Elle avait dit au facteur de glisser les lettres sous la porte pour ne plus avoir à ouvrir la boîte aux lettres. Elle avait bien commencé par ne plus ouvrir ces enveloppes vierges, les déchirer, les brûler. Mais à chaque fois, elle craquait. Elle lisait, elle cherchait à comprendre.
Qui ?
Quoi ?
Pourquoi ?
Elle ne comprenait pas ce qu'on lui reprochait. Les messages restaient sibyllins pour elle.
Je sais qui tu es vraiment
Elle aussi, elle savait qui elle était vraiment. Enfin, elle le pensait. Elle n'en était plus aussi certaine.
Je sais ce que tu as fait
Elle repassait tout dans sa tête. Oui, au collège, elle avait fumé en cachette. Au lycée, elle avait séché quelques cours. Elle avait menti à ses parents. Est-ce qu'on écrivait des lettres anonymes pour ça ? Ça faisait beaucoup d'arbres sacrifiés pour rien.
Elle devenait folle.
Elle finit par inquiéter. Maigre. Cernée. Soupe au lait. Et alors qu'elle était mise en arrêt, elle la vit.
La voisine. Qui ouvrait sa propre boîte aux lettres, triait son courrier, glissait la pub dans la boîte de sa voisine de droite, les enveloppes blanches dans la sienne, et repartait d'un air tranquille.
Elle partit d'un rire hystérique.

Le soleil était haut au-dessus de leur tête. On ne voyait d'ombre nulle part. Heureusement, le vent du nord rafraichissait l'atmosphère et le rendait supportable, puisque le premier point d'eau était encore à des dizaines de kilomètres.
Il secoua la tête, fut parcouru d'un frisson, et se remit en marche, entraînant les autres dans son sillage. Dans ces étendues vertes à l'herbe encore grasse, le seul repère était la chaîne de pics aux neiges éternelles. C'était d'ailleurs grâce à elles que le vent était frais. Il sentait la glace, même en plein été.
Au loin, un troupeau de bisons paissait tranquillement. Ils ne leur accordèrent pas un regard. Ils n'étaient pas des chasseurs, et leur gabarit ne pouvait pas les menacer.
Le vent leur apporta le cri d'un rapace en plus du bruissement de la prairie. Une odeur de fumée, également. Serait-ce un camp indien ? Une autre caravane ? Ils ne pouvaient le savoir. Il valait mieux en rester éloigné.
Une courte pause leur permit de se restaurer, mais ils repartirent bien vite. Déjà, le soleil baissait. Alors même si dans ces terres infinies le crépuscule pouvait durer des heures, ils devaient atteindre la piste pour la nuit. Les abords en seraient moins dangereux dans l'obscurité.
La rivière ne serait plus très loin, ensuite. Ils pourraient boire, se reposer et traverser à gué avant les prochaines pluies.
Il le sentait dans l'air que le changement de saison approchait. Une humidité, une excitation. La plaine serait bientôt balayée de tempêtes qui ne feraient que passer puisque rien ne les retenait ici, mais qui compliqueraient les déplacements. Il fallait passer la rivière et aller encore vers l'Ouest.
Les pluies freineraient pour un temps l'avancée des bipèdes.

Il était tard, déjà. Ou tôt, puisque visiblement puisque les gens prenaient encore du café et pas de l'alcool. Elle se frotta le visage, écartant des mèches de cheveux dans le désordre, et jeta un coup d'oeil par la fenêtre ouverte. Sans lever la tête, elle aperçut entre les persiennes dont la peinture s'écaillait le haut à fronton du bâtiment d'en face dont les fausses moulures en plâtre s'écaillaient aussi et le ciel bleu où les nuages s'écaillaient également.
Elle referma lourdement les yeux. Il faisait trop chaud. Le ventilateur produisait plus de bruit que d'air. Méthodiquement, elle déplia le bas de sa jambe gauche. Elle sortit du drap de coton blanc, captant un léger mouvement rafraichissant. Puis son bras gauche. Son poignet, sa main trouvèrent un coin de tissu plus frais. Elle s'étira et son pied droit trouva lui aussi un peu de répit dans cette torpeur.
Si elle bougeait trop vite, elle se réveillerait. Il fallait être stratégique, puisque dormir restait la meilleure manière de faire baisser sa température. Elle bailla. Dehors les gens s'activaient. C'était fatigant de seulement les entendre.
Et bercée par ces klaxons, ces voix et le ronronnement du ventilateur, elle termina sa grasse matinée.

Des doigts expérimentés, au bout légèrement calleux. Des mains qui ne tremblent pas, soignées. C'est autant un outil de travail qu'une carte de visite. Elles polissent. Ajustent. Règlent. Clippent. Remontent. Assemblent. Et gravent. Nettoient. Scellent l'écrin.

Des mains jeunes, couvertes de craie et d'encre. L'odeur du papier. Un geste nerveux, presque un tic. On sort, on ouvre, on ferme, on range. On recommence. On nettoie le verre avec un bout de costume. On remonte souvent, pour avoir l'heure exacte.

Des mains glacées, boueuses. Des ongles sales. Les mêmes, mais si différentes. Le verre a été endommagé. Le fermoir bute un peu. Les mains fines tremblent. Elles sont coupées. Rêches. On ouvre et on referme moins, mais le tic est compulsif. Tac. On secoue. Des fois, un rouage saute.

Plus de main pendant longtemps. La boue. La neige.

Des mains jeunes. De femme. Des mains très vieilles. On transmet. On caresse la gravure. Le verre ébréché. On teste le remontoir. Les ongles sont vernis. Ils s'écorchent un peu, mais gagnent face au temps. Tic. Tac. C'est aléatoire. Mais c'est là.

Tout est rouge et noir, mais tout a encore l'air calme. Les seuls signes, de légers tremblements, n'alertent personne aux alentours. Les gens vaquent à leurs occupations, les enfants courent dans les ruelles.
C'est le début de l'automne, mais le temps est aussi chaud qu'en été et l'air marin n'adoucit pas la température. Ça bouillonne. Il y a de plus en plus de rouge et de moins en moins de noir.
Ici on livre du vin. Là, on grignote un morceau de pain plat avec une soupe de lentilles, presque à même la rue. Un personnage important en salue un autre et tente encore une fois de le rallier à son camp pour les prochaines élections. Des ouvriers enduisent un mur endommagé.
Il reste des vestiges de la dernière fois, mais beaucoup n'habitaient pas la ville. Les grondements ne les affolent pas. La pression monte. Certains ce soir ne s'endormiront même pas.
Pompéi va mourir. Mais pour l'instant, Pompéi vit.

Elle aime les ambiances, les rituels. Elle aime que tout s'accorde. Elle aime s'harmoniser avec l'univers.
Un plaid, un fauteuil, un chocolat chaud à la cannelle, un film de Noël, un pull, des grosses chaussettes, de la buée sur les vitres. C'est à ça que décembre doit ressembler.
Des bottes. Un imperméable. Des collants en laine torsadée. Une robe verte. Une poêlée de champignons et de la crème de marrons. On est en octobre.
Un grand chapeau de paille. Une jupe vaporeuse. Un thé glacé. Des lunettes de soleil. Un roman feel-good. Un verre en terrasse. Il faut profiter d'août.
Elle vit sa vie comme dans les films. Elle prend les idées qu'elle voit sur les réseaux. Elle est toujours dans les thèmes qu'il faut au moment où il le faut. C'est son équilibre. Elle profite à fond de chaque moment, tire les meilleures choses de chaque situation.
Mais voilà. Nous sommes en mai, et il n'a pas arrêté de pleuvoir.

Le monde se déclinait en noir et blanc, avec quelques nuances de gris pour le relief.
La terre était friable, charbonneuse. De rares troncs, qui n'étaient guère plus que des piquets à présent, dressaient des pierres tombales dans l'horizon. S'ils étaient encore là, c'est que les arbres devaient jadis être des géants.
La capsule sortit du tunnel sans rien déranger. Le vent aurait pu caresser sa peau si l'air avait été respirable, mais il brûlerait ses poumons, ses sinus et sa gorge à la première inspiration. Il consulta le gadget à son poignet, et partit vers l'ouest, vers sa balise.
L'appareil tout terrain s'était immobilisé un peu plus loin. Malgré sa carlingue renforcée, la corrosion gagnait toutes les pièces articulées. Il commença son travail, un genou sur le sol.
Au-dessus de lui, des nuages plus gris s'amoncelaient. Son scaphandre pouvait lui permettre de s'échapper, mais pas de rester à bricoler. D'autant que, psychologiquement, son tibia au contact de la terre commençait à le démanger.
Mais sa mission était importante. Un jour peut-être, les pluies seraient moins acides. Après tout, la Terre était déjà passée par là.

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Lola s’échauffait dans l’immense brouhaha des gradins, des sifflets des arbitres, des contestations des sauteurs, des poids s’écrasant dans l’herbe tiède, des javelots poignardant la terre, des corps des perchistes retombant sur les matelas bleus. Mille mètres à plat. Moins de trois minutes d’effort. Une éternité ! Avec gourmandise, Lola attendait le départ, impatiente de se lancer sur cette piste. De vaincre.

Le premier tour est toujours sans histoire. La lièvre (la femelle du lièvre c'est la hase, même si je comprends que pour toi l'image est plus parlante avec le lièvre qu'on associe à la vitesse, mais tu peux peut-être trouver son penchant aussi imagé et plus féminin) caracolait cheveux aux vents. Une grande fille à la peau laiteuse, couverte de taches de rousseur, sur les épaules, les mollets, le haut du dos. Lola se cachait dans sa trace. La petite brune trapue, à ses côtés, la surveillait du coin de l’œil. Le peloton, juste derrière, battait la mesure, de ses dix mille pieds (c'est une figure d'exagération ? Je la trouve incongrue dans un stade d'athlétisme, il n'y a pas cinq mille personnes derrière Lola, si ?) frappant la piste en rythme sauvage.

Le deuxième tour fait parfois des ravages. Lola eut juste le temps de s’écarter un peu pour laisser passer les taches de rousseur qui s’effondraient. Déjà ? eut-elle le temps de penser. La brunette restait à côté d’elle. Une blonde les rattrapait. Une course à trois. Le peloton résonnait au loin. Il devenait murmure. La cloche. Le dernier demi-tour.

Une longue mélopée s’évapora (pour moi s'évaporer a un sens plus "évanescent", je ne suis pas sûre que ce soit l'effet que tu recherches) alors des travées du stade.

Un chant nouveau, qu’elle n’avait jamais entendu. Les mêmes mots, qu’elle ne comprit pas tout de suite. Des mots inconnus, dont elle ne savait pas qu’ils lui étaient destinés :

Lo ! La ! Lo ! La ! Lo ! La! Lo! La! Lo! La! Lo! La! Lo! La! Lo! La!

Tout le stade s’était mis à chanter, pour la régionale de la course (confus). Cent mètres, encore. Chaque cri emportait ses semelles, qui s’envolaient au-dessus de la piste. La brune avait disparu.

Cinquante mètres. Lo ! La ! Lo ! La ! Lo ! La! Lo! La blonde luttait contre l’air qui fuyait ses poumons. Le corps cassé, elle s’accrochait à ses bras. Lola suivait. (là pour moi c'est peu clair : la blonde l'a dépassée ? On en était resté au fait qu'elle rattrapait Lola et la brune, comme tu précises au-dessus que cette dernière a disparu, tu peux peut-être ramener la blonde quelque part ?)
Trente mètres. La ! Lo ! La ! Lo ! La ! Elle pouvait la rattraper. Elle en était sûre.

Quinze mètres. Lo ! La ! Lo ! Un dernier saut. Lola croisa le regard bleu de l’autre, un regard de détresse, un regard perdu, un regard qui disparaît, dans l’affaissement du corps, quand l’ultime foulée manque juste d’un peu de force pour s’arracher de la terre.
Dernier mètre. La ! Le fil rouge qui explose.

Lola levait les bras dans le ciel bleu.