Inquiet. Serait-il possible que, contrairement à mes plans, je ne sois pas, dans un avenir proche, auteur d’un recueil édité à plusieurs centaines de millier d’exemplaires ? Inquiétude quand je pense que votre réussite collective dépend de ma réussite individuelle, comme fer de lance de la littérature forumière mondiale.

J’ai aujourd’hui appelé ma mère pour qu’elle recule de deux ans la date de la fête organisée depuis ma naissance pour le gain du prix Nobel de Littérature 2039. La salle des fêtes de Plouedern a été décommandée dans la plus grande précipitation et le plus grand désarroi.

Pourquoi ai-je cru que la participation à un forum internet pourrait m’ouvrir les portes de l’Académie Française ? M.A. n’arrête pas de me faire croire que je participe à une communauté d’écrivain.es qui seront, demain, de grand renom, mais ni elle ni moi ni les autres ne sommes reconnu.es dans la rue pour nos exploits littéraires. Inquiétude et regret de n’avoir toujours pas eu le droit à un tweet de Yann Moix à mon sujet.

Inquiet. Je pensais pouvoir accomplir une œuvre philosophique conséquente en participant aux discussions sur la poésie : il n’en est rien. Mon traité d’Esthétique Générale est au point mort et je peux traverser la place de la Sorbonne sans être jamais coursé par les éditeur.ices de chez Vrin.

Quel échec. Quel échec cuisant.

J’entretiens un semblant de réussite en publiant dans des revues des textes humoristiques de mon cru. Ma seule manière d’être reconnu par l’infra-édition est d’être présenté dans les soirées d’inauguration de 20 personnes comme « le gars qui a envoyé un texte vraiment rigolo ». Super.

Je me demande, je vous demande : me suis-je trompé de chemin ? Mon père me regarde me connecter au forum en hochant la tête comme si j’avais quinze ans et publiais sur « myspace » mon premier freestyle de rap. Je suis la version d'Orelsan qui perce jamais. Ma mère ne dit plus rien au sujet de mes fréquentations littéraires qu’elle ne mésestime pas mais qui ne sont pas, je dois bien l’admettre, de la trempe d’un Houellebecq, d’un Modiano. Mon frère, qui me vouait autrefois une admiration sans bornes, considère de plus en plus ma déroute d’un œil suspicieux.

Je n’ose plus dire à personne que j’écris de peur d’être vu comme ce vieil oncle mignon qui imprime une feuille de choux dans son village. Feuille de choux où il glisse, subrepticement, deux comptines de son cru et une petite prose moralisante avec quelques blagues salaces au milieu.

Quel échec. Quel échec.

Je ne parle même pas des blagues au sujet de mon pseudonyme ridiculement pompeux, digne d’un Monsieur Jourdain post-moderne : je tremble un peu quand les gens écrivent « aomphallus », mais je ne dis rien. Où sont les hétéronymes prestigieux, flamboyant, les Emile Ajar, les Álvaro de Campo de ma littérature ? Perdu dans les rouages médiocratiques de la littérature numérique !

J’ai envoyé mon topic de poésie à Gallimard et je n’ai reçu aucune réponse. Je m’estime profondément lésé par la vie et par le forum : veuillez répondre au sondage si vous êtes comme moi.

je vais répondre avec ce que je sais de l'art et du milieu artistique, en général, parce que je n'ai jamais touché à l'édition. je ne sais pas si tu as tenté pour ta part je suppose que oui, car il est évident que ce forum ne sert pas à se faire remarquer, je ne sais même pas si on se fait remarquer dans la littérature puisque c'est un travail globalement solitaire, sauf quand on est auteur dans d'autres cadres. il faut venir en ayant tout fait
je pense que les gens écrivent ici pour le magma, se vautrer, travailler, partager des ossatures et des fragments de création
il n'y a pas d'issue réelle derrière ce forum, enfin l'inverse m'étonnerait
mais par dessus tout, je n'ai pas connaissance d'un seul grand auteur qui ait "percé" (je n'aime pas ce terme) avant sa quarantaine ? on dirait qu'il faut une dose de travail, de recul et de souffrance monumentale avant de produire quelque chose avec un peu d'éternité. c'est toujours pour les vieux, les anciens journalistes, professeurs, des gens qui ont énormément lu, énormément traîné, ramassé...il y a quelques rimbaud,  cendrars, baudelaire et artaud, mais ça reste globalement un travail où la reconnaissance et même la maturité globale est tardive, pour ne pas dire crépusculaire.

mais je pense que vouloir de la reconnaissance, associer la reconnaissance, la célébrité à un gage de mérite est le leurre le plus malsain et mégalomane d'une ambition. je suppose que tu es ironique quand tu cites yann moix et un peu prêt tout le reste de tes regrets, mais voilà, personnellement je serai inquiet si quoi que ce soit que je pouvais faire était validé par yann moix...

je suis d'accord sur le fait qu'exister dans le milieu est important, qu'être validé par des institutions et voir son travail vivre en dehors de son corps est une grande étape. je suppose que tu veux en vivre aussi donc il est normal de te sentir inquiet, surtout après le temps et la douleur, de ne pas voir ta passion devenir une source de revenus. mais le succès, ça ne rime pas à grand chose. ça ne rime pas TOUJOURS à quelque chose. je ne vais pas te faire l'irrespect de citer les artistes qui ont eu une reconnaissance posthume, c'est un poncif de la réflexion sur l'art.

personnellement, je n'ai jamais eu d'ambition littéraire. enfin, il m'est déjà arrivé de me dire que je pourrais en faire quelque chose, puisque ça semblait plaire à mes proches. que j'ai gagné quelques tout petit prix ici et là. j'ai toujours cherché ma place artistiquement mais l'écriture, quand bien même j'y ai consacré toute mon adolescence, ma solitude, que je lui ai réservé la forme le plus intime de mon expression, je ne l'ai jamais envisagée au premier plan. peut-être par lâcheté ? mais aussi parce que ça me fait souffrir trop, que ça me met devant une part de moi que je juge immonde, partielle, impudique, bref, pour pleins de raisons qui ne nous intéressent pas. pourtant, j'écrirais toute ma vie et peut-être qu'un jour je me tournerai sur ce que j'ai fais et je me dirais "j'apporte ça en maison d'édition".

mais ce forum m'a permis d'acquérir ce que j'ai appris aussi au théâtre, dans le cinéma, dans un peu près tout ce que j'ai fais : un peu d'humilité. avant de supprimer ce que j'ai pu faire ici, je n'avais jamais trop de retours, à part de gens habitués à me lire, qui ont appris à m'apprécier sur le côté, donc au final quelque chose d'assez hermétique. beaucoup d'efforts pour beaucoup de silence et si au début (vraiment au tout début), ça me perturbait, j'ai finalement beaucoup pris de plaisir et appris de ce silence : A partir du moment où j'ai commencé à travailler sans chercher la reconnaissance (mais toujours en ayant conscience d'être lu, c'est ça l'équilibre qu'il faut trouver), sans me regarder, sans compromettre mon écriture, je me suis progressivement trouvé de plus en plus vrai. j'ai aussi arrêté de chercher l'absolu, ce qui ne me faisait que souffrir et stagner au final. je pourrais n'avoir jamais aucun retour que je continuerais à publier, parce qu'à partir du moment où ce n'est plus en moi, où symboliquement je marque la fin, j'accepte d'échouer, j'accepte d'être naze, j'accepte d'être vain, petit, maladroit, lourd, tout ce que tu veux.

tous les artistes, tous les êtres humains même ne supportent pas l'échec, la banalité, l'insignifiance. ce qui les enferme dans le snobisme ou l'inaction, c'est cette peur là. la première chose qu'on apprend au théâtre, c'est la désinhibition et ça passe par des exercices qui, franchement de l'extérieur, sont très humiliants. je crois que le premier truc qu'on m'a demandé de faire en cours quand j'ai commencé, vraiment le premier jour de la première semaine, c'était de faire le cochon devant tout le monde. je me serai cru dans Délivrance.
je fais cet aparté pour dire qu'il faut créer, selon moi (et peu importe le domaine) sans se regarder, sans projection mégalomane, sans se dire "je dois être là pour avoir de la valeur". je n'ai jamais autant pris de plaisir  et de précision dans mon exercice, qu'il soit littéraire ou autre, quand je l'ai vécu pour ce qu'il était maintenant. et j'essaye toujours de les vivre avec une grande sincérité, une intensité que je mettrais aussi bien dans un truc destiné à l'être lu par deux personnes que dans mon magnum opus.

j'imagine que tu le vis comme ça aussi et je ne dis évidemment pas que tu es prétentieux ou que c'est un péché de rêver. je dis simplement que, aussi difficile que ça soit, il faut faire en ignorant le temps que demandera ton épanouissement, et prendre ce forum pour ce qu'il est, un espace d'échange et de travail, pas de publication.

pour finir avec un aparté sur le milieu du théâtre/cinéma, tous ceux que j'ai vu arrêter en premier c'était ceux qui se fixaient un objectif très précis, fantasmagorique, avec peu de zones de surprise, d'imprévu. à l'inverse, les acteurs que j'ai vu s'épanouir sont ceux qui aimaient le jeu, qui n'aimaient que le jeu et qui auraient pu, au fond, jouer n'importe où. ça ne veut pas dire qu'ils n'ont pas d'ambition mais ça veut dire qu'ils vivaient dans l'instant et que leur ambition servait à nourrir leur audace, leur passion plus que leur ego. ils ne se sont pas dit "je mérite ça", ils se sont dit "j'aimerai faire ça".

à nouveau, je n'affirme pas que c'est ce que tu fais ni qu'être traversé de jugements de ce genre est mal ou étrange. mais ne te dis pas que tu as échoué, essaye de prendre du recul sur ce qu'est ta situation vraiment et ce que représente ce forum. c'est le jugement qui tue la sincérité et l'aplomb.

voilà, en espérant que ça t'auras aidé un peu.

Pas du tout.

Je me suis inscrite, si ma mémoire est bonne, à l'époque où je tentais de créer un fanzine mythologique. L'appel à textes n'a pas eu grand succès. Le projet s'est arrêté quelque part entre le n° 1 et le n°2. Ma partenaire et moi-même rêvions toujours de ce fanzine, mais l'une et l'autre, nous avions nos vies personnelles et avions cru dur comme fer à l'arrivée de nouvelles troupes durant cette période, ce qui n'a pas eu lieu. C'était décevant, mais aucunement de la faute de JE. En fait, nous étions même trois, au début du projet, et la troisième nous a quitté également parce que sa vie personnelle ne lui accordait plus le loisir de s'occuper de ça.

Ici, j'ai trouvé des gens avec qui partager sinon un vaste projet en commun, du moins des jeux, activités d'entraide, rêves... une communauté de personnes ayant des points communs.
Plus tard, beaucoup plus tard, j'ai trouvé ici des gens amateurs de mythologie. Je n'ai pas tenté de relancer le projet. J'en ai ressenti de pinçants regrets, mais parfois, il faut savoir passer à autre chose.

J'ai trouvé aussi quelque chose que je n'attendais pas sur internet : de quoi progresser face à moi-même, mon inspiration, mon clavier...

Je n'attendais pas de JE qu'il me mène à la gloire, mais me place en contact avec des gens. Ca ne s'est pas fait comme je l'espérait mais ça s'est fait quand même.

Aomphalos.
Je ne suis pas tellement là, en ce moment, mais ton changement de pseudo (temporaire), voilà quelques temps, m'avait fait me demander si ton moral était au beau fixe.

(j'indique, au cas où je n'avais pas assez forcé le trait, que mon premier message était ironique... mais merci Séléné pour ton soutien, même si en vrai ça va très bien en ce moment )

Tant mieux !!!
Ce passage en truite m'avait étonnée. Ce n'est pas ton genre habituel, de changer de pseudo par simple délire.

Et merci pour tout ce que tu apportes au forum.


Oui, le trait est forcé, mais l'ironie peut être de l'autodérision.
De fait, il faut "sortir du forum" pour aller vers le public de lecture. Se tourner vers un monde exigeant et solitaire


.

et merci beaucoup pour ton message Ugo, que je partage totalement ! j'étais totalement ironique et excessif dans mon message qui était une sorte de mauvaise blague on va dire, mais ta réponse est vraiment chouette je trouve !

Citation :

mais ce forum m'a permis d'acquérir ce que j'ai appris aussi au théâtre, dans le cinéma, dans un peu près tout ce que j'ai fais : un peu d'humilité. avant de supprimer ce que j'ai pu faire ici, je n'avais jamais trop de retours, à part de gens habitués à me lire, qui ont appris à m'apprécier sur le côté, donc au final quelque chose d'assez hermétique. beaucoup d'efforts pour beaucoup de silence et si au début (vraiment au tout début), ça me perturbait, j'ai finalement beaucoup pris de plaisir et appris de ce silence

notamment ce passage que je trouve touchant aussi de ce qu'il dit de la manière dans les travers du forum parfois et la manière dont ces travers peuvent être douloureux quand on pensait avoir trouvé un endroit pour être lu, commenté, etc.

Aomphalos a écrit:

Je m’estime profondément lésé par la vie et par le forum : veuillez répondre au sondage si vous êtes comme moi.

J'ai répondu "oui incomplètement" parce que bon, je me suis inscrite sur le forum pour être un jeune écrivain et pourtant je continue à vieillir

Aomphalos a écrit:

et merci beaucoup pour ton message Ugo, que je partage totalement ! j'étais totalement ironique et excessif dans mon message qui était une sorte de mauvaise blague on va dire, mais ta réponse est vraiment chouette je trouve !

j'aurai du m'en douter...yann moix quand même...

Yann Moix et la salle des fêtes de Plouedern étaient deux indices hehe

Epineuse a écrit:

Aomphalos a écrit:

Je m’estime profondément lésé par la vie et par le forum : veuillez répondre au sondage si vous êtes comme moi.

J'ai répondu "oui incomplètement" parce que bon, je me suis inscrite sur le forum pour être un jeune écrivain et pourtant je continue à vieillir

J'ai voté "non complètement", je n'ai point été trahie
Je me suis inscrite sur le forum le 15 juillet 2021 afin d'en apprendre plus sur le parcours éditorial, et pour trouver de l'aide afin de le mener au mieux (je ne connaissais alors même pas la différence entre "édition à compte d'éditeur" et "édition à compte d'auteur", c'est dire le boulot qui m'attendait) ; je me suis lancée environ 5 mois après grâce à ce que j'ai appris ici, et je signais mon premier contrat avec un éditeur 4 mois plus tard, jour pour jour. JE a complètement répondu à mes attentes, et même mieux que je ne l'espérais.
Le forum m'a aussi permis de découvrir les Murmures Littéraires, et j'ai rencontré des JE sympas à la remise de prix ; et dans un sens plus large, des membres amicaux et talentueux rencontrés ici également, avec qui j'entretiens désormais un contact. Que demander de plus ? <3

Sinon, je salue ta prose en premier post, Aomphalos ; j'ai bien ri, merci !

Vous pouvez répéter la question ?

Aomphalos je voulais tout lire avant de te dire merci pour cette barre de rigolade.

Donc, merci pour cette barre de rigolade.

Et désolée pour les deux personnes qui ont pris la barre de rigolade au premier degré et qui ont donné de leur personne pour te consoler.

On rigole comme ça mais j'ai emprunté dans les années 10 un de ces livres qui expliquent comment réussir dans l'écriture traditionnelle, y compris en passant la case édition, et j'ai eu le fou rire d'y trouver un passage sur les forums d'écriture qui disait peu ou prou ceci :
"Les forums d'écriture c'est très bien mais ATTATION :
- une fois que les gens ont réussi ils partent du forum, donc vous allez vous retrouver avec des pairs qui vont vous tirer sur le côté plutôt que des mentors qui vont vous tirer vers le haut ;
- résistez à l'attrait communautaire et mettez une distance entre vous et le forum sinon vous vous réveillerez dans cinq ans modérateur, adoré de tous les membres réguliers, et vous n'aurez pas écrit une seule ligne de votre roman."

Comme quoi. Les fora. C'est vraiment dangereux.

Oui.

@now@n a écrit:

ATTATION : (...)
résistez à l'attrait communautaire et mettez une distance entre vous et le forum sinon vous vous réveillerez dans cinq ans modérateur

lol j'ai bien ri.

Tiens je suis en train de lire "Cher Monsieur Queneau", un cabinet des refusés de la littérature, ça vaut bien ta complainte Aomphalos !