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 [Auteur] Friedrich Nietzsche

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j'ouvre un topic sur friedrich nietzsche en vous partageant une traduction d'un petit texte écrit par sa sœur, que j'ai faite il y a longtemps à partir d'une traduction anglaise : https://opensiuc.lib.siu.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=3431&context=ocj
il s'agit donc d'une "traduction de traduction" ! on connaît tous la mauvaise réputation de sa sœur, mais pour avoir bien lu nietzsche, je peux dire que ce qu'elle dit ici ne paraît pas prendre d'un mauvais biais la philosophie de son frère

elisabeth förster-nietzsche a écrit:
Le distingué philologue Friedrich Ritschl a dit un jour à mon frère : « Nous, les intellectuels allemands, avons toujours eu une affection authentique pour la France, mais c’est une affection malheureuse et qui restera telle. Étant ce que nous sommes, les Français ne nous comprendront jamais, et ne retourneront jamais nos sentiments. Malgré les affreuses calomnies écrites à notre propos en France [Ritschl fait ici référence à la campagne de presse durant la guerre franco-prussienne] les Allemands de la classe des intellectuels retiendront leur amour pour la France, bien que la nation allemande dans son ensemble continuera de considérer la France comme sa plus grande ennemie. »
Mon frère était de ces francomaniaques littéraires tombés sous le charme des belles lettres[1] françaises et de leur littérature philosophique du 18e et du 19e siècles, et il était si fortement imprégné de l’esprit français que ses propres concepts philosophiques, d’après Ritschl, étaient comme « les écrits d’un romancier français ».
L’un des rêves les plus chers rêves de mon frère était de faire un long séjour à Paris avec son ami Rohde, et voici un plaisant passage dans l’une de ses lettres faisant référence à ce projet. Il écrit : « je puis m’imaginer quelques flâneurs[2] philosophes avec des regards sérieux et des lèvres souriantes, se promenant à travers les boulevards et devenant des personnages célèbres des musées et des librairies, à la Closerie des Lilas et dans les frais recoins de Notre-Dame ».
Mais rien ne se concrétisa de ce projet, puisque Nietzsche avait à peine fini ses études quand il fut appelé à la faculté de l’Université de Bâle (1869) et il était toujours là-bas quand la guerre vint détruire d’un seul coup brusque toutes ses affinités francophiles.
Mon frère était un patriote passionné, et Richard Wagner le comparait volontiers à la fameuse Brigade Lützow de 1813. Il était déterminé à rejoindre les rangs de l’armée allemande comme volontaire et, à cette fin, il présenta une demande au gouvernement suisse. Mais afin de préserver la stricte neutralité de cette nation, le gouvernement suisse accepta d’accorder une permission aux professeurs allemands à son emploi à la seule condition qu’ils ne s’engageassent pour un service actif.
Très attristé de ne pouvoir rejoindre les rangs actifs, Nietzsche vint à Erlangen pour recevoir une formation d’ambulancier. Là-bas, il écrivit à notre mère : « notre civilisation nationale est en jeu, et aucun sacrifice ne serait assez grand pour la défendre. Ces maudits tigres français !... » Et après avoir appris ce qu’était réellement la guerre il écrivit : « Il existe bien quelque chose comme le courage, un courage allemand authentique, qui est une qualité essentiellement différente de l’élan[3] de nos pitoyables voisins. » Son sentiment d’hostilité contre la France fut accru par certaines pratiques cruelles dont il apprit connaissance durant son travail comme ambulancier. Ces expériences furent probablement de terribles expériences, comme il réclama toujours à ses amis de ne pas l’interroger à ce propos. Mais il vint éventuellement à la conclusion qu’un pays tout entier ne devait pas être tenu responsable des faits de quelques individus cruels et sanguins. Progressivement, ses sympathies revinrent à sa première amour, la France, tandis qu’il observait avec un scepticisme grandissant la nouvelle Allemagne, et il soupirait après les jours où l’Allemagne n’était pas encore politiquement unie et pour ses vertus d’alors.
Dans une de ses lettres de cette époque il tint que « l’Allemand est merveilleux comme soldat et très digne d’admiration en tant qu’universitaire ou scientifique, mais en dehors de cela il n’est que modérément admirable. »
À peu près à ce moment, un esprit d’autocélébration littéraire, point justifié du tout par les circonstances, vint au jour en Allemagne, et tandis que Nietzsche comprenait la culture comme l’unité du style artistique dans toutes les manifestations de la vie nationale, il croyait que ceci ne pouvait être trouvé qu’en France où la tradition et l’esprit national se conjuguaient pour produire pareilles conditions.
Je n’aimerais pas causer quelque malentendu sur ce point ; ce n’était pas la France du 19e siècle que mon frère célébrait, comme il parla toujours avec indignation de la « clameur démocratique » de la France moderne. C’était plutôt la France du 16e et du 17e siècles, son profond génie passionné, son ingéniosité littéraire raffinée, qui commandait son admiration. Il adorait Montaigne, duquel il dit un jour « qu’un tel homme ait vécu et écrit, peut seulement augmenter notre désir de vivre et de travail ». S’il tenait Montaigne pour le fondateur, en un certain sens, de l’aristocratie intellectuelle française, Pascal lui était l’incarnation des passionnées et profondes forces de son siècle. Il disait souvent qu’il appréciait Pascal comme un frère, et qu’il se sentait comme son camarade en esprit. Voltaire, qu’il appelait toujours un « grand-seigneur[4] de l’intellect », il le célébrait comme le dernier grand dramaturge. C’était à Voltaire que la première édition de Menschliches, Allzumenschliches fut dédiée. Il est nécessaire d’ajouter, cependant, que cette dédicace fut causée par le centième anniversaire de la mort de Voltaire, et non par quelque grande affection que mon frère entretînt vis-à-vis de lui. Une lettre écrite en juin 1878 contient un passage qui jette la lumière sur une profonde et tragique intention que Nietzsche attribua à sa dédicace :
« Pour moi il y a toujours eu une terrible signification dans le destin de cet homme, à propos duquel, même cent ans plus tard, il est toujours impossible d’être neutre ; c’est à l’endroit des émancipateurs de l’intellect que le monde est implacable dans sa haine et le plus indifférencié dans son amour. »
Nietzsche insistait souvent que les « idées modernes françaises » du 18e siècle était d’origine anglaise, et les tenait pour des perversions totales de l’intellect français et ses intuitions. Il fut toujours hostile à Rousseau, bien que dans sa jeunesse il fut un admirateur passionné de cette image de l’humanité oppressée ébauchée par cet écrivain français. « Dans tous les soulèvements socialistes, il y a l’homme Rousseau qui se meut telles les forces cachées et emprisonnées sous l’Etna. Quand, oppressé et à moitié écrasé par l’esprit de caste arrogant et par la richesse sans pitié du monde, perverti par le sacerdoce et humilié par les ridicules lois de la bienséance établies par la convention – l’homme se tourne devers la nature dans ce moment de nécessité, il réalise soudainement qu’elle est autant éloignée qu’un dieu épicurien. C’est parce que l’homme lui-même a plongé si profondément dans le chaos d’un monde artificiel que ses prières n’atteignent plus le sanctuaire de la nature. »
Plus tard dans sa vie mon frère conçut une grande antipathie à l’égard de Rousseau, ainsi qu’il le dit : « Rousseau reste le plébéien qui éleva la cause vulgus à la dignité de la déesse de la Justice. » Il crut aussi que ce fut Rousseau qui sema les graines de la Révolution française, par quoi il détruisit la vieille aristocratie de France.
Malgré l’horreur qu’éprouvait mon frère pour la grande Révolution française, il entretenait la plus vive admiration pour Napoléon qui, disait-il, restaura sa foi dans le grand pouvoir de l’individu, c’est-à-dire, dans sa propre doctrine de l’Herrenmoral. Il insistait toujours sur le fait que Napoléon fut non pas Français mais Corse, et parlait de lui comme « le condottiere tel le génie en le grand style ». Ainsi que Napoléon, Nietzsche avait en grande aversion Madame de Staël, qu’il jugeait pour être « une femme sans sexe, qui eut l’audace de recommander, tels d’autres gentils imbéciles de bonne volonté, l’Allemagne aux sympathies de l’Europe ». Nietzsche lui-même pouvait être très sévère dans ses critiques de l’Allemagne et des Allemands, mais il explosait d’indignation quand de pareilles critiques étaient émises de bouches étrangères.
Indépendamment des transitions politiques de la République à l’Empire et de l’Empire à la République, la France du 19e siècle lui était antipathique, mais il fut assez ouvert d’esprit pour admettre que l’intellect français s’approfondit après la guerre de 1870-71. « La France est toujours le siège de la culture intellectuelle et la grande école en matière de goût littéraire, mais l’on doit savoir où regarder pour déceler ces qualités. Ceux qui appartiennent à cette France se tiennent à distance ; ils sont peu nombreux, et parmi eux il y a des personnes qui sont instables sur leurs jambes – les fatalistes, les âmes lugubres, les esprits malades, fragiles et hypersensibles, qui ressentent le besoin de bouder la lumière brillante du monde quotidien. Mais un de leurs dénominateurs communs, c’est cette capacité de fermer leurs oreilles à la stupidité insane et à la jacasserie bruyante de la bourgeoisie démocratique. »
Seule une poignée de Français, alors considérés comme des maîtres à penser, excitait l’admiration de Nietzsche : il jugeait Renan comme « un bonbon sucré » ; Sainte-Beuve était « un poète déçu qui dégageait un ‘‘flaire d’âmes’’, et qui était que trop heureux de cacher au monde le fait qu’il ne possédait une volonté stable non plus qu’une philosophie – et manquait in artibus et litteris, ce qui n’est point surprenant eu égard aux lacunes susmentionnées » ; pour Victor Hugo il forgea la phrase « le Phare debout sur la côte de l’océan de l’insensé » ; George Sand était la lactea ubertas, la vache laitière à l’âme magnifique[5] ; les frères de Goncourt étaient « les deux Ajax en guerre contre Homère, mis en musique par Offenbach » ; « la joie dans les odeurs du mal » était l’aphorisme qu’il utilisait pour Zola.
Dans son jugement à l’égard de Flaubert et de Baudelaire, Nietzsche était plus indulgent. « Flaubert, grâce à la force de son caractère, a été capable d’endurer le manque de succès et la solitude (qualités inhabituelles parmi les Français) et occupe une place prééminente dans le champ de l’esthétique romantique et du style. » Sur Baudelaire, le pessimiste, Nietzsche écrivait : « Il appartient à cette espèce quasi incroyable d’amphibiens, qui est également allemande et parisienne en esprit ; il y a quelque chose dans sa poésie qui en Allemagne est appelée ‘‘sentiment’’ ou ‘‘mélodie infinie’’, nous l’appelons parfois le ‘‘le blues moral’’ [Katzenjammer] en une phraséologie moins heureuse ; du reste, Baudelaire a une esthétique très résolue, si ce n’est quelque peu décadente, avec laquelle il tyrannise les esprits indécis de notre temps. » Mérimée fut caractérisé comme une « nature authentique, voire particulièrement riche, vivant dans un environnement d’artifice, assez optimiste pour prendre part à cette comédie sans être nauséeuse. »
Mon frère a toujours entretenu la plus grande déférence à l’endroit de Taine, lequel il tenait pour le plus avancé des historiens de l’Europe, un érudit dont le courage et la volonté de puissance ne faillit jamais devant l’avidité fataliste d’apprentissage.
Avec l’exception de Brandes, Taine était le seul érudit européen notable qui écrivit des mots de reconnaissance et d’appréciation à mon frère ; je suis toujours émue quand je lis les passages suivants dans le carnet de mon frère, qui sans aucun doute se réfère à Taine bien que son nom ne soit pas mentionné : « Il existe vraiment en France, au moment présent, une intelligence et une appréciation de ces rares âmes aussi rarement satisfaites, dont la compréhension de la vie est trop ample pour admettre quelque mesquin patriotisme, mais qui comprennent comment aimer le sud quoiqu’elles soient du nord ou comment aimer le nord bien qu’elles s’originent du sud. »
À l’endroit d’autres historiens français, mon frère était davantage critique, leur reprochant d’avoir voulu toiser des géants en se frayant une voie pour laquelle ils n’étaient pas dignes. « Par exemple, quel rapport un tel plébéien dégoulinant comme Michelet a avec Napoléon, indépendamment du fait qu’il l’appréciât ou qu’il l’aimât ? Le simple fait qu’il crie et fulmine est suffisant pour lui interdire la compagnie d’un Napoléon. » Et puis : « Qu’a à voir le médiocre et élégant Thiers avec ledit Napoléon ? Il produit un rire, ce petit homme, quand avec le geste du juge avisé, il admire Napoléon et le compare avec César, Hannibal et Frédéric le Grand… Personnellement, je considère davantage un historien qui a le courage d’admettre que certaines places sont trop sacrées pour lui. »
On trouvera que mon frère eut un panel d’affinités large pour la littérature française moderne. Peu avant sa dernière maladie, il parlait avec moi des écrivains français qu’il appréciait. Parmi eux étaient Paul Bourget, Pierre Loti, Gyp, Meilhac, Anatole France, Jules Lemaître et Guy de Maupassant, lequel appartenait « aux Latins affirmés pour lequel j’éprouve un intérêt particulier ». Jusqu’au jour de sa paralysie mentale, Nietzsche retournait chaque fois aux livres français de ses moments de loisir, disant qu’il trouvait du réconfort dans ce sens profond du style conjugué à la « grâce du sain[6] » [Grazie der Nüchternheit]. Il ne pouvait trouver les mots pour célébrer la psychologie des intellectuels français, et considérait les psychologues allemands incapables d’atteindre de tels niveaux. Il dit une fois avec une ironie relative : « Deux siècles de psychologie et de discipline artistique, chers messieurs d’Allemagne. Mais vous ne les rattraperez pas ! » Eût-il pu constater l’évolution de la psychologie allemande de ces vingt dernières années, il se serait très probablement ravisé.
Après que je fus mariée et partie au Paraguay, il m’écrivit : « Maintenant que toi et Gersdorff [l’un de ses meilleurs amis] êtes partis en me laissant seul, je trouve mon unique plaisir dans les livres français. Au total, je reste avec mes vieux amis que nous avons autrefois appréciés ensemble ; seules quelques nouvelles connaissances sont venues s’ajouter à la liste, parmi lesquelles Galiani et Taine, que tu apprécieras seulement après être devenue une vieille femme sceptique. »
Les cercles littéraires français, d’autre part, ont montré un intérêt souligné pour Nietzsche et, aux environs de 1905, ses œuvres complètes parurent dans leur traduction française. Néanmoins, il est très déplorable que les admirateurs de mon frère en France n’aient pas entrepris des examens critiques à l’égard de l’édition française, puisqu’ils y auraient découvert que les traducteurs ont pris des libertés impardonnables avec l’esprit du texte et ont, consciemment ou inconsciemment, créé un chauvinisme injustifié de la part de mon frère dans sa comparaison de la France avec l’Allemagne. Mais comme les traducteurs ont été récompensés par l’Académie française, leur travail n’a naturellement pas été remis en question.
L’antipathie de mon frère pour l’Angleterre et les Anglais était aussi prononcée que son admiration pour les Français, malgré le fait que Shakespeare et Lord Byron étaient ses dieux littéraires durant ses années d’école qui commandèrent son allégeance toute sa vie. Le personnage de Shakespeare qu’il aimait et admirait par-dessus tout était Jules César, et seulement quelques jours avant sa paralysie mentale il écrivit : « Je ne puis trouver aucune formule de haute tenue pour Shakespeare sinon qu’il fut capable de concevoir un homme du type de César, dont de l’amitié tragique avec Brutus il dédia sa meilleure tragédie. […] L’indépendance de l’âme est ici accentuée ; si quelqu’un aime la liberté, ce quelqu’un doit être en état de sacrifier ses meilleures amitiés, cet ami fût-il le plus bel adornement de l’espèce humaine, une gloire de la société, un génie sans précédent. Aucun sacrifice ne peut être jugé trop grand si la liberté d’une grande âme est menacée par l’amitié. Shakespeare a probablement dû ressentir cela, pour ce que la manière avec laquelle il exalte César forme le plus grand hommage qu’il pût rendre à Brutus. D’abord il élève le conflit intérieur de l’âme de Brutus jusqu’au degré suprême de la tragédie, ensuite il le dépeint avec cette immense capacité d’âme par quoi il fut capable de briser les liens qui le rattachaient à César. »
Mon frère a toujours cru que dans son Jules César le poète avait placé en un témoignage des preuves étayées de quelque expérience obscure ou d’une aventure inconnue à sa propre vie, et si je me le rappelle bien, c’était justement cette tragédie qui conforta mon frère en sa croyance que le poète que le monde connaît sous le nom de Shakespeare n’était nul autre que Lord Bacon.
Nietzsche critiquait fréquemment le manque de modération chez Shakespeare, un point sur lequel il s’accordait avec Byron qui dit un jour : « Je considère Shakespeare comme le pire des modèles de style, nonobstant le fait qu’il fut un poète extraordinaire. »
Dans l’esprit de mon frère, Byron manquait seulement de trente ans d’expérience pour devenir le plus grand des dramaturges modernes. Comme Goethe, il admirait l’audace et la grandeur de la vie et des œuvres de Byron, trouvant dans Manfred la perspective philosophique la plus proche de la sienne. C’était dans ses précoces rhapsodies byroniennes que Nietzsche fit le premier usage du terme « surhomme » (un mot appartenant à Goethe par ordre de priorité) qui indique la signification originale que Nietzsche attachait à ce mot très interprété.
Un autre de ses premiers favoris était Sir Walter Scott, lequel il appelait l’« Homère anglais », en raison de ses descriptions pleines d’esprit du passé anglais, et sa tendance à glorifier les valeureux exploits et les faits héroïques de ses compatriotes. Au fil du temps j’ai lu à haute voix à mon frère seize des nouvelles de Waverley, en plus d’autres œuvres de Thackeray, Dickens et George Eliot, mais il ne fut jamais transporté par les images de la vie anglaises ainsi dépeintes. Nietzsche ressentait constamment une note discordante dans le caractère national des Anglais, et trouvait déplaisant leur lourdeur intellectuelle, l’insincérité religieuse, et le déficit d’authentiques perceptions artistiques. Il répétait souvent que les Anglais n’avaient aucune musique dans l’âme, et se plaignait que « les Anglais les plus cultivés manquaient totalement de rythme, autant dans les vibrations de leurs âmes et que dans leurs gestes physiques. »
Je ne me puis me rappeler d’avoir entendu mon frère s’accorder avec les sentiments anglais sur aucun sujet quel qu’il soit ; la seule chose suscitant son admiration était la reconnaissance que les érudits anglais s’accordaient les uns les autres bien qu’ils fussent d’opinions diamétralement opposées. Il tenait en haute estime cette expression exemplaire de bonne volonté et d’ouverture d’esprit qu’il trouvait unique. Si je devais spécifier un trait des qualités que Nietzsche abhorrait dans le caractère anglais, ce serait probablement la langue de bois, qu’il désignait souvent comme le vice congénital de l’Angleterre. Il trouvait cette langue creuse même dans les écrits des philosophes anglais, et malgré sa bonne opinion d’hommes tels que Darwin, John Stuart Mill, et Herbert Spencer, il ne pouvait que maladroitement cacher son aversion pour ce qu’il appelait l’esprit utilitaire des Anglais et leur grande absence d’idéaux.
Il ne considérait pas les Anglais comme une race de philosophes, et bien qu’il eut des mots d’appréciation sincère à l’endroit de Locke et de Hume, au point de leur accorder certains points contre Kant, son estime de la philosophie anglaise au total pourrait être synthétisée dans ce qu’il dit une fois de Carlyle : « Ce qui manque et ce qui manquera toujours en Angleterre, ce demi-acteur et rhéteur farfelu de Carlyle le sait très bien. Par le truchement de gestes passionnés et de grimaces il entreprit de masquer au monde ce qu’il réalisait comme sa propre lacune, soit, un manque authentique de profondeur quant à la pénétration intellectuelle – en d’autres termes, de philosophie. »
Nietzsche craignait que l’influence de la philosophie anglaise avec ses tendances plébéiennes et de médiocrité intellectuelle – comme il le disait : « l’influence de la petitesse d’esprit de l’Angleterre [Kleingeisterei] » – puisse un jour devenir un réel danger pour l’ensemble de l’Europe. « Chacun ne devrait pas perdre de vue », écrivait-il, « que l’Angleterre utilitaire a déjà abaissé l’intellect de l’Europe, en fait la réduit jusqu’à son étiage ».
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[1] En français dans le texte.
[2] Idem.
[3] Idem.
[4] Idem.
[5] Je pense que la sœur de Nietzsche s’est trompée (NdT).
[6] Saneness en anglais.
 

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