Il ne devait pas être beaucoup plus tard que huit heures, mais le hall de l’hôtel était désert quand je descendis prendre mon petit-déjeuner. En l’absence du professeur, Martin avait dû se rendre au camp plus tôt que d’habitude, sans doute pour s’assurer que tout était en ordre avant de lancer les équipes d’ouvriers sur les chantiers du jour. À moins qu’il n’ait dormi dans la tente du professeur, même si je l’imaginais mal endurer l’inconfort du lit de camp alors que sa chambre était distante d'à peine quelques centaines de mètres. Et puis, je pouvais comprendre sa réticence à occuper la tente du professeur.
La porte qui donnait sur la modeste cuisine de l’hôtel s’ouvrit, livrant le passage à Dagobert.
« Salam ! me lança-t-il avec son habituel sourire en tranche de courge. Vous êtes rentrée tard, cette nuit ! »
Il portait un plateau avec assez de pain sans levain et de fromage de brebis pour nourrir une famille nombreuse. Un pichet de jus d’orange frais trônait au milieu, rempli à ras-bord. Il posa le tout alors même que je m’asseyais près de la fenêtre.
« Shoukran ! J’ai passé la soirée à Lattaquié. J’avais emprunté la voiture de… »
Ma main s’immobilisa au-dessus de la corbeille de pain.
La voiture de Martin !
« Madame ? s’inquiéta Dagobert.
— Hein ? Oh, Martin m’a prêté son 4x4 de location, bafouillai-je.
— Il n’a même pas pris le temps de prendre un petit-déjeuner. Ça me fait penser, madame : le professeur a appelé ici hier soir, pas très longtemps avant que vous ne rentriez.
— Qu’a-t-il dit ?
— Oh, je me garderais bien d’espionner les conversations qui ne me regardent pas ! » Ce qui ne l’empêcha pas de poursuivre à voix basse — alors même qu’il n’y avait que nous deux dans tout l’hôtel. « … Mais Martin avait l’air passablement énervé. Il n’arrêtait pas répéter que c’était une mauvaise idée…
— Qu’est-ce qui était une mauvaise idée ?
— Ah, ça, j’aurais bien voulu le savoir. Toujours est-il que le professeur rentre demain.
— Enfin ! »