Le chuchotement excité des mots, les rires sous cape et le chuintement des vêtements sur les cartons. L'odeur de poussière en fait éternuer un, une autre se pince le nez de ses mains déjà sales.
A l'assaut du grenier, les petits explorateurs, pas toujours très rassurés, ouvrent les malles, les armoires de guingois, fouillent dans les trésors. Jouent à se faire peur au détour d'un sac d'habits et battent en retraite au moindre couinement. La plus grande s'extasie sur une poupée en porcelaine ébréchée. Le garçon déniche un cheval de bois à roues et charge les filles avec. La plus jeune se réfugie sur une pile indéterminée, plonge la main dans un carton, la referme sur sa proie. Un livre comme on en fait plus, couverture de cuir moelleuse, pages épaisses et jaunes, un marque page en tissu vert qui se détisse.
Les lettres dorées sont presque effacées. Elle sait à peine lire, n'y arrive pas du tout sans lumière. Elle fait défiler les pages.
Au milieu, un trèfle à quatre feuilles.

La couverture s'ouvre d'un coup, la reliure craque, c'est douloureux, un cri m'échappe. Et tout de suite viennent les odeurs de cuir, de colle, de papier. Je m'arrête un instant, le temps de reprendre mon souffle. Je m'habitue à la lumière, je tends les mains ; le grain du papier me surprend, mais je persévère. Après les pages de garde bien blanches sont rangées des nuées d'illustrations aux teintes pastel, puis de plus en plus vives. Au fur et à mesure, des mots remplissent les espaces vides. D'abord simples légendes, ils dessinent plus fermement les contours de ce nouveau monde que je découvre, jusqu'à reléguer les images dans la marge. Les personnages prennent plus d'importance que le décor, les détails se perdent.
Je cours, j'appréhende, je grandis et les pages se défilent. La dernière se rapproche dangereusement. Je relis sans cesse des passages tendres pour éviter le mot fin, mais ça ne ralentit qu'à peine.
La quatrième de couverture sera l'épitaphe de mon cœur-livre refermé.