― Mes chers collègues, je rejoins les derniers avis exprimés et me permettrai de les enrichir. Admettons que nous décidions de ne pas intervenir. Nous ne risquerions pas de faire le jeu des Autres mais, dès lors, qu'en serait il face à l'Empire ? Constatons les faits ! L'Urmal, par son action, a prit l'initiative et nous impose son rythme. Par conséquent, nous nous retrouvons dans une posture de faiblesse qui nous empêche de s'opposer efficacement à ses exigences. Exigences dont nous pouvons d'ores et déjà déduire l'essentiel.

Il marqua une courte pause, le temps de balayer du regard l'hémicycle qui s'animait de gestes d’approbations, de murmures mais aussi de quelques mouvements d'humeurs.

― En effet, sans nous tromper, envisageons en premier lieux l'annexion des territoires conquis qui ,au vu des nouvelles, passeront rapidement au tiers des terres immergés. En deuxième lieux, l'accès inconditionnel des Maloriens aux recherches sur le Solris semble inévitable. Enfin, la domination militaire qu'exerce l'Empire sur les forces dragiennes le poussera à nous « demander » d'accepter leur capitulation et leur soumission à l'ordre impériale.

L'attention de l'assistance s'accentuait. L'idée de voir les Dragiens disparaitre sous le joug Malorien donnait des sueurs froides. Improbable ! pensaient encore certains mais ils ne pouvaient plus ignorer cette hypothèse.

― Et c'est là que je soulève l'erreur que nous devons absolument éviter. Nous avons besoin des Maloriens comme alliés mais à quoi, je dis bien à quoi, cela nous servirait si le Conseil n'est plus qu'anomie ? Abandonner les Dragiens, au point qu'ils soient assimilé, par l'Empire ne pourra pas, même avec la meilleur volonté du monde, être accepté par nos peuples et je vous mets aux défi d'y arriver sans qu'ils se retournent, à juste titre, contre le Conseil.

« Fort juste » remarqua Sen'Tzen qui écoutait, depuis le début, avec beaucoup d'attention son confrère, un jeune homme noir, chauve, de taille modeste, aux yeux d'un bleu étincelant. Sa voix de basse pénétrait les esprits les plus fortifiés et son jeu gestuelle distillait un langage complexe qui soutenait à merveille ses propos, un diplomate né. «  Grand dieux ! on en fait encore des comme ça ! » se prit il à penser.

― Deux raisons à cela. La protection militaire de chaque civilisation-membre est l'un de nos plus grand fondamentaux. Certes, les choses évoluent mais doivent l'être au rythme des mentalités. Or, nous, Stelleriens, qui portons culturellement cette puissante valeur, nous ne comprendrons pas que nous puissions rester inactif. Ce qui m'amène à ma seconde raison. Céder, à l'ensemble des futures exigences de l'Urmal, c'est signer politiquement la mort de notre confédération et sa mise sous tutelle impériale. Nous touchons ici, l'essence même de notre problème ! Comment, en l'espèce, protéger les nôtres tout en rendant nos choix acceptables à leur yeux.

Les murmures d'assentiments s'amplifiait. Rapidement il devinrent quasi exclusifs. « Ça y est ! ils commencent à comprendre. » se réjouissait le doyen, de plus en plus impressionné par la maitrise orale de son collègue.
Comment s'appelait il déjà ? C'était le problème avec les nouvelle têtes, il mettait toujours du temps à se rappeler des prénoms, malgré les présentations d'usages lors de l'investiture. En l’occurrence cela ne faisait que trois mois et sa mémoire flanchait. Amaka Neja ! Amaka Neja, de la civilisation Nemke, finit il enfin par se remémorer, ce qui avait laissé plus que le temps, au dit Amaka, de reprendre.

― « L'acceptabilité » messieurs ! Nous butons sur ce concept et, dans le cas présent, je ne vois qu'un seul levier possible : les négociations. Nous devons forcer Dromar à revoir ses prétentions à la baisse, reprendre le contrôle des événements. Le « suicide collectif », je rejoins intégralement sur ce point notre honoré doyen, est une menace inopérante qui nous oblige à nous concentrer sur d'autres moyens de pressions et rien d'autre.

« Encore une fois, il dit vrai. mais en pratique on ne va pas rigoler pour les dégoter, ces moyens de pressions, ironisa Sen'Tzen. J'espère qu'ils saisissent tous que Dromar nous l'a quand même bien mis dans l'os. »

― La question n'est plus de savoir si nous devons intervenir ou abandonner mais comment s'imposer. Car, si nous prenions contact dès maintenant avec l'Empire, nous n'avons aucun arguments pour négocier et nous serons rétamés. Je terminerai en rappelant que si le pragmatisme doit nous guider il ne doit pas sacrifier, pour autant et ouvertement, ce qui nous lient depuis des siècles.