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| | Les plus belles morts de personnages | |
| | Nombre de messages : 927 Âge : 35 Localisation : Paris Pensée du jour : C'est vrai, je suis responsable de ça Date d'inscription : 27/07/2010 | Hoegaarden / Bile au trésor Mar 31 Jan 2012 - 18:05 | |
| - Pasiphae a écrit:
- la mort de Solal, dans le roman de Cohen qui s'appelle Solal
Et voila, spoil énorme (en même temps j'aurai du m'en douter) dois-je continuer de le lire pour autant ? |
| | Nombre de messages : 10024 Âge : 31 Localisation : Paris Pensée du jour : nique la miette Date d'inscription : 22/06/2010 | Pasiphae / Truquage geniphasien Mar 31 Jan 2012 - 18:21 | |
| oups (le penseuravaitprévenuque) en fait je n'ai pas TELLEMENT spoilé (si peu ) tu peux continuer |
| | Nombre de messages : 2415 Âge : 37 Date d'inscription : 27/04/2011 | Go' / Fou de la reine Mar 31 Jan 2012 - 19:09 | |
| La mort de L'étranger est assez bien |
| | Nombre de messages : 993 Âge : 16 Date d'inscription : 20/12/2011 | Elouan / JE Lambda. (Cuvée 2012.) Mar 31 Jan 2012 - 19:27 | |
| Edit : GROSSE CONNERIE
Dernière édition par Cat R. Waul le Dim 3 Mar 2013 - 15:10, édité 1 fois |
| | Nombre de messages : 124 Âge : 32 Date d'inscription : 04/12/2012 | samedisoirs / Barge de Radetzky Jeu 6 Déc 2012 - 19:41 | |
| Celle de Titou dans Titou les pouces verts. C'est sérieux. Quand j'ai vu le sujet du topic, c'est ce qui m'est revenu à l'esprit d'un coup. C'est d'une poésie grave, comme j'ai pu pleurer, enfant (enfin encore plus enfant qu'aujourd'hui)... |
| | Nombre de messages : 2774 Âge : 56 Date d'inscription : 02/11/2010 | Le_conteur / Roberto Bel-Agneau Jeu 6 Déc 2012 - 19:59 | |
| Pour moi, je me rappelle un grand moment lors de la mort de Druss la légende (de D. Gemmell).
C'est tellement solennelle que la bataille s'arrête et que chaque camp se retire pour saluer la mort du héros. L’homme est une légende pour les deux peuples et pour mourir, il se range du coté des plus faibles.
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| | Nombre de messages : 627 Âge : 27 Localisation : Au pied de l'arc en ciel. Pensée du jour : Je pense donc je te suis. Date d'inscription : 23/08/2012 | Vilvavert / Hé ! Makarénine Sam 2 Mar 2013 - 22:04 | |
| La mort de Cyrano est exaltante, je crois que c'est l'un des rares personnages à l'avoir ... vécue ? ainsi ! |
| | Nombre de messages : 117 Âge : 28 Pensée du jour : "To be a rock, and not to roll" Date d'inscription : 04/02/2013 | Irrésolvable / Barge de Radetzky Sam 2 Mar 2013 - 22:52 | |
| Dom Juan !
Cat R. Waul c'est Blast, non ? J'espère que non sinon j'ai été méchamment spoilée ! |
| | Nombre de messages : 139 Âge : 31 Localisation : France Date d'inscription : 03/03/2013 | Aleksandra Pavlovna / Barge de Radetzky Dim 3 Mar 2013 - 2:11 | |
| - Tim a écrit:
- Je crois que toutes les morts des nouvelles de Roald Dahl valent le détour. Coup de gigot, etc.
Sinon, dans les adaptations cinématographiques, la mieux filmée restera la mort de Sirius dans HP5.
- Spoiler:
Non, je déconne, je crois que ça ne pouvait pas être plus mauvais.
Quoique maintenant, on a la mort version Marion Cotillard et elle vaux bien toutes les morts du monde. Une mort qui m'a touchée, c'est celle d'Iris, dans le roman "J'ai 15 ans et je ne veux pas mourir" de Christine Arnothy. (Le personnage meurt en traversant le Danube, explosée par une mine, après avoir été violée par les "libérateurs" trois pages plus tôt...). Le plus saisissant est que cette mort survient au moment où ont pense que le personnage est enfin sauvé. Notons que deux autres morts du livres sont assez touchantes aussi : celle de Pista et celle du juif dont le nom m'échappe. |
| | Nombre de messages : 228 Âge : 38 Localisation : Chengdu Date d'inscription : 17/12/2010 | PetitLu / Autostoppeur galactique Dim 3 Mar 2013 - 4:06 | |
| Jean Baptiste Grenouille dans "le parfum".
Glenn dans "Walking Dead" : pourquoi a-t-il fallut qu'il te choisisse toi pour expérimenter sa batte de base ball customisée ! Pourquoi ???? |
| | Nombre de messages : 61 Âge : 30 Date d'inscription : 04/11/2011 | Samarcande / Clochard céleste Dim 3 Mar 2013 - 4:21 | |
| Pour prendre dans un sens large "personnages", ce serait pour moi les morts de Pierre Brossolette et Fred Scamaroni qui se sont suicidés pour éviter de céder à la torture, l'un sautant du haut d'un immeuble, l'autre se déchirant la gorge avec un pauvre fil de fer. J'y admire l'acte de courage, bien sûr, mais surtout la triste clairvoyance qu'il requiert. |
| | Nombre de messages : 125 Âge : 40 Localisation : Nantes Pensée du jour : J'aurais le dernier mot. Date d'inscription : 21/11/2012 | DNDM / Barge de Radetzky Dim 3 Mar 2013 - 7:40 | |
| - archangel a écrit:
- La mort de Cyrano est exaltante, je crois que c'est l'un des rares personnages à l'avoir ... vécue ? ainsi !
+1 CYRANO, [est secoué d'un grand frisson et se lève brusquement.] Pas là ! non ! pas dans ce fauteuil ! [On veut s'élancer vers lui.] Ne me soutenez pas ! Personne ! [Il va s'adosser à l'arbre.] Rien que l'arbre ! [Silence.] Elle vient. Je me sens déjà botté de marbre, Ganté de plomb ! [Il se raidit.] Oh ! mais !... puisqu'elle est en chemin, Je l'attendrai debout, [Il tire l'épée.] et l'épée à la main ! LE BRET Cyrano ! ROXANE, [défaillante] Cyrano ! [Tous reculent épouvantés.] CYRANO Je crois qu'elle regarde... Qu'elle ose regarder mon nez, cette Camarde ! Il lève son épée. Que dites-vous ?... C'est inutile ?... Je le sais ! Mais on ne se bat pas dans l'espoir du succès ! Non ! non, c'est bien plus beau lorsque c'est inutile ! Qu'est-ce que c'est que tous ceux-là !- Vous êtes mille ? Ah ! je vous reconnais, tous mes vieux ennemis ! Le Mensonge ? [Il frappe de son épée le vide.] Tiens, tiens ! -Ha ! ha ! les Compromis, Les Préjugés, les Lâchetés !... [Il frappe.] Que je pactise ? Jamais, jamais ! -Ah ! te voilà, toi, la Sottise ! Je sais bien qu'à la fin vous me mettrez à bas ; N'importe : je me bats ! je me bats ! je me bats ! [Il fait des moulinets immenses et s'arrête haletant.] Oui, vous m'arrachez tout, le laurier et la rose ! Arrachez ! Il y a malgré vous quelque chose Que j'emporte, et ce soir, quand j'entrerai chez Dieu, Mon salut balaiera largement le seuil bleu, Quelque chose que sans un pli, sans une tache, J'emporte malgré vous, [Il s'élance l'épée haute.] et c'est... [L'épée s'échappe de ses mains, il chancelle, tombe dans les bras de Le Bret et de Ragueneau.] ROXANE, [se penchant sur lui et lui baisant le front] C'est ?... CYRANO, [rouvre les yeux, la reconnaît et dit en souriant] Mon panache. RIDEAU |
| | | Invité / Invité Dim 3 Mar 2013 - 10:11 | |
| Je vous fais une cascade de spoilers pour vous éviter le pire si vous envisagez de lire cette œuvre. Alors l'auteur : - Spoiler:
Marguerite Yourcenar. Le texte : - Spoiler:
L'Œuvre au noir. Le personnage : - Spoiler:
Zénon. Le passage en question, qui est aussi la toute fin du roman (pour les moins motivés, les deux derniers paragraphes peuvent être lus seuls. Il faut juste savoir que Zénon s'est suicidé en s'entaillant à l'aide d'une lame de rasoir dissimulée dans sa cellule. Il n'avait alors que deux choix : mourir sur le bûcher avec ses convictions, ou se rétracter. Finalement il choisit l'option numéro trois : le suicide. - Citation :
- Quand la porte de sa cellule se fut refermée sur lui à grand bruit de ferraille, Zénon pensif tira l’escabeau et s’assit devant la table. Il faisait encore grand jour, l’obscure prison des allégories alchimiques étant dans son cas une prison fort claire. À travers le réseau serré du grillage qui protégeait la croisée, une blancheur plombée montait de la cour couverte de neige. Gilles Rombaut avant de céder la place au gardien de nuit avait comme toujours laissé sur un plateau le souper du prisonnier ; il était ce soir-là encore plus copieux que d’habitude. Zénon le repoussa : il semblait absurde et quasi obscène de transformer ces aliments en chyle et en sang qu’il n’utiliserait plus. Mais il se versa distraitement quelques gorgées de bière dans un gobelet d’étain et but la liqueur amère.
Son entretien avec le chanoine avait mis fin à ce qui avait été pour lui depuis le verdict du matin la solennité de la mort. Son sort cru fixé oscillait de nouveau. L’offre qu’il avait rejetée restait valable quelques heures de plus : un Zénon capable de finir par dire oui se terrait peut-être dans un coin de sa conscience, et la nuit qui allait s’écouler pouvait donner à ce pleutre l’avantage sur soi-même. Il suffisait qu’une chance sur mille subsistât : l’avenir si court et pour lui si fatal en acquérait malgré tout un élément d’incertitude qui était la vie même, et, par une étrange dispensation qu’il avait constatée aussi au chevet de ses malades, la mort gardait ainsi une sorte de somptueuse irréalité. Tout fluctuait : tout fluctuerait jusqu’au dernier souffle. Et cependant, sa décision était prise : il le reconnaissait moins aux signes sublimes du courage et du sacrifice qu’à on ne sait quelle obtuse forme de refus qui semblait le fermer comme un bloc aux influences du dehors, et presque à la sensation elle-même. Installé dans sa propre fin, il était déjà Zénon in aeternum.
D’autre part, et placée pour ainsi dire en repli derrière la résolution de mourir, il en était une autre, plus secrète, et qu’il avait soigneusement cachée au chanoine, celle de mourir de sa propre main. Mais là aussi une immense et harassante liberté lui restait encore : il pouvait à son gré s’en tenir à cette décision ou y renoncer, faire le geste qui termine tout ou au contraire accepter cette mors ignea guère différente de l’agonie d’un alchimiste enflammant par mégarde sa longue robe aux braises de son athanor. Ce choix entre l’exécution et la fin volontaire, suspendu jusqu’au bout dans une fibrille de sa substance pensante, n’oscillait plus entre la mort et une espèce de vie, comme celui d’accepter ou de refuser de se rétracter l’avait fait, mais concernait le moyen, le lieu, et l’exact moment. À lui de décider s’il finirait sur la Grand-Place parmi les huées ou tranquillement entre ces murs gris. À lui, ensuite, de retarder ou de hâter de quelques heures l’action suprême, de choisir, s’il le voulait, de voir se lever le soleil d’un certain dix-huit février 1569, ou de finir aujourd’hui avant la nuit close. Les coudes sur les genoux, immobile, presque paisible, il regardait devant lui dans le vide. Comme au milieu d’un ouragan, quand s’établit redoutablement un calme, le temps ni l’esprit ne bougeaient plus.
La cloche de Notre-Dame sonna : il compta les coups. Brusquement, une révolution se fit : le calme cessa, emporté par l’angoisse comme par un vent tournant en cercle. Des bribes d’images se tordaient dans cette tempête, arrachées à l’autodafé d’Astorga trente-sept ans plus tôt, aux récents détails du supplice de Florian, aux rencontres fortuites avec les hideux résidus de la justice exécutive sur les carrefours de villes traversées. On eût dit que la nouvelle de ce qui allait être atteignait subitement en lui l’entendement du corps, fournissant chaque sens de leur quote-part d’horreur : il vit, sentit, flaira, entendit ce que seraient demain sur la place du Marché les incidents de sa fin. L’âme charnelle, prudemment tenue à l’écart des délibérations de l’âme raisonnable, apprenait tout à coup et du dedans ce que Zénon lui avait caché. Quelque chose en lui cassa comme une corde ; sa salive sécha ; les poils des poignets et du dos de la main se dressèrent ; il claquait des dents. Ce désordre jamais expérimenté sur lui-même l’épouvanta plus que tout le reste de sa mésaventure : pressant des deux mains ses mâchoires, respirant longuement pour freiner son cœur, il réussit à réprimer cette espèce d’émeute du corps. C’en était trop : il s’agissait d’en finir avant qu’une débâcle de sa chair ou de sa volonté l’eût rendu incapable de remédier à ses propres maux. Des risques non prévus jusque-là et qui menaçaient d’empêcher sa sortie rationnelle se présentèrent en foule à son esprit redevenu lucide. Il jeta sur sa situation le coup d’œil du chirurgien qui cherche autour de soi ses instruments et suppute ses chances.
Il était quatre heures ; son repas était servi, et on avait poussé l’obligeance jusqu’à lui laisser l’ordinaire chandelle. Le porte-clef qui l’avait verrouillé à son retour de la salle du greffe ne reparaîtrait qu’après le couvre-feu, pour ne repasser ensuite qu’à l’aube. Il semblait donc qu’il eût le choix entre deux longs intervalles durant lesquels accomplir sa tâche. Mais cette nuit différait des autres : un importun message pouvait venir de l’évêque ou du chanoine, nécessitant qu’on rouvrît la porte ; une féroce pitié installait parfois au côté du condamné un frocard quelconque ou un membre d’une Confrérie de la Bonne Mort chargé de sanctifier le mourant en le persuadant de prier. Il se pouvait aussi qu’on prévînt son intention ; on allait peut-être d’un moment à l’autre lui lier les mains. Il guetta autour de lui des grincements, des pas ; tout était calme, mais les moments étaient plus chers qu’il ne l’avaient jamais été au cours des départs forcés d’autrefois.
D’une main tremblante encore, il souleva le couvercle de l’écritoire posée sur la table. Entre deux fines planchettes qui à l’œil semblaient jointes, le trésor qu’il avait caché là s’y trouvait toujours : une lame souple et mince, longue de moins de deux pouces, qu’il avait portée d’abord dans la doublure de son pourpoint, puis transférée dans cette cachette après que l’écritoire qu’on lui avait rendue eut été dûment visitée par ses juges. Chaque jour, à vingt reprises, il s’était assuré de la présence de cet objet qu’il n’eût pas jadis daigné ramasser dans le ruisseau. Dès son appréhension dans l’officine de Saint-Cosme, puis par deux fois, après la mort de Pierre de Hamaere, et lorsque Catherine avait ramené sur le tapis la question des poisons, on l’avait fouillé à la recherche de fioles ou de dragées suspectes, et il se félicitait d’avoir par prudence renoncé à s’encombrer de ces denrées inestimables, mais détériorables ou fragiles, presque impossibles à conserver sur soi ou à dissimuler longtemps dans une cellule nue, et qui eussent immanquablement dénoncé son projet de mourir. Il y perdait le privilège d’une de ces fins foudroyantes qui sont les seules miséricordieuses, mais ce bout de rasoir soigneusement effilé lui éviterait au moins d’avoir à déchirer son linge pour former des nœuds parfois inefficaces ou de s’évertuer peut-être sans profit avec un tesson de poterie brisée.
Le passage de la peur avait bouleversé ses entrailles. Il alla au baquet placé dans un coin de la chambre et se vida. L’odeur des matières cuites et rejetées par la digestion humaine emplit un instant ses narines, lui rappelant une fois de plus les connexions intimes entre la pourriture et la vie. Ses aiguillettes furent rajustées d’une main sûre. Le broc sur la planchette était plein d’eau glacée ; il s’humecta le visage, retenant sur sa langue une gouttelette. Aqua permanens : pour lui, ce serait l’eau pour la dernière fois. Quatre pas le ramenèrent au lit sur lequel il avait dormi ou veillé soixante nuits : parmi les pensées qui traversaient vertigineusement son esprit était celle que la spirale des voyages l’avait ramené à Bruges, que Bruges s’était restreinte à l’aire d’une prison, et que la courbe s’achevait enfin sur cet étroit rectangle. Un murmure sortit derrière lui des ruines d’un passé plus dédaigné et plus aboli que les autres, la voix rauque et douce de Fray Juan parlant latin avec un accent castillan dans un cloître envahi par l’ombre : Eamus ad dormiendum, cor meum. Mais il ne s’agissait pas de dormir. Jamais il ne s’était senti de corps et d’âme plus alerte : l’économie et la rapidité de ses gestes étaient celles de ses grands moments de chirurgien. Il déplia la grossière couverture de laine, épaisse comme du feutre, et en forma à terre, le long du lit, une sorte d’auge qui retiendrait et imbiberait au moins en partie le liquide versé. Pour plus de sûreté, il ramassa sa chemise de la veille et la tordit en guise de bourrelet devant la porte. Il fallait éviter qu’une coulée sur le sol n’atteignît trop vite le corridor, et qu’ Hermann Mohr levant par hasard la tête de dessus son établi ne remarquât sur le carreau une tache noire. Sans bruit, il enleva ensuite ses chaussures. Tant de précaution n’était pas nécessaire, mais le silence semblait une sauvegarde.
Il s’étendit sur le lit, calant sa tête sur le dur oreiller. Il eut un retour vers le chanoine Campanus que cette fin remplirait d’horreur, et qui pourtant avait été le premier à lui faire lire les Anciens dont les héros périssaient de la sorte, mais cette ironie crépita à la surface de son esprit sans le distraire de son seul but. Rapidement, avec cette dextérité de chirurgien-barbier dont il s’était toujours fait gloire parmi les qualités plus prisées et plus incertaines du médecin, il se plia en deux, relevant légèrement les genoux, et coupa la veine tibiale sur la face externe du pied gauche, à l’un des endroits habituels de la saignée. Puis, très vite, redressé, et reprenant appui sur l’oreiller, se hâtant pour prévenir la syncope toujours possible, il chercha et taillada à son poignet l’artère radiale. La brève et superficielle douleur causée par la peau tranchée fut à peine perçue. Les fontaines jaillirent ; le liquide s’élança comme il le fait toujours, anxieux, eût-on dit, d’échapper aux labyrinthes obscurs où il circule enfermé. Zénon laissa pendre le bras gauche pour favoriser la coulée. La victoire n’était pas encore complète ; il pouvait se faire qu’on entrât par hasard, et qu’on le traînât demain sanglant et bandagé au bûcher. Mais chaque minute qui passait était un triomphe. Il jeta un coup d’œil sur la couverture déjà noire de sang. Il comprenait maintenant qu’une notion grossière fît de ce liquide l’âme elle-même, puisque l’âme et le sang s’échappaient ensemble. Ces antiques erreurs contenaient une vérité simple. Il songea, avec l’équivalent d’un sourire, que l’occasion était belle pour compléter ses vieilles expériences sur la systole et la diastole du cœur. Mais les connaissances acquises ne comptaient désormais pas plus que le souvenir des événements ou des créatures rencontrées ; il se rattachait pour quelques moments encore au mince fil de la personne, mais la personne délestée ne se distinguait plus de l’être. Il se redressa avec effort, non parce qu’il lui importait de le faire, mais pour se prouver que ce mouvement était encore possible. Il lui était souvent arrivé de rouvrir une porte, simplement pour attester qu’il ne l’avait pas derrière lui fermée à jamais, de se retourner vers un passant quitté pour nier la finalité d’un départ, se démontrant ainsi à soi-même sa courte liberté d’homme. Cette fois, l’irréversible était accompli.
Son cœur battait à grands coups ; une activité violente et désordonnée régnait dans son corps comme dans un pays en déroute, mais où tous les combattants n’ont pas encore mis bas les armes ; une sorte d’attendrissement le prenait pour ce corps qui l’avait bien servi, qui aurait pu vivre, à tout prendre, une vingtaine d’années de plus, et qu’il détruisait ainsi sans pouvoir lui expliquer qu’il lui épargnait de la sorte de pires et plus indignes maux. Il avait soif, mais aucun moyen d’étancher cette soif. De même que les quelque trois-quarts d’heure qui s’étaient écoulés depuis son retour dans cette chambre avaient été bondés d’une infinité presque inanalysable de pensées, de sensations, de gestes se succédant à une vitesse d’éclair, l’espace de quelques coudées qui séparait le lit de la table s’était dilaté à l’égal de celui qui s’approportionne entre les sphères : le gobelet d’étain flottait comme au fond d’un autre monde. Mais cette soif cesserait bientôt. Il avait la mort d’un de ces blessés réclamant à boire à l’orée d’un champ de bataille, et qu’il englobait avec soi dans la même froide pitié. Le sang de la veine tibiale ne coulait plus que par saccades ; péniblement, comme on soulève un poids énorme, il parvint à déplacer son pied pour le laisser pendre hors du lit. Sa main droite continuant à serrer la lame s’était légèrement coupée à son tranchant, mais il ne sentait pas la coupure. Ses doigts s’agitaient sur sa poitrine, cherchant vaguement à déboutonner le col de son pourpoint ; il s’efforça en vain de réprimer cette agitation inutile, mais ces crispations et cette angoisse étaient bon signe. Un frisson glacial le traversa comme au début d’une nausée : c’était bien ainsi. À travers les bruits de cloches, de tonnerre et de criards oiseaux regagnant leurs nids qui frappaient du dedans ses oreilles, il entendit au-dehors le son précis d’un égouttement : la couverture saturée ne retenait plus le sang qui s’écoulait sur le carreau. Il essaya de calculer le temps qu’il faudrait pour que la flaque rouge s’allongeât de l’autre côté du seuil, par-delà la frêle barrière de linge. Mais peu importait : il était sauvé. Même si par malchance Hermann Mohr ouvrait bientôt cette porte aux verrous lents à tirer, l’étonnement, la peur, la course le long des escaliers à la recherche de secours laisseraient à l’évasion le temps de s’accomplir. On ne brûlerait demain qu’un cadavre.
L’immense rumeur de la vie en fuite continuait : une fontaine à Eyoub, le ruissellement d’une source sortant de terre à Vaucluse en Languedoc, un torrent entre Ostersund et Frösö se pensèrent en lui sans qu’il eût besoin de se rappeler leurs noms. Puis, parmi tout ce bruit, il perçut un râle. Il respirait par grandes et bruyantes aspirations superficielles qui n’emplissaient plus sa poitrine ; quelqu’un qui n’était plus tout à fait lui, mais semblait placé un peu en retrait sur sa gauche, considérait avec indifférence ces convulsions d’agonie. Ainsi respire un coureur épuisé qui atteint au but. La nuit était tombée, sans qu’il pût savoir si c’était en lui ou dans la chambre : tout était nuit. La nuit aussi bougeait : les ténèbres s’écartaient pour faire place à d’autres, abîme sur abîme, épaisseur sombre sur épaisseur sombre. Mais ce noir différent de celui qu’on voit par les yeux frémissait de couleurs issues pour ainsi dire de ce qui était leur absence : le noir tournait au vert livide, puis au blanc pur ; le blanc pâle se transmutait en or rouge sans que cessât pourtant l’originelle noirceur, tout comme les feux des astres et l’aurore boréale tressaillent dans ce qui est quand même la nuit noire. Un instant qui lui sembla éternel, un globe écarlate palpita en lui ou en dehors de lui, saigna sur la mer. Comme le soleil d’été dans les régions polaires, la sphère éclatante parut hésiter, prête à descendre d’un degré vers le nadir, puis, d’un sursaut imperceptible, remonta vers le zénith, se résorba enfin dans un jour aveuglant qui était en même temps la nuit.
Il ne voyait plus, mais les bruits extérieurs l’atteignaient encore. Comme naguère à Saint-Cosme, des pas précipités résonnèrent le long du couloir : c’était le porte-clef qui venait de remarquer sur le sol une flaque noirâtre. Un moment plus tôt, une terreur eût saisi l’agonisant à l’idée d’être repris et forcé à vivre et à mourir quelques heures de plus. Mais toute angoisse avait cessé : il était libre ; cet homme qui venait à lui ne pouvait être qu’un ami. Il fit ou crut faire un effort pour se lever, sans bien savoir s’il était secouru ou si au contraire il portait secours. Le grincement des clefs tournées et des verroux repoussés ne fut plus pour lui qu’un bruit suraigu de porte qui s’ouvre. Et c’est aussi loin qu’on peut aller dans la fin de Zénon.
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| | Nombre de messages : 61 Âge : 30 Date d'inscription : 04/11/2011 | Samarcande / Clochard céleste Dim 3 Mar 2013 - 10:35 | |
| Superbe. J'aime beaucoup L'oeuvre au noir et je te remercie de l'avoir rappelée à mon bon souvenir. Dans le même registre, je pense aussi au - Spoiler:
suicide de Kyo
dans La Condition humaine d'André Malraux. Il y a quelque chose de si profondément héroïque dans ces morts, ces "ombres levées dans la nuit de juin constellée de tortures" comme disait Malraux au sujet de Jean Moulin... |
| | Nombre de messages : 478 Âge : 43 Pensée du jour : Je crois qu'il est temps de remettre les pendules à leur place (Johnny Hallyday) Date d'inscription : 15/08/2012 | SergentMajor / Pour qui sonne Lestat Dim 19 Mai 2013 - 13:09 | |
| La mort sacrificielle de Sherlock Holmes dans Le dernier problème...parce qu'il "rescussite" dans La maison vide! Et pourtant Conan Doyle avait juré qu'on ne l'y reprendrait plus: "Je tuerai Sherlock ou c'est lui qui me tuera!" ...Quand un personnage est plus fort que son créateur! |
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