Ce mec, cette page blanche, n'en était pas une. C'est la découverte du siècle, j'enfonce une porte ouverte mais je l'ai fait avec style, à la pelleteuse mécanique, le modèle mine australienne capable de remplir un vingt-quatre tonnes à chaque godet. Parce que oui, le droit à l'erreur s'applique et se refuse à l'envi, en fonction des humeurs et des désirs, ce besoin d'injustice et de tolérance que j'évoquais est d'une puissance terrible. Même l'absence de choix n'en est pas une, c'est déjà un choix. Je ne sais pas si cela vous donne une idée de la puissance mise en œuvre dans l'ouverture de porte déjà ouvertes.
Je l'ai rencontré à nouveau, pile au même endroit, deux mois et demi plus tard, sur la pelouse hors de l'appartement de mon amie, une clope, je l'ai taxé et il n'a pas bronché. J'avais un fardeau à poser.
—Désolé pour la dernière fois, ais-je fait.
—Ne le sois pas...
Putain que je déteste que l'on me dise quoi faire, surtout quand c'est un mec qui se pose en référent. Mais bon, mon fardeau était bien mieux sur l'herbe que sur mes épaules. Tout au moins voulais-je profiter de ma légèreté pendant quelques minutes.
—...cela m'a permis de mieux te connaître. Et finalement, j'ai surtout regretté de ne pas t'avoir rendu la pareille.
—Je ne suis pas sûre d'avoir envie d'entendre la suite, ais-je minaudé.
Oui, j'ai minaudé et je m'en suis rendu compte une seconde après que mes lèvres se soient de nouveau closes. J'ai vérifié le niveau de mon verre, un sourcil baissé dans la plus pure expression soupçonneuse, cherchant façon Sherlock la raison de mon soudain excès de coquetterie.
—Tu as beaucoup de courage d'afficher ainsi tes convictions.
—Mince, voilà que tu recommences à m'endormir. Tu fais quoi dans la vie ?
—J'écris...
—C'est marrant ça parce qu'à ta façon de remplir le vide avec du néant je pensais que t'écrivais les discours du président.
—Fous-toi de moi, a-t-il répondu en souriant. Tu devrais lire ce que j'écris et tenter de l'imaginer dans la bouche du président, ce serait drôle.
—T'as quelque chose sous la main ?
—Tiens...
Il m'a tendu une feuille de bloc note crade avec des coins recroquevillés et brunis par du café séché. Et j'ai lu, au début en prenant une voix forte et convaincue de président puis avec ma propre voix parce qu'elle convenait mieux.
Cristal, de glace et d'azur mêlés
Sous ton ventre, opale et fumée
Se frôle, se caresse, paisible chaleur
Chairs et pensées, battements de cœur
Un peu de vent, un mince et frêle filet
S'immisce pudiquement entre tes lèvres descellées
Ma main sur ton corps, bombé de vie et d'eau
Au faîte de ta maternité goûte un juste repos
Sous ton mince manteau, ma bien-aimé
Songe un enfant, par notre amour bercé