui s’éparpillèrent dans le paysage verdoyant. En dessous d’Erin, de petites touffes blanches de pissenlits se détachaient sur la prairie.

Une prairie étrange. Erin s’agita, et réalisa que ce n’était pas de l’herbe douce et sympathique des pelouses de banlieue. L’herbe d’ici était courte et rude, une herbe à crabes. Par endroits, elle poussait plus haut, assez pour atteindre ses genoux. De petits cailloux parsemaient sa colline et représentaient un véritable danger pour ses pieds nus.

C’était la nature. Elle n’était pas là pour être admirée, comme en attestaient ses épines. Erin regarda la forêt qui s’étalait en contrebas de sa colline.

Certains arbres étaient noueux. D’autres étaient hauts. Tellement hauts que leurs cimes étaient au même niveau que sa colline. De sombres ombres bougeaient dans la forêt, et Erin crut apercevoir des sabots.

Soudain, la forêt se mit à grandir. Erin recula en voyant les arbres se mettre soudain à pousser, jusqu’à largement dépasser le sommet de sa petite colline. Ils la dominèrent de toute leur taille, et la forêt continua de croître, de s’étaler jusqu’à recouvrir l’herbe et Erin.

Erin se redressa, et se retrouva assise dans une clairière de la forêt sombre. La canopée était tellement haute au-dessus de sa tête que lorsqu’elle leva les yeux, elle ne vit rien d’autre que des taches lumineuses qui filtraient à travers les frondaisons à des milliers de pieds au-dessus d’elle. Elle se sentait perdue, minuscule, et seule sur son petit mont herbeux.

Elle se leva et se mit à marcher. Elle devait trouver quelque chose. C’était la raison pour laquelle elle était ici. Pourquoi aller quelque part si ce n’est pour trouver quelque chose ? Ou être trouvée.

Est-ce qu’elle était perdue ? Non… Erin vit un panneau. Il était posé au pied d’un très vieil arbre tordu. Seules quelques feuilles sombres pendaient à ses branches, et le tronc lui-même paraissait ployer sous le poids des années. Mais il se dressait toujours, et à son pied, des mots lumineux avaient été gravés dans une zone dénuée d’écorce.

Un panneau, et un cercueil de pierre reposant sous l’arbre. Comment avait-elle pu ne pas le remarquer ? Elle baissa les yeux ? C’était du granite au grain grossier, et sans fioritures. Mais il s’en dégageait une aura d’exception. Tout comme le panneau. Erin le lut, et un frisson la parcourut.

“Voici Albion. Ci-gît le Roi des Chevaliers. Plongé dans le sommeil, jusqu’au jour où le monde aura besoin de lui.”

Erin regarda autour d’elle. Le cercueil de pierre avait presque été englouti par l’arbre sous lequel il reposait. Des racines recouvraient l’avant du cercueil, mais elle pensait pouvoir encore déplacer le couvercle. Est-ce qu’elle devait le faire ? Si…

La fille hésita, puis posa la main sur le couvercle. Elle commença à le soulever, mais alors une voix, une véritable voix, lui parla à l’oreille.

“Ceci n’appartient qu’aux songes. Ce que tu cherches n’est pas seulement dans ta tête, mortelle.”

Erin se retourna. Une dame de haute taille vêtue d’une robe argentée était debout derrière elle. Elle regardait Erin d’un visage dénué d’expression, seul, peut-être, un frisson d’impatience colorait-il ses traits.

“Quoi donc ?”

La dame désigna le cercueil d’un geste. Il était… difficile pour Erin de la comprendre. Elle n’était ni belle ni laide ; ni frappante d’aucune façon, ni grande ni petite ni rien du tout. Pour tout dire, plus Erin la regardait, plus elle se sentait confuse, et elle finit par s’adresser à l’air dans le dos de la femme.

“Ceci n’appartient qu’aux songes. Le véritable Roi est encore assis sur le champ de bataille, et se meurt sous l’assaut des blessures qu’elle a reçues. Le Roi a levé l’ancre. Le Roi marche parmi vous. Il a ressuscité… il n’a jamais été. Seuls tes rêves peuvent trouver la vérité.”

Erin comprit encore moins. Mais celle qu’elle était dans ce monde onirique sut exactement quoi dire.

“Donc il n’est qu’une histoire ?”

“Une histoire faite chair. Dans ce monde, et d’autres. Combien de fois vous autres mortels la raconteront ? Ah, mais elles en valent toutes la peine à leur façon. Mais il n’est pas ici pour que tu le réveilles. Pas dans tes rêves, en tout cas.”

Erin baissa les yeux sur le cercueil. Elle voulait dire quelque chose de profond, mais les mots lui échappèrent.

“Peut-être que nous avons besoin de lui. Maintenant, je veux dire. Plus que jamais.”

“Les mortels pensent toujours que c’est le cas. Il viendra peut-être. Mais ce serait un miracle, et tu ne fais que rêver. S’il vient, ce sera dans le monde éveillé, pas maintenant.”

“Oh.”

Erin s’assit sur le cercueil. Elle se sentit coupable, mais ce n’était qu’une construction onirique. La dame parut approuver, et s’assit à ses côtés.

“Une mortelle étrange, tu es. Étrange, car tu écoutes suffisamment profondément pour entendre notre voix. Encore plus étrange, pour pénétrer en ce lieu, même si ce n’est ici qu’un petit fragment d’un songe.”

“Je ne peux m’en empêcher. Je crois qu’il s’agit d’une Compétence.”

La dame grogna d’un air amusé et très loin de son apparence distinguée.

“Si le jeu des Dieux suffisait à nous rencontrer ainsi, nous serions morts depuis longtemps. Non. Même s’il s’agit de quelque chose que tu leur as pris, tout est venu de toi.”

Elle donna un coup de coude à Erin qui lui fit mal même dans le rêve. Erin fronça les sourcils et frotta ses côtes.

“Pourquoi es-tu si méchante ?”

“Pourquoi es-tu si ennuyeuse ?”

Il n’y avait rien à faire. Erin décida de cesser de parler, ce qui convint à sa compagne. Pendant un moment, elles restèrent assises ensemble tandis que la forêt autour d’elles continuait de croître et de s’assombrir.

“Il est plus que temps de partir.”, déclara enfin la femme, et Erin acquiesça d’un air absent.

Elle avait l’impression… d’être en train de se fondre dans le rêve. De devenir partie du tout et de rien. Elle reçut un autre coup de coude, et ne se retourna même pas, cette fois-ci.

“Tout de suite, humaine.”

“Okay.”

Erin commença docilement à se réveiller. Le monde commença à se dissoudre autour d’elle.

“Pst. Humaine.”

Ma femme se pencha vers Erin, et elle grogna. La femme était soudain parfaitement focalisée sur elle, et elle parla à l’oreille d’Erin.

“Est-ce que tu me donnerais quelque chose pour rien ? Un cadeau ?”

“Mm ? Bien sûr.”

“Je voudrais tout le sucre de ta cuisine. Puis-je l’avoir ?”

“D’accord.”

La femme sourit, et disparut. Erin regarda autour d’elle. Tout était en train de s’évanouir autour d’elle, et elle se sentit partir. Mais cela était tellement décevant pour elle. Elle n’allait peut-être jamais pouvoir revenir.

Frappée d’une pulsion soudaine, Erin tendit la main et décala le couvercle du cercueil. L’intérieur était vide ; une cavité sombre. Mais lorsqu’elle plongea sa main à l’intérieur, elle sentit quelque chose, loin dessous.

Erin attrapa la poignée d’une épée dans la roche, et tira. Elle se descella, et elle la brandit. Ce n’était qu’un rêve, mais elle brillait d’une lumière qui ne ressemblait à rien de ce qu’elle avait déjà connu.

Erin la contempla, et sentit quelque chose lui tirer l’oreille…




[/i]
***




”Lâche-la !”

Erin ouvrit les yeux en sentant quelqu’un lui tirer l’oreille, fort. Elle glapit, et relâcha l’épée, puis se redressa.

Dans la pénombre de sa cuisine, quelque chose étincela brièvement d’une lumière dorée. Erin cilla, et l’éclat disparut. La fille leva les yeux sur le visage d’une Fée de Givre en train de froncer les sourcils.

”Es-tu une voleuse en plus d’être idiote ? Tu n’es pas roi, mais tu le deviendrais, et tu serais doublement maudite de t’emparer de ce qui ne t’appartient pas !”

Erin cligna des yeux devant le minuscule visage, la tête remplie de nuages et de songes et de stupidité.

“Quoi ?”

La fée émit un bruit exaspéré et s’envola. Erin la regarda se poser sur son plan de travail, et réalisa qu’elle était en train de prendre quelque chose. La minuscule fée était en train d’enfourner quelque chose… dans sa bouche ? Elle avait l’air d’être assise au pied d‘une énorme dune.

Puis Erin réalisa que la “dune” était blanche, rendue argentée par la lumière de la lune, et qu’il s’agissait en réalité de son sucre. De tout son sucre.

Hey !

Erin bondit sur ses pieds. La fée lui jeta un regard et voleta plus loin en voyant Erin se précipiter vers son sucre. Qu’est-ce que… ? La fée avait d’une manière ou d’une autre réussi à sortir le sac de sucre du placard et à le verser sur le plan de travail. Elle avait déjà consommé plus de trois fois son poids en sucre et le reste était recouvert de petits cristaux de glace.

“Mon sucre !”

Erin regarda le désastre, frappée d’horreur. Puis elle se tourna vers la minuscule fée, qui voletait joyeusement à travers la pièce.

“Pourquoi as-tu fait ça ? C’est du vol ! Qui a dit que tu pouvais entrer et manger tout ce que tu voulais ?”

La fée dévisagea Erin comme si elle était stupide. Elle la pointa du doigt.

”C’est toi qui m’as dit que je pouvais l’avoir, stupide idiote !”  

Là-dessus, la fée se posa de nouveau sur le tas de sucre pour se remettre à s’empiffrer. Erin voulut lui donner une pichenette pour la chasser, mais la fée se retourna et lui feula dessus. Erin recula précipitamment.

Elle n’avait jamais rien dit de tel, Erin en était certaine. Seulement…

Elle se souvenait de son rêve. Il commençait déjà à s’estomper, mais des lambeaux s’accrochaient dans sa mémoire. Elle avait… non, cela avait été quelqu’un d’autre. N’est-ce pas ?

Erin hésita, et cela suffit à la fée pour continuer de manger. Elle secoua les pieds pour épousseter le sucre qui s’y était collé, et s’envola dans les airs en faisant tomber les particules comme des moutons de poussière.

”J’ai terminé. C’était un goûter savoureux.”  

Elle sourit à Erin en dévoilant ses dents acérées, et s’envola hors de la cuisine. Erin la regarda partir. Elle avait vraiment très, très envie de posséder une tapette à mouches.

Elle avait des fées. C’était comme avoir des punaises de lit, des poux ou des… crabes. Non pas qu’Erin ait jamais eu ce genre de choses chez elle, mais elle pensait qu’elle aurait peut-être préféré avoir une infestation d’insectes. Au moins, on pouvait les tuer.

Le problème - la raison pour laquelle Ryoka et Erin n’essayaient pas de leur faire peur ou de les chasser était que… c’était très simple, vraiment, mais un peu embarrassant. La raison était qu’elles étaient toutes les deux mortes de peur devant les fées, ou du moins c’était le cas d’Erin.

Elles étaient… effrayantes. Vraiment effrayantes. Tout comme Ryoka l’avait compris, Erin savait que les fées pourraient sans doute être en mesure de la tuer. Enfin, pas “sans doute”. Elles pouvaient probablement la tuer relativement facilement. Très facilement, en fait. Une seule grosse avalanche et son auberge et tout ce qu’elle contenait était fichue.

Si les cafards pouvaient causer des tremblements de terre, il y en aurait beaucoup plus qui traîneraient de partout, et qu’importe à quel point ils étaient affreux.

Les habitants de ce monde traitaient peut-être les fées comme de la vermine, mais Erin se souvenait encore d’avoir été enterrée sous une avalanche de neige et de glace. Elle avait cru qu’elle allait mourir plus d’une fois avant que Toren ne parvienne à creuser suffisamment pour l’en sortir et que Pisces ne fasse fondre une partie de la neige. Après coup, il n’avait rien dit, mais avait quitté l’auberge. Et il était resté loin des fées depuis lors, sans même s’approcher de l’auberge quand elles étaient dans le coin.

Mais tout de même. Erin contempla le sucre éparpillé et la glace déjà en train de fondre et fusilla la fée du regard. Il y avait des limites, même si Erin avait donné en quelque sorte sa… permission.

“Comment as-tu réussi à manger tout ça, d’abord ? Ton estomac aurait dû exploser. Est-ce que tu es creuse, ou un truc du genre ?”

Cette fois-ci, la fée se contenta de renifler. Elle pointa ses ailes en l’air, soulevant un nuage de poussière sucrée et parla dans le vide.




”Je ne goûte guère tes questions, mortelle. Va les poser à un caillou si tu as tant de choses inutiles dont tu as besoin de parler.”  

Encore. Erin grinça des dents. Il semblait qu’à chaque fois qu’elle posait une question un peu personnelle à une fée, elle s’offensait et partait. Pourquoi ? Elles lui posaient tout le temps des questions, à elle. Ce n’était pas juste.

Mais elle avait déjà connu ça, et elle en savait plus à présent. Les fées étaient insupportables, mais elles respectaient quelques règles. Erin changea de tactique. Elle interpella la fée qui voletait d’un air outré.

“Tu sais, c’est malpoli de ne pas discuter avec son hôte.”

La petite créature s’arrêta, puis se retourna vers la porte. Elle fronçait les sourcils, mais elle s’était retournée.

”C’est l’impolitesse que nous souhaitons offrir à ceux de ton espèce, humaine. Mais je te parlerai comme tu insistes. Nous sommes invitées et agiront par conséquent selon notre devoir. ”  

C’était une bonne chose ! Pas le détail sur l’impolitesse, mais Erin était enfin, enfin parvenue à avoir une réponse de l’une d’entre elles sans se faire geler des parties vitales ! Elle avait envie de faire une petite danse.

Mais elle dût soudain s’inquiéter de ce qu’elle allait pouvoir dire. La fée se remit à flotter devant Erin, clairement dans l’expectative, et elle réalisa qu’elle n’allait probablement pouvoir lui poser qu’une question. Vite, que dirait Ryoka ?

“Pourquoi nous détestez-vous autant ? Les humains, je veux dire. Ou peut-être n’aimez-vous aucun mortel ? ”

La fée parut surprise un très bref instant, puis elle leva les yeux au ciel.

”Détester ? Nous vous détestons autant que nous détestons le passage des jours ou le lichen des arbres, humaine. Vous n’êtes rien d’autre que de la vermine ! Mais nous n’obéissons pas à vos ordres et vous finirez par le savoir !”  

“Nous ne vous donnons pas d’ordres. Je veux dire…”

Erin hésita. D’accord, ils ne donnaient pas d’ordres aux fées, mais est-ce que lui dire qu’elles devaient lui parler ou les embêter comptait ? La fée le pensait clairement ; elle dévisageait Erin, un sourcil levé.

“D’accord, peut-être. Mais vous étiez vraiment méchantes avec Ceria, d’abord ! En quoi cela est-il juste alors que c’est mon invitée ?”

Là encore, la petite créature secoua la tête.

”Tu n’es pas très intelligente, n’est-ce pas ? Les fae n’obéissent à personne, mortelle ! Nous parlons et accordons nos faveurs selon notre bon plaisir, et nul ne peut nous commander !  Ni dieu, ni roi, ni seigneur ni maître. N’as-tu pas entendu ces paroles ? Les fae n’obéissent à personne, et nous ne nous inclinerons devant personne non plus ? Donc en quoi cela importe-t-il si nous bafouons votre honneur ? Nous faisons comme bon nous semble. Tant que l’enfant indigne n’était pas une invitée, nous pouvions faire ce qu’il nous plaisait. À présent, elle est ton invitée.”  

C’était un discours exaspérant et bourré de tellement de failles qu’Erin voulait relever. Mais les fées étaient un peu comme des enfants ; elles obéissaient à d’étranges règles qui leur étaient propres et elles s’y tenaient coûte que coûte.

“Mais à présent qu’elle est mon invitée, vous allez la laisser tranquille ?”

La fée parut insultée.

”Bien sûr. Elle a autant le droit d’hospitalité que nous ! Et nous obéirons tes règles stupides tant que nous demeurerons dans le domaine où s’applique ton pouvoir. Mais nous sommes des invitées, pas des esclaves. Tu ferais mieux de t’en souvenir.”  

“Certes, certes. Hum, je vous ai donné à manger. Et ceci est une auberge. Vous pouvez dormir où vous voulez si vous me payez… ?”

La fée ricana. Elle était plutôt douée, c’était un ricanement méprisant digne de Rogue, ce qui montrait à quel point la créature était expressive.

“Tu nous as offert de la piètre nourriture ! Du lait de vache vieux de plusieurs jours, et du sucre cueilli et moulu par des mains sales ! Et nous ne dormirons jamais dans ton auberge tant que des lits de neige fraîche nous attendront dehors ! Et si tu veux gagner notre faveur, il te faudra travailler plus dur.”  

Erin ne voulait pas de la faveur des Fées de Givre. Elle voulait qu’elles partent, et que Ryoka revienne. Mais ses oreilles tressaillirent néanmoins à ces paroles. Être aubergiste consistait principalement en vendre des trucs, après tout. Et elle avait [Cuisine Avancée]. À quel point cela pouvait-il être compliqué de nourrir une fée ?

“Eh bien, que voudriez-vous que je vous prépare ? Est-ce que les fées aiment… le lait ? Les choses sucrées, comme le sirop ?”

C’était ce qu’avait dit Ryoka, et Erin se souvenait vaguement avoir entendu des histoires à propos de fées qui mangeaient ce genre de choses. Mais la Fée de Givre parut simplement insultée.

“Nous prends-tu pour des Farfadets, ou des Lutins, pour pouvoir être achetées par un peu de babeurre ou de sève ? Nous ne sommes pas des enfants imbéciles, nous sommes hautes placées parmi notre peuple. Nous apportons l’Hiver, notre tâche nous a été assignée par notre Roi lui-même !”  

Ça semblait important ? Erin fronça les sourcils.

“Mais qu’est-ce que vous voulez ?”

“N’importe quoi, tant que c’est pur ! Rien qui n’ait été touché par la souillure, et ce qui est le plus proche de la nature. Surtout, rien qui ne vienne de ton monde plein de fumée et de pollution. Débrouille-toi !”  

C’était une réponse agaçante typique des fées. Erin réfléchit furieusement.

“Est-ce que j’aurai quelque chose en retour ?”

Encore un regard qui exprimait clairement à quel point elle était une mortelle stupide.

“Bien sûr. N’as-tu pas déjà reçu une faveur ? Pour ton bol de lait et de sucre. Un bien piètre repas, mais nous avons remboursé cette dette en chassant le balourd écailleux.”  

C’était vrai ! Erin se demanda si les fées avaient une économie fondée sur les faveurs ou si elles avaient une véritable monnaie. Mais peut-être qu’elle pourrait les persuader de laisser Ryoka tranquille ?

“Est-ce que cela signifie que j’aurai une autre faveur pour mon sucre ?”

“Le sucre était un présent, n’est-ce pas ?”  

La fée dévisagea Erin d’un air déterminé, et la jeune fille se mordit la langue. Les paroles. Ryoka lui avait dit de surveiller ses paroles lorsqu’elle était en présence des fées. Elle supposait que cela était un bon exemple de la raison pour laquelle il fallait faire attention.

“D’accord. Pas de faveur, alors. Mais si je vous prépare quelque chose de bon, j’aurai une faveur, n’est-ce pas ? Une grosse faveur ?”

“Si cela en vaut la peine. Mais si tu nous nourris encore de déchets nous tresserons tes cheveux en boucles d’elfes et nous gèlerons tes portes pour les sceller !””  

Point de vue menaces, ce n’était pas très haut sur l’échelle de ce qui effrayait Erin. Jusqu’à ce qu’elle se demande à quel point exactement ses cheveux seraient emmêlés, et combien de glace serait nécessaire pour sceller lesdites portes.

La fée s’interrompit. Elle parut réfléchir, puis fit la moue.

“Je suppose que je te suis un peu redevable pour le sucre. Demande, alors, mortelle. Quel petit gage de ma faveur souhaiterais-tu que je t’accorde ?”  
On aurait dit un test. Et maintenant qu’Erin commençait à comprendre comment fonctionnaient les fées, elle réalisa qu’il était probablement important que sa demande ne soit pas excessive. La fée la regarda pendant qu’elle réfléchissait. Et Erin trouva ce qu’elle voulait.

C’était stupide. Bête. Elle aurait pu faire une centaine d’autres choix, dû faire une centaine d’autres choix. Mais Erin voulait vraiment, vraiment ceci.

Elle pointa un doigt hésitant sur la fée.

“Est-ce que je pourrais… te toucher ?”

La petite Fée de Givre cilla, surprise. La plus pure expression de surprise qu’Erin ait jamais vue se peignit sur son visage. Puis elle acquiesça lentement. Et sourit, légèrement malicieuse.

“Si tel est ton désir. Viens, alors, touche-moi.”  

Lentement, la fée flotta jusqu’à Erin, et la fille put soudain sentir le froid qui se dégageait du petit corps. Il faisait toujours froid autour des fées, sans accorder la moindre importance aux lois de la thermodynamique (si elles s’appliquaient en ce monde), elles semblaient dégager du froid comme un feu dégageait de la chaleur.

Sauf qu’il faisait à présent suffisamment froid autour de la fée pour qu’Erin frissonne. Et lorsqu’elle leva une main hésitante vers la fée, elle sentit l’air la geler jusqu’à l’os. Et lorsqu’elle tendit la main…

“Ah !”

Cela faisait mal. On aurait dit le pire hiver du Michigan, lorsqu’il faisait -10° Fahrenheit, ou -20° Celsius. Le froid n’était pas juste un froid glacial dont la morsure empirait avec le temps, c’étaient des dagues qui transperçaient la main d’Erin et se retournaient dans les plaies.

Mais la fée attendait. Elle regardait Erin, dans l’expectative, un sourire jouant sur son visage. Erin hésita - la peau de ses mains était déjà blanche. Mais elle voulait savoir.

Alors lentement, elle avança sa main. Ses doigts se recouvrirent de givre, et un courant électrique parcourut son bras. Erin se mordit fort les lèvres pour contenir un cri de douleur. Mais elle continua d’avancer.

Elle avança doucement. Lentement, très lentement, comme si elle s’apprêtait à toucher un papillon ou un animal apeuré. Car malgré le danger qu’elle représentait, la fée restait une petite chose. Et elle était tellement belle. Tellement belle.

La douleur assombrit la vision d’Erin. Mais elle avança, doucement, ignorant le froid. Sa main était déjà engourdie. À quel point allait-elle avoir des séquelles… ?

Mais elle devait essayer. Parce que c’était une fée. Parce qu’elle le regretterait toujours si elle n’essayait pas.

Cette magie.

La fée la contemplait. Les extrémités des doigts d’Erin perdirent toute sensation, sa main n’était que douleur glacée. Mais sa chair finit par toucher le bras de la fée, et tout s’évanouit.

Le froid fondit en quelques secondes. Erin sentit de la fraîcheur sous son doigt et cessa de se mordre la lèvre. Elle regarda fixement la fée.

Sa peau était douce. Cela ne ressemblait ni à de la chair, ni à du verre ni à du cristal, mais à une espèce de combinaison fluide de ces derniers. Si on avait pu transformer la glace en peau, si on pouvait donner vie à l’air glacé et le capturer par magie, on obtiendrait cette sensation. Le toucher seul fit monter les larmes aux yeux d’Erin. C’était comme Ceria, mais bien plus fort. Elle sentait quelque chose qui n’était pas de ce monde, pas de son monde. Quelque chose…

Quelque chose d’immortel.

Et l’instant d’après, tout fut terminé. La fée recula, et Erin perdit son contact. Elle baissa la main et la serra contre elle, mais le givre et la terrible douleur engourdie avaient disparu. Elle contempla la fée.

“Je n’ai plus mal.”

“Bien sûr que non. T’as fait que me toucher.”  

La fée haussa les épaules, mais Erin était certaine qu’elle aurait été censée s’arrêter lorsque le froid était devenu trop intense.

“Est-ce que j’étais censée abandonner et me plaindre du froid ?”

Cela ne coûtait rien de demander. La fée se contenta de sourire. La petite créature agita un doigt.

“Tu as du cran, petite insensée. Le froid n’était peut-être qu’un test. Mais ne serait-ce que toucher les Faes est une récompense en soi. Tu as de la chance. ”  

Pour une fois, Erin était entièrement d’accord. Elle se souvenait du contact de la fée sous son doigt, cette légère sensation sur sa peau, et elle sut qu’elle s’en souviendrait à jamais. Une pièce d’un mystère plus grand. Et elle trouva enfin la bonne question à poser.

“Qu’êtes-vous ?”

“Nous sommes ce que nous sommes.”  

Les mots lui parurent familiers. Mais la fée ne lui laissa pas le temps de l’examiner. La petite créature s’envola et se mit à tourner autour de la tête d’Erin.

“Eh bien ! Brave Humaine que tu es, comptes-tu me garder encore longtemps ? Ou vas-tu me nourrir ? Si non, laisse-moi tranquille ! J’ai de la neige à apporter, et des nuages à pourchasser !”  

“Quoi ? Non, je… merci. Mais puis-je te poser une dernière question ?”

“S’il le faut.”  

“La magie.”

Erin dévisagea la fée. Elle se souvenait de la sensation entre ses mains. Et elle aurait aimé de tout son cœur…

“Est-ce que tu penses… que je pourrais faire quelque chose de magique ? Je veux dire, Pisces m’a dit que je ne pouvais pas faire de magie et Ceria le pense aussi. J’ai un squelette, mais… est-ce que je pourrai un jour… ?”

Elle ne savait pas pourquoi, de toutes les créatures auxquelles elle aurait pu la poser, elle posait la question à une Fée de Givre. Mais elle était magique. C’était quand même autre chose et… oui, Erin commençait à se demander s’il ne s’agissait pas de la créature la plus sage qu’elle ait croisée dans ce monde. Une Yoda miniature ?

La fée se gratta la tête et haussa les épaules d’un air désintéressé. Erin se calma un peu sur son analogie avec Yoda. Mais la fée éclata alors de rire.

“La magie ? Pourquoi poser la question alors que tu devrais déjà connaître la réponse ? Les fous qui se font appeler mages dans ce monde parlent de la magie comme s’il s’agissait de quelque chose que seuls quelques-uns possèdent. Mais tu l’as goûtée, si ce n’était pour toi, comment alors ton sac d’os parviendrait-il à se déplacer ?”  

Le cœur d’Erin se mit à battre plus vite. Elle tenta d’assourdir l’excitation qui battait dans sa poitrine.

“Mais ce n’est pas de la magie, si ? Il y en a juste un peu en moi, pas suffisamment pour jeter des sorts.”

“Des sorts ? Peuh. Es-tu un vieil homme qui remonte le temps, pour t’inquiéter de ce genre de choses ? Qui a besoin de sorts ? La magie est-elle si mesquine qu’il lui faille scintiller lorsqu’on marmonne des mots ?”  

La fée éclata de rire, et le son de clochette mit du baume au cœur à Erin. Lentement, la fée voleta jusqu’à Erin, et pointa la porte du doigt. Elle ne jeta pas de sort, de fit pas un son, mais la porte s’ouvrit sous l’assaut du vent du dehors. La fée sourit à Erin.

“La magie est.”  

Et elle s’envola par la porte et disparut. Erin contempla l’endroit où avait disparu la fée, et écouta les battements de son propre cœur.

Il battait fort dans sa poitrine.


***


C’est dans cet état qu’ils la retrouvèrent. Toren entra, Ceria descendit de l’étage et ils trouvèrent Erin assise à une table, en train de contempler ses doigts. La fille leva les yeux lorsqu’ils s’approchèrent, sourit et émit les sons appropriés, mais les deux hésitèrent tout de même.

Toren ne pouvait pas parler, donc il laissa ce travail à Ceria. Mais il examina l’auberge, en posant précautionneusement un sac d’argent sur la table. Il avait travaillé toute la nuit pour nettoyer le reste des détritus laissés par le concert en plein air d’Erin, et bien qu’il ait dû faire des piles de vêtements abandonnés, de déchets, et de bric-à-brac, il avait réussi à trouver plusieurs objets utiles.

Ceria avait mal dormi jusqu’à plus de minuit, en rêvant de fées et en s'inquiétant pour Ryoka. Mais elle ajouta Erin à sa liste en voyant la tête qu’elle faisait.

“Oh, désolée, Ceria. Le petit déjeuner sera bientôt prêt.”

Erin se leva et la demie-Elfe lui jeta un regard en coin. Ceria secoua la tête, non pas pour rejeter l’idée d’un petit déjeuner, mais pour rassurer Erin. Elle hésita.

“Est-ce que… tout va bien ? Tu as l’air étrange, aujourd’hui.”

“Quoi ? Non ? Non. Non, je vais bien.”

Elle n’avait pas l’air d’aller bien. Mais elle n’avait pas l’air d’aller mal non plus. Elle avait simplement l’air… différente. Pour la demie-Elfe et Toren, on aurait dit qu’Erin était à la fois ici et très loin, presque comme si elle était somnambule.

Erin avait la même sensation. Son cœur battait la chamade, mais son esprit flottait sur un océan de calme. Il y avait quelque chose en elle. Des mots, et de l’émerveillement, mais quelque chose d’autre aussi. Quelque chose… de magique.

Elle était à la fois elle-même et autre chose. Erin ne se souvenait que de quelques portions du rêve à présent, les souvenirs distants s’éloignaient à chacune de ses respirations. Mais cela avait fait quelque chose, ce rêve. Cela lui avait fait se souvenir.

Rien d’important. Rien qui ne change une vie. Juste… son enfance. Erin se souvenait d’avoir marché dans la neige, d’avoir sauté sur une grosse congère et d’y être restée coincée. Elle se souvenait d’avoir joué avec une chenille en la chatouillant avec un bâton, de s’être enfuie en poussant des cris de joie. Elle se souvenait…

D’avoir cru aux fées. D’avoir cru au Père Noël.  D’avoir cru en la magie et d’avoir attendu d’avoir onze ans en espérant recevoir un hibou.

Quand s’était-elle arrêtée ? Un peu après avoir appris à jouer aux échecs. La magie avait disparu et elle s’était immergée dans le jeu. Mais Erin se souvenait, à présent.

Et elle réfléchit donc. Et lorsqu’elle prit la parole, elle s’adressa à la fois à Ceria et à Toren.

“J’ai besoin que vous me rendiez un service.”

Ceria leva la tête et cessa d’enfourner du porridge dans sa bouche. La demie-Elfe mangeait vite et avec moins de bonnes manières qu’on aurait pu l’espérer, mais au moins elle mangeait beaucoup.

“QU’est-ce qu’il se passe ?”

“Je veux faire quelque chose pour les Fées de Givre. Quelque chose à manger.”

La demie-Elfe fronça les sourcils.

“Si c’est du poison, compte sur moi. Sinon, je préfèrerais que tu ne les attires pas ici. Invitée ou non, elles me détestent quand même.”

“Je sais. Je sais, mais… je…”

Elle avait eu un rêve. Un vrai rêve. Et pendant un instant elle avait eu entre les mains…

De la magie. La magie est.

Erin ouvrit les mains d’un air impuissant.

“Elles n’ont pas aimé le lait et le sucre. Enfin si, mais elles ont dit que ce n’était pas bon. Mais si j’arrive à faire quelque chose qu’elles adorent, elles nous laisseront peut-être tranquilles ou… ou peut-être qu’elles nous offriront quelque chose. Je veux essayer. Est-ce que vous m’aiderez ?”

Ceria soupira et se frotta le visage. Elle regarda son bol, et se remit à manger la nourriture chaude deux fois plus vite, en parlant entre chaque bouchée.

“D’accord. Je te dois beaucoup, de toute façon. Mais si tu les sers, je pars ce soir. Je dormirai chez Selys, ou dans une auberge s’il le faut.”

Erin hocha la tête d’un air absent. De la magie. Est-ce qu’elle pouvait y arriver ?

“Merci, Ceria.”

La demie-Elfe hésita, et échangea un regard avec Toren.

“D’accord, de la nourriture pour fées. Qu’est-ce que tu veux que je fasse ?”

“Des fleurs.”

Ceria cligna des yeux.

“Des fleurs ?”

“Des fleurs. Il m’en faut plein. Autant que tu pourras en trouver, d’accord ? Des grosses, des petites… si tu en trouves qui soient, tu vois, assez grandes pour contenir quelque chose, ce serait super.”

Erin réfléchissait à toute allure en parlant. Elle essayait de retrouver le passé. Oui, était enfant elle avait fait des repas pour les fées. Et si elle allait le faire, ne fallait-il pas que… ?

Elle réalisa que quelque chose n’allait pas lorsque Ceria ne répondit pas tout de suite. Erin leva les yeux et vit qu’elle fronçait les sourcils.

“Erin, ce n’est pas parce que je suis une demie-Elfe que je sais tout le temps où trouver des fleurs.”

Erin cilla. Oh. Oups.

“Désolée. C’était raciste ? Spéciste ?”

“Ce n’est rien. Je veux dire, on nous le fait souvent. Mais la plupart des demis-Elfes n’aiment même pas tant la nature que ça. On reprend la culture dans laquelle on a été élevés, donc…”

Ceria agita une main avec nervosité. Erin hocha la tête, déçue.

“Donc tu ne sais pas où trouver des fleurs ?”

Ceria hésita.

“... Eh bien, je suppose que je peux en trouver quelques-unes. Chance. Oui, bien sûr que je vais aller voir. Mais souviens-toi juste que…”

“Les Elfes n’aiment pas les fleurs. Compris. Désolée.”

Ceria ouvrit la bouche, jeta un regarda à Erin, et secoua la tête. La fille se tourna ensuite vers Toren, qui se redressa. Ses étranges nouveaux yeux violets brûlaient forts dans son crâne. Il paraissait impatient d’accepter ses premiers nouveaux ordres.

“Toren, je veux que tu ailles chercher des champignons. Dans des grottes, dans la forêt… ne t’aventures juste pas vers la ville ou n’importe où qui soit trop dangereux, d’accord ? Mais il va me falloir plein de champignons d’ici ce soir.”

Le squelette acquiesça immédiatement et se tourna vers la porte. Erin le regarda sortir. Connaissait-il la différence entre les champignons vénéneux et les comestibles ? Probablement pas. Mais si elle avait vu juste, cela n’aurait sans doute aucune importance.

Pense aux fées. Ne les vois pas comme des gens, mais comme des histoires.

La magie.

“Je vais en ville. Il faut que j’achète des choses.”

Erin chercha sa bourse et hésita. Elle prit quelques poignées de pièces d’or que Krshia l’avait aidée à échanger et les ajouta à la bourse.

“Beaucoup de choses.”

Ceria la suivit dehors un petit moment, puis s’éloigna. Erin marcha dans la neige, en remarquant à peine le fait qu’elle avait oublié de s’habiller suffisamment.

Elle l’avait tenue dans ses mains, pendant un bref instant.

Elle en était certaine.

 
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2.21 - Deuxième Partie
Traduit par EllieVia




***


Une gigantesque foule de Gnolls et de Drakéides était rassemblée devant la caserne de la Garde lorsqu’Erin passa devant en se rendant dans la Rue du Marché. Elle s’arrêta suffisamment longtemps pour comprendre que quelque chose n’allait vraiment pas.

Tous les Gnolls étaient en train de gronder, ou de regarder fixement la caserne en serrant les poings ou en tendant les griffes. Leur poil était dressé et ils restaient très immobile.

Debout devant l’entrée se tenait la Capitaine de la Garde Zevara, et Relc et Klbkch se tenaient à ses côtés. Les deux gros bras. Oui, quelque chose n’allait pas.

Erin écouta les cris en passant devant. Les Gnolls voulaient entrer, et la Garde les en empêchait.

“Rentrez chez vous ! Dispersez-vous ! Nous gardons l’Humaine jusqu’à ce que le procès puisse avoir lieu. demain ! Personne ne sort, personne n’entre, compris ?”

Zevara hurlait par-dessus les hurlements et les voix qui s’élevaient dans la foule. Les Gnolls n’étaient pas les seuls à être en colère, bien sûr, plusieurs Drakéides semblaient vouloir voir le sang couler, mais ils n’étaient clairement qu’une minorité à être pourvus d’écailles dans la foule.

Que s’était-il passé ? Mais elle devait suivre la vision dans sa tête avant qu’il ne soit trop tard. Erin reprit sa marche, et remarqua que Klbkch tournait lentement la tête pour la suivre des yeux avant de se concentrer de nouveau sur la foule.

Continue d’avancer. Continue de marcher. Elle avait une vision.

Mais Erin s’arrêta en arrivant à la Rue du Marché. À cause du feu.

Il avait de nouveau dévoré toute la rue, sauf que cette fois-ci, des gens à proximité avaient réussi à contenir le brasier. Les flammes n’avaient, de toute évidence, détruit qu’un seul endroit. Une échoppe. L’échoppe d’une Gnolle, pour être plus précise.

Krshia était assise par terre devant sa devanture brûlée, et contemplait les ruines et la cendre. Il ne restait rien de ses marchandises, ni l’étal de bois, ni les provisions soigneusement organisées… rien.

Tout avait disparu. Évanoui. Et, d’une manière ou d’une autre, Erin sut que les assurances n’avaient pas encore été inventés dans ce monde.

La rue était très calme. Les Gnolls et les Drakéides s’étaient rassemblés autour de Krshia en lui ménageant un espace, regardant le désastre en silence. Erin ne savait pas quoi faire. Mais elle s’approcha quand même. La foule la dévisagea sans guère de chaleur, mais la laissa passer.

“Krshia.”

La Gnolle leva à peine les yeux lorsqu’Erin s’approcha d’elle. Elle était assise sans bouger et contemplait son étal.

“Erin Solstice. C’est un jour bien sombre, non ?”

“Oui.”

Que dire de plus ? Erin hésita, puis s’assit. Elle contempla l’échoppe en ruines et une partie de son cœur se brisa. Mais une autre partie d’elle vit de l’herbe pousser sur le désastre, un arbre se frayer un passage à travers les pavés brisés et s’élancer vers le ciel.

Si elle pouvait faire de la magie, alors peut-être…

“Que s’est-il passé ?”

Krshia lui expliqua d’une voix douce. C’était la voleuse. Une jeune humaine à qui Krshia avait tendu un piège avec le reste des commerçant. Cela avait fonctionné, mais la fille avait un anneau qui avait jeté un sort qui avait détruit son échoppe.

Elle était vivante. La fille. Écorchée, blessée, mais vivante. Krshia l’avait confiée avec réticence à la Garde pour qu’elle ait un procès. C’était la loi. Mais la loi n’allait pas réparer l’échoppe de Krshia, ni son gagne-pain.

Erin ne savait pas quoi dire. C’était ainsi que marchait le monde. C’était ce que lui disait son cerveau. Des mauvais jours, la mort, la violence. Il n’y avait que cela aux infos. Des mauvais jours, pour tout le monde, partout, sans relâche.

Mais il ne devrait pas en être ainsi. Erin regarda le bout de ses doigts. Elle pouvait encore la sentir.

“Si je peux t’aider…”

“Pas maintenant. Peut-être que je parlerai. Mais là…”

Krshia soupira, et l’énergie sans limite qui ne paraissait jamais la quitter s’évanouit d’un coup. Ses oreilles et sa queue s’affaissèrent. Erin tendit la main pour lui tapoter l’épaule, et quelqu’un cria.

“C’est leur faute ! Ce sont les Humains qui sont la cause de tout ça !”

La foule et Erin se retournèrent. Un Drakéide était dressé à quelques pas de là, et pointait Erin d’un doigt furieux. Elle le reconnut.

Lism.

“Vous voyez ? Tout est de la faute des Humains ! Deux fois à présent, ils ont détruit des portions de notre ville ! D’abord, ils ont relâché les morts-vivants et à présent, le gagne-pain d’une honnête commerçante a été détruit !”

Sa voix était stridente et il montrait du doigt l’échoppe carbonisée et Erin. Krshia s’agita et le regarda, et Erin se leva lentement.

Pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ? Mais la misère se succédait à la misère. Lism reprit la parole, s’adressant d’une voix forte à son audience qui était bien plus réceptive qu’Erin ne l’aurait voulu.

“Des aventuriers ne cessent de venir dans notre ville, nous sommes floués par les marchands, et les humains volent nos citoyens les plus respectés ! Quand cela va-t-il finir ?”

“Lism. Ferme-la.”

Krshia avait parlé d’une voix égale, mais la tension sous-jacente fit hésiter le Drakéide. Les Gnolls qui entouraient Krshia restaient silencieux, mais ils étaient de son côté.

Mais ceux un peu plus loin dans la foule et la plupart des Drakéides… Erin regarda autour d’elle et se leva.

“Erin.”

Quelqu’un lui chuchotait dans l’oreille. Selys. Les écailles de la Drakéide étaient légèrement pâles, et elle regardait autour d’elle d’un air inquiet. Krshia tourna légèrement la tête vers Erin.

“Tu es venue faire des achats, oui ? Va. Nous parlerons. Nous devons parler. Mais ce n’est pas le moment.”

“Si tu es sûre…”

“Va.”

La Gnolle regarda Selys. La jeune Drakéide avait les larmes aux yeux en regardant les ruines de l’échoppe de Krshia.

“Selys. Tu vas aller avec Erin, oui ? L’aider.”

“D’accord. Erin…”

Erin se leva sans un mot. Elle traversa la foule silencieuse en ignorant les regards. Lism s’était éloigné, mais il était encore en train de crier et de se disputer. Il lui cria quelque chose lorsqu’elle passa devant lui.

Selys essaya de faire presser le pas à Erin en rabrouant Lism, mais la fille s’arrêta. Ses oreilles tintaient légèrement. Elle s’arrêta devant Lism. Le Drakéide parut inquiet, mais il regarda la foule autour de lui et parut reprendre des forces à la vue des badauds.

“Alors ? Tu vas m’attaquer aussi, Humaine ? Vas-y. Prouve à quel point ton espèce est une menace pour nous !”

Erin le dévisagea. Puis elle secoua la tête. Elle était consciente de tous les regards rivés sur elle et elle haussa donc la voix pour s’adresser à Lism.

“Tu n’es pas gentil. Olesm est gentil, mais pas toi. Si tout le monde était plus gentil, je pense qu’on s’entendrait bien. Mais je ne t’aime pas.”

Elle planta son regard dans le sien, puis s’éloigna. Selys se dépêcha de la rattraper. Quelques instants plus tard, elle l’entendit crier d’un air outré.

Erin n’en avait cure. Elle laissa la rue derrière elle et poursuivit sa marche. Parfois, la tristesse était trop intense pour tout assimiler d’un coup. Pourquoi les mauvaises choses arrivaient-elles ? Pourquoi les choses ne pouvaient-elles pas toutes être bonnes ?

La magie.

“Je ne… par mes écailles et ma queue, pourquoi a-t-il fallu que cela se passe ainsi ? Pauvre Krshia. Qu’est-ce qu’elle va faire après ça ? Il y avait presque toutes ses marchandises là-dedans, et son échoppe était bourrée de sorts de protection, bon sang ! Quel genre de sort peut déchirer des wards comme ça ?”

Selys parlait d’une voix rapide en marchant aux côtés d’Erin, bouleversée. Erin hocha la tête une fois ou deux, mais elle ne put s’empêcher de demander.

“Je dois y aller. J’ai… quelque chose de très important à faire. Une invitée. Il faut que j’achète des ingrédients.”

“Des invités ? Maintenant ? Erin…”

Selys hésita. Elle soupira.

“J’imagine que je peux aider, mais Krshia… écoute, c’est pour qui ?”

“Les fées.”

Selys la dévisagea, bouche bée, pendant deux longues minutes, en scrutant son visage d’un air pénétrant. Erin lui rendit son regard, le cœur tour à tour calme et frénétique.

“Les… tu es sûre ?”

“Oui.”

“Mais ce sont…”

Selys hésita. Elle regarda de nouveau Erin d’un air scrutateur, puis prit une grande inspiration.

“D’accord. Comme c’est toi, d’accord. Tu as l’air… tu m’expliqueras plus tard ? De quoi as-tu besoin ?”

Erin hocha la tête. Elle était reconnaissante.

“Du lait. De la crème pour faire du beurre et… du lait nouveau de vache.”

“Je peux trouver la crème, mais du lait nouveau de vache ? C’est censé être quoi ?”

“S’il y a un veau qui vient de naître et une vache… qui n’a encore jamais donné de lait ? Ce genre de chose ?”

Selys n’en avait aucune idée. Mais elle connaissait un Drakéide qui connaissait un Drakéide qui connaissait un Gnoll qui disait qu’il y avait un [Fermier] dans un village au nord de la ville qui avait une vache qui allait mettre bientôt bas. Deux fermiers, en fait. L’un avait déjà eu un veau une semaine plus tôt, le deuxième avait probablement encore une vache sur le point de mettre bas.

C’était suffisant pour Erin. Elle demanda encore l’aide de Selys pour l’aider à trouver des sacs de sucre. La Drakéide lui jeta un regard très étrange lorsqu’Erin acheta deux énormes sacs avec la plupart de l’or qu’elle avait apporté, mais elle se contenta de la dévisager puis de secouer la tête.

“Je demanderai au commerçant d’envoyer un Coursier de Rue à ton auberge. C’est suffisamment près et elle devrait le faire, vu ce que tu la paies.”

Erin remercia Selys, et s’éloigna. Elle réfléchissait toujours. Oui. Une demie-Elfe était pure, non ? Suffisamment pure. Et si on allait ramasser des trucs morts ou pourrissants, pourquoi pas demander à un squelette ? C’était d’une logique enfantine.

Pour le lait…

Erin dut demander son chemin, mais elle finit par quitter la ville par la porte septentrionale et par trouver le village. C’était un petit hameau au sommet d’une large colline - elle devait être large pour contenir les maisons et l’étable. Pour tout dire, on aurait plus dit un plateau, avec un dénivelé pour la pente. Les hauteurs. C’était le bon mot.

Elle trouva la maison et l’étable du fermier à quelques milles du village. Erin regarda fixement les sangliers dans leur enclos, et se demanda ce qu’ils faisaient là. Puis elle regarda autour d’elle et trouva un vieux Drakéide en train de s’occuper d’un veau encore collant et mouillé qui était en train de se mettre sur ses pattes.

Emme était arrivée juste à temps. Le Drakéide sursauta lorsqu’Erin s’approcha et attrapa une fourche, mais elle n’était pas armée et de plus, il avait entendu parler d’elle.

Lorsqu’Erin lui demanda ce qu’elle voulait, le Drakéide la regarda d’un air étrange, mais Erin lui tendit une pièce d’or et il l’accepta. Ce fut difficile de traire la vache, la mère voulait clairement faire téter son veau, mais le Drakéide finit par avoir deux seaux de… lait pour Erin. Il lui dit que le veau avait besoin du reste, et c’était très bien.

Erin regarda fixement ses seaux en les ramenant précautionneusement à son auberge en traversant les plaines enneigées. Était-ce vraiment du lait ? Il avait l’air… plus jaune, et plus épais que le lait ordinaire. Mais c’était le premier lait d’une vache. Elle avait demandé, et oui, c’était le premier veau que cette vache avait eu. C’était le premier lait qu’elle avait donné.

C’était ce qu’il lui fallait. Mais… encore. Erin était sûre qu’il y avait encore des choses importantes. Les ingrédients étaient bons, mais ils ne représentaient qu’une pièce du puzzle. Pour les rendre uniques, il fallait faire des choses. Il fallait un rituel, un peu…

De magie.




***




Erin trouva son chemin jusqu’à son auberge et sépara les deux seaux. L’un serait pour ce soir. L’autre, elle allait le mettre dans une baratte.

Elle n’en avait pas. Mais Selys en avait apporté une avec la livraison de crème. Erin la remercia, et réalisa que Toren était en train de rentrer.

Le squelette avait un énorme panier rempli d’étranges champignons entre les mains, mais il avait également une carcasse d’Araignée Cuirassée qu’il traînait derrière lui. Selys cria un peu en la voyant, mais cela donna une idée à Erin.

Elle prit les champignons, et demanda à Toren de traire le venin de l’araignée. Elle n’avait aucune idée de comment s’y prendre et le squelette non plus, mais Selys avait déjà vu faire et les aida à comprendre comment faire.

Erin rata le processus. C’était apparemment salissant - suffisamment pour que Selys, dégoutée, reparte couverte d’entrailles d’araignée. Mais elle emporta la carapace, ou plutôt, demanda à quelqu’un de venir la chercher.

Toren tendit à Erin une petite bouteille pleine d’un liquide clair. Elle s’était attendu à ce que le venin soit vert, mais bon, Erin ne savait pas à quoi cela était censé ressembler. C’était très bien. Mortel ; Selys avait dit qu’il était dangereux, mais c’était bien.

Si Erin en buvait, elle mourrait probablement. Mais peut-être…

“Hic hoc, trousse-mousse et bave de crapauds…”

Toren regarda Erin avec curiosité, mais elle secoua la tête. Les sorcières faisaient ça. Que pouvaient bien manger des fées ? Le truc, c’était d’abandonner tout bon sens. D’imaginer les choses les plus stupides… non, ce n’était pas ça. De rêver. C’était ce que faisaient les enfants. C’était ce qu’Erin devait faire.

Rêver. Et faire en sorte que le rêve devienne réalité.

Erin retourna dans sa cuisine et regarda ce qu’elle avait apporté. Elle avait beaucoup de sucre. Il poussait au sud, là où l’Hiver n’arrivait parfois jamais, mais même alors, cela restait cher à transporter et à fabriquer. Erin avait deux énormes sacs et elle avait dépensé beaucoup d’or pour les deux, mais cela n’allait pas.

Impur. C’était ce que la fée avait dit. C’était peut-être un commentaire en l’air, mais…

Comment pouvait-on rendre quelque chose pur ? Comment infuser de la magie dans du sucre ? Erin réfléchit. Ses yeux se posèrent sur le sucre blanc. D’une manière qu’elle ne comprenait pas, même sans l’équipement moderne de raffinement, les ouvriers compétents réussissaient à créer un sucre aussi blanc que du sel ou… de la neige…

Erin regarda fixement le sucre. Oui. C’était ça. La neige. Et la neige était encore plus belle à la lumière de la lune. Des lunes. Danser dans une clairière dans une forêt sous la lumière de l’astre lunaire.

Oui.

Elle prit le sucre, et le mélangea avec de la neige dans un grand bol. Puis elle le posa sur une table devant la fenêtre là où le soleil pouvait l’éclairer.

Puis Erin s’attela à baratter la crème qu’elle avait achetée. Elle savait ce qu’il fallait faire grâce à sa compétence de [Cuisine Avancée], mais ça restait du boulot. La poignée tournait facilement au début mais devint de plus en plus difficile à déplacer.

Mais elle était forte, là encore grâce à une Compétence. Erin termina de baratter le beurre et trouva un tamis. Elle sépara le beurre humide du babeurre et plaça chacun dans un contenant différent. Puis elle se mit à faire du pain.

Toren revint avec d’autres champignons, certains tachetés d’étranges couleurs, d’autres simplement bruns et ternes. Erin les prit tous, séparant les bons des pourrissants et les lavant avec précautions. Elle les disposa soigneusement sur une assiette.

Ceria rentra une heure plus tard, couverte de boue, gelée, mouillée, et maussade. Mais elle avait trouvé les fleurs. La demie-Elfe avait ramassé une grande variété de fleurs, la plupart écrasée et à l’agonie. Mais il y avait parmi elles quelque chose qui ressemblait à des campanules. Erin prit les fleurs et les arrangea autour de la table comme des petites tasses.

Elle retourna au travail. Ceria l’aida à mettre les tables, à disposer les fleurs et les petites assiettes, mais lorsqu’elle eut terminé et que le soleil commença à se coucher, elle trouva Erin, épuisée, en train de faire plus de beurre et de lait sucré avec du lait ordinaire, au cas où.

“Pourquoi penses-tu qu’elles vont aimer tout ça ? Et pourquoi faut-il que tu fasses le beurre toi-même ? Tu aurais pu l’acheter, vu tout l’argent que tu dépenses.”

Erin cessa de baratter son beurre suffisamment longtemps pour chasser de nouveau Toren. Il ne cessait de vouloir prendre la relève, mais elle ne le laissait même pas toucher la poignée.

“Des mains de vierge. Du beurre frais. Pas de mort. Sauf sur les champignons.”

“Des histoires pour enfant.”

Ceria contempla la nourriture, et acquiesça lentement.

“Quand j’étais enfant… les anciens disaient qu’autrefois, il y a bien longtemps, les fées étaient censées s’entendre avec les Elfes. Enfin, en quelque sorte. C’est une simple histoire, mais peut-être…”

Elle ne termina pas sa phrase, et Erin pensa qu’elle comprenait. C’était bête. La moitié de ce qu’elle faisait n’avait aucun sens, mais…

C’étaient des fées. Des fables vivantes. Qui pouvait dire ce qui était bien ou mal. Erin devait croire. Son cœur était rempli de doute, mais la fée l’avait dit.

La magie est.

“Est-ce que tu es sûre que ça va marcher ?”

“Il le faut. Et ça devrait.”

Erin tendit plusieurs pièces d’or à Ceria et la demie-Elfe se rendit en ville. Elle revint avec les quelques fruits qu’elle avait pu acheter, et plus de nouvelles au sujet de la voleuse et de Krshia.

“Apparemment, la fille vient d’un milieu riche. Elle ne veut pas dire qui sont ses parents, mais elle avait assez d’artefacts magiques sur elle pour subvenir aux besoins d’une compagnie d’Aventuriers Or. Tu y crois ? Ils n’ont presque tous plus de magie, en revanche. On dirait qu’elle les a utilisé non-stop pendant presque un mois pour voler et survivre.”

“Mm.”

Erin était en train de travailler sa dernière miche de pain en écoutant Ceria. Elle essayait de faire cuire des fruits dans la miche, et cela fonctionnait grâce à sa compétence de [Cuisine Avancée]. Erin n’avait aucune idée de la manière dont cela était possible, mais elle y avait pensé, et pouvait par conséquent le faire. Cela serait parfait avec la crème fouettée. Les gousses de vanille lui avaient cependant coûté une fortune.

Ceria hésita. Elle s’était clairement attendue à une autre réaction. Mais en voyant qu’elle n’arrivait pas, elle reprit la parole.

“Bref, les Gnolls veulent son sang. Littéralement, son sang. Krshia est la plus calme du lot. Elle veut que la voleuse ait un procès. Si elle connait des gens prêts à payer pour elle, ou que les artefacts peuvent rembourser les dégâts… c’est peu probable, étant donné la destruction que la fille a causée. Mais si elle ne peut pas payer, eh bien, ce n’est pas bon pour les relations interespèces d’exécuter froidement une humaine pour vol, mais je pense que l’exil serait l’équivalent d’une condamnation à mort, tu ne crois pas ?”

“Fait froid dehors.”

Erin regarda par la fenêtre de la cuisine. Ceria hocha la tête.

“Exactement. Elle mourrait avant d’atteindre la prochaine ville - même s’ils lui donnaient des provisions, je pense. J’ai pu la voir, et elle a l’air d’avoir été trop choyer pour se débrouiller. Mais c’est ce que veulent les Gnolls. Ils parlent de dette de sang, donc ils poussent pour l’exile si cela signifie qu’elle mourra. C’est le bazar, là-bas.”

La fille entendait à peine Ceria. Elle se demandait comment allait Krshia. C’était elle qui comptait dans l’histoire. Erin irait l’aider. Ou viendrait quand la Gnolle l’appellerait. Mais pas tout de suite. Elle comprenait. Quand elle avait été blessée, elle avait voulu être seule pour faire son deuil.

Erin mit le pâton dans le four de pierre et sortit dans la salle commune pour aller voir son bol de sucre et de neige.

Au cours de la journée, la neige avait fondu et s’était mélangée au sucre. Erin remua le contenu du bol jusqu’à ce qu’il soit presque complètement mélangé, et le bol fut ainsi rempli d’un liquide épais et sirupeux. Lorsque la lune se leva, la lumière se posa sur la mixture brumeuse et la fit luire.

Ceria aida encore un peu, et fit même à manger. Erin avait oublié de manger, mais elle eut droit à quelques… jaunes d’œufs dans un bol et à du pain. Avec du sucre. Elle mangea machinalement son repas, toujours en transe.

Il fallait que ça marche. Pitié, faites en sorte que ça marche.

Le temps qu’elles finissent leur repas, le bol luisait. On aurait dit qu’il luisait. La lumière de la lune accrochait l’eau sucrée et s’y réfléchissait, un miroir du ciel sombre.

Ce n’était peut-être qu’un jeu de lumière. Mais cela suffisait. Erin prit le premier lait d’une vache et le mélangea au sucre frappé par la lune et à la neige fondue. Elle sortit le pain qu’elle avait fait du four. Il était encore chaud, et elle l’enroula dans une serviette pour le maintenir au chaud. Puis elle plaça le beurre durement baratté à côté.

Autre chose ? Erin dressa une autre table avec l’alcool qu’elle avait acheté. Presque tous les bénéfices du concert étaient allés là-dedans. Un tonnelet de rhum, un autre d’hydromel, les bras d’Erin étaient fatigués. Mais il lui restait une dernière chose à faire.

Le venin d’araignée cuirassée était encore dans la petite bouteille. Erin contempla le liquide clair, et le plaça à côté des champignons, vénéneux et comestibles.

Là. C’était fait. Erin cilla, et se réveilla de sa transe de labeur. Elle avait mal. Ses bras hurlaient, son dos lui faisait vraiment mal. Mais elle avait terminé.

Ceria contempla la pièce. Un feu vif brûlait dans la cheminée, et une bougie avait été allumée sur chaque table, ce qui donnait une atmosphère intime, chaleureuse à la pièce. Les tables avaient été dressées selon différents thèmes que l’imagination d’Erin avait dictés.

Une table de champignons et de venin d’araignée, une table de mort. Elle était à l’opposé de la table centrale avec le pain cuit au four, les fruits, le lait sucré, la crème fouettée et tout ce qu’Erin avait pu cuisiner de sucré et de savoureux.

De l’autre côté, elle avait placé une concoction spéciale. Le premier lait de la vache, mélangé avec l’eau de lune sucrée, remplissait plusieurs énormes bols, et Erin avait également ajouté le beurre baratté spécial et le babeurre aussi.

L’hydromel et les boissons sur une autre table - Erin avait également fait fondre de la neige fraichement tombée. Pour elle, on aurait dit un peu de magie, un rituel magique d’aubergiste. Elle regarda autour d’elle, et sentit un soupçon, un frisson…

Était-ce de la magie ? Ou juste son imagination ?

“On dirait qu’il ne manque plus que les invitées.”

Ceria était debout d’un côté de la pièce, et contemplait les tables lorsque Toren entra, traînait avec lui l’un des derniers paniers de champignons en piteux état. Il n’avait pas eu le droit de toucher la plupart des éléments de la pièce, seules Ceria et Erin avaient pu dresser les tables.

La demie-Elfe pour la pureté, la vierge pour la double-pureté. C’était d’une logique démodée. Les fées n’étaient pas des licornes, mais cela voulait-il dire que cette histoire était sans importance ?

Erin ne savait pas. Mais elle savait qu’il était temps. Si elle attendait, elle perdrait son courage. Elle avait évité de penser aux conséquences toute la journée. Il fallait que ça marche. Ça allait marcher.

Il fallait croire. Cela faisait partie de la magie.

“Comment vas-tu les appeler ? Je n’ai pas vu une seule Fée de Givre de toute la journée.”

Ceria paraissait inquiète, mais Erin ne l’était pas. C’était le dernier morceau du conte pour enfant, la vieille fable.

Lentement, Erin s’approcha de la porte. Et à présent, comment s’y prendre ? Oh, oui. Le petit peuple était spécial. Ils savaient quand des choses se passaient, n’est-ce pas ? Donc ils sauraient déjà, du moins s’il s’était agi d’une histoire.

Mais il fallait les inviter. Erin avait mis tout son fer dans des placards, loin dans la cuisine. Elle ouvrit la porte, et leva les yeux sur le ciel étoilé. Il n’y avait aucun mouvement dans le paysage enneigé. Sa respiration créait une brume dans l’air froid tandis que la chaleur se précipitait à l’extérieur.

Les paroles. Erin haussa la voix, légèrement, et parla.

“Fées de Givre. Porteuses de l’Hiver. Je vous invite à entrer. J’ouvre mes portes aux Faes, et je vous offre ce modeste banquet.”

Sa voix se perdit dans les ténèbres. Erin contempla fixement la nuit, le cœur battant. Elle attendit une minute. Puis deux minutes.

Sois patiente. C’était comme ça que marchaient les histoires. Cela allait fonctionner. Il fallait que ça marche. Il…

Cinq minutes. Dix. La pièce se refroidit encore.

“Erin.”

Ceria était à côté de son épaule. Erin s’affaissa contre la porte. Non. Mais c’était ainsi que ça marchait, n’est-ce pas ? Elle se souvenait d’avoir fait des cérémonies du thé pour les fées, enfant. Elles n’étaient jamais venues. Même lorsqu’elle se détournait, les petits glands étaient restés en place. Les fées ne venaient pas.

Vingt minutes. Désespérée, Erin laissa Ceria la tirer vers l’intérieur. La demie-Elfe et Erin se retournèrent…

Et virent les fées.

Elles flottaient dans les airs, un voile de fées. Un essaim… une horde. C’était ainsi qu’on appelait les groupes de fées. Une centaine de corps lumineux, scintillants. Une centaine d’yeux silencieux et de visages figés.

Ceria s’immobilisa complètement. Toren était debout, incertain, et regardait les fées. Elles étaient tellement silencieuses. Mais l’une d’entre elle finit par descendre devant Erin. La fille la reconnut. C’était celle de ce matin.

“Humaine. Mortelle. Tu nous as appelées, et nous sommes donc venues. Pour quelle raison as-tu donc fait venir les Faes ?”

La bouche d’Erin était sèche. Elle déglutit, et prit la parole.

“En tant qu’invitées. Je vous offre l’hospitalité. Et je vous ai préparé des mets qui, je l’espère, vous conviendront.”

Les fées regardèrent autour d’elles. Certaines bougèrent, volant au-dessus de la nourriture et discutant entre elles. Oui… certaines étaient plus enthousiastes que d’autres, et pour une raison qu’elle ne comprenait pas, Erin les percevait comme plus jeunes.

“Regardez ce qu’a fait la mortelle ! Oh, regardez, regardez !”

“Un premier lait ! Et du sucre mélangé à de la neige à la lumière de la lune. Que c’est étrange, que c’est bizarre !”

“Regardez ! Elle nous donne du poison ! Une morsure d’araignée comme breuvage, et des champignons de toutes sortes.”

“La mort et la vie ! Du pain à manger et des crèmes sucrées et des friandises !”

La première fée leva la main, et le reste se tut et se figea. Elle contempla Erin, et, pendant un instant, cette dernière crut la voir sourire.

“Étrange. Voilà un bien étrange banquet, mais tu as apporté de l’hydromel et fait à manger. Cela fait des milliers d’années que nous n’avons pas été ainsi traitées, et ce lieu a été bâti sans fer. Nous acceptons donc.”

Ceria écarquillait les yeux. Elle regarda fixement les fées descendre lentement vers les tables. Erin marqua une pause. Il restait une dernière chose, et la fée qui menait le groupe semblait le savoir aussi. Elle vola jusqu’à une table vide.

“Tu nous offres de quoi nous restaurer, et nous, en tant qu’invitées, devons d’accorder une récompense adaptée. Je t’offre donc le trésor de notre race.”

Elle vola autour de la table, une fois, deux fois. La troisième fois, l’air… Erin cilla. Quelque chose venait de se passer. Là où la table avait été vide et nue, il y avait soudain de l’or.

De l’or.

Un monceau de pièces d’or remplissait la table qui grinçait sous leur poids, périlleusement empilées mais remplissant chaque centimètre du bois. La table était si remplie qu’on aurait dit qu’à chaque instant, la pile d’or allait verser et se répandre au sol.

Erin resta bouche-bée. La lumière des bougies se réfléchissait sur l’or et paraissait illuminer la pièce. Elle ne pouvait arracher son regard de cette vision. Chaque pièce semblait avoir une luminescence qui lui était propre, et la vue était si belle…

La fée flotta au-dessus de la table, un large sourire éclairant son visage devant la stupéfaction de la mortelle.

“Acceptes-tu ceci comme juste paiement ?”

Erin faillit instantanément dire oui, mais une partie d’elle-même ne put s’empêcher de s’avancer pour le toucher, pour s’assurer qu’il était réel. Elle avança vers la table, avec l’impression que chaque pas était un rêve. Erin ramassa une pièce avec précaution.

“De l’or ?”

C’était de l’or. Lorsque Ceria ramassa une pièce, elle la regarda fixement. Erin savait aussi que c’était de l’or, mais il y avait quelque chose de différent par rapport aux pièces d’or qu’elle utilisait d’ordinaire.

“C’est… de l’or pur. Pur.”, souffla Ceria en tenant la pièce à la lumière. Son visage était émerveillé. Toren jeta un œil à la pile d’or, puis à Erin, et inclina la tête sur le côté. Elle n’y prêta pas attention, elle était trop occupée à contempler le trésor.

“Alors ? Qu’il ne soit jamais dit que le peuple des Faes n’est pas généreux !”

La fée éclata de rire et vola autour d’Erin.

“Cela te semble-t-il être un échange équitable ?”

Toren fit claquer ses mâchoires, et plusieurs fées lui jetèrent des regards noirs. Erin le fit vivement taire et acquiesça vigoureusement.

“Hum, oui. Bien sûr ! Merci !”

La fée sourit. Elle leva la main au plafond, et soudain la pièce s’emplit de minuscules vivats.

“Vous entendez, mes sœurs ? Le marché est conclu ! C’est un paiement honnête, pour un repas ! À présent, festoyons !”

On aurait dit qu’elle venait de dégeler le temps. Les fées se mirent immédiatement en mouvement. Elles fondirent sur la nourriture qu’Erin avait sortie, papotant, riant, tellement pleines de joie et de convoitise pour la vie que même Ceria et Erin furent happées par le célébration soudaine.

Une seule personne, dans la pièce, n’était pas heureuse. Toren. Il faisait claquer ses mâchoires et sautait sur le sol, en pointant les pièces d’or du doigt. Il en prit quelques-unes et les tint devant Erin.

“Qu’est-ce qu’il te prend ? Arrête ça !”

Elle fronça les sourcils. Toren lâcha les pièces et elles claquèrent sur le sol. Il regarda autour de lui, visiblement frustré, puis courut vers les fées en agitant les bras. Est-ce qu’il avait une espèce d’attaque ? Un dysfonctionnement ? Erin écarta le squelette lorsqu’il fonça sur les fées, et attrapa Ceria.

“Je ne sais pas ce qu’il a. Est-ce que tu peux… ?”

“Compris.”

Ceria hocha la tête et Erin la pointa du doigt.

“Va avec elle, Toren. C’est un ordre.”

Le squelette se figea sur place. Puis, très lentement et de toute évidence avec beaucoup de réticence, il hocha la tête, et se tourna vers la porte. Les fées éclatèrent de rire en le voyant partir.

Erin était soulagée, elle aurait détesté briser la bonne ambiance. Lorsque Ceria sortit, Erin prit la petite bouteille de venin et commença à le verser dans les petites tasses en fleur pendant que les fées se rapprochaient d’elle. Elle avait l’impression d’être une sommelière maladroite, mais elle voulait servir les fées comme elles le méritaient.

Elle s’intégra dans l’ambiance de la fête en un instant, remplissant les coupes, riant, et écoutant les bavardages des fées. Contrairement aux moments où elles s’adressaient à elle, Erin ne comprenait pas un mot lorsque les fées parlaient entre elles. Leurs voix lui étaient parfaitement incompréhensibles - pas de la manière dont le serait une langue différente. Erin avait entendu de l’Espagnol et du Français et elle avait réussi à comprendre quelques mots parce qu’ils avaient une racine commune avec l’Anglais. Mais même le Mandarin ou l’Arabe auraient été plus compréhensible que cela. C’étaient encore des langues humaines, mais les fées…

Les mots qu’elles prononçaient ne pouvaient pas être assimilés par le cerveau d’Erin. Mais c’était sans importance. Elles riaient avec elle, et tourbillonnaient dans les airs, buvant son lait sucré, engloutissant l’alcool qu’elle versait dans les minuscules fleurs que Ceria avait apportées, arrachant des lambeaux de pain pour les enfourner dans leurs corps qui paraissaient pourtant trop petits.

Et la pièce était remplie de magie. Au bout d’un moment, la bouteille de venin d’araignée d’Erin fut vide. Elle ne s’était même pas demandé comment les fées faisaient pour boire le liquide mortel comme si c’était de l’eau, ni même comment elles faisaient encore pour voler alors que certaines étaient déjà clairement ivres. Elles s’amusaient, et par conséquent, elle aussi.

D’une manière différente que lors du concert. Le concert avait été plein de bruit et d’énergie illimitée, mais c’était différent ce soir. Oui, les fées pouvaient être tapageuses, mais quelque chose flottait dans l’air et capturait en un instant l’humeur de la pièce.

La magie.

Erin la sentait à chaque battement d’aile, à l’étrange manière dont le feu continuait de brûler sans rien pour l’alimenter. Elle la sentait dans la danse des fées, qui traçaient de merveilleux motifs dans les airs qui luisaient tandis que chaque bougie s’éteignait lentement. Et elle la sentait aussi en elle. C’était elle qui avait créé ceci.

Elle avait réussi. Elle avait fait de la magie.

Regardez, avait-elle envie de dire. Elle voulait partir en courant pour le crier à Pisces et à Ceria et à Ryoka et au monde entier. Regardez, regardez ! Je peux le faire aussi.

Et pendant que les fées dansaient dans les airs, Erin sourit et pleura un peu. De bonheur, de soulagement. De joie et d’émerveillement. Et dans son cœur, elle souhaita que ces moments durent toujours.

Mais, trop vite, son auberge fut déserte, et Erin se retrouva seule parmi les assiettes vides et les fleurs abandonnées. Elle contempla son auberge, et sentit en tout point à quel point c’était un lieu solitaire. Et elle fit le serment qu’il n’en serait plus jamais ainsi.

Lorsque Erin s’assit lentement sur une chaise, chacun de ses muscles douloureux, chacun de ses os épuisé, elle regarda la table couverte d’or. Et elle sourit. Ce n’était pas le plus important.

Mais ça aidait.

Puis ses yeux se fermèrent, et la voix chuchota à son oreille pendant son sommeil.

[Aubergiste Niveau 25 !]

[Compétence - Aura de l’Auberge Obtenue !]

[Compétence - Mets Prodigieux Obtenue ! ]


***



Lorsqu’Erin se réveilla, la magie était toujours en elle. Elle la réveilla de son sommeil sans rêves et la ramena dans le monde réel. Elle pourrait être aussi excitée et pleine d’énergie qu’elle le voudrait plus tard, mais pour le moment, elle voulait encore se prélasser dans ce sentiment de tranquillité.

Erin respira l’odeur du matin, et réfléchit à la nuit dernière. Elle avait gagné quatre niveaux et deux compétences. Deux compétences… importantes. L’une d’elles lui paraissait être très importante. Elle ne savait pas ce que cela signifiait, mais l’idée la fit sourire.

De la magie. Elle l’avait en elle. Elle avait de la magie, et la faveur des fées. Que pouvait-elle demander de plus ?

Et l’or…

L’or. Erin y jeta un œil, mais au lieu des monceaux étincelants de pièces d’or pur, elle vit… des fleurs.

Des fleurs ? Non. Le cœur d’Erin s’arrêta. Mais oui, c’était bel et bien ce qui était posé sur la table. Non pas un énorme tas d’or digne de la fortune d’un roi, mais une montagne de fleurs éclatantes, vives et joyeuses à la lumière du soleil.

Des fleurs jaunes. Dorées, plutôt, mais ce n’étaient que des fleurs. Elles étaient petites, et soigneusement empilées sur la table. Elles étaient plutôt jolies, vraiment.

Mais c’étaient des fleurs.

Le cerveau d’Erin cessa entièrement de fonctionner. Elle se leva en titubant de sa chaise, et tourna dans la pièce vide pour contempler les mets chers et difficiles à assembler qu’elle avait faits. Le bol vide de lait de vache, les miettes qui restaient du pain qu’elle avait fait, le beurre, les bols vides dans lesquels elle avait mis les champignons, le venin, le sucre…

Elle remarqua l’absence complète de fées, puis regarda fixement la table où son or était censé être.

La magie s’évanouit. Erin contempla les fleurs dorées en train de faner. Son œil gauche tressaillit. Elle prit une grande inspiration.

“Qu’est-ce que c’est que ce bor…



Dernière édition par EllieVia le Mer 25 Nov 2020 - 22:01, édité 1 fois
 
   
    
                         
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