N'ayant vu aucun sujet traitant de Carrère, je me permets d'en ouvrir un.
Pour une présentation rapide, il s'agit d'un écrivain français plutôt en vue depuis le succès de son roman La Moustache (1986) et de son récit L'Adversaire (2000). Sa bibliographie se divise en deux moments: il y a d'abord les romans à proprement parler, de 1983 à 1995, puis les récits appartenant plutôt au genre de la non-fiction ou de l'autofiction. L'auteur s'y met en scène sans se cacher et retranscrit des événements réels. Pour précision, j'aurais tendance à être un détracteur de l'auto-fiction, qui m'apparaît dans sa généralisation comme un genre paresseux et franchement limité; mais quand c'est Carrère qui s'y colle, le fait est que je suis assez incapable de me décoller de la page.
Parce que voilà: Carrère sait raconter. Sa voix se reconnaît tout de suite, et je ne crois pas avoir lu d'autres auteurs dont chaque phrase paraît à ce point infusée de sens. Il n'y a pas d'ornements, de tintements de breloques stylistiques. Ces livres sont le royaume d'une conscience analytique qui se dévoile en parfaite proportion, assez complexe pour donner à chaque aspect du récit le relief qu'il mérite et assez attentive pour ne pas s'étaler inutilement. C'est aussi une conscience réflexive, qui ne s'oublie jamais elle-même et traque ses propres biais.
Pour ce qui est des thèmes abordés, Carrère a un gros faible pour le traitement de la folie (ou plutôt des illusions de la raison) qui se retrouve principalement présent dans sa période "romans" ainsi que dans certains de ses récits postérieurs (notamment dans L'Adversaire qui dissèque l'affaire Jean-Claude Romand). Il faut savoir que c'est aussi un dingue de Philip K.Dick, dont il a écrit une excellente biographie (intitulée Je suis vivant et vous êtes morts), et qu'il est très porté sur les genres fantastique et horrifique.
Je précise une dernière chose, c'est que Carrère est extrêmement bien né (famille fortunée, mère secrétaire perpétuelle de l'Académie Française, sœur présentatrice télé, on est chez les ultra-privilégiés) et que son œuvre entière ou presque est traversée par une conscience de classe bourgeoise dont il faut s'accommoder. Moi je m'en fous, mais je sais que ça peut être rebutant pour certains...
Bref, si vous ne connaissez pas, je vous le recommande vivement!
Dernière édition par Cloris le Jeu 23 Mai 2019 - 13:37, édité 1 fois