Glisse un mot dans la boîte aux lettres :

Monsieur Jacquetot, est-ce vous qui faites sécher du jambon dans la cave ? C'est interdit par le syndic.

Henri Jacquetot se sert du papier du concierge pour répondre.

Mon ami, il me semble avoir aperçu Mr. Armando se rendre à la cave en douce, l'autre soir. Il tenait un gros sac lourd et probablement plein de vivres. Je le soupçonne fortement d'être votre homme.

À peine devant la porte, je toque en retenant le souffle ardent qui m'habite. Partant de mes entrailles, il ne demande qu'à explorer mes membres jusqu'au bout de mes doigts. Mon cerveau hurle de mettre à profit l'influx, qui ne demande qu'à exploser. Mon épaule craque, et mes baskets piétinent sur place. Inspire. Un, deux, trois. Expire. La porte s'entrouvre. C'est parti...

— Bonjour, je pense que vous me reconnaissez ?

Il ne s'attendait pas à ça pour commencer l'interaction. Tu m'étonnes... S'il me reconnaît, c'est que son accusation était délibérée. Sinon, il m'a utilisé sans savoir qui je suis, juste pour éviter de se faire choper. Temps de rendre des comptes, mon vieux...

Henri Jacquetot fait mine de ne pas comprendre.

Bonjour, Armando, c'est ça ? Je peux vous proposer quelque chose à boire ? J'étais justement entrain de préparer une planche de charcuterie pour fêter l'arrivée des nouveaux arrivants ! Entrez, entrez, ne restez pas sur le pas de la porte.

Henri Jacquetot se traine dans son petit intérieur minable et Armando a presque pitié de lui. Cela dit, il le suit.

Tu sais qui je suis, mais tu prétends ne pas être sûr ? T'es grillé mon vieux... Je rentre à l'intérieur, pour éviter de faire une scène. C'est toujours mieux de rester loin des yeux ou oreilles indiscrètes. Mon attention ne se perd pas un instant sur son logement, et cette senteur salée de la viande qu'il doit préparer ici. Comme si j'avais besoin d'une preuve de plus qu'il m'accuse à tort, pour se couvrir... Je mets les choses au clair d'emblée.

— Pas la peine de vous embêtez avec votre numéro. Je sais que vous m'avez accusé. Ce que je sais moins, c'est pourquoi vous l'avez fait. Mais je m'en fiche un peu. Car surtout, je me suis demandé comment vous avez pu croire que ça passerait.

Je réduis la distance, sans m'approcher au contact. Je fais une tête de plus que lui, et j'aurai le temps de taper une sieste avant qu'il ne me prenne par surprise. Des types en meilleure forme et avec plus de talent que moi s'y sont essayé. Et je suis toujours présent pour en témoigner... La tension dans mon cou et mon regard parlent pour moi. Je vois dans ses yeux, il le sent. Sans en avoir conscience, mais l'effet est là.

— Je me fous de ce que vous préparez. Du mensonge avec lequel vous allez vous couvrir, pour changer. Sachez seulement une chose. Si l'accusation en question était réelle, je n'aurais plus besoin de prendre cette précaution, de toquer à la porte avec politesse, et invoquer toute ma discipline. J'espère qu'on se comprend...

Je le fixe dans le blanc des yeux. Ce vieux est plus tortueux qu'il ne le laisse présager, il cache en effet quelque chose. Mais il a compris la leçon. Il aura peut-être envie de recommencer, mais il sait à quoi s'en tenir s'il me cherche de nouveau. 

Je fais demi-tour, et je retrouve la sortie. Je m'arrête au moment d'ouvrir la porte, jetant un regard vers l'arrière.

— Passez une bonne journée, voisin...

Et je sors, fermant délicatement la porte, comme le terme d'une visite cordiale. Ce qui en était une en vérité. Ce genre de scène ne se serait jamais produite en France. Je me ramollis ? Non, je reste d'autant plus que mes gardes...

Mr. Armando est un homme du terroir, sorte de vieille bidoche de celles qui donne mauvaise haleine. Il est passé à la baraque. Oh ! Il s’imagine peut-être qu’il me fait peur. Ce n’est pas moi. Définitivement je peux me convaincre que ce n’est pas moi qui l’ai dénoncé à mon ami le concierge. De plus, le saucisson que je conserve à la cave est médiocre. Je le garde pour plus tard, dans le cas où l’une des toutes dernières charcuterie de la ville venait à fermer.

S’il croit qu’il m’intimide. Franchement. Quelle chiffe molle ! Je saurai l’humilier publiquement, moi. Qui pourrait bien le croire ?

Preuve étant ! Il est reparti la tête en bas, comme un gamin puni. Bon, l’essentiel c’est de m’être débarrassé de lui. S’il s’imagine que je suis un vieillard sénile, je saurai bien lui donner tord.

Faites en bon usage.

Un gamin hurle dehors.

L'homme étrange, l'ignore et me pourchasse dans l'appartement en riant. Au secours.

Finalement, le gamin ouvre la porte à la va vite. En nous voyant il a l'air surpris.

Il murmures quelques mots et referme la porte aussi sec. Non petit homme ne pars pas ! Sauve moi !!

Heureusement l'homme étrange est distrait par l'arrivée du petit homme et va à la porte. Dès qu'il l'ouvre pour regarder dehors, je me précipite dehors.

Miracle ! La porte du 102 est ouverte. Je m'y engouffre aussitôt, mais l'appartement est vide. L'homme du 102 n'est pas là. Oh non.

Avant que je puisse faire demi-tour, voilà que l'homme étrange rentre et referme la porte derrière lui.

Mince.

L'esprit d'un chat passe brièvement devant la porte.

Il ne peut pas s'arrêter car il suit sa maîtresse, mais il a le sentiment que c'était un endroit terriblement important.